Expositions

Galerie

Amjab

Musee

AMJABulletin n° 2/2023
Hommage à Gilbert WEIL
1929 - 2023
par Raymond LÉVY

L'AMJAB est en deuil
Gilbert WEIL, notre Président - Fondateur, nous a quittés ce Shabath 4 mars 2023.


Gilbert Weil nous fait découvrir son Musée Judéo-Alsacien de Bouxwiller
Réalisateur : Jean-Luc Nachbauer - Les Films de l'Europe
© Site internet du Judaïsme d'Alsace et de Lorraine
Né le 12 juillet 1929, Gilbert a grandi dans une famille unie et bien intégrée de Bouxwiller. Son père, négociant en grains, était président de la Communauté israélite de la ville, son grand-oncle, Moïse Weil, a été grand rabbin d'Alger. Colette, sa sœur aînée (1927-2008), agrégée de lettres classiques, devient professeure de littérature française à l'Université de Strasbourg. Passionnée de théâtre, elle y a fondé l'ARTUS (Association de Réalisation Théâtrale de l'Université de Strasbourg).

Le 15 juillet 1940, les nazis expulsent les Juifs d'une Alsace qu'ils veulent "Judenrein". Les Weil sont emportés avec de nombreuses autres familles juives dans le Jura, à la limite de la zone non-occupée. Ils s'installent dans un petit village des environs de Lons-le-Saunier (Jura), ville dont le jeune Gilbert fréquentera le lycée.

L'été de ses 14 ans, le proviseur l'installe pour la durée des vacances scolaires dans une soupente du lycée pour assurer sa sécurité, car son camarade de classe n'est autre que le fils du chef de la milice locale, et Gilbert est un excellent élève ...
C'est ainsi qu'il passe deux longs mois tout seul, sans voir âme qui vive, sans aucun contact avec sa famille, ses repas déposés chaque jour sur le palier par une personne qui ne devait surtout pas le voir, terrorisé par les bruits de bottes qui jalonnent ses journées, sans savoir si ses parents étaient encore en vie.
Deux mois d'une angoisse indicible qui lui ont laissé un profond traumatisme, au point de n'avoir pu en parler autrement qu'en termes purement factuels, 75 ans plus tard, et à trois personnes à peine. Les événements l'avaient rendu conscient de la nécessité de témoigner, mais c'était encore trop pénible.
Peut-être est-ce au cours de cette épreuve de solitude que le besoin de souvenirs de son jeune passé a fait germer dans son inconscient l'idée confuse de son musée qui se concrétisera quarante ans plus tard ...

Bon dessinateur, pour occuper son temps, il a représenté son exode depuis son Bouxwiller natal jusqu'à Lons-le-Saunier dans un cahier rempli de 14 dessins, sorte de bande dessinée. Cet important témoignage est visible aujourd'hui dans l'exposition virtuelle https://destineesjuives.expositionsvirtuelles.fr/fr/sections/strasbourg/ mais aussi dans le livre de Laurence Jost-Lienhard Kaddish pour un prof ; le collège de Bouxwiller dans la tourmente de la Shoah paru en 2022, que l'on peut se procurer à la boutique du Musée Judéo-Alsacien de Bouxwiller.


Bouxwiller [Buchsweiler] sur une carte postale ancienne
De retour au pays en 1944, la famille Weil retrouve sa maison vidée de tout meuble et contenu. Les débuts sont difficiles, accueillis par des "Ah ? On ne pensait pas que vous reviendriez", qui pousseront le jeune Gilbert, croit-il à l'époque, à détester un Bouxwiller qui a si mal reçu sa famille au retour de son exil.
Devenu enfin bar mitzva et ses études secondaires terminées, Gilbert part à Paris pour y étudier l'architecture vers 1947.

Son diplôme d'architecte en poche, il épouse Esther Veissid, d'origine gréco-turque et ancienne enfant réfugiée de l'OSE. Le couple part travailler en Algérie jusqu'en 1956. Il s'établit ensuite à Marseille où Gilbert Weil ouvre un cabinet d'architecture et d'urbanisme. Il devient pour plusieurs dizaines d'années l'urbaniste attitré de la Ville d'Aix-en-Provence et aussi professeur d'urbanisme à l'Université d'Aix-Marseille. En 1978, il fait bâtir au Brusc (Var) le foyer familial face à la mer, sur un ancien bunker allemand !

Le couple aura deux enfants. Daniel naît en 1953. Après deux doctorats, en astrophysique et en musicologie, obtenus aux USA, il est aujourd'hui rabbin à Jérusalem.
Evelyne Maslansky-Weil, née en 1957, est professeure de pharmacologie près de Tel Aviv.
Devenus pédagogues par la force des choses, grands voyageurs en caravane, les Weil ont emmené leurs enfants à travers une grande partie de l'Europe, à la découverte du monde.
La famille s'est évidemment agrandie, au point que, bien plus tard, Gilbert dira, avec un air faussement détaché : "Les arrière-petits-enfants, après 40, j'ai arrêté de les compter !"

Mais en 1983, il apprend que la synagogue de son enfance et de ses ancêtres est vendue à la superette voisine qui va la démolir pour créer un parking.
Son sang ne fait qu'un tour. Il arrive à Bouxwiller où, grâce à ses connaissances en urbanisme, il parvient à faire casser l'arrêté préfectoral de démolition, et ainsi à sauver sa synagogue. C'est le début d'une longue histoire.
La "noble bâtisse", disait-il, avait été transformée en cartonnerie par les nazis, de sorte que l'intérieur en était dévasté. Sommairement réaménagée après-guerre, l'on n'y célébrait plus d'office, depuis le départ à la ville des derniers Juifs de Bouxwiller.
Aussi y avait-il du travail, et pour commencer, décider ce qu'il fallait en faire !


Inauguration du Musée (28 juin 1998: au centre, de g. à dr. Gilbert Weil, le rabbin Claude Heymann,
Mme Buchi, maire de Bouxwiller, Freddy Raphaël - © M. Rothé
Précurseur comme toujours, il décide de créer un musée du judaïsme alsacien à la campagne, à l'instar du judaïsme rural traditionnel dans la région. L'idée est totalement novatrice à une époque -1983 - où presqu'aucun musée juif n'existe en Europe.
Il mettra quinze ans à imaginer - et financer - le musée que nous connaissons aujourd'hui à travers l'association AMJAB qu'il a rapidement fondée. Notons André et Rina Neher parmi ses soutiens et conseillers, mais aussi la Ville de Bouxwiller dont le maire de l'époque a pressenti le potentiel touristique.
Sa solitude d'enfant de 14 ans a accouché d'un projet de taille, quarante ans plus tard !

On ne peut imaginer le nombre d'heures passées à étudier - et documenter - l'histoire, la sociologie et les coutumes des juifs alsaciens, ainsi qu'à dénicher des artistes capables de créer des œuvres originales pour illustrer les coutumes et rituels religieux.
Enfin, le 1er juillet 1998, son œuvre, son bébé, ouvrira ses portes au public, son musée qu'il a voulu humble et pédagogique, accessible à tous mais scientifiquement rigoureux, avec un parti pris de présentation d'objets modestes et usagés, voire issus de familles pauvres, avec des technologies interactives novatrices pour l'époque, bref, une muséographie originale qui fait aujourd'hui encore l'admiration des visiteurs.
Il place son œuvre dès l'entrée sous l'égide de l'adage des Hanau-Lichtenberg "Lewe un lewe lonn" - "Vivre et laisser vivre" - qui lui correspond si étroitement.

Le musée connaît un engouement immédiat parmi les Juifs, mais aussi les non-juifs. Il attire des visiteurs proches et lointains. Le succès est là.
Gilbert Weil parviendra, quelques années plus tard, à faire obtenir le titre de Juste Parmi les Nations pour les parents décédés d'une personne venue s'ouvrir à lui au musée.

Mais une nouvelle aventure commence : il faut faire vivre le musée dans la durée.
Gilbert Weil le manuel, avec sa minutie coutumière, passera des heures à créer de nombreuses expositions, dont la dernière, en 2017, sur La carte postale juive en Alsace, mais aussi, de 2012 à 2015, la grande exposition en trois parties sur Les Juifs du soleil, présentation de l'histoire et des coutumes des Sépharades d'Afrique du Nord devenus Juifs alsaciens depuis 1962, en hommage muet à son épouse disparue en 2009.

Tous ceux qui l'ont approché sont tombés sous le charme de sa modestie empreinte d'un immense savoir, mais aussi d'une rigueur inflexible sur lui-même et son travail.
Parmi eux, plusieurs femmes ont veillé à son bien-être personnel de vieux monsieur détaché du monde. Il les nommait toujours avec un respect qui s'interdisait toute familiarité : Madame Sommer, Madame Katz, Madame Husselstein, Madame Dapp-Mahieu et surtout celle qui était devenue son bras droit et la gardienne de sa vie quotidienne, Madame Wehrung qu'il avait quand même fini par appeler Anny.
Il ira jusqu'à découvrir une artiste méconnue, Madeleine Wolf, chanteuse allemande a capella, à qui il a mis le pied à l'étrier pour lancer une carrière prometteuse.

L'AMJAB - et son Comité renouvelé - s'est donnée pour mission de poursuivre l'œuvre de son Président disparu en signe d'hommage respectueux et de fidélité.
Gilbert Weil était un homme doux et réfléchi, d'une piété rigoureuse et sans faille, mais assez discrète pour ne pas déranger qui que ce soit par respect de l'Autre, d'une tolérance absolument exemplaire, au point qu'il a inscrit son musée dans la laïcité républicaine, présentation d'un patrimoine religieux parmi d'autres, cette laïcité dont il était devenu un exemple vivant.
Longtemps, il s'est interdit toute émotion en public mais restait ouvert aux autres et toujours prêt à aider le faible et le pauvre.
Il s'est forgé un savoir encyclopédique, référence culturelle dans la région, modeste ascète estimé de tous.


Fête des vingt ans du musée

En 2018, l'AMJAB a célébré les vingt ans passés depuis l'ouverture du musée. Gilbert était heureux, il a monté une exposition rétrospective des œuvres et animations présentées. Il a aussi écouté et applaudi avec enthousiasme les musiciens qui ont égayé la fête.
Ses enfants et petits-enfants lui ont fait la surprise de venir assister à la fête.


remise du prix de la SHIAL
En 2019, Gilbert Weil s'est vu attribuer le prix décerné par la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine.
En novembre de la même année, comme d'habitude, Gilbert Weil est parti rejoindre ses enfants à Jérusalem pour se réchauffer et célébrer Hanouka. Quelques mois plus tard, la Covid a envahi le monde. Préservé de la pandémie, sa santé déjà fragile s'est pourtant lentement dégradée et il n'est pas revenu à Bouxwiller.

Gilbert Weil s'est éteint le 4 mars 2023. Il a été inhumé le soir même au Mont des Oliviers, près de son épouse. Il aurait eu 94 ans le 12 juillet prochain.

Que son exemple et sa clairvoyance guident notre avenir !
Avec son éternelle casquette de travers, vieux juif modeste et bienveillant, il était devenu une figure respectée de ce Bouxwiller qu'il avait voulu fuir 70 ans plus tôt.

A titre personnel, il était devenu mon Maître.
Et, selon la formule immémoriale figurant sur les stèles juives :
"que son âme soit liée au faisceau des vivants !".

Illustrations : © Raymond Lévy

Bulletin précédent

62a  Grand-rue, 67330 Bouxwiller      -      tel: 03 88 709 717      -      museejudeoalsacien@gmail.com      -      plan d'accès