Reichshoffen et les Juifs : un demi-millénaire d'histoire - 2
Raymond Lévy

2. De la Révolution de 1789 à celle 1848

En l'absence de cahiers de doléances connus, l'on sait peu de choses sur ce qu'il advint à Reichshoffen. Les Juifs reçurent d'ailleurs interdiction d'y participer, à l'exception de six délégués nommés à Strasbourg.
Après l'Abolition des Privilèges la nuit du 4 août 1789, l'Assemblée accorde aux Juifs la protection des pouvoirs publics.
La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen du 5 oct. 1789, a concerné toutes les religions, protestantes, calvinistes et musulmanes sunnites et chiites, à l'exclusion expresse de la religion israélite.

L'Abbé Grégoire, curé d'Emberménil près de Nancy, franc-maçon devenu député révolutionnaire, puis évêque assermenté, s'est efforcé d'obtenir l'émancipation des Juifs de l'Assemblée Constituante, avec l'aide de Danton, Mirabeau et beaucoup d'autres, comme il a obtenu en 1794 l'abolition de l'esclavage.
Un courant opposé fut mené par les députés alsaciens, notamment le Prince de Broglie, Hell de Haguenau et surtout Reubell de Colmar, au motif que "ce serait le signal de leur (les Juifs) destruction en Alsace".
Grâce au député jacobin Adrien Duport, l'émancipation fut finalement votée à la sauvette, deux jours avant la séparation de l'Assemblée Constituante, et ratifiée par Louis XVI le 13 novembre 1791. Les Juifs de Reichshoffen (et d'ailleurs) deviennent citoyens français !

Dès 1789, les bourgeois de notre ville, qui essayaient depuis longtemps, comme on l'a vu, de se libérer de la tutelle du seigneur, profitèrent aussitôt de la situation.
Non seulement ils tentèrent d'incendier le château, mais encore ils s'empressèrent d'imposer des péages et droits de pontonnage sur tout le ban de la commune. Cela contraria fortement, faut-il le préciser, le Baron de Dietrich dont les chariots approvisionnaient quotidiennement les usines en matières premières, minerai de fer, charbon, etc. (ADD) (15).


Registre général n°6124 — Procès-verbal n° 5591-
District de Wissembourg — Bureau des Impositions
n° 540 sur papier officiel à en-tête « Département
du Bas-Rhin — la LOI ET LE ROI »,
daté « du samedi Seize du mois d'Avril 1791 ». (AVR)
Concernant ses Juifs, la nouvelle municipalité continua à les taxer à l'égal de l'Ancien Régime, c'est à dire bien plus que les nouveaux citoyens. La réaction des Juifs ne tarda pas, comme le démontre une Délibération du Directoire du Département du Bas-Rhin : "Vu les deux requêtes et adresses présentées par la Communauté Juive de Reichshoffen, portant plainte des vexations que les individus qui la composent essuient de la part de la Municipalité de cette ville relativement au paiement des impositions et surtout au service que des domestiques chrétiens ont toujours fait chez eux les jours du Sabath (16)..." Cette Délibération dispose que "les Administrateurs faisant provisoirement fonction du Directoire du Département du Bas-Rhin ont arrêté que les répartitions faites sur les juifs de Reichshoffen ...des impositions pour les 6 derniers mois de 1789 et de la moitié de celles de cette année à compte de la dite année 1790 seront annullées (sic) et rapportées pour rester supprimées...les propriétés et rentes actives des individus seront taxées et cottisées (sic) ainsi et de même que l'ont été les autres ci-devant privilégiés...et que la Municipalité de Reichshoffen sera tenue de faire état sur le montant des impositions de 1790 de ce que lesdits juifs peuvent avoir paié (sic) de trop pour les six derniers mois de 1789." Elle ajoute avoir "arrêté, en outre, que la taxe faite pour les Chrétiens des salaires des ramoneurs de cheminées ne pourra sous aucun prétexte être augmentée à l'égard des juifs, et ordonné que la Municipalité de Reichshoffen restituera aux dits juifs la somme de dix huit livres faisant le montant des frais de commission et vérifications, et invitent la première à faire jouir comme par le passé les juifs d'une pleine et entière tranquilité (sic) et à les garantir d'ultérieures véxations (sic). (17)" Signé par dix administrateurs provisoires", et traduit en allemand sur un document joint.

Cette Délibération n'a pas été suivie d'effet puisqu'à une date non mentionnée, mais sur papier timbré à 50 centimes de Franc, les "soussignés membres de la communauté juive de Richshoffen"; adressent un courrier au Citoyen Frantz, Sous Préfet de l'Arrondissement de Wissembourg, par lequel ils se plaignent de ce que "cet arrêté fut signifié à la Municipalité de Richshoffen le 30 avril 1790, sans que depuis ce tems là les soussignés ont été dédommagés... Les exposants se sont adressés à chaque Municipalité et Agence qui étaient en place depuis 1791, mais de vaines paroles ont été l'effet de leurs sollicitations.
Par ces motifs et pour obtenir justice, ils s'adressent à vous, Citoyen Préfet, à autoriser les soussignés à traduire en justice pour faire rendre exécutoire le dit arrêté du 16. avril 1791, priant cependant le Citoyen Préfet, de vouloir bien engager le Maire de Richshoffen, de satisfaire au susdit arrêté, pour obvier à un procès.
Salut et respect";
Signé en caractères germaniques :
lebel gerschon" (18)
En marge, une mention manuscrite à caractères germaniques ajoute : "Renvoyé au Conseil Municipal de la Comune (sic) de Richshoffen (sic) pour en donner son avis.
Fait à la Sous-Préfecture de Wissembourg
le 14 Mars .3. (1793 ?)"
Signé : Frantz
Les suites données à ce feuilleton n'ont pas été trouvées aux AVR.

On constate cependant qu'avant même l'émancipation des Juifs de 1791, la protection des pouvoirs publics"; est appliquée. L'administration départementale royale, puis républicaine, avait radicalement changé et avait intégré les nouveaux principes universalistes de l'Assemblée Constituante.

Une nouvelle ère de l'Histoire commence, et notre feuilleton en est la parfaite illustration au niveau local.
Napoléon ler connaît peu le judaïsme, mais décide de l'intégrer dans l'espoir d'assimiler les Juifs. Il convoque en 1807 le Grand Sanhedrin qui sera présidé par le Rabbin David Sintzheim de Bischheim.

Trois décrets impériaux en résulteront en 1808 :

A Reichshoffen, le Registre de Prises de Noms de 1808 est toujours consultable à l'Hôtel de Ville. Il mentionne 52 noms d'adultes, parmi lesquels : - 37 hommes, 12 veuves et 3 femmes seules ;
- 24 hommes et 9 femmes ont signé en caractères hébraïques (63%) ;
- 13 hommes et 1 femme ont signé en caractères latins germaniques ;
- 5 femmes ont signé d'une marque (autre que la croix, évidemment !)
Les prises de noms des enfants mineurs sont indiquées par le père ou la veuve.

Cependant, le serment "more judaico"(19) (en latin : "selon les mœurs des Juifs") est remis en vigueur en 1809 par les Cours d'Appel de Colmar et Nancy au motif qu'il ne peut être recevable que prononcé sur la Torah, dans une synagogue et revêtu des insignes de la religion israélite.
Lazare lsidor, en tant que rabbin de Phalsbourg, refusa en 1839 d'ouvrir sa synagogue pour défendre un de ses coreligionnaires de qui le tribunal de Sarrebourg exigeait selon la loi le serment more judaico ; accusé d'outrage à la cour, il est défendu par Adolphe Crémieux qui obtient de la Cour de cassation du 3 mars 1848, un arrêt déclarant que 'toutes les références religieuses exigées pour un serment judiciaire étaient inconstitutionnelles."; (Wikipedia)

Passés les événements de la Révolution de 1848, non sans de nouvelles manifestations de brutalité antijudaïques en Haute Alsace, il n'y aura plus de brimade légale sur les Juifs d'Alsace pendant 92 ans.
La réalité juridique n'avait pas pour autant pénétré dans les mentalités (20), qui n'ont d'ailleurs pas complètement terminé cette mutation de nos jours.
A cette époque, la conquête de l'Algérie (1830 -1847) venait de finir. Sa guerre de pacification durera jusqu'en 1871.

3. Le développement au 19ème siècle.

Les changements politiques que nous venons d'énoncer ont bien sûr été accompagnés par de profondes mutations économiques et sociales. Une évolution lente, mais irréversible, se met en marche dans la communauté juive.

Le Registre de la Population de 1836 (AVR) indique 45 "chefs de ménage", 6 veuves, 1 homme et 1 femme célibataire ; 4 hommes sont nés au dehors, mais dans le Nord du Bas-Rhin.
Dans la rubrique "profession déclarée", on trouve : - 3 chiffonniers, 6 revendeurs, 1 commissionnaire, 10 commerçants, 1 courtier, 5 marchands de fer et 1 de meubles,
- ainsi que 1 couturière, 5 bouchers, 1 cordonnier, 2 rentiers et 1 ministre-officiant.
Ces nouvelles appellations de vieux métiers traduisent à la fois la lente francisation linguistique (et donc politique), et aussi un désir de respectabilité, voire d'embourgeoisement, dont les Juifs n'auraient pas eu l'idée sans l'émancipation de 1791.

Cette population passe de 140 âmes sur un total de 1400 habitants en 1787 (ADD X, 7), à 253 sur 2737 au recensement de 1851 (AVR et B. Rombourg ).

Le Registre des Naissances (AVR) indique entre 1861 et 1870 : - 22 couples ont donné naissance à 30 filles et 30 garçons, soit 6,7 enfants par an et 2,7 enfants par femme,
- 1 enfant de père inconnu et un couple mixte,
- les 60 enfants ont reçu 15 prénoms juifs et 45 prénoms laïcs (75 %),
- 20 témoins sont Chrétiens, soit 30%,
- 7 parents sont bas-rhinois du Nord,
- parmi les nouveaux métiers juifs, on trouve 1 cabaretier, 1 tapissier, 1 saunier, et 1 instituteur.

On constate que la francisation se renforce (prénoms et métiers), mais aussi et surtout que l'intégration commence à faire place à l'ancienne hostilité réciproque (30% de témoins chrétiens au registre des naissances).

La Synagogue


Ancienne synagogue rue des Juifs
L'ancienne schüle se dégrade, et devient trop petite pour une communauté en pleine croissance démographique.
Une délibération du Conseil Municipal du 9 septembre 1843 indique : "Synagogue : le conseil est d'avis d'accorder une subvention pour son agrandissement, mais n'en fixera le montant que lorsque le budget présentera des ressources." L'agrandissement est donc envisagé (21), mais elle est prise en étau entre deux autres bâtiments, ce qui rend la chose impossible. Il devient donc nécessaire d'en construire une plus grande.

On trouve aux ADBR (2 0/TC-216) un dossier qui relate de façon assez précise la construction de la nouvelle (aujourd'hui devenue ancienne) synagogue.
Ainsi, dans un courrier adressé au Préfet du 17 juillet 1849, le Ministère de l'Instruction Publique et des Cultes - Bureau des Cultes non-catholiques - fait état "... en 1844, d'une demande de secours pour reconstruction du temple israélite de Reichshoffen ; mais cette demande n'étant pas introduite comme l'exige la circulaire du..." Suivent une série de formalités administratives que le Directeur Général de l'Administration des Cultes demande de fournir pour pouvoir "être en mesure de la soumettre à la commission des édifices religieux".

En effet, le 1er Mai 1849, "Par devant Maître Hildenbrand, notaire à la résidence de Reichshoffen", un acte de vente soussigné par les Sieurs Wolff Ignace et Henry, ainsi que "leurs femmes qu'ils autorisent", tous demeurant à Reichshoffen, donnent en propriété à la communauté israélite du lieu un ensemble de maisons (une petite et une plus grande) et dépendances (grange et écurie) situé dans la Hauptgasse, pour un prix de 4900 Fr, et sous certaines conditions (22). Cet ensemble devra être libéré au plus tard "le jour de Pâques" 1850.
Après régularisation des formalités, la machine administrative se met en marche (23).
Il faut relever à ce sujet que plusieurs courriers officiels notent que l'enquête de commodo/ incommodo (24) n'a détecté aucune opposition des reichshoffenois au projet. Cette répétition indique que l'Administration s'en étonne, et donc que la chose ne serait pas fréquente.

Albert Haas (1803-1864), architecte départemental de l'arrondissement de Wissembourg, est chargé du projet. Fils de Jean-Valentin Haas (1766-1833), l'ancien directeur de la forge de Zinswiller puis des Forges du Bas-Rhin, et ami des de Dietrich, Albert a passé son enfance à Zinswiller et à Niederbronn. Il est nommé par le préfet Sers à Wissembourg en 1840. Il crée ou transforme une mairie, trois écoles, et cinq églises ou temples.
En 1845, il achève la restauration de l'ameublement de l'église de Reichshoffen.
Il est missionné la même année pour la création d'une école de filles à Reichshoffen qui ne sera finalement pas réalisée (AVR). Haas dessinera de plus les plans des synagogues de Reichshoffen et de Lauterbourg qu'il ne réalisera pas (25). Il est révoqué pour raisons politiques par le préfet West (26) en 1850 (source : arbre généalogique sur Généanet), après quoi sa trace se perd. Son travail sur la synagogue de Reichshoffen sera donc achevé par son successeur Alexandre Matuszinski, dans le complet respect du "style Haas".
On peut rendre hommage ici à l'imagination et la créativité d'Albert Haas (27), car la réalisation de la synagogue de Reichshoffen reflète un réel sens de l'innovation. Il a fait preuve d'une bonne connaissance du judaïsme, sans doute bien aidé par ses commanditaires locaux (28), et a su la traduire dans son œuvre.

De 1791 à 1914, on a érigé 90 synagogues dans le Bas-Rhin, et 246 dans toute la France. C'est la période que Dominique Jarrassé appelle fort justement "L'Age d'Or des Synagogues". Ce n'est évidemment pas un hasard, mais la résultante directe de l'émancipation de 1791.

Sous l'Ancien Régime, les oratoires étaient cachés, car à peine tolérés. La schüle de Pfaffenhoffen en est un parfait exemple : derrière une façade parfaitement anonyme au fond d'une ruelle, se dissimule un centre communautaire certes de petite taille, mais fonctionnel et chaleureux, dans le plus pur esprit alsacien.
Plus tard, vers 1865, on édifiera de véritables temples, inspirés des Protestants. La synagogue devient imposante et ostentatoire. Pour affirmer l'intégration des anciens Juifs devenus des Français israélites, il fallait trouver un nouveau style architectural, différent de l'église. On bâtira donc en style néo-classique (ex. Haguenau et Bouxwiller), ou en style orientalisant, néo-byzantin ou néo-mauresque (ex. Niederbronn, Gundershoffen ou Westhoffen).

L'estrade (ou bima) du ministre officiant, qui conduit les prières, était située au milieu des fidèles dans les schüles au caractère intimiste. Désormais elle sera placée devant l'armoire sainte qui contient les rouleaux de la Torah. Le ministre officiant se tient donc à l'avant et face au public, comme à l'église. Cette position lui confère une situation d'autorité qui introduit une notion hiérarchique, nouvelle dans le monde juif.
On poussera l'imitation jusqu'à introduire l'orgue dont il est interdit de jouer pendant le Shabath et les fêtes, (Haguenau et Strasbourg).

Entre ces deux pôles, les synagogues discrètes sont survenues au début du 19ème siècle. Peu visibles de la rue, mais plus grandes et plus "pratiques". Ce sera l'exact caractère de la synagogue de Reichshoffen, inaugurée en août 1852. Sa situation, à l'abri des regards dans un jardin d'une rue ancienne de la vieille ville, à l'intérieur des anciennes fortifications médiévales, en fait l'héritière directe des synagogues discrètes du début du 19ème siècle.

La plupart des maisons de l'ancienne Hauptgasse (29) en sont contemporaines. Le quartier était donc en pleine restructuration au 19ème siècle, et la synagogue était partie prenante de cette rénovation. Son aspect massif, bien planté dans son sol de Reichshoffen, est un fort signe d'attachement à son terroir dont nous verrons de nombreuses manifestations ultérieurement. Il ne lui manque finalement que le clocher pour être une église. Ce fait est plusieurs fois corroboré dans les descriptions techniques du dossier par l'emploi répété du mot "nef".


Rez-de Chaussée de la nouvelle synagogue. Plan partiel de réception de l'architecte Alexandre Matuszinski
Décembre 1852 - ADBR. On remarque l'emplacement originel de la bima et la niche du gissef.

En février 1850, l'architecte en chef Morin fait part au Préfet de ses remarques sur les plans d'Albert Haas en ces termes (ADBR) : "Projet régulier et susceptible d'être approuvé. Je me borne à quelques observations de détail :
1.- La porte des femmes devrait être sous l'escalier afin que la séparation soit complète.
2.- L'emploi pour les croisées de l'arc en fer à cheval ou cintre outrepassé ne se recommande ni par l'économie, ni par la solidité, ni même par les souvenirs historiques, car cette forme accidentellement employée dans quelques édifices byzantins n'est devenue un style particulier que du 7e au 8e siècle et affectée spécialement aux édifices des Arabes.
3.- Dans l'art. 15 du devis, les 150 kg de fers pour boulons et tirants sont évidemment insuffisants.
4.-Les fondations sur pilotis pourraient être avantageusement remplacées par une plate-forme en béton, ou par une série de forts piquets jointifs ; dans tous les cas le battage des pieux a été omis et devrait être porté au devis."

Ces remarques appellent plusieurs commentaires : 1.-Le déplacement de la porte des femmes : cela note une bonne connaissance du judaïsme par M. Morin. Son idée sera réalisée.
2.- C'est la partie la plus intéressante, car elle démontre que les arcs outrepassés de style byzantin sont inconnus des architectes de l'époque. Albert Haas a donc été manifestement audacieux (30). Son idée ayant été retenue et réalisée malgré M. Morin, on peut confirmer l'intuition de JP Lambert : la synagogue de Reichshoffen est la première en Alsace et en France dans le style néo-byzantin. Il s'agit d'une ébauche certes timide mais elle fera florès. La synagogue de Niederbronn, par exemple, est une descendante tardive de l'imagination d'Albert Haas et de son successeur Alexandre Matuszinski.
3 et 4.- Ces remarques techniques seront mises en oeuvre : le soubassement sera réalisé en béton. Par ailleurs, les plans de réception de Matuszinski en 1852 (ADBR), dessinent une bima au centre de la synagogue.

Au plan financier (ADBR), l'estimation première était de 19 600F de l'époque, terrain compris.
Les ressources prévoient un apport volontaire de la communauté juive de 7000F, et le Conseil Municipal alloue une subvention de 3000f.

Dans une note au préfet du 27 juillet 1849, le ministère de l'Instruction Publique et des Cultes-Direction des Cultes non catholiques (31) se montre insatisfait du montant de cette subvention qu'il juge insuffisante pour autoriser le projet, car "il faut assurer la moitié au moins de la dépense". Il charge donc le préfet de Strasbourg d' "examiner les ressources de la commune pour lui permettre d'augmenter son concours".
Par une délibération (ADBR et AVR) du 4 août 1849, le Conseil Municipal, sous la houlette du Maire Geiger statue : "Vu la demande formée le 23 mai dernier par la commission israélite de cette Commune, tendant à obtenir de la caisse municipale outre la Subvention déjà accordée de 3000Fr. celle de 7500 pour parvenir à la construction d'une synagogue.
Ensemble le renvoi qui en a été fait par M. le Sous-préfet le Zef juins uivant
Après en avoir délibéré
Considérant que les fonds provenant des cotisations israélites, joints aux 3000f de subvention approuvée par m le Préfet le 25 octobre 1844 non encore mis à leur disposition, sont en effet insuffisants pour faire face au projet de construction, que dès lors, il y a lieu d'y avoir égard
Par ces motifs
Vote à l'unanimité une subvention supplémentaire de trois mille francs qui avec celle de pareille somme déjà accordée, ensemble Six mille francs, seront payées en trois termes égaux 1850. 1851. 1852. sans aucun intérêt. Il n'en sera fait emploi qu'après approbation par l'autorité supérieure des plans et devis de la construction projetée qui devra être exécutée sous la direction de l'architecte de l'arrondissement..."

Par une note du 18 janvier 1853, le préfet recommande au ministre d'accorder une subvention pour boucler le financement. Il étaye sa demande par plusieurs motifs, parmi lesquels il relève que "les membres de la communauté israélite, en fournissant par cotisation volontaire une somme de 7000F, se sont imposés des sacrifices qui méritent encouragement."

Le 23 janvier 1853, la commission fait rappel au Préfet de "la pétition adressée le 1er juillet 1851 par l'intermédiaire du Consistoire Israélite de Strasbourg tendant à obtenir de la munificence gouvernementale un secours si nécessaire à l'achèvement de leur synagogue en construction alors et à l'acquisition de l'ameublement". (ADBR)

Le 31 janvier 1853, le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes envoie en personne un courrier de sa main (ADBR) disant en substance que le dossier n'était pas tout à fait dans l'orthodoxie administrative. "Nonobstant ... j'ai cru pouvoir passer outre pour cette fois en considération des efforts faits par les parties intéressées (32))..."

Le projet de construction, initié en 1844 et son financement sont donc achevés en février 1853. Les délais des formalités administratives auront duré neuf ans.

Cependant, et avec le recul, on peut ici rendre hommage à cette Administration française - municipalité, sous-préfets, préfets, service d'architecture, services ministériels et jusqu'au ministre en personne - dont la bienveillance à l'égard de la communauté de Reichshoffen ne s'est jamais démentie, et ce, sous trois régimes politiques différents. (33).
Une fois de plus, cela démontre de manière éclatante les changements profonds intervenus dans la société française soixante ans après la Révolution. Reichshoffen et sa synagogue ont même figuré au nombre des préoccupations d'un ministre !

Le résultat obtenu avec si peu de moyens est surprenant.
A l'intérieur de la synagogue, une atmosphère très particulière est donnée par les ouvertures géminées à arcs outrepassés inscrites dans des ogives presque gothiques formées par les ouvertures dans les quarts de voûtes qui supportent la galerie des femmes. Les pauvres verres de couleur jaune qui font office de vitraux donnent une ambiance douce. Ils mettent en valeur le traditionnel bleu du ciel qui rehausse le pourtour de l'Armoire sainte, encadrée par des colonnes corinthiennes de la même couleur. Cette création d'Albert Haas et Alexandre Matuszinski est remarquable par ce charme discret, mais élégant que l'ensemble dégage, et qui fait l'admiration des visiteurs.

Entre les ouvertures, sur les six éléments de quarts de voûte, on a peint six médaillons circulaires représentant les six principales fêtes juives par des illustrations adaptées. Cette ronde des fêtes juives symbolise l'éternel recommencement de la Torah que l'on relit chaque année. On ne sait par qui ces médaillons ont été créés, ni s'ils sont d'origine.

Quelques objets font ressortir l'économie financière, donc aussi l'inventivité et l'utilisation des moyens locaux tels que les objets métalliques fabriqués par les usines et fonderies De Dietrich de Reichshoffen et Niederbronn.
Le "gissef", ou lave-mains pour les purifications obligatoires avant de prier, est toujours situé dans le vestibule. Il est traditionnellement constitué d'un réservoir d'eau avec deux robinets (34) et d'une bassine pour recevoir l'eau usée, les deux en laiton souvent décoré. Ici, faute de moyens, on a accroché dans une niche un réservoir d'eau en tôle zinguée, récupéré d'une cuisinière De Dietrich, percé de deux tuyaux en guise de robinets. En dessous l'on a créé un bassin maçonné décoré. Il est muni d'une évacuation dans le sol pour l'eau usée. Cette niche figure sur le plan de 1852.
Un porte-cierges destiné à l'éclairage est fabriqué à partir de deux bâtis de machines à coudre à pédales (en fonte De Dietrich) servant de supports et sur lesquels on a boulonné trois rangées de fers plats munis de dix pointes et permettant ainsi d'allumer quarante bougies, si l'on ajoute cinq pointes de chaque côté.
Le balustrade de la bima, en fonte moulée, figure au catalogue des "Ets De Dietrich et Cie, Fonderie de Niederbronn" (35).

Un dernier élément est particulièrement intéressant. Il s'agit de deux tableaux en bois décorés de moulures dans le style néo-gothique bien à la mode au milieu du 19ème siècle. Situés face aux fidèles, bien en vue de part et d'autre de l'Armoire Sainte, ils mettent en exergue, en lettres dorées peintes sur fond rouge-bordeaux, à droite en hébreu et -à gauche en français, la "Prière pour la République et le Peuple Français" que l'on récite pendant l'office (36) du Shabath et des fêtes. Ce texte est bien celui en usage sous la Seconde République, car une version légèrement modifiée a cours depuis l'après-guerre.
Ces tableaux sont presque uniques en France. La seule autre synagogue ayant mis en valeur cette prière au mur est celle de Toul (37).

La mise en exergue de la Prière pour la République et le Peuple Français est particulièrement émouvante, car elle proclame sans l'ombre d'un doute l'attachement des Juifs de Reichshoffen à la République émancipatrice. Elle forme ainsi le point d'orgue de cette synagogue faite de bon sens, d'économie et d'enracinement dans son terroir qu'elle met en valeur par ses objets de fabrication locale et ses encadrements en grès des Vosges.
Cette synagogue reste un hymne à sa ville de Reichshoffen, malgré les vicissitudes que nous verrons plus loin.

Les deux tableaux mentionnent leurs donateurs : Aaron Kahn et Dina Bloch. Le premier, né à Bouxwiller en 1824, est venu s'établir à Reichshoffen après son mariage en secondes noces avec la deuxième, née en 1848 de Joseph Bloch, marchand de fer, et de Judith Levi.
Le couple vivait avec ses trois enfants au 130, rue Impériale, l'actuelle route de Strasbourg (AVR).
Dans les divers registres municipaux, son état par lui indiqué est d'abord marchand de fer (38), puis rentier, à un âge assez jeune d'ailleurs (45 ans), ce qui en ferait peut-être le Juif le plus aisé de la ville en seconde moitié du 19ème siècle. On retrouve souvent la signature d'Aron parmi les témoins dans les registres des naissances. On perd sa trace après le recensement de 1871, car ni lui, ni Dina son épouse, ne figurent plus dans aucun registre municipal y compris de décès, ni même au registre des optants de 1872 aux ADBR.

Leurs tableaux représentent une énigme. On peut penser d'après leur style qu'ils les ont offerts dès l'inauguration de la synagogue en août 1852. Trois mois plus tard en effet, le 2 décembre 1852, Napoléon III faisait son coup d'état et fondait le IIème Empire. La Prière pour la République était donc déjà devenue obsolète. Le retour à la République française, en Alsace-Moselle, et donc à Reichshoffen, a dû attendre 1919 et la fin de l'Annexion. Le régime nazi n'a pas pu la tolérer non plus (39). Comment ces tableaux sont-ils alors parvenus jusqu'à nous ? Ont-ils été décrochés et raccrochés quatre fois au cours des temps ? Ont-ils simplement eu la chance de n'avoir jamais été remarqués, et sont restés en place depuis 62 ans ? Cette seconde hypothèse est séduisante, car on ne voit aucune trace de déménagement, et si cela avait été le cas, pour les ranger où, lourds et encombrants comme ils sont ? Si mon intuition est la bonne, ce serait une nouvelle et superbe démonstration de l'opiniâtreté alsacienne, au mépris des changements de mode des temps politiques, car seul le message religieux perdure, dans l'esprit des israélites pratiquants.

Quelques péripéties émailleront encore la vie de la communauté juive.
En décembre 1851, "une action en trouble de possession" est déposée par la communauté juive représentée par le consistoire, autorisé par la Ville et son Maire Geiger "contre Joseph Bloch, marchand de fer, qui empêche la jouissance normale de la place se trouvant devant la synagogue nouvellement construite." En l'absence de suites documentées, on peut penser que l'affaire a dû se résoudre à l'amiable. (AVR et ADBR)

L'ancienne schüle de la rue des Juifs subit un incendie (d'origine inconnue) le 5 juillet 1862. Le Ministère de la Justice et des Cultes (40) accorde l'autorisation de vendre la ruine au prix de 2000f., et de répartir ce montant entre les membres de la communauté, descendants de ceux qui l'avaient bâtie. Une séance du CM du 10 juin 1865 signale que "le bâtiment de la synagogue (...) ne comprend que des pans de murs et le sol est indivis avec le propriétaire du rez-de-chaussée" (ADBR et AVR)


Page précédente Page suivante

Synagogue
précédente
Synagogue
suivante

© A . S . I . J . A .