Communautés juives, synagogues
OBERNAI
par Jean Braun et Claude Gensburger


La Communauté jusqu'à la Révolution française

Vestiges des anciens bâtiments juifs d'Obernai
© Michel Rothé
Porte romane, de la troisième maison de la ruelle des Juifs
(devenue une synagogue en 1540 ?). Il semble que
l'encadrement; gravé d'une série de noms hébraïques, a été
réalisé au moyen de pierres de récupération.

Vestige de l'arche sainte avec ses trois fleurs de lys

Pierre sculptée portant dans un écusson orné la date hébraïque 5456 et, autour de l'écusson,1696
(année civile). Au fond de la cour du n° 43 de la rue Gouraud.

Console représentant deux mains qui symbolisent
la bénédiction sacerdotale

Tronc pour la tsedaka (l'aumône)
réintégré dans la nouvelle synagogue

Arche Sainte de style rococo, dans le grenier du n° 43 de la rue Gouraud



Séquence filmée en 1995 dans le quartier juif d'Obernai. © Michel Rothé
La première mention de Juifs (1) à Obernai date de 1215 (2). En cette même année la bibliothèque et le trésor du prieuré de Truttenhausen sont engagés à deux Juifs de la ville, qui formaient peut-être une société commerciale (3) ;  cela prouve en tout cas déjà une certaine prospérité. Ils habitaient certainement dès cette époque dans la venelle appelée encore aujourd'hui ruelle des Juifs.

Les Juifs du Saint Empire Romain Germanique étaient considérés par l'empereur comme "Cammerknechte" (4), et par conséquent en principe sous sa protection. Cela ne les empêcha pas de subir d'innombrables tracasseries, misères et cruautés de la part des seigneurs et des villes, quand ils n'étaient pas impitoyablement pressurés. Obernai ne fit pas exception à la règle et la situation des Juifs subit de nombreuses avanies au cours des temps.
On sait qu'entre 1336 et 1339 il y eut des persécutions à Obernai (et sans doute aussi des assassinats) de la part des hordes du "Roi Arrnleder", ainsi appelé d'après la lanière de cuir qu'il portait au bras et distribuait à ses partisans. Son véritable nom était Jean Zimberlin ; c'était un aubergiste d'Altdorf, près de Molsheim.
De nouveaux massacres (et une première expulsion) sont signalés en 1347 et surtout en 1349, lors de la Mort Noire (la Grande Peste) : accusés, comme partout, d'avoir empoisonné les puits pour propager l'épidémie, un certain nombre de Juifs d'Obernai furent torturés et "avouèrent" ; cinq d'entre eux furent égorgés. On a pu penser que, comme à Strasbourg, tous furent obligés de quitter la ville. Cependant on a aussi supposé que d'autres Juifs, placés sous protection, ont pu rester dans la ville ou qu'on les a éloignés provisoirement, comme cela a été le cas à Haguenau (même à Strasbourg la véritable expulsion a été postérieure à 1349).

D'ailleurs en 1404 le roi Robert de Bavière a ratifié les privilèges des Juifs d'Obernai et en 1406 il leur accorde sa protection. En 1437 nous apprenons que trois nouvelles familles juives (avec leurs serviteurs) furent admises, "comme bourgeois au nom de l'empereur" et "sous la protection de la ville", moyennant un droit de protection ou taille de vingt florins rhénans et une taxe de tolérance de six florins rhénans par an, sommes considérables pour l'époque. Le premier impôt revenait pour moitié à l'empire, pour moitié à la ville (c'est à cette condition déjà que Charles IV avait permis à Obernai de recevoir de nouveau des Juifs en 1347). De plus les prêts sur gages sont limités aux biens mobiliers (ni ecclésiastiques, ni militaires) et à un taux fixe (en 1499 un denier par livre et semaine, le denier valant alors 1/240e de livre). Ce texte sous-entend un raidissement du Magistrat d'Obernai vis-à-vis des Juifs : à partir de ce moment et jusqu'en 1790 c'est seulement contraint et forcé qu'il les acceptera. Cela s'insère dans l'histoire générale des rapports entre les cités de la Décapole et le souverain du Saint-Empire. Certaines villes détenaient plein pouvoir sur leurs Juifs et usaient de ce privilège soit pour les chasser, soit pour les protéger. Nous le verrons, pour Obernai, en 1507 et 1520. Mais à Obernai (à la différence, par exemple de Sélestat) tout au long du 15ème siècle, l'empereur conservait plus ou moins ses droits et a pu ainsi protéger les Juifs.

La communauté semble avoir pris une certaine importance puisqu'en 1454 on mentionne une synagogue (Judenschule) (5). De plus on sait qu'en 1468 Moyse d'Obernai était le chef des communautés du bailliage impérial de Haguenau, c'est-à-dire des villes et villages impériaux d'Alsace, avec le titre de prévôt (advocatus Judaeorum, Parnos et Manhig).
Le père du célèbre Josel, dont il sera question plus loin, Gerson, qui avait fui la ville d'Endingen (Bade), s'établit à Obernai en 1470 et s'y maria avec Reislin de Haguenau.

Nouvelle persécution en 1476/1477 : les Confédérés suisses, traversant l'Alsace lors des guerres contre Charles le Téméraire, se ruèrent sur les Juifs d'Obernai, pillèrent leurs maisons et leurs biens et les forcèrent à se réfugier dans les villages impériaux et surtout à Rosheim. Gerson quitta aussi la ville qui refusa, malgré les injonctions de l'empereur Maximilien et du grand-bailli, de recevoir à nouveau les Juifs. Cependant, après l'ordre impératif du souverain de "maintenir la nation juive dans l'immunité qu'elle avait reçue de lui", les premiers Juifs y  furent à nouveau admis en 1497. D'ailleurs ils n'y avaient qu'une situation précaire : le Magistrat les obligea à porter des signes distinctifs (anneau spécial et probablement rouelle jaune safran fixée sur la poitrine) et à payer des impôts très élevés ; il ne les protégea guère contre les vexations du "bas peuple" et des soudards de passage. Interdiction leur fut faite aussi de quitter leurs demeures pendant la Semaine Sainte, les fêtes de Pâques et de Pentecôte, la Fête-Dieu et l'Assomption.

En 1507 le Magistrat obtient enfin de l'empereur un édit d'expulsion définitif. Les Juifs d'Obernai firent alors intervenir le célèbre Josel de Rosheim (appelé aussi Joselin ou Josselmann, de son vrai nom Joseph), qui était alors officiellement "prévôt des Juifs d'Alsace" et exerçait en outre les hautes fonctions de préposé des Juifs de tout l'Empire Germanique (6). Il fit des rapports à l'empereur (notamment en 1522), sur des brutalités et des spoliations commises sur des coreligionnaires traversant le territoire de la ville par la Herrenstrasse impériale Sischoffsheim Niedernai. Josel ne put faire rapporter la décision d'expulsion de 1507, qui fut confirmée en 1520 ; il obtint seulement, en 1524 et grâce à l'intervention du grand-bailli Jacques de Morimont, le droit pour les Juifs de venir à Obernai les jours de marché et de foire moyennant paiement d'un droit d'entrée de six deniers (Judenzoll), mais non celui d'y passer la nuit. Ils devaient aussi s'abstenir de prêts d'argent autres que mobiliers. Pendant tout le reste du 16ème siècle et la première moitié du 17ème, Obernai refusa obstinément d'accepter des Juifs. La seule exception concerne huit familles, dont un rabbin, pendant la guerre de Trente Ans (1622), mais on se dépêcha de les expulser quelques mois plus tard.

Ce n'est qu'après l'annexion de l'Alsace à la France, laquelle accorda aux Juifs de la province le statut libéral de ceux de Metz, que vers 1669 on signale le retour de quelques familles (7). En 1694 elles sont au nombre de douze, avec un rabbin. La même année elles obtinrent le droit, grâce à l'Intendant d'Alsace, de posséder en propre des maisons et des commerces, le tout contre versement de droits d'établissement, de protection et de commerce, la vente de vin kascher (rituel) étant taxée à trois florins par an. L'ensemble des charges était très lourd : 787 livres par an en 1720 pour une vingtaine de familles (36 en 1784, comptant en tout 196 personnes).

Cependant quelques Juifs ont dû parvenir à une certaine aisance : ainsi en 1725 Salomon Bloch apparaît comme fournisseur (changeur d'or et d'argent) de la Monnaie de Strasbourg. Grâce à la liberté d'acquérir des immeubles citée plus haut on trouve des Juifs dans divers quartiers de la ville (surtout près des tanneries).
Par contre, en 1760 on rappelle aux Juifs étrangers à la ville l'interdiction de venir la fréquenter les jours de foire et de marché.

La Révolution française, après l'abolition en 1784 du péage corporel et l'autorisation - la même année - d'exercer tous les métiers, marque l'émancipation des Juifs d'Alsace (8). La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 22 août 1789 établit la tolérance religieuse et l'égalité civique, mais il faudra attendre, à cause de l'opposition de certaines personnalités comme le futur Directeur Reubell, le 16 avril 1790 pour voir les Juifs des deux départements mis sous la protection de la Loi. Le 28 septembre 1791, la Constituante, peu avant de se séparer, vote l'émancipation politique pure et simple sur proposition de l'abbé Grégoire (le futur évêque constitutionnel).

Les anciennes synagogues (9)

On a vu plus haut que la première mention d'une synagogue à Obernai remonte à 1454. Nous pouvons situer cette maison de prières dans l'un des immeubles du côté droit dans le "Judengaesslein" (la "ruelle des Juifs").

Les travaux de ravalement réalisés il y a trois ans ont malheureusement fait entièrement disparaître l'inscription hébraïque que l'on pouvait encore voir (mais déjà plus déchiffrer) en 1971 autour d'un arc de plein cintre aveugle sur le second bâtiment qui fut certainement la première synagogue. Mais ces mêmes travaux ont fait apparaître autour de la porte, également romane, de la troisième maison (qui, selon une tradition orale, serait devenue une synagogue en 1540), toute une série de noms hébraïques, d'une écriture parfois malhabile, qui laisse perplexe. Cet encadrement a en effet été probablement réalisé au moyen de pierres de récupération, provenant d'habitations plus anciennes. Malheureusement une grande partie de ces inscriptions n'a pu non plus résister au jet de sable et au marteau à clous. S'agit-il de martyrs (de 1447 ?) comme le suggéreraient les noms du côté gauche à savoir "Schlomo (Salomon) Baruch" et "Eliezer He'hatane" (Eliezer le jeune marié ou le gendre). Nous n'avons pas d'autres exemples de mémorial de pierres (on inscrivait le nom des martyrs dans le "Memorbuch" de la Communauté). Ou bien s'agirait-il plus prosaïquement de la porte d'un entrepôt commercial, avec les noms des propriétaires successifs ? Dans ce dernier cas la seconde synagogue (de 1540 ?) se trouvait-elle plus au fond de la ruelle (partiellement détruite en 1908 par un incendie) ? Ce qui est certain, c'est que ces immeubles ont été plusieurs fois reconstruits et remaniés au cours des siècles et n'avaient pas l'aspect actuel. Il subsiste également un bain rituel, auquel on peut encore accéder en rampant par ce qui reste d'un souterrain sur le côté droit de la venelle.

Au n° 12 de la rue Sainte-Odile se trouve un curieux immeuble, dont on dit qu'il aurait été une "hostellerie juive". Plus modestement il devait s'agir d'une simple garkich (auberge juive). Mais une belle porte romane au premier niveau correspond au premier étage de la première synagogue : selon la même source orale il s'agirait de l'ancienne entrée du ghetto. On hésite à reprendre cette affirmation car, si les Juifs d'Alsace étaient au moyen-âge toujours parqués dans un quartier isolé, nous n'avons aucun autre cas de ghetto fermé, sauf peut-être à Riquewihr. Cependant l'immeuble en question était certainement à l'origine une courette donnant accès à cette porte et bordée de constructions superposées. C'est exactement ce que nous voyons dans les ghetti, les Juifs ayant construit en hauteur, faute de pouvoir le faire en largeur. La synagogue primitive, contiguë à ce bâtiment, a donc été surélevée, la loi juive interdisant aux maisons d'habitation d'être plus hautes que la Maison de Dieu.

A la fin du 17ème siècle et au 18ème siècle, la majeure partie des Juifs n'habitaient plus le "petit quartier des Juifs" mais surtout le "grand quartier" situé entre l'actuelle rue du Marché (appelée encore au début du 20ème siècle "rue des Juifs") et l'actuelle rue du Gal Gouraud.

Au fond de la cour du n° 43 de la rue Gouraud (maison d'habitation de M. Ohresser fils) on peut voir une belle pierre sculptée portant dans un écusson orné la date hébraïque 5456 et, autour de l'écusson, celle de 1696 qui est le millésime correspondant dans l'année civile. Elle provient certainement d'une synagogue détruite au 18ème siècle pour faire place au bâtiment actuel : le rez-de-chaussée a été érigé en 1749 pour en faire une "Kahlstub" (Poêle de la Communauté) et il a été surmonté en 1752 d'une très belle synagogue dont l'aspect monumental et la porte d'origine sont encore visibles dans la venelle (laquelle était probablement la Rue des Juifs aux 17ème et 18ème siècles). La partie réservée aux hommes devait avoir 10 mètres sur 8 et l'enceinte des femmes 5 mètres de long sur 6,50 mètres de large.

Dans ce qui est actuellement le grenier on peut encore voir le plafond voûté de la maison de prières, ce qui a dû être une "gueniza" (réduit pour entreposer les livres saints hors d'usage) et surtout une splendide Arche Sainte de style rococo. C'est le seul exemple de synagogue baroque que nous possédions en Alsace (trois synagogues érigées au 18ème siècle dans le Haut-Rhin ont dû être détruites par ordre du Conseil Souverain d'Alsace).

Dans la cour on admirera encore, outre d'autres restes de l'Arche Sainte de magnifiques vestiges de ce qui a été I'"Almemor" (tribune pour la lecture de la loi et souvent pour l'officiant). On y discerne les trois lys du roi de France (protecteur des Juifs d'Alsace depuis 1648) martelés vraisemblablement sous la Terreur, époque où la synagogue a dû être désaffectée. On a également retrouvé un tronc.

A l'entrée de la cour, à gauche, sur la maison d'habitation de M. Ohresser père, une console représentant deux mains symbolise la bénédiction sacerdotale donnée par les descendants d'Aron. Une console semblable (qui devait être à droite) se trouve dans le parvis de la synagogue actuelle. Sur celle de la rue Gouraud on peut lire le nom de "Schimshone (Samson) le Cohen (c'est-à-dire descendant d'Aron) d'Equité", précédé de trois lettres initiales qui pourraient être celles d'une expression hébraïque signifiant "Ornement de la Collectivité", ou plus simplement correspondant à "Sieur" (mais cela supposerait une légère erreur graphique du sculpteur). On sait que Samson Hacohen (le Cohen) a été prévôt particulier des Juifs d'Obernai en 1702.

Les deux immeubles de ce bel ensemble ont appartenu ensuite à Baruch Weyl, lequel a fait construire le complexe synagogal de 1749-1752, qu'il a cédé à ses deux fils Jacob et Samuel par testament en date du 30 juin 1750 (10), à charge pour eux de conserver dans "l'oratoire destiné aux Juifs pour y faire leurs prières" et dans l'autre "un homme Juif scavant dans la loi de Moyse", dispositions reprises par Jacob Weyl le 24 janvier 1771 dans son propre testament où il précise que ce rabbin doit être défrayé de toutes dépenses et qu'il a encore ajouté un troisième immeuble à l'héritage.

La Communauté depuis la Révolution

Après la Révolution la petite communauté d'Obernai a dû se contenter d'un oratoire installé dans la "Kahlstub" de la synagogue du 18ème siècle, bâtiment qui apparaît dans les documents de 1812 et 1840 comme propriété de Jacques Weil et passe après 1872 dans la possession de la famille Ohresser. Au numéro 9 de la rue du Puits on installa à la même époque un "Hekdech" (hospice pour vieillards et indigents) ainsi qu'un bain rituel. On y établit en 1832 l'école juive (devenue ensuite école publique israélite). Ce bâtiment sert encore actuellement de "Kahlshaus" (maison de la Communauté) : s'y déroulent les cours de Talmud Torah (hébreu et instruction religieuse), les réunions, les veillées d'études et les offices de la saison d'hiver. On le désigne encore sous le nom de "Judehues" (maison des Juifs) (11).

Grâce à l'afflux des Juifs de l'extérieur (venus notamment de Niedernai et de Valff) la Communauté se développe. En 1875 elle atteint 237 membres et l'Oratoire (appelé pompeusement "synagogue") est devenu trop exigu : il n'avait en tout que 6,90 mètres sur 8,05 mètres et 3,45 mètres de haut et ne pouvait contenir que 70 hommes et 49 femmes.

Le banquier Charles Scheyen, Président de la Communauté, fit alors édifier la synagogue actuelle, inaugurée en 1876, profanée par les nazis, restaurée après la guerre sous l'impulsion de M. Sylvain Klein (Président d'honneur en 1977) et consacrée à nouveau en 1948 par le grand rabbin Abraham Deutsch et le regretté rabbin Emile Schwartz.

Par suite de l'immigration vers les grands centres urbains, le nombre des fidèles ne cessa de décroître : 219 en 1883, 178 en 1900, 138 en 1953, 58 en 1976. Vingt-cinq d'entre eux ont trouvé la mort en déportation.
Depuis 1957 il n'y a plus de rabbin en résidence à Obernai, mais les offices rencontrent un regain d'affluence en été du fait des touristes israélites qui se font plus nombreux d'année en année.

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