Rabbinats et Rabbins
par le Grand Rabbin Max WARSCHAWSKI


Alphonse Lévy - La prière
la priere
Le Rabbin (de rabbi, mon maître), est avant tout un enseignant, un éducateur. Depuis la destruction du temple de Jérusalem, les prêtres (Cohanim et Lévites) ont perdu les privilèges dont ils bénéficiaient et qui étaient liés au service du sanctuaire.
A partir du retour de la captivité de Babylone vers 500 avant l’ère chrétienne, les scribes (interprètes de la Torah) prirent une place prépondérante dans la vie religieuse du judaïsme. Ces scribes devinrent ensuite des maîtres (Rabbi), ceux qui enseignaient la loi et répondaient aux questions qui se posaient tant sur le plan rituel et liturgique que dans les conflits familiaux ou dans les différents entre individus. Le rabbin était à la fois maître et juge. Il n’était pas prêtre. Ce n’était pas un personnage consacré et sa science était le seul critère qui le distinguait de l’ensemble de la communauté.

Pendant des siècles le rabbin n’était pas fonctionnaire rémunéré : il donnait son enseignement bénévolement, tout en gagnant sa vie par l’exercice d’un métier.
Ce n’est qu’au cours du Moyen Age, avec le développement de communautés locales que l’on nomma des rabbins "professionnels". Ils restaient avant tout des maîtres, mais aussi des décisionnaires. Cependant, beaucoup d’érudits refusaient d’être dépendants d’une communauté et vivaient, souvent très chichement, d’un travail qui leur laissait des loisirs pour étudier et transmettre la Torah et la tradition.
Ils étaient parfois à la tête d’une école talmudique, (une Yeshiva), qui formait les savants et les maîtres des générations à venir.
Pour résoudre les problèmes qui survenaient entre individus ou collectivités, il y avait des tribunaux rabbiniques, composés au minimum de trois maîtres connaissant parfaitement la loi, telle qu’elle avait été transmise depuis des générations.

Rabbins en Alsace impériale

Nous n’avons que de rares éléments pour étudier le rôle et le nombre de rabbins en Alsace jusqu’au 17ème siècle. Benjamin de Tudèle, un voyageur célèbre du 12ème siècle, parle de son passage à Strasbourg, ville avec de nombreux savants (rabbins).

Au 14ème siècle, après les massacres de la Peste Noire, Strasbourg possédait une école talmudique, présidée par un rabbin Samuel Schletstatt, connu par son oeuvre talmudique (un résumé du Mordehaï) et par les avatars qu’il a connus tout au long de sa vie.

A la fin du 15ème siècle, un Rabbi Aron, ancêtre de Salomon Louria, (autorité rabbinique du 16ème siècle en Pologne, mais originaire d’Allemagne), aurait été le chef laïc et le juge unique pour tout le judaïsme alsacien. La population juive d’Alsace décimée par les massacres et les expulsions, ne comptera au 16ème siècle qu’un peu plus de 120 familles, avec, pour chef spirituel, le rabbin de Bergheim.

La guerre de Trente Ans qui dévasta l’Alsace, n’épargna pas plus les petites communautés rurales dans lesquelles certains seigneurs avaient accueilli une ou plusieurs familles juives. Lorsque le Traité de Wetsphalie fit de l’Alsace une possession française, seuls les territoires ayant appartenu à l’Empire autrichien passèrent sous l’autorité du roi. Les privilèges des possessionnés étaient maintenus et parmi eux les droits d’accepter ou de refuser les Juifs.

Le rabbinat alsacien de 1648 à la Révolution française

L’administration royale désigna, comme responsables à la fois de la gestion religieuse et civile (répartition des impôts et taxes), un rabbin, par lettres patentes. Les premiers de ces rabbins avaient autorité sur les terres royales de la Haute et Basse Alsace à la fois. Mais au cours du 18ème siècle, les deux charges furent séparées. La Haute Alsace avait un rabbin qui siégeait à Ribeauvillé, celui de la Basse Alsace à Haguenau. L'Evêché de Strasbourg nomma lui aussi un rabbin avec siège à Mutzig ; la Noblesse Immédiate d’Alsace désigna un rabbin siégeant à Niedernai. Enfin la maison des Hanau-Lichtenberg (devenue celle de Hesse-Darmstadt) nomma pour ses 28 communautés situées des deux côtés du Rhin, un rabbin à Bouxwiller. Chacun de ces rabbinats était en même temps tribunal rabbinique et souvent une école talmudique y fonctionnait.

Ces rabbins devaient acheter leur charge comme les notaires ou autres fonctionnaires. La population juive d’Alsace avait passé de cinq cents familles vers la fin du 17ème siècle à plus de trois mille à la veille de la Révolution. Il fallut donc, à côté des rabbins titulaires, nommer des substituts rabbins ou commis-rabbins, élus par les communautés et dont l’élection était confirmée par le rabbin officiel. En 1784, il y avait en Basse Alsace selon le recensement effectué cette année là, 17 rabbins dont 4 titulaires, 5 commis ou substituts rabbins et 8 rabbins locaux. En Haute Alsace, leur nombre était de 10, soit un rabbin titulaire, 2 commis-rabbins et 7 rabbins locaux.

Le grand rabbin
David Sinzheim
D. Sinzheim
Seuls des fils de familles aisées pouvaient étudier auprès des maîtres talmudistes en Allemagne ou à Metz, célèbre par les savants que l’on faisait venir de toute l’Europe.

Dans la deuxième partie du 18ème siècle, on ouvrit aussi des yeshivoth en Alsace, écoles dirigées par des élèves alsaciens devenus des maîtres.

Les deux principales écoles talmudiques étaient celle de Bouxwiller ou Ettendorf pour la Basse Alsace, et celle de Sierentz pour la Haute Alsace. Peu avant la Révolution, par une fondation de Cerf Berr, une yeshiva fut ouverte à Bischheim et dirigée par le beau-frère du fondateur, David Sintzheim.

1789 - la Révolution

C'est le début de la Révolution. Les privilèges sont abolis, parmi eux ceux des rabbins nommés par lettres patentes. Le 27 septembre 1791 le règlement du problème juif sans cesse repoussé par certains députés, trouve enfin une solution. Après les protestants, les bourreaux et les comédiens, les droits civiques sont accordés aux Juifs. Les communautés sont libres de s'administrer à leur guise et les individus ne sont plus obligés de faire partie d'une kehila [communauté]. Les limitations de résidence étaient levées, beaucoup de Juifs quittèrent les villages pour s'installer dans les villes qui leur étaient interdites jusqu'alors. Nous assistons à un bouleversement, dont les yeshivoth alsaciennes seront bientôt les premières victimes.

Plusieurs rabbins connurent la prison sous la Terreur pour avoir refusé d'abjurer "leur fanatisme". Quelques uns s'enfuirent au-delà du Rhin pour ne revenir en Alsace qu'après Thermidor.

Le Directoire ramena le calme dans la province, mais un courant anti-juif se développa dans certaines régions agricoles. Beaucoup de paysans avaient emprunté de l'argent pour acheter des biens nationaux et étaient incapables de rembourser leurs dettes. On accusa les Juifs de piller la Province.

L'Empire - le Sanhédrîn

Napoleon
Le grand Sanhedrin
Lorsque Napoléon, au retour d'Austerlitz, passa par Strasbourg, il reçut les doléances des Notables de la ville et décida de remédier au mal que l'on attribuait aux Juifs. L'Empereur résolut de réunir une assemblée de notables juifs de l'hexagone, de la Rhénanie et du nord de l'Italie. Il leur demanda de répondre à douze questions pour décider s'il y avait compatibilité entre la religion juive et la citoyenneté et les devoirs civiques français. L'assemblée, composée dans sa grande majorité de laïcs, répondit positivement aux demandes de Napoléon. Mais pour donner à ces réponses un caractère doctrinal, l'Empereur décida de réunir un grand Sanhédrîn composé de 71 membres parmi lesquels les 2/3 étaient des rabbins. Le Sanhédrîn confirma les réponses des notables.

En 1808, l'Empereur signa un décret qui approuvait un projet de règlement concernant l'organisation du culte israélite, présenté par l'assemblée des Notables. C'est le système consistorial qui resta juridiquement en vigueur jusqu'à la séparation de l’Eglise et de l'Etat en 1906 et qui l'est encore en Alsace et Moselle. Les autres régions de France ont maintenu ce système mais en tant qu'associations cultuelles indépendantes.

La France était divisée en treize consistoires régionaux, qui, en 1815 ne furent plus que sept, car les consistoires rhénans et italiens ne dépendaient plus de la France.

Dans chaque département ou groupe de départements dont la population juive atteignait 2000 âmes au moins était institué un consistoire régional dont le siège était situé dans la communauté la plus importante numériquement. A sa tête, un grand rabbin, assisté de deux membres laïcs (dont le nombre fut augmenté jusqu'à six). Le consistoire était responsable devant le ministre de l'observance des décisions doctrinales du Sanhédrîn et du déroulement du culte. Les membres du Consistoire, élus par les notables de la région, devaient prêter serment pour être confirmés par le préfet du département, et le grand rabbin par le ministre de l'Intérieur. Le consistoire départemental ou régional nommait les rabbins, ministres officiants, les sho’hatim [bouchers rituels] et les mohalim [circonciseurs] de sa circonscription. Les consistoires régionaux devaient rendre des comptes au consistoire central, à la tête duquel avaient été nommés trois grands rabbins. Mais à partir de 1825 environ, il n'y en aura plus qu'un seul qui prit plus tard le titre de grand rabbin de France.

Apres cette digression, revenons au rabbinat alsacien : lors de la réunion de l'assemblée des Notables, il n'y avait que deux rabbins députés pour le Bas Rhin et trois pour le Haut Rhin. Par contre, au Sanhédrîn, l'Alsace était représentée par treize rabbins du Bas-Rhin et autant pour le Haut-Rhin.

A la chute de l'Empire

A la chute de l'Empire, il restait sept consistoires :

  1. Celui de Paris avec seize départements et une population de 3600 âmes dont 2750 à Paris.
  2. Strasbourg qui comprenait uniquement le département du Bas Rhin avec 16000 âmes dont 1500 à Strasbourg.
  3. Celui de Wintzenheim Haut-Rhin (qui fut ensuite transféré à Colmar), et qui comprenait trois départements, une population de 9000 âmes dont 536 à Wintzenheim.
  4. Le consistoire de Metz comprenant deux départements, une population totale de 6517 âmes dont 2400 à Metz.
  5. Nancy qui comprenait cinq départements, un total de 4200 âmes dont 740 à Nancy.
  6. Bordeaux composé de dix départements, 3700 âmes dont 2150 à Bordeaux.
  7. Enfin à Marseille, couvrant huit départements avec 2551 âmes dont 450 à Marseille.

Soit au total environ 40/000 âmes. C'était là le judaïsme aux alentours de 1810.

Sur les sept circonscriptions consistoriales, Marseille et Bordeaux étaient composés essentiellement de sefardim. Les cinq autres étaient des communautés ashkénazes dont la presque totalité provenait d'Alsace et de Lorraine. Le règlement de 1808, confirmant les propositions de l'assemblée des Notables prévoyait que les grands rabbins seraient choisis en priorité parmi les membres du grand Sanhédrîn. Un rabbin ne pouvait être nommé que s'il présentait un certificat de capacité signé par trois grands rabbins.

Les sept grands rabbins régionaux nommés en 1808 étaient :

Au cours du 19ème siècle, furent créés deux consistoires supplémentaires, à Lyon et à Bayonne.
Leurs grands rabbins seront tous deux alsaciens.
A la mort des grands rabbins de Marseille et de Bordeaux en 1833 et en 1837, on les remplaça également par des rabbins d'Alsace, alors que les communautés étaient d'origine séfarade ou comtadine.


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