NIEDERBRONN-LES-BAINS


Une synagogue, édifiée en 1833 d'après l'inventaire de 1843, nécessitait des réparations à cette époque, et s'avérait trop petite. Le bâtiment étant dans un état de délabrement et menaçant ruine, il sera fermé au culte en janvier 1862. Les offices se dérouleront alors chez des particuliers. Une nouvelle synagogue est construite en 1863, et inaugurée le 22 septembre 1869. Elle sera saccagée durant la seconde guerre mondiale.
A la Libération, seul un petit oratoire sera aménagé dans le bâtiment, l'intérieur restant dans son état de désolation jusqu'à nos jours.
La synagogue a été désacraliséz en 1986, le bâtiment ayant été vendu à la commune. Une cérémonie d'adieux s'y est déroulée le 21 avril 1991.


La communauté juive de Niederbronn
Petit historique émaillé de souvenirs de famille
texte et photos : Raymond Lévy
Article publié en 2011 dans la Revue de l'Outre-Forêt, reproduit avec l'autorisation de l'auteur


La synagogue devenue Foyer paroissial St Martin

La présence juive en Alsace est attestée depuis plus d'un millénaire. Elle a évolué en fonction des possibilités socio-économiques de chaque époque. Cette présence a été suffisamment forte pour développer une culture et une langue spécifique au regard du monde juif dans son ensemble. Il suffit d'une visite au Musée judéo-alsacien de Bouxwiller pour s'en persuader.


L'actuel canton de Niederbronn-les-Bains n'a pas échappé à cette histoire. Oberbronn, chef-lieu de baillage et des seigneurs de Born (Burn ?), avait, au dire de mon grand-père, une communauté plus importante que celle de Niederbronn au 19e siècle. Cependant, l'arrivée du chemin de fer et le développement du thermalisme ont probablement permis à la communauté locale, à l'instar de toute la population niederbronnoise, de se développer.


Les comtes de Hanau-Lichtenberg ont toujours toléré les juifs parce qu'ils jouaient un rôle d'intermédiaire économique commode dans la société rurale médiévale :

L'Église ayant jeté l'anathème sur un peuple dit déicide, les juifs pouvaient donc servir de bouc émissaire lors des crises sociales du moyen-âge (disettes, épidémies...), à tel point que leur rôle de repoussoir économique et politique était devenu indispensable dans la sociologie de l'époque, à la condition cependant que leur nombre ne grandisse pas trop et qu'ils ne gagnent pas en importance sociale.


Le Siècle des Lumières allait progressivement changer la situation. La Révolution de 1789, la Déclaration des droits de l'Homme, l'émancipation tardive des juifs en 1791 ont permis aux judéo-alsaciens d'accéder à une égalité juridique sans précédent en Europe. Le Concordat napoléonien a favorisé l'intégration de fait de la religion israélite en la structurant. L'état civil, avec obligation de prendre un nom de famille, autorise des recherches généalogiques que les registres paroissiaux d'antan interdisaient évidemment aux juifs.


La présence juive à Niederbronn est donc très mal connue avant le 19e siècle. Il semblerait que Martin Lévy, né à Niederbronn en 1800, soit de mes ancêtres. Le recensement de 1821 indique 222 juifs sur 2315 Niederbronnois. L'année 1861 marque l'apogée en nombre : 296 juifs pour 3203 habitants.
Frisant les 10 %, la population juive décroîtra encore progressivement pour deux raisons. D'une part, la fidélité à la France émancipatrice a fait émigrer de nombreux juifs après la guerre de 1870. Enfant, mon grand-père Simon Lévy, né en 1878, me racontait deux anecdotes à ce sujet :

D'autre part, l'émancipation socio-professionnelle a poussé de nombreux juifs à s'installer en ville. Sous l'Ancien Régime, certaines villes alsaciennes dont Strasbourg, avaient longtemps interdit les juifs de résidence. Ces villes devenaient désormais accessibles.



maison de Lazare Lévy mon arrière-grand-père ;
il y a vécu avec sa famille vers 1900.


maison de Simon et Paulette Lévy, mes grands-parents, après les
bombardements américains de la Libération du 16 mars 1945.
Reconstruite en 1956, elle sera habitée après 1975 par mes parents
Robert et Rosette Lévy.


L'ancien heder, école juive
Si 42 familles étaient présentes à Niederbronn avant 1914, il n'y restait que 65 juifs en 1939. À la déclaration de la guerre, un certain nombre d'entre eux - dont ma famille paternelle - a été évacué à Eymoutiers et Peyrat-le-Château (Haute-Vienne), comme tous les habitants de la commune d'ailleurs. Certains purent ainsi survivre aux persécutions des nazis et de l'État Français de Vichy. D'autres, au nombre de 53 adultes et enfants, périrent dans la déportation ; ainsi, mon grand-oncle David Lévy et son épouse Agathe furent anéantis à Auschwitz.
Lors des rafles nazies de 1944 en Limousin, mes grands-parents purent se mettre à l'abri grâce à un certain Michel Nussbaum (le futur maire de Niederbronn, de 1971 à 1977) qui les a avertis à temps.


Qu'il me soit par ailleurs permis de rendre hommage à trois personnes de ma famille proche :


Après la guerre, le retour fut évidemment difficile, dans un Niederbronn dévasté par les bombardements de l'hiver 1944-45. On dénombrait 33 juifs en 1947, environ 30 dans, les années 1960, en majorité des personnes âgées, mais aussi une dizaine d'enfants.
Il y eut même des installations nouvelles de juifs à Niederbronn :


Les édifices israélites à Niederbronn-les-Bains


La synagogue :

Une ancienne synagogue probablement discrète, existait, rue des Juifs, depuis une date inconnue. En très mauvais état, elle fait l'objet de nombreuses demandes de rénovation à la mairie par la communauté juive depuis 1832. De sourde oreille en rejets répétés de la part du maire de l'époque et malgré les injonctions du sous-préfet, le bâtiment tombe définitivement en ruine et doit être remplacé par un oratoire dans une maison privée en 1861.
Parallèlement, un projet d'édification d'une nouvelle synagogue avait vu le jour vers 1832.
Après un an de travaux, la nouvelle synagogue est inaugurée le 2 septembre 1869.
La synagogue est profanée pendant la seconde guerre mondiale.

Le président de la communauté, René Cahn, entreprit en 1958 la restauration de la synagogue avec les fonds de la Reconstruction et des Dommages de guerre comme principales sources de financement.
La communauté ayant quasiment disparu dans les années 1970 (après le départ des derniers rapatriés d'Algérie), le bâtiment se dégrada progressivement jusqu'à occasionner un accident dans les années 1980.

Solennellement désacralisé le 13 mai 1986, en présence des représentants des trois cultes, l'édifice est vendu à la Ville de Niederbronn-les-Bains.
Voir l'article détaillé sur l'histoire de la synagogue.


L'école juive :

Une école juive existait, rue des Romains, dans une bâtisse devenue par la suite musée municipal, puis ateliers municipaux, aujourd'hui transformée en restaurant. D'aspect architectural 19e siècle, cette école a servi jusque dans les années 1920. En 1921, l'instituteur Ullmann y accueillait encore 42 élèves âgés de 6 à 10 ans (cf.. Aux sources de la mémoire). Cependant, Alice Marx, née en 1920, raconte qu'à l'époque où elle était écolière, donc vers 1930, les enfants juifs suivaient déjà les cours d'instruction religieuse à l'école protestante dans la Pfaffegass, le jeudi et le dimanche ... Cette même école où ils allaient suivre l'enseignement laïc les autres jours.


La maison de la communauté, Kahalshaus :
Niederbronn n'a jamais été siège de rabbinat. Les services religieux étaient dirigés par un ministre officiant qui était recruté sur des critères musicaux et de chant, pour rendre les prières plus mélodieuses. Il faisait souvent fonction d'enseignant à l'école, parfois de sacrificateur pour l'abattage rituel de la viande cachère. Ce ministre officiant était logé dans un bâtiment situé rue du Quillier, à l'angle avec l'avenue Foch, et datant probablement du début du 19e siècle. L'avant-dernier chantre, M. Caron, a eu pour successeur Eliahou Sellam.

Au rez-de-chaussée du bâtiment se trouvait une salle dédiée à l'abattage rituel pour petits animaux. Une autre partie de ce rez-de-chaussée contenait le mikvé ou bain rituel. Outre le bain proprement dit, on pouvait y voir les restes des réservoirs de chauffage de l'eau.

Les étages supérieurs servaient de logements. Ainsi, après 1945, restés intacts, ils ont abrité jusqu'à quatre familles juives (dont la mienne), le temps de reconstruction des maisons bombardées.
Aujourd'hui, en très mauvais état, le bâtiment a été racheté par la Ville en 2001. Il est en attente de restauration depuis longtemps. Pourtant, le mikvé s'inscrirait parfaitement dans l'historique thermal de Niederbronn...
Voir l'article La maison des mystères.



maison de Clémence et Claire Blum,
toutes deux déportées.

 

maison et magasin Haaker jusque vers 1970.

 

maison d'Emmanuel Lévy (fils aîné de Lazare)
jusqu’en 1953.

 

maison de David (4e fils de Lazare) et Agathe
Lévy, déportés en 1942. C’était une ancienne
Garkisch
et Kohlenhandlung avant 1914.

 

maison et magasin Alphonse et Palmyre Lévy, chef
des pompiers avant-guerre et Barnes depuis les
années 1930 jusque vers 1958.

 

maison de « Büchbinder Salmele » Salomon le
relieur avant 1914

 

maison Germain et Elise Roth ancien boucher et
Beheimeshändler jusqu’au début des années 1960.
 

L'enterrement des défunts :

Il n'y a jamais eu de cimetière juif à Niederbronn. On ne peut que faire des suppositions sur la période de l'Ancien Régime. Les comtes de Hanau-Lichtenberg avaient autorisé la création du cimetière juif d'Ettendorf, pour l'ensemble du comté. Datant du 16e siècle, celui-ci est le plus grand cimetière juif de l'Alsace du Nord. Les juifs de Niederbronn y enterraient-ils leurs morts ? Ou bien allaient-ils plutôt à celui de Wissembourg tout aussi éloigné ? Troisième hypothèse : Haguenau...

Les règles de l'époque obligeaient les transports funéraires juifs - à dos d'homme - à payer une taxe corporelle pour chaque juif vivant ou mort au passage de chaque village et souvent à subir les affronts des populations locales.

Quant à lui, le cimetière juif de Gundershoffen date des débuts du 19e siècle. Il sert aujourd'hui encore pour les résidents israélites d'une zone située entre Bitche et Gundershoffen, (dont Niederbronn) et ce à l'exception d'Oberbronn qui disposait de son propre cimetière, depuis une date que l'on ne connaît pas exactement. Antérieur au cimetière de Gundershoffen, il ne semble pas avoir existé avant la Révolution et n'a donc pas pu servir à cette époque. Mais les recherches sur ce point (et beaucoup d'autres) restent à faire...


Les métiers et occupations


Sans revenir sur la période médiévale abordée en introduction, rappelons que beaucoup de juifs alsaciens pratiquaient toutes sortes de commerces. Ils se trouvaient ainsi en butte aux commerçants chrétiens qui, craignant leur concurrence, les accusaient de nombreuses malversations.
En revanche, au 18e siècle déjà, le cardinal de Rohan met franchement en cause la mauvaise foi et la jalousie des commerçants chrétiens. Et avant lui, l'intendant général Jacques de La Grange, constatait que "L'Alsacien n'est pas assez vif ni industrieux, se complaît dans une médiocrité confortable, jalouse tous ceux qui, par leur labeur et leur esprit d'initiative, sortent de l'ordinaire et s'efforce de leur nuire en invoquant une foule d'accusations sans fondement" (R. Oberlé : Juifs d'Alsace et Alsaciens, p. 115).


Au 20e siècle, entre les deux guerres, les occupations professionnelles des juifs sont mieux connues :


Les activités communautaires et civiles

Présidents de la communauté :
Isidore Israël, après 1919
Alphonse Lévy, vers 1935, jusqu'en 1958
René Cahn, de 1958 à 1963, s'est occupé des travaux de restauration de la synagogue
Robert Lévy, de 1963 à sa mort en 1985, a été le dernier président.
Derniers ministres officiants :
Isidore Israël, M. Caron et enfin E. Sellam.
Il a existé une oeuvre de bienfaisance dont la section féminine était présidée par Jenny Haacker.
Jules Madenberg a été conseiller municipal dans les années 1930. Alphonse Lévy fut sapeur-pompier durant de très nombreuses années et chef de corps de 1929 à 1931.


L'intégration


Les indications rapportées plus haut le suggéraient : l'intégration des juifs de Niederbronn à la vie locale s'est faite progressivement, Comme souvent, l'antisémitisme officiel n'a jamais empêché les amitiés (ou les inimitiés) des particuliers entre eux. La ségrégation a toujours été un instrument de pouvoir politique, en Alsace comme ailleurs. Cependant, en dehors des périodes paroxystiques de la Grande peste et de la guerre de Trente ans, il y a peu ou pas d'exemple de crise d'antisémitisme primaire de type pogrom avant la période hitlérienne.


Cela n'a jamais empêché non plus un antisémitisme de tous les jours auquel faisait écho un antichristianisme latent et une profonde méfiance des juifs à l'égard des chrétiens dominants. L'émancipation des juifs en 1791 (deux ans après la Déclaration des droits de l'Homme) a profondément changé le cours des choses :
- La congrégation du Couvent, soutenue par l'évêché, et le conseil municipal ont tout tenté pour empêcher l'édification de la synagogue, mais le sous-préfet a réussi à imposer l'ordre républicain. Pour autant, en 1939, la Mère supérieure a sauvé les objets de cultes de cette synagogue que son ordre avait si ardemment contestée 70 ans auparavant...
- Le style architectural de cette synagogue pouvait lui-même être ressenti comme quelque peu provocant...


Alice Marx raconte que dans les années 1930, elle allait à l'école à 8h30, car la première demi-heure était consacrée au catéchisme. Elle se souvient aussi d'une enfance heureuse avec peu d'antisémitisme.
Mon expérience après-guerre a été différente. Ma maman m'a relaté qu'un jour, rentrant de l'école maternelle, je lui ai demandé ce que signifiait "sale juif" ...
Il faut préciser cependant que le nouveau groupe scolaire, inauguré en 1958, comportait des bâtiments, cours de récréation et entrées séparées pour les catholiques et les protestants. Cela n'encourageait en rien la tolérance, fût-ce à l'égard des juifs.


Pourtant, les juifs alsaciens sont restés profondément reconnaissants à la République. Il faut voir les tombes des années 1880 dont le texte hébraïque est traduit en français ! Ce n'est qu'après 1900, et l'affaire Dreyfus, que l'on voit les premières inscriptions en langue allemande.
De nombreux juifs se sont investis dans la vie de la cité en tant que conseillers municipaux, pompiers ou encore bénévoles dans les oeuvres de bienfaisance, démontrant ainsi une volonté souvent réussie d'intégration. Il était d'usage à la Pâque juive, d'offrir des pains azymes à ses voisins. Chez nous, maman invitait les sœurs du couvent d'en face à un goûter de matzes.


La période paisible et industrieuse entre les deux guerres mondiales a occasionné un mimétisme assez savoureux avec le microcosme niederbronnois. Les anciens me parlaient de deux clans parmi les juifs :
- celui des commerçants devenus aisés résidait dans le Niederbronn bourgeois et protestant ; en gros la rue de la République,
- celui des gens plus modestes était établi dans "l'Unterland" (le bas de la rue du Général de Gaulle, dont ma famille est originaire), qui était alors un quartier plutôt catholique et populaire.


La période nazie a été une parenthèse tragiquement indicible dans les deux derniers siècles. Ainsi, ma grand-mère, Paula Lévy, née près de Rastatt, avait épousé en 1912 mon grand-père Simon de Niederbronn, donc allemand comme elle. Après 1945, elle avait répudié son pays natal qui lui avait pris deux de ses enfants. Pour autant, elle ne parlait pas un mot de français. Lorsque, enfant de 6 ans, je dormais chez elle, lors du coucher elle me faisait dire la prière du soir et m'apprenait la Marseillaise, avec l'accent allemand…
Aujourd'hui, nous restons quatre héritiers d'une histoire multiséculaire à Niederbronn, parmi les vestiges d'immeubles en désuétude ou reconvertis. Nous sommes conscients du devoir de mémoire envers nos ancêtres, déportés ou non, mais dans une société niederbronnoise apaisée et quasiment dépourvue d'antisémitisme.


L'ouverture annuelle au public des lieux de mémoire, lors des Journées européennes de la culture juive, est l'occasion pour toutes sortes de personnes de témoigner de leur grand intérêt pour cette culture juive : pour être tardif, il n'en est pas moins réel.
Puisse l'histoire des Juifs de France servir de leçon pour l'intégration d'autres immigrants. Puisse, de même, la Bête Hideuse du racisme disparaître à jamais !


Bibliographie :

Remerciements à :


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