Hanouka
Dans les communautés juives d'Alsace
Extrait de l'ouvrage Juifs en Alsace, Freddy RAPHAEL et Robert WEYL
Privat Editeur, 1977


Hanouka (fête des lumières) évoque pour le Juif la chaude intimité familiale, l'allégresse et la sérénité de toutes les générations réunies autour de la menora (le chandelier). Hanouka c'est aussi, en Alsace, le combat de la lumière vacillante, qui s'affermit de plus en plus, contre les ténèbres et le froid, contre la neige aussi, qu'évoque selon l'humour un peu lourd du Juif campagnard, la consonance du poème liturgique Shene zetim qui est lu à Shabbat-Hanouka. Les plus pauvres avaient une hanoukiya, lampe à neuf lumières, en fer blanc, ou une hançukiya en terre cuite, modelée avec plus ou moins d'adresse par un potier de Soufilenheim, ornée du chandelier et des deux oliviers de la vision du prophète Zacharie.

Claude Vigée a admirablement dépeint l'éclosion de la lumière intime de Hanouka, au milieu des longues pluies, du brouillard et des premières neiges :

"Dans le soir humide et glacé mille cierges luttent et meurent sous le vent dans les cimetières chrétiens où pourrissent de lourds bouquets de chrysanthèmes. C'est le temps de la Toussaint, mais ce sont aussi les préparations pour Noël, les sapins que l'on vend sur la place publique et que les mères de famille décorent en secret de bougies, de fruits, d'étoiles d'or ou d'argent. Vers huit ou neuf ans j'associais Hanouka, la fête des lumières, aux cierges de la Toussaint. Rite de souvenir, évocation de l'en-deçà glorieux de l'histoire d'Israël, au milieu des brumes, des millénaires d'exil, du gel du présent ; mais aussi, aux yeux des chrétiens comme des petits Juifs de ma bourgade natale, Hanouka c'était une sorte d'Avent d'Israël, l'annonce encore très humble d'une bonne nouvelle dans l'exil. Hanouka était devenu pour nous tous la Noël des Juifs. Ce n'était pas la veillée funèbre des cimetières de la Toussaint, avec leurs milliers de lumignons isolés dans la nuit, qui achevaient de se consumer dans la pluie et le vent, sur les tombes. Ce n'était pas non plus l'embrasement magique, et presque païen, des grands arbres de Noël odorants, bariolés, surchargés d'ornements, de la chrétienté alsacienne. Hanouka c'était, en plein hiver, la résurrection précoce de la lumière printanière dans le cadre étroit mais chaleureux du foyer ; une étincelle dont la clarté allait s'accroissant de jour en jour dans le cocon de la maison juive assiégée de bise et de nuit, où déjà la neige tourbillonnait. Parmi ces murailles obscures et les toits sinueux des vieilles bâtisses, au milieu de cet univers étranger et froid on voyait de loin en loin, au rez-de-chaussée d'une demeure, luire dans l'entrebâillement hésitant d'un volet les petites langues de feu qui se reflétaient sur les branches cuivrées des chandeliers de Hanouka" (1).

Le grand-père, de sa voix de basse un peu fêlée par l'âge et les petits verres de mirabelle, entonnait le Maoz zur ; puis "dans l'obscurité qu'envahissait la lueur rousse des chandelles", il racontait en judéo-alsacien aux enfants, à qui venaient se joindre quelques petits chrétiens du voisinage, comment les Juifs d'alors "avaient rossé les païens de Syrie déguisés en Grecs". C. Vigée évoque le crépitement des petites mèches neuves mordues par la flamme, la fumée âcre se mêlant au parfum des pelures de pommes, "qui se tordaient en brûlant sur la bordure de fonte du grand poêle de faïence...".

... Les flammes du chandelier de Hanouka, posé sur la tablette de la fenêtre derrière les volets mi-clos, allaient se réfléchir sur le mur, de l'autre côté de l'étroite salle de séjour, dans le miroir concave en cuivre rouge d'une très vieille bassine à eau, surmontée de son tonnelet à bonde de laiton ciselé. Couchés sur le tapis près du poêle, nous restions ainsi sans un mot, dans la chaleur et le noir, à voir monter, vivre et s'étioler peu à peu les flammes du chandelier, croquant à belles dents des biscuits aux amandes et des gâteaux fourrés de fruits et de noix, préparés spécialement pour la circonstance. Le craquement de ces croustillantes délices se mêlait au grésillement des mèches, dont les lueurs vacillantes s'effaçaient peu à peu dans la nuit, absorbées par l'avidité de nos regards d'enfants qui s'ouvraient sur la magie discrète, mais pénétrante, de la fête (2).

Les familles se réunissent pour des veillées où l'on joue aux cartes (Klopfes), tandis que les enfants s'amusent avec une toupie (Hanike Trendel), et mangent un pain de fruits bruni par le four, le Houtselwécke. A minuit, le jeu cesse et les rafraîchissements arrivent : les maîtresses de maisons apportent elles-mêmes des corbeilles remplies de pommes, de poires, de noix et de raisins. Une immense miche de pain noir est placée au milieu de la table, et du vin blanc de la récolte dernière est servi dans des superbes cruches en terre cuite (3).

Ainsi, à Hanouka, la communauté retrouve sa dynamique et son effervescence, au coeur même de la grisaille hivernale (p. 310-312).

Hanouka est une fête qui a lieu vers le début de l'hiver. Dans chaque famille, on faisait tuer une oie. La graisse de cet animal est indispensable à la réussite de nombreux plats de la cuisine juive, en particulier les fameux Matseknepfle, ces boulettes de farine de pain azyme qui agrémentent le pot-au-feu tout au long de l'année. Dans l'oie, tout est utilisé. La graisse et la peau sont coupées en dés et jetées dans une cocotte avec un peu d'eau. L'ébullition leur fait rendre la graisse qui sera conservée dans des pots de grès. Les petits morceaux de graisse ou de peau grillés, les Grive, sont recueillis avec une écumoire. Mangés salés, chauds ou froids, avec du pain, ils constituent un mets très apprécié. Le foie, la poitrine et les cuisses de l'oie sont parfois conservés dans la graisse dans une terrine jusqu'à Pessah. On farcit le cou de l'animal (Gfeltes Gänsehälsel), tandis que les abats sont apprêtés (Gänse Voresse).

A Hanouka avaient lieu des veillées où se rassemblaient plusieurs familles, pour jouer à la toupie (Trendel) et aux cartes (Klopfes). On mangeait des noix, et la maîtresse de maison offrait du Hutzelwecke [appelé aussi Bireweke], délicieux pain de fruits (p. 340).

Notes :

  1. C. Vigée, Moisson de Canaan, Paris 1967, p. 110
  2. Ibid. p. 111
  3. D. Stauben, Scènes de la vie juive en Alsace, p. 220


Judaisme alsacien
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