PHALSBOURG
par Antoine SCHRUB
Conservateur du Musée de Phalsbourg
Extrait de la brochure éditée pour la Journée Européenne de la Culture Juive 2000

La synagogue de Phalsbourg

Entre 1680 et 1691, le ministre de Louis XIV, Louvois, autorisa deux familles juives à s' installer à Phalsbourg. On en compta quatre en 1702, huit en 1747 et douze en 1770. A plusieurs reprises, elles furent menacées d'expulsion.

Deux juifs obtinrent une patente en 1766, et ce droit de patente fut ratifié par le Conseil d'Etat. La synagogue fut érigée en 1772, reconstruite en 1857 et inaugurée le 10 septembre 1857.

Une pierre en grès d'environ un mètre de longueur, encastrée dans le mur oriental de la synagogue actuelle de Phalsbourg, au dessus de l'escalier qui mène à la chaire d'où le rabbin faisait des sermons, porte l'inscription suivante :

"Que ce lieu est redoutable ! Accueille avec miséricorde et bienveillance nos prières " - L'an 532 du petit comput.
Le cimetière date de 1796.

De 1807 jusqu'à 1920 environ, Phalsbourg fut le siège du Rabbinat qui desservait aussi les communautés voisines de Sarrebourg, Mittelbronn, Lixheim, Schalbach, Bourscheid et Metting.
Les rabbins de l'époque furent :

De nombreuses personnalités illustres sont issues de cette communauté :

Depuis la fin du 19ème siècle, la population juive a diminué : elle est passée de 159 âmes en 1880, à 89 en 1931, et à 48 en 1970.

Durant la deuxième guerre mondiale, neuf membres de la communauté sont morts en déportation et deux ont été fusillés.

Aujourd'hui, le culte n'est plus pratiqué à Phalsbourg car le myniâne (quorum nécessaire de 10 hommes de plus de 13 ans) n'existe plus.

PHALSBOURG
par Jean-Bernard LANG
page réalisée avec le concours de Pascal FAUSTINI

Les juifs y font leur apparition dès 1686, avec le rattachement de cette forteresse lorraine à la France. Ils  sont à l'époque quatre familles autorisées par l'administration militaire, celle de Cerf Lévy, de Samuel Lévy, originaire de Bouquenom, enclave lorraine dans la principauté protestante de Saarwerden, de Salomon Mayer et d'Aron Isaac. Bien que leurs descendants ou successeurs aient fini  par faire  partie du paysage local, comme l'atteste l'oeuvre d'Erckmann-Chatrian, leur relation aux bourgeois de la ville sera parfois conflictuelle. L'autorisation d'admission stipule qu'ils devront construire leurs propres maisons, et qu'au cas où, par suite de l'agrandissement de leur famille, ils s'y sentiraient à l'étroit, ils seront tenus de bâtir ailleurs sur une parcelle libre. Manifestation de la politique volontariste du commandement militaire, soucieux de garnir de population le terrain embastionné, mais aussi preuve flagrante que s'il voulait bien accueillir les juifs, encore convenait-il que ces derniers soient suffisamment fortunés pour construire en pierres, selon les normes en vigueur dans une ville-forteresse, toujours à la merci d'un siège et des incendies qui en étaient la conséquence. Leur métier est principalement le prêt à intérêt même si, comme partout, il s'accompagne de pratiques commerciales, les débiteurs laissant en gage des marchandises de toutes sortes qu'il faut parfois revendre ensuite. Ils sont par ailleurs astreints à une taxe levée par l'Hôtel de Ville, dont ils sont exonérés la première année, mais qui se monte à 18 livres l'année suivante et à 36 livres ensuite. Cette progression fut sans doute négociée pour compenser les frais des constructions. 

En 1712, Louis XIV ordonne une expulsion générale des juifs de la généralité de Metz, excepté du chef-lieu. La mesure est appliquée à Phalsbourg et les bannis, qui ont eu un délai de six mois pour liquider leurs biens immobiliers, vont peupler Lixheim et les villages voisins, Schalbach et  Metting, toutes localités du duché de Lorraine où le duc Léopold leur semble alors favorable. Ils obtiennent l'autorisation de revenir dans la ville dès la mort du roi, en 1715. Ce retour est accéléré par le retournement de situation en Lorraine qui se produit en 1721, après la faillite de Samuel Lévy.

Une première synagogue est construite à la faveur d'une décision de l'autorité militaire dès 1730. En 1743, puis en 1754, de nouveaux ordres d'expulsion furent pris, mais il est douteux qu'ils furent mis en application. Un deuxième édifice est construit  en 1772 pour les douze familles résidentes. Il s'agit d'un bâtiment édifié au milieu d'une cour intérieure à laquelle on accède par deux entrées situées l'une sur l'actuelle rue Alexandre Weil, l'autre sur la rue du Maréchal Foch. Il sera démoli en 1857 pour permettre la construction d'un troisième car la population se monte désormais à 200 âmes, mais une pierre provenant de la synagogue primitive et portant une inscription gravée, sera encastrée dans un mur du nouveau bâtiment  L'architecte de la ville est alors Nicolas Lang, qui travaille sous les ordres d'un confrère sarrebourgeois, Ferdinand Boudot. Encore aujourd'hui en service, il fut inauguré par le rabbin Benjamin Lipmann qui avait accédé à ce poste en 1848 et le resta jusqu'en 1863 lorsqu'il fut nommé grand rabbin de Metz.

En 1870, la ville fortifiée est violemment bombardée par l'artillerie de siège prussienne. D'après les mémoires du commandant de la garnison, le commandant Hollender, cet épisode réveille le vieil antagonisme entre protestants et catholiques, certains des premiers s'étant ouvertement réjouis que la majorité catholique soit soumise au feu d'une armée protestante. Les juifs, quant à eux, manifestent une nouvelle foi leur patriotisme, et le rabbin n'hésite pas à se joindre au curé le 14 août 1870 pour parcourir les rues dévastées, secourant et réconfortant les victimes.  Mais par la suite, le nombre des juifs commence à décroître: 159 individus en 1881 et seulement 86 en 1931. 

La synagogue de Phalsbourg est celle du célèbre rabbin Lazare Isidor qui refusa de faire exécuter un serment "more judaïco" et fut défendu devant les tribunaux par Adolphe Crémieux. Plus tard, Lazare Isidor devint grand rabbin de France. Au 19ème siècle d'ailleurs, le poste de Phalsbourg est généralement considéré comme le tremplin pour celui de Metz, lui-même pouvant laisser espérer à son titulaire celui de Strasbourg. En tous cas, c'est ainsi que se déroulèrent les carrières de Isaac Bigart (qui mourut à Metz prématurément), et d'Isaac Weil, grand rabbin de Lorraine de 1885 à 1890 avant d'être celui de Basse-Alsace.

Parmi les "célébrités" phalsbourgeoises, il faut aussi citer Baruch Gugenheim, talmudiste célèbre à l'époque, qui devint grand rabbin de Nancy, Michel A. Weil, élève de l'école rabbinique de Metz en 1835 et qui sera grand rabbin d'Alger, et naturellement les fameux éditeurs Michel et Calmann Lévy. Ces derniers, nés à Phalsbourg en 1816 et 1818, étaient les fils d'un colporteur d'origine alsacienne qui avait en vain tenté fortune en vendant dans sa balle la production de l'imprimeur Brisac à Lunéville. Ruiné, il était parti en 1826 tenter sa chance à Paris. Son fils Michel ouvrit un "cabinet de lecture" dans la capitale dès 1835, mais son coup de génie va se produire en 1851 lorsqu'il va casser les prix du livre, ouvrant ainsi la voie à la démocratisation de l'édition. Parmi les autres enfants célèbres de Phalsbourg, citons Alexandre Weil (1834-1906) qui appartenait à la famille des banquiers Aron de Phalsbourg tout comme son cousin Simon Lazard qui fonda une banque à San Francisco. Alexandre Weil alla le rejoindre à l'âge de vingt ans et y devint son plus proche collaborateur avant de prendre en charge l'antenne new-yorkaise et enfin la parisienne en 1887. Son fils David Weil fut un mécène de la ville natale de son père, cofondateur de son musée et financier de la construction du stade municipal qui porte le nom d'Alexandre Weil.
Il nous faut enfin mentionner le souvenir de Mlle Mathilde Salomon (1837-1909) qui fut une des premières femmes juives à faire carrière dans l'enseignement public. Membre du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique, elle travailla avec Camille Sée pour organiser l'enseignement secondaire des jeunes filles et présida à la fondation du collège Sévigné dont elle devint la directrice. D'apparence fragile, souffrant d'un léger handicap à la colonne vertébrale, Mlle Mathilde Salomon était infiniment respectée autant par ses collègues que ses élèves. Elle fut la première femme en France qui fut décorée de la croix de chevalier de la Légion d'Honneur.
Enfin, de nos jours, soulignons la renommée de Freddy Raphaël, né à Phalsbourg, doyen de la faculté de Sciences Sociales de l'Université de Strasbourg, bien connu pour ses nombreux travaux sur le judaïsme alsacien.

En 1910, le siège du rabbinat fut transféré à Sarrebourg. Il y avait encore trente familles en 1945, mais plus que douze fidèles en 1998. La synagogue, ayant miraculeusement échappé à la destruction par les nazis, existe toujours. Un cimetière fut ouvert en 1796, auparavant, les inhumations se faisaient à Saverne.

Les juifs sont nombreux dans l'oeuvre d'Erckmann-Chatrian, où ils fournissent une foule de personnages secondaires dont la truculence a fait, à l'époque, le succès des deux auteurs associés. Mais ces derniers ne portaient pas sur eux le même regard. Chatrian les détestait, accusant ceux d'Imling d'avoir ruiné son père en l'engageant de manière imprudente dans la gestion de la verrerie de Soldatenthal (Grand-Soldat) d'où la famille était originaire et d'avoir ensuite mis le couteau sous la gorge à leur débiteur failli. Au contraire, la famille Erckmann avait vécu à Phalsbourg dans une  maison dont le propriétaire était  Meyer Heymann, à la fois rabbin et marchand de fer et de bois. Il était né en 1760 à Mittelbronn et mourut à Phalsbourg en 1837. On raconte que l'amitié entre rebbe Heymann et le père d'Emile Erckmann était telle que ce dernier, en l'absence de son ami, n'hésitait pas à recevoir de braves femmes juives venues de lointains villages, chercher un conseil avisé auprès d'un rabbin qu'elle ne connaissaient que de réputation. Il remplissait, paraît-il, sa tâche à la satisfaction de tous, ce qui rendait son usurpation d'identité bien pardonnable. Le rabbin Heymann revit dans les livres de celui qui n'était alors qu'un enfant: c'est le rabbin Sichel de l'Ami Fritz.

Depuis 1945, les présidents de la communauté de Phalsbourg furent Salomon Lehmann, Jacques Raphaël, André Bloch, Arthur Lévy et Max Moses.


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