QUATZENHEIM

Un lieu de culte aurait existé dès 1777 à Quatzenheim (Twatzene) dans la maison d'un particulier. C'est vraisemblablement
ce même bâtiment qui fut transformé en synagogue en 1819. Aménagée en salle de réunion durant la seconde guerre mondiale,
elle ne rouvrit plus jamais ses portes, la communauté ayant été décimée par les déportations. Les offices se déroulèrent dans
l'oratoire, situé dans le même édifice jusqu'en 1980.
Quatzenheim était siège de rabbinat de 1880 à 1910.
  Synagogue de Quatzenheim

Souvenirs de Quatzenheim (Twazene)
Par le Grand Rabbin Max Warschawski
Conférence donnée à la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine en 1978
Merci à Monsieur Jacky Weil de nous avoir fourni cet enregistrement

Pour lire la traduction des mots colorés dans le texte, posez le pointeur de la souris
sur le mot, sans cliquer : la traduction apparaîtra dans une bulle.
Les mots colorés et soulignés sont de vrais liens

Chers amis, j'espère qu'on entend… le haut parleur marche… ça va. Après avoir mangé des Gäns krayele comme ceux qu'on nous a offerts tout a l'heure, il fallait un trou normand, on s'est servi de moi. (rires)

Je me rappelle en 1950 ou 51 j'étais rabbin à Bischheim, et on m'a appelé un beau jour à célébrer un mariage à Quatzenheim. Je crois que c'était le dernier mariage qui se soit célébré là-bas. Le marié était un vieux copain à moi J'étais alors en vacances du côté de Paris et je me suis rendu je suis venu le marier. Puis au cours de la réception j'ai entendu quelques vieux de Quatzenheim, il n'y en avait plus beaucoup qui parlaient entre eux. Tout d'un coup il y a l'un d'entre eux qui dit à l'autre "Hosch's gseye, der Pollack hot güt gerdet " ("tu as vu, il a bien parlé ce pollack ").

Max Warschawski avant son arrivée à Quatzenheim
C'était ma première rencontre avec Twazene quelques chose comme une quinzaine ou vingtaine d'années après que j'y avais vécu. Il faut tout de même que je vous dise tout d'abord comment je suis arrivé à Twazene. Moi je suis un Strossburiger Wackes . Je suis né du côté de la Place des Orphelins je suis allé à l'école maternelle à Sainte- Madeleine et puis je suis allé au lycée Fustel de Coulanges comme tous les gens de la communauté parce que je n'habitais pas loin de là-bas. Puis j'ai eu la malchance à l'âge de huit ans de perdre ma mère, et mon père est reste seul avec trois enfants. Il n'a pas su exactement comment se débrouiller... Et puis un beau jour il a appris, c'était en 1933, qu'une famille réfugiée d'Allemagne, une famille juive réfugiée d'Allemagne habitait dans un village dont il n'avait jamais entendu parler qui s'appelait Quatzenheim et qu'ils étaient prêts à prendre en pension des enfants. Et c'est comme ceci que j'ai débarqué un beau jour à Twazene. J'étais un gosse de la ville, mon éducation je l'avais reçue à Strasbourg, la Choule que je fréquentais c'est ce qui s'appelle aujourd'hui Adat Israël et puis je me suis retrouvé transplanté du jour au lendemain dans un village dont tout ce que je comprenais, c'était le dialecte parce qu'ayant été élevé place des orphelins je parlais l'alsacien probablement mieux que le français à ce moment là. Je suis arrivé dans une communauté qui pour l'enfant de huit ans que j'étais, était une nouveauté totale.

J'avais été élevé, moi, dans une famille traditionnelle comme on l'était en Europe orientale, le Shabath c'était sacro-saint, la cacherouth, c'était impeccable, et j'arrive dans un village où il n'y avait plus qu'une quinzaine de familles à peu près. Et dans ce village j'ai été amené à vivre d'une façon totalement différente de celle que je connaissais chez moi. Il est vrai que la famille dans laquelle je me trouvais ne me dépaysait pas fortement. Mais lorsque pour la première fois le vendredi soir je suis allé à la Choule, et j'ai vu tous les habitants du village avec le chapeau haut-de-forme et une espèce de vieille redingote, je me demandais si c'était Pourim (rires). Il est vrai qu'à Twazene ils n'avaient pas l'habitude qu'ils avaient prise à Hoenheim : on allait en hiver à la choule en chapeau haut-de-forme et en sabots parce qu'il faisait trop froid à la choule, vallait mieux avoir les pieds au chaud ! Mais à Bischheim, à Bischheim les gens venaient à la choule en chapeau-melon ou en beau chapeau, et comme on ne pouvait pas être Üfgerüffe en chapeau mou ou en chapeau-melon, il fallait un chapeau haut-de-forme. Alors ils avaient des grands tromblons qui dataient encore de l'époque du grand-père, qui étaient dans le Ständer , et qu'on utilisait exclusivement à la choule pour être Üfgerüffe . Je ne sais pas si c'est vrai comme çà dans d'autres villages, vous pourrez peut-être me compléter cela. Mais à Twazene, c'était encore comme çà. On allait encore en 1933, les vieux Bâle Batim allaient encore à la choule en chapeau haut-de-forme, il est vrai qu'il y avait un Parness qui avaient un chapeau melon. C'était déjà un révolutionnaire, est-ce que je dois dire que c'était un libéral ? Je crois pas.
Fidèles dans la Synagogue de Gerstheim en 1874 sur une lithographie ancienne. Voir l'image en entier
Alors je me suis trouvé dans ce village, où, disais-je, il y avait à peu près une quinzaine de familles. Quinze familles, il y avait trois épiceries dans le village, les trois étaient des juifs. Il y avait Schampfle, il y avait S'Nänele, et puis le troisième je ne sais plus comment on l'appelait exactement, c'était le grand-père d'André Blum de Twazene que tout le monde connaît ici. Il y avait deux boucheries, c'étaient deux juifs. Il y avait Der Itzik il y avait Der Jerôme. Et… c'est à peu près tout ce qu'il y avait comme magasins dans le village. Les autres étaient ou Paimess-Händler, ou allaient un petit peu partout vendre la marchandise, mais j'étais trop jeune pour le savoir.

Isidore Metzger (le populaire "Itzig"), boucher de Quatzenheim décédé en 1952, ici en tournée à Stutzheim en décembre 1932 (coll. Albert Lorentz)
Le gros morceau dans cette communauté, c'était d'arriver à avoir un minyén le Shavess. Parce que minyan il y avait ! Mais il suffisait que Itzik soit Braugess parce que quelqu'un s'était bagarré avec lui à propos de la viande, et le Itzik faisait à ce moment là la grève, et on pouvait attendre le Shabath matin jusqu'à 10 heures, et le Itzk ne venait pas et y avait pas minyén. Combien de fois c'est arrivé !

Alors je suis arrivé dans ce village, et j'ai rencontré celui qui était le Godel-Isch du village, de la Khillé, c'était le 'Hazen . Un rabbin y'en avait plus. Je dois vous dire que c'est des années et années plus tard, peut-être parce que j'avais été passionné par mes souvenirs de Twazene que je me suis intéressé à l'histoire des juifs d'Alsace. Et me suis rendu compte que cette communauté de Twazene était une communauté importante ! Qu'il n'y a pas si longtemps c'était une communauté qui était le centre d'un rabbinat, et que jusqu'en 1910 y avait un rabbin à Twazene, le dernier c'était le pauvre Max Gugenheim selig, qui a quitté Twazene pour aller à Westhoffen, et qui de Westhoffen est allé à Bouxwiller pour finir à Saverne, mais que pendant au moins cinquante ou soixante ans, Twazene était un rabbinat.

Quand moi j'y suis arrivé, il restait plus grand-chose de ce rabbinat. Je vous ai dit il y avait une quinzaine de familles et moi j'habitais à l'école, à la yitte école . Il n'y avait plus d'école juive, il n'y avait plus d'instituteur, le dernier avait été Moïse Bloch que tout le monde a connu à Strasbourg, mais à Twazene restait un 'hazan. Et ce 'hazan, il groupait autour de lui l'ensemble de la Khillé. Quand on venait à la choule, il était là. En semaine évidement il n'y avait plus Schül , sauf quand quelqu'un avait Jahrzeit , il y avait un merveilleux Kaalshüs, et c'était toujours le même 'hazan que j'ai connu là-bas. Et c'est lui qui nous faisait l'enseignement religieux.

La première fois que je suis arrivé là-bas, moi je venais d'un Talmud-Torah, on m'avait appris un tas de choses, du moins je croyais ! Je suis arrivé là-bas, il me dit : "Hol das deutsche lese Buch" ("amène le livre de lecture  en allemand"). Je savais pas l'allemand moi ! Au lycée à Strasbourg on n'apprenait pas l'allemand en classe de 10ème comme à l'école primaire ! "Dein deutsche lese Buch!" Alors j'ai sorti de mon cartable un livre qui était pour moi du chinois, il m'a dit : "Jetz schreib mir das ab"  ("Copie-moi cela !"). Je devais lui copier quelque chose que je connaissais pas. Quand j'ai essayé péniblement d'écrire les lettres, il s'est fichu de moi et m'a dit : "Nein auf yeddisch" ("Non ! En caractères hébraïques !"). On m'avait pas appris à écrire ! Je savais lire, je savais même traduire, je connaissais mes prières par cœur, mais écrire en cursives ou en imprimé, çà,  au 'heder on me l'avait pas appris à Strasbourg encore. Alors j'ai passé des mois à écrire "Paul hat Zahnwe… Peter geht mit ihm zum Zahnartz …" ("Paul a une rage de dents, et Peter va avec lui chez le dentiste"), tout le monde nous faisions çà. Et quand on avait copié çà, alors il disait "Jetz Bensch" ("et maintenant le Birkath Hamazon - ). Alors on commençait à réciter le Bensch, à réciter, réciter, réciter, et après on commençait par le Shema. Mais à force de le dire, à force de répéter, finalement on en avait quand même appris quelque chose. Nous n'étions pas nombreux. Je crois qu'on était en tout et pour tout une dizaine d'enfants de tous les âges, et comme il n'y avait plus d'école juive, on allait à l'école communale.

Çà c'était extraordinaire. Parce que le Shavess matin y'avait pas classe pour nous. Cà datait probablement d'une époque très reculée. L'enseignement religieux, c'était un village protestant, l'enseignement religieux était donné le Shavess matin de 8 à 10 pour permettre aux enfants juifs d'aller à la Schül… mais à 10 heures il fallait être à l'école. Et pendant les deux années que j'ai passé là-bas, j'étais tous les Shavess matin à la Schül, et à 10 heures la Schül était terminée, et puis on allait à l'école. Un gosse qui écrivait le Shavess çà n'existait pas. Le non-juif du village n'aurait pas compris cela ! Alors la journée du Shavess était assez longue, en effet : on revenait de l'école à midi, l'après-midi au début de l'après-midi on allait à la Min'he-Schül , puis on retournait à l'école où il fallait chanter les cantiques du samedi soir dans un village protestant, "Jour du Seigneur, ouvre mon cœur à ta douce prière", oui je me rappelle même çà ! (rires) Et ensuite on attendait dans le Schül-Hof , que le Shabath se termine et pour qu'on aille à la Maaref- Schül.

La synagogue de Quatzenheim
Et cette choule elle est restée dans ma mémoire comme quelque chose d'extraordinaire. Je vous ai dit que moi j'étais un gosse de Strasbourg, mais je n'étais pas de la grande communauté, j'étais de l'Adath Israël qui était à l'époque une communauté très pauvre. J'arrive dans un village qui a une choule, qui était à l'époque déjà une choule très ancienne et qui avait des Paro'hess dont je rêve encore aujourd'hui tellement il étaient superbes. Du moins, à mes yeux d'enfants, c'était quelque chose de merveilleux. Alors cette choule, qui était une choule ancienne, avait absolument rien à l'extérieur d'une choule comme on en a construites au 19ème siècle. A l'extérieur c'était une simple maison, une maison assez grande, et l'intérieur était une choule et n'avait absolument rien qui pouvait évoquer de près ou de loin un lieu de culte chrétien quel qu'il soit, comme on les a construites au cours du 19ème siècle.

Mais ce qui était extraordinaire, qui m'avait toujours marqué, c'est la petite Kaalshüs à côté. Et je me rappelle à une époque où quelqu'un était Aufel là-bas, et qu'on allait à la choule tous les soirs, je me souviens des soirs d'hiver, où je partais de chez moi, moi aussi je disais Kadish à l'époque, j'avais huit ans, donc j'étais à la Aufel- Schül le soir aussi, on traversait le village froid, sous la neige souvent, et surtout dans une obscurité totale, et on rentrait dans cette petite pièce surchauffée, c'était quelque chose d'absolument merveilleux, on avait l'impression qu'on venait de l'enfer et qu'on entrait au paradis !

C'est là que j'ai appris pour la première fois qu'on pouvait être un Baal-pfilé et qu'on n'avait absolument pas besoin forcément d'être un 'Hazen. Et c'est là aussi que j'ai pris l'accent alsacien dans la prononciation de l'hébreu. Pour moi, un beith sans point c'était un weiss ; là j'ai appris que c'était un feiss ! (rires). De nouveau pour moi, là-bas je disais Le'elo mikol bikhausso , là-bas j'ai dit, j'ai appris qu'il fallait dire "LeYEylo" ! Mais c'était quelque chose de typiquement du terroir.

Quatzenheim sur une carte postale ancienne
Et puis je me suis rendu compte qu'il y avait dans le Schül-Hof , au fond du Schül-Hof une espèce de petite bâtisse. Un jour je suis rentré là-dedans, et j'ai vu des bêches, des pioches, des pelles, une brouette, une espèce de planche. Et quand j'ai demandé au copain "qu'est-ce que c'est ?", il me dit : "çà , c'est ce qu'il faut pour le cimetière". "Et qu'est-ce que c'est que cette maison ?", "cette maison ? Mais c'est un mikve !" Je savais pas moi ce que c'était un mikve, j'étais un garçon de huit ans ! Et puis on m'a dit : "çà c'était un bain". Autrefois on s'en servait ! Mais il y avait probablement une génération que plus personne n'avait utilisé ce bâtiment, qui servait uniquement de remise.

Il y avait dans cette communauté un cimetière extraordinaire. Un cimetière qui était situé, vous le connaissez peut-être encore aujourd'hui, qui était situé en hauteur, comme la plupart des cimetières en Alsace, mais c'est pas cette partie moderne qui m'intéressait. Mais j'étais intrigué par une partie qui était un peu plus en contrebas, et qu'on voyait de l'extérieur à travers une grille, où une pierre tombale était semblable à l'autre. C'est des années plus tard que je me suis promené là-dedans et que j'ai vu que c'était le cimetière datant de la fin du 18ème et du début du 19ème siècle de cette communauté. A cette époque-là les pierres étaient les mêmes, riches ou pauvres, et ce n'est que plus tard qu'on a vu des pierres tombales qui variaient proportionnellement à la situation sociale des uns ou des autres dans le village.

Mais à l'intérieur de la communauté-même on s'apercevait pas de çà. Autour de ce 'Hazen qui était vraiment, pour les enfants, pour les enfants que nous étions c'était le Bon Dieu en personne. Quand il vous regardait, ou quand il vous demandait de lui faire une commission et çà arrivait tous les jours, on courrait ! Mais là où je l'ai vu pour la première fois dans ses fonctions c'était quand il schäshte (procédait à l'abattage rituel). Il m'arrivait aussi de devoir lui amener une volaille et il faisait la she'hita de la volaille, mais pour les gosses que nous étions le grand moment c'était lorsqu'un des deux bouchers faisait abattre. Alors y'avait la boucherie, à côté y'avait une espèce de hangar, une espèce de garage, et tout-à-coup on venait là-bas, on voyait une grosse bête couchée, et on attendait que le sho'heth arrive pour schäshte. Seulement, ce qu'on nous racontait dans le creux de l'oreille, c'est quand il s'agissait d'un taureau, le sho'heth il ne le faisait pas. Il avait tellement peur qu'on faisait venir le sho'heth de Wasselone (rires).

Et bien j'ai passé là-dedans, j'ai passé deux ans. Deux ans au cours desquels j'ai appris le yédish-daïtsch parce que les vieux ne parlaient que le yédish-daïtsch. Les enfants que nous étions le comprenions mais nous ne le parlions pas. C'était un peu comme chez moi à la maison : mes parents me parlaient en yidish, et moi je répondais en alsacien. C'est lorsque j'étais adulte, au séminaire et plus tard, que j'ai appris le yidish ; à Strasbourg je ne le connaissais pas. A Twazene, j'ai appris à comprendre le yédish-daïtsch mais je ne savais pas le parler. Il a fallu attendre la guerre et le maquis pour qu'avec des copains, pour se rappeler que nous étions quand même d'ici nous ayons commencé à parler yédish-daïtsch , et ensuite j'ai eu le privilège d'être à Bischheim et d'avoir un excellent mentor, qui m'a permis d'apprendre ce que, pendant des années et des années, j'avais eu le temps d'oublier.

Je parle de Twazene avec énormément d'émotion. Je vous rappelle, c'était une communauté parmi un certain nombre de Khilless de cette région. Dans la région du Kochersberg. De quand datait la communauté, personne n'était capable de me le dire. Elle était probablement devenue une communauté d'une certaine importance avant la Révolution. Mais comme il y avait beaucoup d'autres communautés à côté, il y avait Kuttolsheim, il y avait Wintzenheim. Wintzenhe (Wintzenheim), Kittelse (Kuttolsheim) (Wintzenheim), Twazene (Quatzenheim) c'était trois communautés qui dépendaient d'un même rabbin. Et au 19ème siècle, lorsque le rabbin de Kittelse est mort, et qu'il a été remplacé, son remplaçant il a préféré s'installer à Wintzenhe. Et quand lui est mort, son successeur a préféré Twazene, et c'est comme ceci que Twazene est devenu un rabbinat. Mais ces trois communautés, çà allait toujours ensemble.

Quatzenheim sur une carte postale ancienne
Chose curieuse : il y avait autour de cette communauté, il y avait Wittersheim, il y avait Wiwersheim, il y avait Fessenheim, il y avait Hurtigheim, il y avait Furdenheim, dans aucune de ces communes il n'y avait un juif ! Et la seule commune protestante c'était Twazene, et à Twazene il y avait une communauté assez importante.

Pour moi, comme gosse, cette communauté me paraissait énorme ! J'y suis retourné après la guerre. J'étais marié, j'avais des enfants, la première fois que j'y suis retourné c'est quand j'avais une voiture, en été. Et quand j'ai voulu montrer à mes enfants ce grand village dans lequel j'avais passé deux ans de mon enfance, j'ai pas eu le temps de leur dire "nous sommes à Twazene" que la voiture était déjà à l'autre bout du village ! (rires) C'était effectivement une commune toute petite ! Trois cents, trois cent cinquante habitants, c'était tout ce qui restait. Et quand on pense qu'il y a deux ou trois générations il y avait là un nombre de familles qui prouvait qu'il y avait cent cinquante ou deux cents juifs, au moins qui y habitaient, c'est vous dire l'importance et la place qu'ils tenaient dans cette commune.

Je me rappellerai toujours ce qui était à l'époque encore une communauté vivante. Le Shavess était un Shavess pour tout le monde. Et quand un Schnorrer venait dans le village, à l'époque il y avait encore des Schnorrers alsaciens, mais ils étaient déjà remplacés en partie par des Schnorrers venus d'Europe de l'Est, mais y'en avait encore l'un ou l'autre qui venait de temps en temps. Mais le Shavess, c'était quelque chose de sacro-saint pour tout le monde. On racontait bien que de temps en temps y'avait quelqu'un qui prenait le tram pour aller à Strasbourg pour revenir du Maukem ! Mais comme la gare se trouvait à un kilomètre du village, à moins d'y aller, on pouvait pas le voir.

Et alors, lorsque c'était un Yontef, je me souviendrai encore, qu'un des Bâle Batim de la communauté a pris les enfants avec lui, et est allé se promener avec eux en direction de Strasbourg. On est allé presque jusqu'à Ittenheim, vous savez sur la grande route, où tout-à-coup on voit la cathédrale de Strasbourg de loin. Je crois que çà devait être au moment de Shavouoth. Et cette promenade, j'ai essayé de la refaire en voiture. Cette promenade est un des souvenirs que le gosse de huit ans que j'étais à l'époque a gardé gravé au fond de lui-même. Cette promenade, la synagogue, et surtout un parokheth splendide en velours bleu, avec je crois, en broderie, la 'akédath Ytzhak, le sacrifice d'Isaac. Et encore l'image de ce 'hazan avec une grande barbe blanche, et dont je sais qu'il est mort après la guerre presque centenaire, à Lyon.

Je suis revenu après la guerre et j'ai recherché cela. J'ai vu l'école juive où j'avais habité, c'était devenu le bureau de poste. J'ai cherché la maison du 'hazan, les Allemands l'avaient démolie. C'était une maison qui aurait pu rentrer probablement dans un des coins de cette salle-à-manger. C'était quelque chose de minuscule ! J'ai retrouvé l'endroit vide, y'avait de quoi construire une baraque ou de planter deux tentes. Les seules maisons qui ont disparu pendant la guerre, c'étaient trois maisons juives, qui étaient de vieilles maisons, appartenant probablement à des familles très très modestes, et qui ont été arrachées, et remplacées après la guerre par des maisons neuves.

La parokheth (rideau de l'arche sainte) de la synagogue de Quatzenheim
Twazene n'était qu'une communauté parmi beaucoup de kehiloth en Alsace. Il y avait beaucoup de petites communautés comme celle-ci. Et ce sont des communautés dont la guerre a pratiquement hâté la fin. Il restait encore après la guerre quelques familles, c'était plus suffisant pour avoir minyan la semaine. Mais il y avait encore minyan, le Yontef , Rosh Hashana et Kipour à plus forte raison, je crois qu'actuellement à moine que l'un ou l'autre des vieux de Twazene revienne depuis la ville, y'a plus moyen d'avoir un minyan.

Y'avait encore de mon temps un café à Twazene. Et c'est le café où tout le monde se retrouvait le Shavess après-midi pour jouer aux dominos. C'était encore un jeu de juifs le Shavess après-midi. Je ne me souviens pas que quelqu'un ait jamais écrit. On utilisait des jetons à ce moment-là, mais le temps a changé, et il paraît que quelques années plus tard, si j'étais revenu à Twazene, j'aurais probablement pas reconnu le village.

Ce ceux que j'ai connus, il n'y en plus un seul qui habite là-bas. Quelques-uns habitent la ville, d'autres habitent ailleurs en France, mais le souvenir que moi j'ai gardé de Twazene c'est quelque chose qui m'a entièrement pénétré. Et je ne parle pas maintenant pour parler, c'est quelque chose qui me vient vraiment du fond du cœur. Parce que j'ai trouvé là-dedans quelque chose de différent et de nouveau par rapport à l'éducation que moi j'avais reçue. Et peut-être est-ce un des facteurs qui a fait que plus tard j'ai choisi la carrière rabbinique. Et je terminerai sur cela, en évoquant ce que j'ai vu pour la première fois comme gosse là-bas : un jour quelqu'un est mort dans le village. Un juif est mort dans le village. Et tout-à-coup j'ai vu arriver un homme en chapeau melon, en costume sombre avec un pantalon hochwasser et on a dit "c'est le rabbin". Et puis je suis allé comme tout le monde voir ce qui se passait à cet enterrement, dans la cour de la maison où il habitait. Et je vois le même homme habillé en curé, avec un chapeau de curé, avec une soutane qui avait hochwasser elle aussi, et qui a fait un discours en allemand. Cet homme je le connaissais pas. Puis je l'ai entendu, au moment des seli'hess, parler à la foule, très beau discours en allemand, très beau pour l'enfant que j'étais, j'avais probablement rien compris, mais çà me faisait l'impression d'être très beau. Et puis plus tard, lorsque je suis retourné à Strasbourg après avoir passé deux ans là-bas, j'ai retrouvé le même rabbin. Il est devenu mon professeur au Talmud Torah. Je me suis aperçu que ce rabbin, qui pour moi était quelque chose d'indéfinissable à l'époque, était un homme d'une bonté, d'une érudition, d'une gentillesse extraordinaires. C'était le Rabbin Jérôme Lévy d'Obernai. Et je me suis très attaché à lui, il a été mon professeur jusqu'au moment de la guerre, vous savez qu'il est mort pendant la guerre et qu'il n'est pas revenu, et c'est peut-être aussi un de ceux qui a provoqué plus tard de façon insensible, le choix que j'ai fait de ma carrière rabbinique.

Mais je crois que ce que m'ont donné, dans cette période de mon enfance, une communauté comme celle de Twazene, ce que j'ai connu ensuite pendant les cinq premières années de ma carrière rabbinique dans une communauté qui avait été une communauté brillante et qui n'était plus qu'une petite communauté, je parle de Bischheim, çà a été quelque chose d'absolument déterminant, et si aujourd'hui je me sens à l'aise dans une communauté d'Alsace, c'est peut-être à cause de ce que j'ai appris dans de petites communautés.

Je vous remercie (applaudissements).

Illustrations : © Michel Rothé

Synagogue
précédente
Synagogue
suivante
synagogues Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .