INGWILLER


Michel Lévy, qui a créé 2009 l'association "Les Amis de la Synagogue d'Ingwiller",
dans le but de restaurer le bâtiment, vous invite à célébrer les 200 ans de la synagogue,
le dimanche 3 juillet devant de nombreuses personnalités. Le président des Amis de
cet édifice religieux, non désacralisé, accueillera le grand-rabbin de France Haïm Korsia,
celui de Strasbourg et du Bas-Rhin, Harold-Abraham Weill, et Maurice Dahan,
pour le consistoire israélite du Bas-Rhin, partenaire de l’événement.

Après la cérémonie solennelle à 14 h, au sein de la synagogue, la partie festive
continuera dans la nouvelle halle couverte d’Ingwiller, place du Marché, mise à
disposition par la municipalité, elle aussi associée à l’évènement.

© Damien Soliveau
La communauté acquit, en 1816, un terrain sur lequel elle ne put construire sa synagogue qu'en 1822. Celle-ci fut érigée sur les vestiges du château d'Ingwiller. Ce lieu de culte, d'abord camouflé en maison privée, puis en oratoire fut transformé en véritable synagogue vers 1870, puis agrandi en septembre 1891 et restauré à nouveau en 1903.

La communauté d'Ingwiller atteignit presque 500 âmes vers 1850. Mais son rabbin n'était pas reconnu officiellement, et elle ne parvint jamais à obtenir un siège rabbinique.

Synagogue d'Ingwiller
© M. Rothé

Histoire des Juifs d'Ingwiller du moyen âge à nos jours
par Jean Daltroff

Introduction

L'installation des Juifs dans le comté, comme partout en Alsace et dans la vallée du Rhin, a commencé, bien que nous n'ayons aucune preuve archéologique ou historique dès le haut moyen âge (entre 476 et 1000). Cette implantation juive, dans ce qui deviendra le comté de Hanau-Lichtenberg (plus grand territoire protestant d'Alsace au 18ème siècle avec une centaine de villages), était très irrégulière. Jusqu'à la catastrophe de 1349, dans laquelle les Juifs de Strasbourg et d'autres villes de la Décapole, dix villes libres d'Empire (Haguenau la capitale, Wissembourg, Rosheim, Sélestat, Obernai, Colmar, Mulhouse, Munster, Turckheim, Kaysersberg) furent interdits de séjour à la suite de l'accusation d'avoir empoisonné les puits lors de la "grande peste", les Juifs vivaient surtout dans les grands centres urbains. On peut supposer qu'à l'époque de la Peste Noire, le comte de Lichtenberg qui allait jusqu'à accepter sur son territoire de nombreux réfugiés ou expulsés des villes impériales en accueillit également un certain nombre à Ingwiller.

I. Les Juifs d'Ingwiller au moyen âge et à l'époque de la Réforme

Site stratégique peuplé dès l'époque romaine, carrefour commercial et localité bien connue au moyen âge "Ingonivilare" était devenue au 13ème siècle un fief des seigneurs de Lichtenberg. Le premier document attestant avec certitude une présence juive date de 1347. Il s'agit d'une Charte de Charles IV confirmant à Sire Simon de Lichtenberg la possession de la ville d'Ingwiller. Par la même occasion, l'Empereur lui cède tous ses droits et taxes sur les Juifs "qui habitent sur son domaine ou qui viendraient par la suite s'y installer" et avance le jour du marché du vendredi au jeudi.

C'est ainsi que les Juifs dépendront des Lichtenberg, jusqu'en 1480, puis des Comtes de Deux-Ponts-Bitche (1480-1570), ensuite et surtout de la Maison des Hanau-Lichtenberg (1570-1736 et enfin des Hesse-Darmastadt (1736-1789) (1).

Cette relative autonomie des Juifs puis l'introduction dès 1570 de la Réforme dans les baillages d'Ingwiller leur vaudront, un statut relativement privilégié par rapport à celui des Juifs alsaciens des autres possessions. Ils n'ont certes jamais été admis au statut de bourgeois et ont été classés parmi les Schirmvervandte, c'est-à-dire ceux qui sont admis à la manance. Dès le 14ème siècle, les comtes de Hanau-Lichtenberg prélevaient des impôts sur les Juifs résidant sur leurs terres, c'est-à-dire le droit de recevoir ou de congédier les Juifs dans leurs domaines respectifs. Ils devaient acquitter le "Schirmgeld" ou droit de protection, mais ce dernier n'était guère plus élevé que les redevances dues par les Chrétiens.

Sur le plan économique, sans vouloir idéaliser cette situation - le commerce de l'épicerie, la mercerie et la peausserie étant sujet à restriction - ils auront la possibilité de faire l'acquisition de biens immobiliers. Ils pourront en outre pratiquer essentiellement des activités d'intermédiaires : trafic de bestiaux, boucherie et débit de viande, achats et vente de biens et de grains, colportage, fourniture aux armées et à la seigneurie, bail de différentes fermes (sel et fer en particulier).

II. Les Juifs d'Ingwiller sous les comtes de Hanau-Lichtenberg et des Rois de France

La mention de leur présence réapparaît au moment de la Guerre de Trente Ans (1618-1648), vraisemblablement parce qu'il s'agissait de réfugiés venus des villages des environs (Weinbourg, Offwiller, Rothbach). Pour repeupler ses terres et ses villes, dévastées par la guerre de Trente ans, le Comte Friedrich Casimir de Hanau-Lichtenberg (1646-1685) fit venir de nombreux immigrés d'Europe centrale, parmi lesquels de nombreux Juifs, attirés par certaines facilités économiques. Ainsi, en 1621, la douane de Bergheim signalait le passage chez elle d'un Juif d'Ingwiller du nom d'Abraham qui voyageait à cheval. Douze ans plus tard, en 1633, des documents mentionnaient que le Juif Ascher Lévy de Reichshoffen était venu à Ingwiller pour la circoncision du fils de Samuel de Bouxwiller, domicilié à Ingwiller (2). Les Juifs n'étaient pas contraints de vivre dans un quartier séparé et l'acquisition de maisons a rarement rencontré des obstacles de la part de la part des autorités seigneuriales. Les conflits entre voisins Juifs et Chrétiens étaient assez rares, bien que des litiges aient opposé les paysans aux marchands de bestiaux pour des abus de pâturages (3).

Tout long du 18ème siècle, la communauté juive d'Ingwiller s'agrandit passant de 13 familles en 1716 à 25 familles en 1766. On voit se multiplier les transactions commerciales, facilitées par la liberté de mouvement sur le territoire alsacien. La vie spirituelle se développe aussi, avec la création en 1770 d'une maison d'études et l'érection vers 1776 d'une synagogue dans la Hintergasse (actuelle rue du 22 novembre).

En 1784, lors du recensement général des Juifs d'Alsace, 38 chefs de familles se sont présentés et ont déclaré 195 âmes. La plupart des chefs de famille sont originaires d'Ingwiller. Les épouses pour la plupart proviennent des environs et quelques-unes viennent de Moselle (Phalsbourg, Hellimer) et du Haut-Rhin (Ribeauvillé, Hirsingue), une seule est allemande, la femme du bedeau. Sur le plan professionnel, ce sont les marchands de bestiaux qui sont les plus nombreux (19), devant les négociants (4) et les marchands d'effets ou colporteurs (4) puis suivent les bouchers (2) et les maîtres d'école (2). Un seul artisan est déclaré, le tapissier Jacob Samuel. La communauté juive d'Ingwiller à la veille de la Révolution française n'était pas une communauté pauvre car elle ne comptait que quatre familles indigentes, si l'on déduit des familles exemptées d'impôts, le maître d'école, le chantre et le bedeau, Wolf Lévy, dont l'épouse était originaire de Berlin.

Rappelons qu'à la veille de la Révolution française, dans un royaume qui comptait 26 millions d'habitants, les 20 000 Juifs alsaciens représentaient 50 % du judaïsme français, mais comptaient pour 3% de la population totale de l'Alsace. Bischheim avec 473 Juifs représentait la localité la plus peuplée d'Alsace. Les Juifs d'Ingwiller représentaient près de 13 % de la population totale en 1780 (158 Juifs et 1076 Chrétiens) et 16 % en 1791 (210 Juifs pour 1331 habitants) (4).

III. Les Juifs d'Ingwiller dans la première moitié du XIXe siècle

Avec le Décret d'émancipation des Juifs de France (27 septembre 1791), c'est un véritable bouleversement qui se produit. Les Juifs n'ont plus de juridiction distincte ; ils sont soumis aux mêmes lois et ont les mêmes droits que leurs voisins chrétiens. Ils doivent faire leur service militaire, peuvent librement s'établir où bon leur semble et y exercer des activités de leur choix.

La période révolutionnaire se passe sans trop de dommage. Toutefois en 1792 les Juifs durent avancer à la commune la somme réclamée par le Commissaire de la République pour nourrir les volontaires de l'an II. Pendant la Terreur (septembre 1793- juillet1794), on dut fermer la synagogue, et en 1794, le ministre officiant fut incarcéré durant neuf mois au grand Séminaire de Strasbourg avec trois personnalités protestantes et deux notables catholiques. Après la Terreur, tout se remet en place.

En 1807, le recensement de la population fait apparaître une communauté de 250 Juifs pour 1602 personnes au total au moment où Napoléon 1er mit en place les structures territoriales du judaïsme dans l'Empire, promulguant le 17 mars 1808 trois décrets. Si les deux premiers concernaient l'organisation du culte selon le système consistorial, le troisième décret, qualifié par la suite de "Décret infâme", apportait des restrictions à la citoyenneté accordée aux Juifs par le décret du 27 septembre 1791 en instaurant un système d'inégalité juridique pour les Juifs. Il ordonnait d'une part le réexamen des créances juives et prévoyait dans certains cas leur réduction, voire leur annulation par voie de justice. D'autre part, il imposait à tous les Juifs - et ceci aux seuls Juifs - d'obtenir au préalable, pour pouvoir se livrer à un commerce, négoce ou trafic quelconque, une patente du préfet du département, laquelle ne serait accordée "que sur un certificat du conseil municipal attestant que ledit juif ne s'était livré ni à l'usure ni à un trafic illicite". En effet, la municipalité d'Ingwiller en profite pour se débarrasser de trois négociants juifs. 55 habitants d'Ingwiller signent une pétition pour demander qu'on ajoute à ces trois noms les 34 autres. Cependant, grâce à des interventions, cette dernière demande est repoussée et les 34 Juifs obtiennent leur patente.

En 1809, on achète un terrain en plein centre en vue de la construction d'une nouvelle synagogue et l'on inaugure le cimetière israélite qui sera agrandi en 1938, ce qui évite d'aller jusqu'à Ettendorf pour enterrer les morts. La plus ancienne stèle du cimetière date de 1811. Elle est décorée d'une aiguière (5).

IV. Les Juifs d'Ingwiller : démographie, école et la nouvelle synagogue

En 1842, la population juive d'Ingwiller est évaluée à 500 personnes soit plus de 23 % de la population totale (2170) (6). Trois sondages des mariages en 1840, des naissances à Ingwiller en 1841 et en1846 révèlent la domination de métiers traditionnels avec la présence de huit marchands de bestiaux dont Zacharie Wolff, Théodore Weil, Moyse Kahn et Samuel Uhry. Deux bouchers apparaissent dont Léopold Uhry ; plusieurs commerçants, deux hommes d'affaires, un marchand de cuir, Lazare Klein, un autre marchand de verrerie, un tanneur, Abraham Lévi, un mercier, Joseph Baer, un négociant deux instituteurs primaires, un chantre, Marc Meyer, un courtier, un domestique et un mendiant. Notons que le 12 janvier 1840, Jacques Netter, commerçant né en 1813 à Ingwiller, épouse une femme d'Herxheim (Royaume de Bavière) ; tandis que le 22 décembre 1840 Théodore Weil, marchand de bestiaux, né en 1818 à Ingwiller, fils d'un marchand de bestiaux épouse Lisa Lazard de Frauenberg, la fille d'un commerçant (7). Les métiers qui dominent dans la population non-juive sont les artisans (cordonniers, maçons, tonneliers, charpentiers), les laboureurs et diverses professions (instituteurs et agent de police).

La population a diminué par la suite passant de 459 membres en 1851 à 344 en 1895 et à 322 en 1905. Les causes sont multiples. Entre 1855 et 1866, il se produit plusieurs vagues d'émigration vers l'Amérique (Lazar Kahn possède un magasin de poële à charbon avec Meiss, son beau-frère dans l'Alabama). De nombreux Juifs d'Ingwiller quittent l'Alsace, pour ne pas devenir Allemands, après la guerre de 1870-1871. À partir de 1890, nous assistons à une deuxième vague d'émigration vers l'Amérique qui fera tomber le chiffre de la population juive à 160 en 1936 soit 6,50 % de la population totale. Ainsi Edmond Uhry, fils d'un épicier d'Ingwiller émigre à New York en 1891. Il rapporte dans ses Mémoires que presque "toutes les familles de sa ville ont envoyé des fils au loin. Quand l'un d'entre eux s'installe, les autres de la même région le rejoignent en direction de New York, La Nouvelle-Orléans etc. (8)".

En 1936, la communauté était structurée, autour du ministre officiant, Marcel Roth, du président, Mathieu Wolff, du vice-Président, Paul Loeb et des membres de la commission administrative : Joseph Lazarus, Léopold Erstein, Salomon Lévy, Myrtil Wolff et Jules Metzger. Parmi les autres familles, on relevait notamment les noms de Sylvain Jacob, Léopold Bloch, René Wertheimer, Félix Lazarus, Henri Erstein, Maurice Wolff, Salomon Lévy, Henry Uhry, Joseph Haenel, Léon Aron, Jules Netter, René Meyer, Madame Maguerite Lévy épouse Gerson, Joseph Weil, Jonas Kahn, Léonie Bloch, Moïse Eichel, René Wertheimer, Henry Kaim, Gédéon Weil, Madame veuve Léon Meiss (9).

La seconde guerre mondiale achèvera le déclin de la communauté. Les raisons sont les tués (la tragédie des Puits de Guerry où du 24 juillet au 8 août 1944, les corps de 36 personnes ont été jetés vivants dans des puits et morts étouffés sous les pierres et les gravats par la milice de Vichy et la gestapo dont Mina et Salomon Lévy les grands parents de Michel Lévy et Gédéon Weill d'Ingwiller), les fusillés et les déportés, mais encore le départ pour la ville dû aux mutations socioprofessionnelles, avec la diminution des marchands de bestiaux et de professions intermédiaires et le vieillissement de la population. Il y avait pourtant encore 93 Juifs en 1954 pour 2862 personnes soit 3,25 % de la population totale de la commune et seulement et 28 membres en 1987.

L'école juive

L'école juive existait de temps immémorial. Une maison d'étude (Beth Hamidrach) privée où enseignait Isaac Netter survécut à l'Emancipation des Juifs et à la Terreur. Les progrès de l'instruction primaire en France datent du règne de Louis-Philippe. La loi Guizot crée les écoles communales. L'Alsace aura des écoles communales et les Juifs auront des écoles, comme les Catholiques et les Protestants ; les conseils municipaux ne feront pas de distinction, et rien ne favorisera peut-être plus les progrès de l'Alsace juive que cette égalité devant les bienfaits de l'instruction, égalité reconnue et proclamée par l'administration non israélite Dans ce contexte, l'école juive primaire d'Ingwiller fut reconnue en 1836. Moïse Aron Lévi et Josué Lévi étaient tous les deux instituteurs primaires en 1846 (10). Le père d'Adolphe Uhry, Raphaël, né à Ingwiller le 25 décembre1879 a fréquenté cette école, et son instituteur était un Monsieur Wahl (11). Sa sœur avait comme instituteur Monsieur Blum. Quant à Adolphe, il y était élève de 1929 à 1938. Son instituteur se nommait Jacques Gugenheim, puis Mademoiselle Eli Branz, qui venait du Home Israélite Laure Weil de Strasbourg et Gertrude Lévy, originaire de Niederbronn-les-Bains, qui enseigna jusqu'au début de la guerre et qui connut un destin tragique durant la seconde guerre mondiale, brûlée vive comme résistante, dans le Vercors.

La classe comprenait 30 élèves. De cette école, parmi les élèves sont sortis d'illustres personnages dont de grands bienfaiteurs, entre autres, Monsieur Alphonse Meiss, qui a quitté Ingwiller pour les Etats-Unis en 1901 aidant plusieurs œuvres strasbourgeoises : le Home Laure Weill et le Foyer des Jeunes Gens ; le général Lévi ; le professeur de médecine Henri Metzger et le grand rabbin Hoenel Meiss.

La synagogue

Tables de la LoiLa synagogue va pouvoir exprimer sa fonction : se donner comme les églises une certaine monumentalité et un décor. En 1809, en effet, la communauté acquiert ce qui restait de l'ancien château des Lichtenberg, construit en 1472, et détruit en 1677. Sur l'ancienne cave de style gothique, on érigea en 1822, un coquet immeuble de style 18ème siècle, une partie du bâtiment servant d'oratoire. "L'oratoire est officialisé par l'Etat comme lieu de culte vers 1870." Ce n'est qu'en 1870 qu'on aménage une galerie pour les dames dans le nouveau bâtiment, lequel n'est entièrement transformé qu'en 1891 sur le modèle des synagogues d'Europe centrale. La synagogue est dotée en 1903 de son clocher-bulbe de style oriental revêtu de cuivre en 1913.

Le bâtiment fut préservé pendant la dernière guerre, mais les vitraux furent abîmés par un bombardement le 16 mai 1940, et les lustres en cristal de Saint-Louis disparurent. Tout le chœur en marbre fut saccagé.

En 1948, la nouvelle commission administrative d'Ingwiller se mit courageusement aux réparations de la grande synagogue saccagée pendant l'occupation. Elle fut presque entièrement restaurée pour les fêtes de Rosh Hashana et de Yom Kippour de 1949, les offices furent célébrés par Moïse et Edgard Lévy et par Monsieur Eugène Fettmann soutenus par le chœur formé par les jeunes gens (12). Les généreux donateurs de la communauté, Monsieur et Madame Alphonse Meiss, furent présents lors de la fête de Shavouoth en1949, qui fut célébrée en présence d'une vive affluence (13).

V. Personnalités marquantes et vie communautaire aux XIXe et XXe siècles

Après la suppression du rabbinat officiel, rétribué par l'Etat et transféré à Bouxwiller, la communauté engaga un rabbin particulier, exclusivement payé par elle, en la personne du rabbin Simon Lévy, qui succèda à Lazare Godschaux (1833-1844), qui occupa le poste de rabbin à Ingwiller à partir de 1867 et passa après l'annexion à Schirrhoffen où il fut installé en 1875. Son ouvrage Les Loisirs d'un rabbin alimenta une polémique avec l'écrivain Alexandre Weill (14). Puis elle engagea le célèbre rabbin Léopold Loeb Sarrasin. Installé à Ingwiller, où vivait sa mère, il épousa le 23 mars 1820, Eve Cain née le 22 mars 1805 à Ingwiller, fille de Moïse Cain, marchand de bestiaux, et de Marie Meyer, dont il eut quatorze enfants. Deux des filles se marièrent en Californie et trois en Allemagne. Il exerça à Ingwiller la profession de négociant, marchand de grains, fabricant d'huile, sans prendre de poste de rabbin mais en remplissant à l'occasion les fonctions à titre bénévole en donnant des consultations sur la halakhah (la loi juive). En 1825, il accepta la charge de second rabbin auprès du grand rabbin de Strasbourg, Jacob Meyer. Il fut encore conseiller municipal d'Ingwiller. Il maintint la tradition des érudits alsaciens mi-commerçants mi-rabbins, férus de discussions talmudiques et soutiens financiers des yechivoth, (écoles supérieures talmudiques). Il partit par la suite à Paris en 1852, où il créa la Société de l'étude talmudique qui donna naissance à l'actuelle Communauté de la Stricte Observance de la rue Cadet (15).

D'autres rabbins ont vu le jour à Ingwiller : le grand rabbin Honel Meiss né à Ingwiller le 18 août 1846, fils d'Abraham Meiss, commerçant et d'Hélène Franck. Il rentra au Séminaire israélite de Paris en 1866. Il fut rabbin à Nantes de 1873 à 1883, à Nice entre 1884 et 1896, où faisant preuve d'une énergie débordante, il intervint en de multiples secteurs comme aumônier aux armées, comme vice-président du comité local de secours aux Alsaciens-Lorrains et oeuvra à l'ouverture du sanatorium de la Fondation Jacob Plaut à Cimiez pour les tuberculeux juifs sans ressources. Il devint ensuite grand rabbin de Marseille très apprécié de 1904 à 1919. En 1924, il eut le plaisir de prendre la parole dans sa commune natale. Il est notamment l'auteur d'un célèbre recueil de Moschelich (historiettes ou paraboles en rapport avec la vie juive) Choses d'Alsace, contes d'avant-guerre (16) et reçut le prix Montyon de l'Académie française pour sa traduction des Psaumes et le prix Auddifret de l'Académie des Sciences morales et politiques (17).

Le rabbin Lucien Uhry est également né à Ingwiller en 1872. Il fut rabbin à Fegersheim, Sélestat et Mulhouse. Citons encore les rabbins Arthur Villar de Vincennes, le rabbin Jean Lévy né à Ingwiller en 1947 et Pierre Nauciciel né en 1939 à Ingwiller, ministre officiant à Sélestat, à Haguenau, à Karlsruhe et à Mulhouse.

Jusqu'à la dernière guerre, la communauté possédait des confréries (les ‘hévroth) comme l'association de secours en faveur des pauvres et des étrangers de la localité, une autre association de secours mutuels pour les femmes indigentes malades ou en couche composée de 64 membres en 1858 (18). Il y avait encore deux sociétés littéraires, héritières, l'une de la bibliothèque de la synagogue et l'autre de celle de l'école juive.

Des présidents ont fait le lustre de cette communauté, notamment Raphaël Liewer de 1869 à 1902 ainsi que ses successeurs : Abraham Bloch, Mathieu Wolff et Myrtille Wolff, sans oublier ceux d'après guerre : Moïse Berg, Armand Bloch, Alfred Uhry, Sylvain et Alfred Jacob.

Des ministres officiants ont laissé une tradition musicale originale de chantres (‘hazanim) : Meyer Isaac Rullmann, Lucien Bloch, Marcel Roth et après-guerre Eugène Fettmann et Edgard Lévy.

Enfin parmi les autres personnalités, il convient de mentionner le Général de division, Camille Baruch Lévi né à Ingwiller, le 9 décembre 1860 et décédé à Bayonne en 1933. Fils de Marx Lévi, négociant et d'Ernestine Grumbach, il sortit de Saint-Cyr en 1881. Il commanda une brigade à la tête de laquelle il participa à la bataille de l'Aisne, de Champagne, de Verdun en 1916 et commanda une division d'infanterie en 1917. Gouverneur de Dunkerque en 1919, Il obtint le grade de Commandeur de la Légion d'honneur en 1920 (19).

Le "Shilles Frommel" d'Ingwiller était un truculent personnage juif du siècle dernier, à qui Gustave Stoskopf a consacré une petite partie dans son ouvrage Quand j'étais gosse et autres petites histoires alsaciennes (20). Deux histoires ont retenu notre attention : "Dans le Hanauerland, qui ne connaît Schilles Frommel, d'Ingwiller ? Certes, il y a longtemps qu'il a vécu, mais les tours qu'il a joués et les aventures qui lui sont arrivées constituent aujourd'hui encore un sujet de conversation de choix dans sa petite patrie". Une première anecdote rapporte que "Schilles n'était encore qu'un gamin, sa mère l'envoya un jour chez le boucher lui chercher une longe de veau car elle avait l'estomac détraqué depuis quelque temps. Mais comme elle ne savait pas préparer la sauce appropriée, elle lui dit d'en demander aussi la recette. Frommel s'acquitta scrupuleusement de la commission et le boucher ainsi que sa femme lui fournirent toutes les explications nécessaires. "Halte ! s'exclama Frommel, je ne peux pas retenir tout ça. Passez-moi un bout de craie." Le boucher lui tendit un bout de craie et Frommel, sans hésiter, de noter la recette sur sa culotte : "Tant et tant de ceci…, tant et tant de cela…"
Après quoi il se mit en route avec la longe de veau installée sur une grande assiette. Mais, comme il ne voulait pas être vu portant cette assiette devant lui, il se décida vite à la mettre derrière son dos, ce qui fit qu'il faillit se démettre le bras. Sultan, le grand chien du boucher, dont le fumet délicat de cette longe chatouillait les narines, se mit à suivre le garçon sur la pointe des pattes et, quand il fut arrivé à sa hauteur ; hop ! il se saisit du morceau. Ayant senti qu'il s'était passé quelques sur ses arrières, Frommel se retourna promptement et n'eut que le temps d'apercevoir, Sultan, la longe de veau dans sa gueule, disparaissant au coin de la rue. Cela ne lui plut pas du tout ! « Chien ! Misérable chien ! s'écria-t-il, tu m'a volé ma viande, mais tu peux toujours courir pour avoir la recette de la sauce !"
Une deuxième anecdote est racontée en ces termes : "D'une manière générale, les voyages ne semblaient pas réussir à Schilles Frommel, même à dos de cheval. Son père l'ayant un jour lancé une fois de plus sur les routes, comme il y avait un bout de chemin à faire, il l'avait installé sur le plus patient et plus accommodant des bourrins de son écurie. Au début, tout se passa bien, même si Schilles Frommel, en tant que cavalier, n'avait pas exactement l'air d'un cuirassier de la garde. Arrivé au village le plus proche, il mit pied à terre devant une auberge, car le soleil lui avait donné soif en lui tapant énergiquement sur la tête. Un quart de vin arrangea les choses et, non sans peine, il remonta sur son coursier pour poursuivre sa route. Mais le cheval, sans hésiter, reprit tranquillement le chemin de son écurie sans que Frommel s'aperçoive de quoi que ce soit d'anormal. Ce n'est qu'en s'approchant d'Ingwiller qu'il s'étonna, hocha la tête et incrédule : "Ma parole ! Exactement au bourg comme notre bourg !" Sa surprise devint plus grande encore en pénétrant dans Ingwiller et en reconnaissant la rue principale. N'arrêtant plus de hocher la tête, il observa : "Ma parole ! "Exactement une rue comme notre rue ! » Mais quand le cheval s'arrêta devant sa propre maison, son ébahissement s'accrut encore : " Ma parole ! Exactement une maison comme notre maison !" Sa perplexité fut à son comble, au point qu'il faillit en perdre la parole, en voyant son père apparaître à une fenêtre, il eut toutes les peines du monde à constater : "Ma parole ! Exactement un père comme notre père !" La réponse ne se fit pas attendre : "Ma parole ! Exactement un imbécile comme notre imbécile !" Shilles Frommel savait désormais à quoi s'attendre et, peu à peu, il acquit la conviction qu'il était de nouveau de retour chez lui."

Epilogue

Le dôme de la synagogue rénovée - © Damien Soliveau
La communauté juive d'Ingwiller a, depuis plusieurs années, entamé sa lutte contre la mort : il n'y a plus minyan, les dix juifs adultes nécessaires pour un office public complet. Malgré tout, on se réunissait tous les vendredis soir et tous les samedis matin à la synagogue pour prier et lire en commun la traduction de la Sidrah, la lecture sabbatique de la semaine. À l'occasion des jours de fête, on faisait venir du renfort et l'on engageait des officiants. Les Juifs d'Ingwiller disaient : "S'il n'y a pas de Schulgang (fréquentation des offices à la synagogue), ce n'est vraiment pas Yontev (jour de fête) ! Et le président, Monsieur Alfred Jacob d'ajouter : "Quand on a la chance d'avoir une aussi belle Schule (21) et un passé aussi glorieux, on résiste jusqu'à la fin."

Nos maîtres nous enseignent que "La plupart des agonisants meurent". Cela suppose qu'une petite minorité maintienne la tradition dont Michel Lévy, le président de l'association "Les Amis de la synagogue d'Ingwiller, Jacqueline Haenel, l'épouse de Roger Haenel disparu récemment, Arlette Goldberg, née Bloch une autre Madame Haenel et d'autres, originaires d'Ingwiller.

Puisse la magnifique rénovation de la synagogue d'Ingwiller, qui a toujours été un symbole de la cohabitation de trois communautés qui ont peuplé la localité : les luthériens, les catholiques et les juifs, non désacralisée, où des mariages sont célébrés, des concerts de musique orchestrés avec brio et des visites régulières organisées par le Musée du pays de Hanau et lors des journées du Patrimoine, perpétuent avec force, l'esprit des anciens et l'histoire qui se renouvelle à travers le temps de cette belle communauté qui a été riche et dynamique dans sa diversité.

Photographies de la synagogue : ©Frédéric Batoua

Précisions apportées par le Grand Rabbin Alexis Blum :

L'instituteur Wahl a eu comme petit fils Jean Jacques Wahl ancien responsable de l'Alliance Israélite Universelle.
Jacques Gugenheim instituteur à Ingwiller était le fils aîné du grand rabbin Max Gugenheim de Bouxwiller. Jacques (mon oncle) est mort en déportation.    Retour au texte


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