Les Juifs de Soultz (Haut-Rhin) au XVIIe siècle
par Denis INGOLD
avec l'aimable autorisation de l'Auteur


La Synagogue désaffectée de Soultz - © M. Rothé

La ville de Soultz, en Haute-Alsace, faisait autrefois partie du Haut-Mundat de Rouffach, ensemble de seigneuries qui appartenaient au prince-évêque de Strasbourg. C'était une des rares villes alsaciennes où les Juifs avaient encore droit de cité à l'aube du 17 siècle. En 1612 un Juif du nom de GUMPEL (GUMPRECHT) y exerçait les fonctions de médecin et payait un droit de protection à l'évêque de Strasbourg : "Gumppel der Jud unnd Medicus zue Obern Sultz xviij L xvi s" (18 livres 16 schillings).

Quelques années plus tard un autre Juif, nommé DODORUS (THEODORUS), fit son apparition dans la petite ville épiscopale : il est cité dans les comptes de péage de Cernay et de Bergheim à partir de 1622. Lui aussi exerçait l'art de la médecine : en 1649 il actionna un bourgeois de Soultz qu'il avait soigné "pendant sa grave maladie" et qui lui devait encore 4 couronnes pour les médicaments fournis. Avant de s'établir à Soultz, DODORUS avait habité à Allschwil en Suisse (entre 1588 et 1610), chez son beau-père JOSEPH, médecin lui-aussi (d'après Félix Platter, JOSEPH d'Allschwil avait une nombreuse clientèle à Bâle dans la seconde moitié du 16ème s.). A la mort de son beau-père, il avait quitté la Suisse pour échapper aux créanciers du défunt et s'était établi à Soultzmatt (selon une source bâloise), puis à Soultz (1). En tant que médecin de la ville de Soultz, DODORUS était exempt d'impôts ("Jud zuo Sultz berUemt sich freiheit", compte seigneurial, 1620). En 1628 ce privilège lui fut retiré après que les autres Juifs de la seigneurie se furent plaints d'avoir payé 200 L de contributions pour lui et son fils en l'espace de dix ans.

DODORUS est cité pour la dernière fois en 1651 avec son fils HEIMELIN. Il mourut entre 1651 et 1653. Voici sa descendance, telle que nous avons pu la reconstituer :

     1- DODORUS, c. 1607-1651, médecin-apothicaire
   11- HEIM(LIN), c. 1621-1662, + avant 1670, marchand de chevaux
   12- (H)ISCHELIN, c. 1653-1671 (partageait une maison dans la "Stehelinsgasse" avec son frère HEIMLIN, 1662).
  111- JOSEPH, c. 1653-1684 (maison dans la "Stehelinsgasse", 1683).
  112- LIEBMAENNLIN, c. 1656-1683 (partageait la maison susdite avec JOSEPH).
  121- JOSEPH, c. 1661-1671, + 1671, marchand de chevaux
  122- LEW (LOEBELIN, LEIBLIN), c. 1662-1688
1111- DODORUS, c. 1683-1690, marchand de bestiaux
1112- KOPPEL, c. 1685, associé de son frère DODORUS

En 1698 et en 1700 un seul de ces noms individuels est encore attesté à Soultz : KOPPEL (= JACOB). Il est accompagné du patronyme KROMBACK dans le compte seigneurial de 1703. Les descendants du médecin DODORUS portaient donc le nom de GRUMBACH, patronyme qui se rapportait au Lieu d'origine de la famille (2). Le "prénom" DODORUS se transmit jusqu'à la fin du 18ème siècle dans la famille GRUMBACH de Soultz : Moïse GRUMBACH, qui habitait à Soultz en 1784, avait un fils prénommé "Dotter" ; lui-même était le petit-fils d'un "Toderos" GRUMBACH (lre n° 1111 de notre liste ?).

Alors qu'à Soultz même le patronyme GRUMBACH était peu répandu au 18ème siècle, il était porté par de nombreuses familles dans les villages avoisinants, où les descendants du médecin DODORUS s'étaient probablement établis : Uffholtz (Joseph Toderos GRUMBACH, 1705), Bollwiller (Alexander Doderlin GRUMBACH, 1707, etc.), Wittenheim (Loeble GRUMBACH, 1714), etc.

Le patronyme BLOCH, qui est le nom le plus répandu chez les Juifs de Soultz au 18ème siècle (dix chefs de famille sur vingt le portaient en 1784), est attesté dès Le 17ème siècle à Soultz et à Guebwiller.

Dès 1646 un "jeune Juif" du nom de GABRIEL habitait à Soultz (péage Thann). En 1651 lui et son beau-père, Koppel DREYFUSS, furent expulsés de la ville : ils s'établirent à Guebwiller, ville voisine et rivale de Soultz. D'après les protocoles de la chancellerie de Murbach à laquelle il adressa une pétition après la mort de son beau-père (1683), GABRIEL portait le nom de BLOCH (3). Il est cité à Guebwiller de 1654 à 1686, date probable de sa mort.

En 1687 deux autres BLOCH, prénommés Hitzig (Isaac) et Elias (Elie), firent leur apparition à Guebwiller – ses fils sans aucun doute. Elias BLOCH s'établit à Soultz par la suite. Il y est cité en 1697 avec son frère, Lehmann BLOCH (plainte des bouchers de la ville contre eux). Lehmann BLOCH est cité à Soultz dès 1685. C'est de lui que descendaient la plupart des BLOCH qui habitaient à Soultz et à Guebwiller au 18ème siècle. Sa stèle funéraire est encore visible au cimetière de Jungholtz où il fut inhumé en 1732 (4).

     1- Gabriel BLOCH, c. 1646-1651 à Soultz, 1654-1686 à Guebwiller, oo v. 1651 N. DREYFUSS, +  v. 1686, marchand de bestiaux et boucher.
   11- N. BLOCH oo av. 1670 Wolf WECHSLER de Wattwiller (voir ci-dessous !).
   12- Isaac (Hitzig) BLOCH, c. à Guebwiller à partir de 1687.
   13- Elie (Elias) BLOCH, c. 1685-1687 à Guebwiller, puis à Soultz à partir de 1693.
   14- Lehmann BLOCH, c. à Soultz dès 1685, + 11.2.1732.
   15- Emmanuel (Maennlé) BLOCH(?), oo N.N, à Soultz le 3.3.1681, domicilié à Soultz à côté de DODORUS en 1689 (5).
  121- Abraham BLOCH
  122- Koppel BLOCH
  141- Abraham (Fromelé) BLOCH
  142- Emmanuel (Mena'hem, Maennlé) BLOCH (maison dans la "Guldengasse", 1711)
  143- Gabriel BLOCH, préposé des Juifs de Soultz en 1734, c. à Guebwiller en 1711, à Soultz à partir de 1715 (6).

La Synagogue désaffectée de Soultz (1838) A droite la maison Caspar Jehlé, "die alte Judenschuel" (Synagogue du 17ème s.), qui sert de nouveau de lieu de culte aux Juifs de la ville (7 rue des Bouchers) : elle serait située sur l'emplacement d'une synagogue médiévale. (Dessin L. Wiederkehr, Soultz)


Parmi les autres Juifs dont la présence est attestée à Soultz après 1670 citons :

En 1698 et en 1700 les chefs de famille suivants payaient des impôts à la commune et à la seigneurie : Hirtz WEYLL, Meyer (lin) WEYLL, Lehmann RHEINAU, Marc BRUNSCHWIG, Elie BLOCH, Lehmann BLOCH, Emmanuel (Monele) et Abraham (Framele) BLOCH, et Koppel GRUMBACH.

Vers 1699 le Magistrat de la ville de Soultz se plaignit auprès du Conseil Souverain d'Alsace de ce que "depuis quelques temps plusieurs familles de Juifs se seroient introduit(es) par la permission de la Régence de Saverne dans la ville jusqu'au nombre de quatre-vingt personnes tant petits que grands, vieux et jeunes". Selon cette pétition, les Juifs de Soultz possédaient "huit maisons bourgeoises des meilleures et des plus belles de la ville" (10). Dans l'une d'elles ils avaient "établi une synagogue", qui attirait "La plupart des Juifs du voisinage aux jours de leurs cérémonies, en sorte que ladite ville seroit fort souvent pleine de cette race (sic !)". La synagogue en question avait sans doute été établie dans la maison de Caspar Jehlé, acquise en 1680 par Wolf WECHSLER. Selon la tradition, ce serait Lehmann RHEINAU, gendre de WECHSLER, qui aurait transformé la maison en synagogue. Depuis la fermeture de la synagogue du 19ème siècle, cette maison abrite de nouveau un petit oratoire israélite, après avoir servi longtemps d'école israélite.

Notes :

  1. D'après Ginsburger, DODORUS est cité dans un document soultzois dès 1607 : il payait alors 12 L. pour le droit d'habitation.
  2. Le 26.4.1626 GUMPERT, Juif d'Hésingue, obtint de la Régence de Murbach le droit d'habitation pour six semaines pour son gendre originaire de "Grumbach dans l'évêché de Spire". Ce GUMPERT ou GUMPRECHT, qui offrait ses services aux Bâlois comme vétérinaire, pourrait être identique à GUMPEL de Soultz.
  3. Le patronyme BLOCH est une adaptation polonaise du moyen--haut allemand WALCH, "Français", qui a donné les doublets WALLACH et WAHL. Dans une reconnaissance de dette polonaise de 1632 "Marcus WLOCH", Juif de Cracovie, signe "Meir WAL" en lettres hébraïques (Bull. du Cercle de généalogie juive, 1986/3, p. 205-207, Les patronymes "WAHL" et "BLOCH").
  4. Th. Walter, Alsatia superior sepulta, Guebwiller, 1904,
    5- En 1681 "Maenlé" de Soultz, commis de Wolf WECHSLER, fut condamné par défaut à 20 L. d' amende par la Régence de Murbach, parce qu'il avait provoqué une rixe lors d' un mariage à Wattwiller. Nous pensons qu'il faisait partie, lui aussi, de la famille BLOCH. Il  se marra le jour de son procès, d' où son absence.
  5. Pour le 18ème siècle, voir l'ouvrage inédit de M. Ginsburger sur les familles BLOCH de Soultz mentionné dans le Bull. du Cercle de généal. juive, 1086:3, p. 206, et les notices généalogiques du même auteur dans Souvenir et Science, 1932.
  6. En 1687 le rabbin de Soultz ("Ihr Rabi zue Zultz") arbitra un litige qui opposait Elie BLOCH et Wolf WECHSLER. Ce dernier n'était donc pas rabbin, mais préposé ou "parnass". La Régence de Murbach confondait sans doute les deux fonctions.
  7. Dès 1674 un Juif du nom de LEHMANN habitait à Soultz : il se plaignit auprès de la Régence de Saverne d'être surchargé d'impôts pour une maison qu'il avait achetée dans la ville (1BR, 1 G 129).
  8. Dans les comptes seigneuriaux de 1709 à 1714 Koppel GRUMBACH est appelé Koppel BRUNSCHWIG ! Les BRUNSCHWIG de Soultz descendaient-ils, eux aussi, de DODORUS ? En 1720 Isaac, Getschel et Jacob BRUNSCHWIG échangèrent leur maison sise dans la "Capelgasse" contre une maison sise dans la "Guldengasse".
  9. Au 17ème et au début du 18ème  siècle les Juifs de Soultz habitaient dans les rues suivantes : Stehelinsgasse (rue des Vignerons ?), Guldengasse (rue de l'Or et rue du Temple), Metzgergasse (rue des Bouchers).

Sources principales :


Synagogue
précédente
Synagogue
suivante
synagogues Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .