Me Pierre DREYFUS
Président Honoraire du Consistoire Israëlite du Haut-Rhin


Il est toujours difficile de parler de soi, raison pour laquelle j'aurai mis un certain nombre de mois à rédiger ces lignes, à la demande amicale de Michel Rothé.

Ce dernier m'avait, en effet, sollicité, afin d'écrire ce que j'avais ressenti et comment s'étaient déroulées mes huit années de présidence du Consistoire Israëlite du Haut-Rhin, de 1999 à 2006.

En premier lieu, je voudrais dire, sans forfanterie, combien cela a été un plaisir de travailler avec mes collègues ; nous n'avions pas toujours les mêmes approches ou les mêmes opinions, mais nous avons presque toujours trouvé une solution satisfaisante pour tous. Dès le début de ma mandature, j'avais exigé la courtoisie dans les discussions, j'avais interdit les vociférations, et je crois pouvoir dire qu'à quelques exceptions notoires près, je suis arrivé à maintenir une bonne atmosphère dans les débats, malgré les inévitables divergences d'opinions.

Qu'est-ce qu'un Consistoire ? En Alsace et en Moselle, où le Concordat est encore en vigueur, au contraire du reste de la France, il s'agit d'une assemblée de sept personnes, dont six sont élues par les Juifs de chaque département. la septième, le grand rabbin étant membre de droit. Un président est élu par les sept membres et j'ai eu l'honneur de l'être de 1999 à 2006.

Le Consistoire départemental, établissement public du Culte a la personnalité juridique et constitue l'interface juive des autorités de l'État, de la Région ou du Département ; il est propriétaire des édifices cultuels et cimetières juifs, il peut être propriétaire d'autres biens à la suite de legs par exemple, et il participe activement à la nomination des rabbins, ministres officiants et autres personnels à caractère spécifiquement juif.

C'est dire qu'un président est confronté à de nombreux problèmes auxquels il n'est pas toujours habitué, sachant que. pour ce qui me concerne, je ne me suis jamais préoccupé d'affaires religieuses au sens strict du terme, domaine réservé du rabbinat.

C'est ainsi que très rapidement après ma prise de fonction, je suis devenu, par exemple, "vendeur de Synagogues" : je veux parler de celle de Soultz, puis celle de Dornach, celle de Sainte-Marie-aux-Mines ; on a un sentiment de tristesse, mais on n'a pas le choix, car on ne peut pas laisser ces édifices se délabrer plus avant. Et ce n'est pas fini....

J'ai aussi été confronté à un grave et lancinant problème d'assurance ; j'avais eu, pour la résolution de cette très importante question, la chance de pouvoir demander conseil à Jeannot Meyer, de mémoire bénie ; grâce à lui, à son amitié et à son raisonnement logique, la solution s'était imposée. à la satisfaction générale.

J'ai été grandement et gravement marqué, pendant ma présidence, par la profanation infâme de 127 tombes du cimetière de Herrlisheim : quelle désolation, quelle souffrance pour nous tous, plus encore pour les familles concernées, mais aussi quelle consolation, quel soutien de la population non-juive et des autorités publiques jusqu'au plus haut sommet de l'État, en passant par le Président de la Région Alsace, les Maires, le Procureur de la République, la Gendarmerie, la Police et tant d'autres. Je ne voudrais pas passer sous silence le respect marqué par l'entreprise qui avait été chargée de la remise en état des pierres souillées : son dirigeant avait décidé, sans qu'aucun d'entre nous le lui ait demandé, de ne pas travailler sur ce chantier le Shabath et les jours de fêtes juives ; bel exemple !

Et puis, dans d'autres domaines, j'ai essayé, pas toujours avec succès, de résoudre des conflits qui ont empoisonné la vie communautaire ! Ces conflits ont laissé des traces jusqu'à maintenant. Certains n'ont pas compris le sens de mes démarches d'apaisement, d'autres ont cherché à en détourner le but, mais j'ai le sentiment d'avoir toujours cherché à imposer, envers et contre tout, le calme et le compromis.

Combien de fois, dans la difficulté, ai-je en moi-même, demandé aide à mon ami Jean-Claude Katz ou à René Goldschmidt, les deux de mémoire bénie : "Que ferais-tu, qu'aurais-tu fait" dans telle ou telle situation ? Et très rapidement alors, la plupart du temps, la solution venait.

J'ai aussi, pendant ces huit années, appris à connaître et apprécier des personnalités exceptionnelles : je songe, par exemple, à ces présidents de Communautés dans lesquelles seuls quelques coréligionnaires subsistent, ces présidents qui veillent sur la Synagogue ou le cimetière avec abnégation, comme s'ils leur appartenaient.
Je pense aux trois préfets que j'ai eu la chance de connaître, et avec lesquels pour deux d'entre eux, j'entretiens des relations amicales par-delà nos éloignements respectifs.
Je songe à ce rosh yeshiva, qui avec celles et ceux qui travaillent à ses cotés, font de son Etablissement non seulement un lieu où l'on apprend. mais un endroit où l'on vit, où on se sent bien.
J'ai en mémoire tous ces élus des grandes ou petites agglomérations, avec lesquels j'ai eu des contacts intéressants et enrichissants, qui veillent avec respect à la conservation du patrimoine juif.
Mes pensées vont également vers celles et ceux, journalistes ou bénévoles, qui m'ont aidé à l'organisation des "Grandes Conférences Juives du Haut-Rhin", qui ont toutes eu un prestigieux succès.

Alors, en conclusion, quelques idées, quelques regrets me viennent à l'esprit; au chapitre des regrets, je n'ai pas suffisamment développé les relations avec les Communautés juives voisines. de Suisse ou d'Allemagne.
Au chapitre des idées, je reste persuadé que, pour tenter de pallier la tragique érosion démographique de nos Communautés du Haut-Rhin, seule la CULTURE, au sens large, doit être développée : c'était d'ailleurs ce qui s'était dégagé des "Etats Généraux du Judaïsme haut-rhinois" qui s'étaient déroulés au début de l'été 2006 à Colmar. En particulier, l'idée de la création d'une école serait susceptible d'attirer des familles venant d'ailleurs ; c'est, certes, une idée un peu folle, mais pas forcément irréalisable. C'est, à mon sens, à ce seul prix, que les Communautés d'importance moyenne pourront subsister.

La Communauté de Colmar il y a 50 ans

Ce texte est dédié à la mémoire de Léon Gatterer, Eliezer ben Yaacov, qui nous a quittés quelques jours avant Roch Hachana 5773.

Ce récit repose exclusivement sur des éléments de mémoire personnelle, de sorte que, forcément, il est susceptible de contenir des erreurs, des inexactitudes, qui, je l`espère, me seront pardonnées.

En 1963, 5723/5724 du calendrier juif, ce qui caractérise, me semble-t-il, la Communauté de Colmar, c`est une belle diversité de mentalités, mais aussi un réel esprit d`appartenance juive.

Cela va de l`observance personnelle intransigeante des mitzvoth au libéralisme agissant, en passant par le "Milschig Treife", avec en plus une augmentation bienfaisante du nombre de Juifs due à l`arrivée de familles venues d`Algérie.

Il y a toujours eu à Colmar un noyau de familles observantes, mais ce qui les a caractérisées et les caractérise encore en 1963, c`est, en règle générale, leur largesse de vues : On est très strict pour soi-même, mais on laisse les autres maîtres de leur destinée, sans porter de jugements de valeur. Il en va de même, en sens inverse, pour ce qui est des "libéraux". C`est du moins ce que l`on ressent de part et d`autre.

On a toujours eu à Colmar le sens du devoir religieux. C`est ainsi qu`en 1963, et après encore, des jeunes et des moins jeunes de Colmar allaient assurer les offices de Shabath à Horbourg. D`autres renforcaient le myniane des grandes fêtes à Wintzenheim ; dans ce dernier endroit, c`est d`ailleurs devenu une tradition qui perdure encore de nos jours.

Sur le plan socio-professionnel, en 1963, on trouve, dans la Communauté de Colmar, presque toutes les professions, à l`exclusion, peut-être, des agriculteurs; il y a peu ou pas d`ouvriers, mais l`éventail est très large, puisqu`on trouve, à cette époque, des marchands de bestiaux, profession essentiellement juive, qui a disparu depuis lors, des négociants, des commercants, des fonctionnaires, des représentants de commerce, des médecins, des avocats, des professeurs d`Université, des professeurs de Lycée, et j`en oublie...

On aimerait parler de toutes ces femmes et de tous ces hommes, tant cette Communauté était vivante et tant il existait de personnalités marquantes. On ne peut cependant pas manquer d`en évoquer quelques unes, de manière non exhaustive:

On aimerait les nommer et les décrire toutes et tous, les Raymonde Fuks, les Lily Lévy, les Louison Bernheim, les René Schwab, les Armand Picard, les Danielle et David Amsellem, mais déjà comme cela, et involontairement, j`aurai peut-être fait des mécontents, raison pour laquelle je ne poursuivrai pas dans l`énumération.

Je me souviens avec un peu de nostalgie de cette Communauté de Colmar de 1963, mais il faut toujours regarder vers l`avenir et imaginer ce qu`elle sera en 2063 (5823/5824)...

Personnalités juives colmariennes (suite)

 Sous ce titre, je m'étais promis de décrire des femmes et des hommes de cette Communauté de Colmar, à laquelle je suis resté très sentimentalement attaché, tels qu'ils m'étaient apparus quand j'étais enfant, puis adolescent, puis adulte. C'est dire que c'est une description qui ne correspond pas forcément à la réalité, raison pour laquelle je demande  l'indulgence de celles et ceux qui liront ces lignes. A ce jour, je n'ai évoqué qu'une personnalité, que j'ai forcément bien connue, puisqu'il s'agit de mon père. A présent, j'ai envie de parler d'une dame, petite par la taille, grande par l'esprit: j'ai nommé Lily Lévy. Elle dégageait immédiatement de l'intérêt, elle vous scrutait d'emblée en vous regardant droit dans les yeux, battant des cils, elle comprenait tout de suite à qui elle avait affaire, et lorsqu'elle vous donnait sa confiance, c'était indéfectible.
Lily Lévy avait un sens social très aiguisé, faisait partie de nombreuses associations, des EI à la WIZO en passant par la Société de Bienfaisance, sans qu'il s'agisse d'une énumération exhaustive: elle était toujours présente là où il y avait de la détresse. Elle faisait honneur au Judaïsme quand elle le représentait en-dehors de la Communauté.
C'était une femme de grande culture, qui s'intéressait à tout ce qui se déroulait dans le monde, qu'il s'agisse de politique, de science, d'art.
Ses enfants étaient sa fierté: Simone, Ginette de mémoire bénie, Georges de mémoire bénie - Jojo comme tout le monde l'appelait -, lui qui était la "prunelle de ses yeux".
Elle était certes l'épouse de Me Robert Lévy et la soeur du Grand Rabbin Deutsch, mais, en fait, elle était - et le revendiquait - Lily Lévy.
Tel est, pour moi, le souvenir de cette grande dame, qui a marqué de son emprunte cette Communauté de Colmar pendant des décennies.


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