Le cimetière juif de Haguenau (suite)

Restauration du cimetière après la deuxième guerre mondiale

La deuxième guerre mondiale de 1939 à 1945, enfin, a porté à notre champ de repos les plaies les plus profondes, comme elle a marqué de ses griffes tous les cimetières et toutes les synagogues de notre province.

En Allemagne même, "la guerre contre les Juifs" avait commencé sur ce champ de bataille où la victoire était facile. Elle s'est continuée de la même manière en "Alsace reconquise", avec l'esprit méthodique propre à nos ennemis. Notre cimetière, après avoir subi, comme les autres, le vandalisme germanique, eut encore le malheur de servir comme champ de bataille pendant la dernière phase de la guerre (janvier mars 1945).
Nous avons déjà dit qu'à notre retour après la Libération, nous avons trouvé ses murs éventrés, sa porte enfoncée, les monuments renversés et troués par des obus, son sol labouré par des tranchées et couvert d'engins de guerre, le hall détruit, la maison du gardien sinistrée.

Cet état lamentable est décrit dans une lettre adressée, en janvier 1946, au bureau du Ministere de la Reconstruction et de l'Urbanisme de notre ville. En voici le texte :

Le cimetière après la guerre.
"Le Rabbin et la Commission Administrative de la Communauté israélite de Haguenau ont l'honneur de vous soumettre la demande suivante et vous prient de lui accorder l'attention qu'elle mérite :
Notre cimetière, situé dans le faubourg de Marxenhausen, a subi de tels dégâts par suite de la guerre qu'il se trouve dans un état non seulement déplorable, mais aussi impraticable pour les enterrements et les cérémonies religieuses.
Pendant l'occupation, l'ennemi avait déjà fait sentir sa haine à un endroit ordinairement respecté par tout homme civilise.
Vint la bataille qui fit rage dans ce quartier, et causa des dévastations énormes dans le cimetière même, dans son enceinte et en premier lieu dans le hall où ont lieu les cérémonies funéraires. Nous avions fait déblayer le sentier qui mène vers l'emplacement des tombes et fait ériger un grand nombre de pierres renversées... Mais des mains scélérates, attirées par les brèches existantes en plusieurs endroits de l'enceinte, les ont de nouveau jetées par terre et encombré le sentier.
Une plainte a été adressée aux autorités de notre ville en leur signalant ces méfaits détestables. Mais nous avons recours aujourd'hui a vous, avec la prière instante, de vouloir faire d'urgence le plus nécessaire. Il s'agit :
  1. De fermer les nombreuses brèches et le portail ;
  2. De couvrir le hall et de le fermer provisoirement afin qu'il nous soit possible d'y célébrer les offices funéraires pendant la mauvaise saison et en temps de pluies.
M. Guillier, architecte, qui a visité avec nous les lieux et a constaté les faits mentionnés, s'adressera à vous pour se procurer le matériel nécessaire.
Nous avons l'espoir que ces travaux seront reconnus, par vous aussi, de première nécessité et vous prions d'accueillir favorablement la demande de l'architecte."

Sous la direction et la surveillance dévouées et bénévoles de M. Simon Lemmel, membre de la Commission du Cimetière, les travaux de réparation ont été entrepris et menés à bonne fin. Le cimetière a été remis en état, autant que l'ont permis les destructions dont il avait été l'objet. Le hall a été restauré, la maison du gardien reconstruite. Des registres ont été rétablis, également par les soins de M. Lemmel, indiquant numéros et emplacements de toutes les tombes encore existantes.

Le cimetière après les réparations.

Un monument érigé par la communaute israélite de Haguenau à la mémoire de ses membres déportés, fusillés ou morts au champ d'houneur, pendant la guerre de 1939 a 1945, a été inauguré le 26 septembre (premier jour de Seli'hôth) 1948. Ce monument porte, outre les noms de 148 personnes (de Haguenau même ou y ayant en des attaches), l'inscription suivante :


EST-IL UNE DOULEUR COMME CELLE
DONT ILS M'ONT AFFLIGE.
A NOS BRAVES
NOS MARTYRS, NOS VICTIMES
1939-1945

Rappelons à cette occasion aussi l'épitaphe consacrée au Capitaine Georges Weill, mort pour la France, au Hohwald (Bas-Rhin) le 20 juin 1940, donc après l'armistice officiel.
Sur le parchemin déposé dans les fondements du Monument avec une urne contenant des cendres recueillies a Auschwitz, on a fait figurer deux inscriptions, l'une en hébreu, l'autre en francais :

"Ce monument a été érigé en mémoire de nos braves, nos martyrs et nos victimes de la guerre 1939-1945.
Les fonds pour son érection ont été fournis par des souscriptions bénévoles de tous ceux qui ont des attaches à la communauté israélite de Haguenau.
Les misères et les peines, causées par la cruauté d'hommes envers d'autres hommes, ont dépassé tout ce qu'on connaissait jusqu'à ce jour.
Notre communauté qui comptait au début de la guerre 600 âmes, en a perdu par la seule déportation 120.
La France pleure 150.000 victimes juives (*), l'Europe 6.000.000.
Nous implorons Dieu de protéger l'humanité contre le retour de tels malheurs.
Si un jour on devait ouvrir ce coffret et trouver cet écrit, que de tels faits puissent paraître comme des fantômes de l'imagination et non pas comme la triste réalité !
Que l'homme ne puisse plus s'avilir jusqu'à un niveau plus bas que celui de la bête !
L'inauguration de ce monument est fixée au 26 Septembre 1948 = premier jour de Seli'hoth,22. Eloul 5708, et est placée sous la présidence de Monsieur Jules Moch, Ministre de l' Intérieur.
Le comité pour l'érection était présidé par :
Le Rabbin Joseph Bloch, le Président de la Communauté Joseph Strauss, le Président du cimetière Paul Weil."

(*) On estime aujourd'hui - en 2008 - que le nombre de Juifs déportés à partir de la France se montait à 75000 environ (note de la Rédaction du Site).

Nous reproduisons ci-dessous l'annonce de la cérémonie, parue le 25. 9. 1948 dans le Journal de Haguenau :

INAUGURATION DU MONUMENT ÉRIGE PAR LA COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE DE HAGUENAU
à la mémoire de ses membres déportés, fusillés et morts au champ d'honneur, pendant la guerre de 1939 à 1945

Cliquez sur l'image pour l'agrandir

    "C'est un jour de profonde tristesse demain pour la communauté israélite de notre ville et avec elle, toute la population de Haguenau est en deuil.
    "C'est en effet demain dimanche, 26 septembre, à 14h30 que sera dévoilé le monument érigé sur l'antique cimetière israélite (rue de l'Ivraie) à la mémoire des Israélites haguenoviens qui ont laissé leur vie au cours des terribles années de la guerre de 1939-1945.
    "Plus que toute autre, la population juive a cruellement souffert dans les pays d'Europe occupés par les nazis. Ils ont, comme toujours, payés un lourd tribut à la défense et à la libération de leur patrie. Mais en outre, toujours en butte à la haine des barbares, de très nombreux Juifs sont tombés sous les coups de leurs ennemis dans ces lointains camps d'extermination dont le seul souvenir sera toujours la honte de notre siècle.
    "La communauté israélite de notre ville a été, elle aussi, durement éprouvée, puisque des 200 familles qui la constituaient en 1939, 148 personnes sont tombées en martyrs ouont disparu au cours de la tourmente.
Ce monument a été érigé à leur mémoire pour servir de refuge à nos larmes, de retraite à nos regrets, d'appui aussi pour nos espoirs et pour qu'il soit un lieu où l'on puisse commémorer dans la prière tous ces malheureux qui n'ont pas trouvé de tombe.
LA CEREMONIE D'INAUGURATION
    "est placée sous le patronage d'un comité d'honneur constitué par M. Jules MOCH, Ministre de l'Intérieur, Président (dont la famille est originaire de Haguenau) ; PAIRA, Présent du  Bas-Rhin ; ALTORFFER, Directeur des Cultes ; HECKINGER, Sous-Préfet de l'Arrondissement de Haguenau ; D. BRUMBT, Maire de la Ville de Haguenau ; DEUTSCH, Grand-Rabbin du Bas-Rhin, et CROMBACK, Président Consistoire Israélite du Bas-Rhin.
    "Toute la population de notre ville aura à coeur d'assister à cette pieuse  cérémonie pour témoigner sa sympathie à nos concitoyens israélites si durement éprouvés. Puisse la vue du monument et la lecture du martyrologe imprimé au bas de  cette page, nous inciter tous à une juste compréhension de la fraternité entre tous les hommes, afin que soient bannis à tout jamais les fléaux de la guerre et de l'intolérance !"

Les pierres posées depuis la Libération perpétuent, pour une grande partie, le souvenir de notre exil et de nos misères, mais aussi de notre gratitude envers tous ceux, qui, dans nos lieux de refuges, nous ont soutenus et souvent sauvés. Les localités suivantes y figurent :
Aix-les-Bains, Annecy, Angers, Bergerac, Béziers, Clermont- Ferrand, Doumartin-sur-Vraise (Vosges), Ecully (Rhône), Grenoble, La Châtre, Lons-le-Saulnier (Jura), Montauban, Montélimar, Nuits-Saint-Georges (Côte d'Or), Parthenay, Rodez, Sarlat (Dordogne), Sorges (Dordogne), Thonon-les-Bains, Vesoul et Vichy.

(1)Cliquez ici pour voir la liste des Juifs de Haguenau déportés, fusillés et morts au champ d'honneur pendant la guerre de 1939 à 1945


Synagogue
précédente
Synagogue
suivante
© A . S . I . J . A .