UFFHOLTZ

La communauté s'est créée après la guerre de Trente Ans et disposait déjà d'un rabbin au 18ème siècle. En 1732, le Bailli autorisa l'utilisation d'un local comme lieu de culte. Reconstruite en 1858-59, la synagogue fut vendue en 1900 et transformée en étable. Elle fut démolie au cours de la première guerre mondiale. Le rabbinat d'Uffholtz fut transféré à Cernay après 1870, et supprimé vers 1915.

Les Juifs à Uffholtz (1615-1915)
Naissance, vie et mort d'une communauté juive rurale
par Denis INGOLD
extrait du Bulletin historique de la Ville de Mulhouse - 2/1986



Blason d'Uffholtz, tel qu'il figure sur le Monument aux Morts de la commune.
Le village d'Uffholtz, qui était autrefois un gros bourg viticole dépendant de l'abbaye princière de Murbach, possédait une importante communauté juive au 18ème et au 19ème siècle. Dès le milieu du 17ème siècle, cette communauté disposait d'une synagogue, desservie par un rabbin communal. Un siècle plus tard le village était chef-lieu d'un important rabbinat dont la circonscription comprenait les cantons de Cernay, deThann et de St Amarin, avec une population israélite de près d'un millier d'âmes. L'histoire des Juifs d'Uffholtz n'a jamais été écrite. Elle ne semble pas avoir intéressé le rabbin Moïse Ginsburger, auteur de nombreuses monographies sur les communautés juives d'Alsace (il est vrai que lorsque cet érudit commença ses recherches, la communauté d'Uffholtz était déjà en voie d'extinction !). Soucieux de réparer cet oubli et de faire connaître une page originale de l'histoire du village, nous avons publié en janvier 1985 une Chronique des Juifs d'Uffholtz (1), que nous nous proposons à présent de compléter par un essai de synthèse qui tient compte de quelques éléments nouveaux, mis au jour depuis cette publication.

Les origines

Il ne semble pas qu'il y ait eu une communauté juive à Uffholtz même au Moyen-Age, la civilisation juive étant alors une civilisation essentiellement urbaine. En revanche Guebwiller, capitale de la Principauté de Murbach, Wattwiller, chef-lieu du bailliage de Wattwiller-Uffholtz, et Cernay, ville la plus proche d'Uffholtz, abritaient quelques familles juives dès le 14ème siècle au plus tard : les Juifs y furent en effet persécutés pendant la Peste Noire (1349). Après un siècle et demi de répit les Juifs de Guebwiller et de Wattwiller furent expulsés, au début du 16ème siècle, par le prince-abbé Georges de Masevaux ; une ordonnance de l'Empereur Charles-Quint en date du 16 février 1521 leur fit défense de revenir s'établir dans les terres de l'abbaye. La communauté de Cernay fut dissoute vers le milieu du 16ème siècle, conformément à une ordonnance en date du 28 mars 1547 qui limitait à "un ménage par localité" le nombre des Juifs autorisés à habiter dans les seigneuries dépendant de la Régence d'Ensisheim. Une supplique du préposé des Juifs de Basse-Alsace, rédigée en 1554, fait allusion à l'expulsion des Juifs de Cernay et au fait que les expulsés avaient pu conserver l'usage de leur cimetière après leur départ.

En 1574 la Régence d'Ensisheim rendit une ordonnance encore plus radicale, en exécution d'un mandement expédié dès l'année précédente par l'archiduc Ferdinand d'Autriche : il fut enjoint à tous les Juifs encore domiciliés dans les terres dépendant de l'Autriche de quitter l'Alsace. Cette mesure touchait la majeure partie des Juifs de la Haute-Alsace. D'après un Mémoire du 18ème siècle, elle fut suivie d'effet : "On assure que cet ordonnance fut exécutée, que du moins peu de Juifs furent exemptés et que ce n'est que dans le tems que commencèrent les guerres des Suédois que familles juives revinrent de nouveau en Alsace" (2).

La communauté juive d'Uffholtz, qui se forma au 17ème siècle, devait certainement son existence aux mesures d’exclusion prises contre les Juifs des villes environnantes au cours du 16ème siècle. Il est possible que les premiers Juifs qui se sont établis à Uffholtz aient été des Juifs de Cernay qui tenaient à ne pas trop s'éloigner de la ville où leurs familles avaient vécu depuis le Moyen-Age et où se trouvaient leur cimetière (qui ne fut désaffecté qu'après la guerre de Trente Ans, au profit de celui de Jungholtz) et leur synagogue (qui tomba en mine pendant la guerre de Suède).

La communauté d'Uffholtz à la veille de l'invasion suédoise

Dès 1615 on Juif du nom de Gumprecht est cité comme voisin d'un bourgeois d'Uffholtz dans un terrier du couvent de Schoenensteinbach (qui possèdait des biens et des rentes à Uffholtz). Deux ans plus tard, deux autres Juifs firent leur apparition à Uffholtz : Isaac, à qui un bourgeois de Wattwiller devait 15 livres bâloises "pour un cheval", et Abraham, que le maire de Morschwiller accusait d'avoir acheté des bijoux qu'on avait volés à sa fille à Thann deux ans auparavant. En 1625 les chefs de famille juifs d'Uffholtz étaient au nombre de quatre : Isaac, Abraham, Jacob et Hirtz. Ils souscrivirent une obligation de 1000 livres bâloises au profit de l'abbaye avec huit autres Juifs domiciliés dans la Principauté de Murbach, à Hésingue, Bergholtz et Wattwiller. On notera que Guebwiller, la seule véritable ville de la Principauté, ne possèdait toujours plus de communauté juive : les descendants des anciens Juifs de cette ville s'étaient sans doute établis à Bergholtz. D'urbaine, la civilisation juive était devenue rurale !

L'activité principale des Juifs d'Uffholtz pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648) semble avoir été le trafic des chevaux. En 1623 l'archiduc Léopold accorda à "Isaac, Juif d'Uffholtz" un sauf-conduit pour acheter et vendre des chevaux sur les terres d'Autriche en acquittant les droits de péage ordinaires et en payant 12 florins tous les trois ans pour lui, son fils et son valet. Ce sauf-conduit le mettait sur un pied d'égalité avec les marchands chrétiens puisqu'il l'exemptait du péage corporel, "Judengel", auquel étaient assujettis tous les Juifs de l'époque. Les Juifs payaient en effet des droits de péage non seulement pour les marchandises qu'ils transportaient, mais encore pour leur propre personne ! C'est ainsi que le 4 février 1621 Abraham Braunschweig d'Uffholtz paya au péager de Thann 30 kreutzer "pour sa personne seulement" ; Meyer, un juif pauvre d'Uffholtz, ne paya que 6 kreutzer en 1628 pour entrer dans la ville de Cernay (comptes des péages de Thann et de Cernay)...

Les maquignons juifs d'Uffholtz fréquentaient assidûment les marchés et les foires de la région, notamment ceux de Cernay (3). Isaac Schwab d'Uffholtz et ses deux fils, Isaac et Jäglé (Jacob), sont souvent cités dans le registre des audiences du Gastgericht de Cernay (audiences réservées au règlement d'affaires concernant des étrangers) entre 1622 et 1633 nombreux étaient les procès dans lesquels ils étaient engagés en raison de leurs activités. Parmi les clients des Juifs d'Uffholtz il y avait notamment des Mulhousiens, comme par exemple le conseiller Georges Schlumberger qui fit saisir en 1627 une créance que possèdait Hirtzlin, Juif d'Uffholtz, sur un autre bourgeois mulhousien : Hirtzlin lui avait acheté un cheval mais ne l'avait pas payé comme convenu ; le 12 novembre 1627 le sous-prévôt de Mulhouse invita le Juif Isaac d'Uffholtz, qui avait mis opposition à cette saisie, à comparaître par devant le tribunal ordinaire de la ville pour y justifier de ses droits (4). Isaac était lui-même un des fournisseurs privilégiés de la ville. Après la guerre de Trente Ans, le conseil de la ville de Mulhouse accorda à "Isaac Schwob et à ses fils" l'entrée libre à Mulhouse "afin qu'il pourvoie la ville de bons chevaux" comme par le passé "das er etwann gemeine Statt mit gutten Rossen in trewen versorgt", 1655 (5).

A côté des quatre privilégiés qui jouissaient de la protection (intéressée) du prince-abbé de Murbach, il y avait apparemment une foule de Juifs pauvres qui leur servaient de valets et de commissionnaires. Dans un article intitulé "Juifs errants au temps de la guerre de Trente Ans", le rabbin Ginsburger a relevé les noms d'une quinzaine de "Juifs mendiants d'Uffholtz" qui acquittèrent des droits de péage à Bergheim entre 1628 et 1632. Ces malheureux ne devaient trouver un domicile fixe qu'après le rattachement de l'Alsace à la France et l'annulation de l'Ordonnance de 1574.

Les Juifs d'Uffholtz au lendemain de la guerre de Suède

Pendant la guerre de Suède (1632-1648), une des périodes les plus sombres de l'histoire du pays, le village d'Uffholtz fut déserté par ses habitants durant plusieurs années. Les Juifs du village se réfugièrent dans les villes environnantes, puis à l'étranger. comme la plupart de leurs concitoyens chrétiens. En 1636 Isaac Schwab d'Uffholtz prêta serment de non-vengeance à Bâle après avoir été en procès avec un Bâlois. En 1639 il avait un procès avec un "Bourguignon" qui lui avait acheté trois chevaux au "marché aux chevaux" de Bâle. Il habitait alors dans les environs de Bâle ou à Rheinfelden car à Bâle même les Juifs étaient interdits de séjour depuis le Moyen-Age.

Après la guerre les anciens Juifs d'Uffholtz ne retournèrent pas tous dans le village en ruine. En 1658 Isaac Schwab le jeune vendit la maison qu'il avait reçue "en dot" de son père ; il quitta ensuite le village pour s'établir ailleurs (peut-être dans la région mulhousienne). Son frère Jäglé était resté en Suisse, à Dornachbrugg, près de Soleure. Parmi ceux qui retournèrent à Uffholtz, citons la famille Haas : Jacob, Salomon et Isaac furent autorisés à s'établir de nouveau à Uffholtz en 1658, 1659 et 1661 respectivement (deux d'entre eux étaient "natifs d'Uffholtz", d'après les protocoles de la chancellerie de Murbach). En 1667 Uffholtz comptait de nouveau "quatre familles juives qui étaient déjà tolérées avant la guerre" (procès verbal d'une visite pastorale). En 1669 cinq Juifs payèrent le "droit de protection des Juifs" (Judenschirmgeld) à Uffholtz : Aron, Isaac, Abraham, Salomon Haas et un autre Salomon qui ne paya que la moitié des 15 livres bâloises imposées aux autres, parce qu'il était "moins aisé que les autres" (comptes seigneuriaux). En 1680 ils n'étaient plus que trois à acquitter ces droits : Meyer, Simelin et Seelig ; outre les droits dus au seigneur du village, ils payaient alors 2 livres 10 sols à la commune. Ils étaient marchands de bestiaux apparemment, puisque la Régence de l'abbaye leur interdit cette année-là de mener paître sur le pâturage communal leurs "bovins ou boeufs", sans les avoir auparavant gardés à l'étable pendant deux semaines et sans avoir au préalable produit un certificat d'origine prouvant qu'ils ne venaient pas d'un endroit où sévissait une épizootie (ce règlement fut renouvelé en 1728). La même année un bourgeois d'Orschwihr actionna Simelin au sujet d'un âne qu'il lui avait cédé en échange d'une vache, âne qui avait crevé quelques jours après l'échange !

Une liberté de culte restreinte

En 1671 le "bruit courait" que les Juifs d'Uffholtz exerçaient publiquement leur culte dans le village, qu'ils y "tenaient une synagogue publique" depuis un certain temps déjà ("das die Juden zue Uffholtz nun ein geraume zeith hero offentliche Synagog halten sollen"). Une enquête fut ouverte par les autorités de l'abbaye. Quelques années auparavant un Juif de Guebwiller avait été condamné à une lourde amende pour avoir célébré un culte public dans sa grange en présence de Juifs étrangers, alors que seul l'exercice privé du culte israélite ("privata exercitia") était toléré dans la Principauté. Pour sa défense il soutint qu’avant la guerre les Juifs auraient exercé publiquement leur culte aussi bien à Bergholtz (dans le bailliage de Guebwiller) qu'à Uffholtz et à Hésingue (procès de Koppel Dreyfus, 1664).

Il paraît cependant douteux que les Juifs d'Uffholtz ait eu une véritable synagogue dans leur village au 17ème siècle. Sans doute se réunissaient-ils chez l'un des leurs pour prier ensemble. Il n'est pas impossible que la synagogue de Cernay (qui devait dater du Moyen-Age puisqu'elle était située dans la "rue des Juifs", dont le nom est attesté dès 1404) ait servi de lieu de culte aux Juifs d'Uffholtz et des environs jusqu'à la guerre de Suède. Comme elle faisait partie de la cour franche que l'abbaye d'Oelenberg possédait dans la ville, elle bénéficiait d'un statut d'extraterritorialité dont les Juifs avaient peut-être profité. Après la guerre les Juifs demandèrent au couvent la permission de reconstruire la synagogue à leurs frais, ce qu'ils n'auraient pas fait si celle-ci avait été désaffectée depuis longtemps (6).
Quoiqu'il en soit, il n'est question d'une synagogue proprement dite à Uffholtz qu'à partir de la première moitié du 18ème siècle. Notons cependant que cette synagogue se trouvait dans la rue dite Kreutzgasse, probablement à l'endroit même où Isaac Schwab avait eu sa maison avant la guerre de Suède...

Après le rattachement de la principauté de Murbach à la France (1680), il est question pour la première fois d'un rabbin qui desservait les communautés juives dépendant de Murbach, un certain Wolf Wechsler, fils d'un Juif qui s'était établi à Wattwiller vers 1657. Ce rabbin était habilité à juger du contentieux entre Juifs. L'abbé de Murbach avait droit à la moitié du montant des amendes qu'il infligeait à ses coreligionnaires, comme il l'apprit lui-même aux autorités de l'abbaye après une querelle qui avait éclaté lors d'un mariage juif célébré à Wattwiller (1681). Il lui fut enjoint de fournir une liste détaillée des amendes qu'il avait encaissées "depuis qu'il était rabbin dans la principauté" ("zeith er Rabbi in der fürst Stifft"). Il était vraisemblablement subordonné au rabbin que le roi de France nomma à la tête de la communauté juive d'Alsace, précisément en 1681 .

Parmi les Juifs d'Uffholtz qui payaient des droits de protection à l'abbaye de Murbach vers la fin du 17ème siècle, il y avait un "maître d'école" du nom de Caïm Falck, alias Haiman Eberbach. En 1705 celui-ci expliqua aux autorités de l'abbaye qu'il était "maître d'école dans tout le pays" ("seye in dem gantzen landt schuelmeister"), ce qui semble vouloir dire qu'il exerçait en fait les fonctions de rabbin ambulant. Il résidait alors à Uffholtz depuis près de 19 ans (donc depuis 1687 environ). Signalons qu'un "maître d'école juif" est cité à Cernay dès 1666 parmi les premiers Juifs qui s'établirent dans cette ville au 17ème siècle : il possédait sans doute lui aussi le titre rabbinique.

On constate que le rattachement de la principauté de Murbach à la France se traduisit par une amélioration du sort des Juifs murbachois, moins soumis qu'auparavant à l'arbitraire des autorités seigneuriales, notamment dans le domaine religieux.

Renouvellement de la communauté au XVIIIème siècle

En 1700 trois Juifs seulement acquittèrent les droits de protection accoutumés à Uffholtz. En 1707 ils étaient sept. Entretemps la Chancellerie de l'abbaye avait convoqué les sept chefs de famille juifs domiciliés à Uffholtz : on leur reprochait de s'être établis illégalement dans le village, sans la permission expresse du seigneur (1705). Ils furent tous obligés de solliciter un "décret" d'admission en bonne et due forme pour ne pas être expulsés, décret qui leur fut accordé moyennant une dizaine de livres. L'année suivante on recensa les Juifs de la principauté. Uffholtz comptait alors sept chefs de famille, savoir : Meyerlen (Lévy), David Brunschwig, Aron Brunschwig, Haiman Eberspach, Salomon Dreyfuess, Moischi Polackh et David Bloch (1706) (7). La plupart d'entre eux habitaient le village depuis peu. Parmi les trois qui habitaient à Uffholtz dès la fin du 17ème siècle, l'un était natif de Stotzheim dans le Bas-Rhin et avait épousé la fille d'un Juif d'Uffholtz (Dreyfues), un autre venait de Soultz (le maître d'école) ; seul le troisième était peut-être né à Uffholtz (Meyer Haas dit Meyerlen ou Meyer Lévy) (8). Quant aux autres, ils venaient sans doute des environs d'Uffholtz comme par exemple David Brunschwig, fils de Götschel Brunschwig de Soultz, qui avait travaillé pour le compte du Juif Meyer d'Uffholtz avant de fonder un foyer dans le village (ses frères Aron et Koppel et sa mère l'avaient suivi à Uffholtz).

 Entre 1706 et 1716 d'autres Juifs s'établirent à Uffholtz comme par exemple Isaac Meyer le boucher (d'abord domicilié à Wattwiller), Marx Wurmser, Joseph Grumbach, Moïse Schwab (dit "Schlabhuet", chapeau mou !) et Hirtz Blum, qui y firent tous souche ; puis 1"immigration" cessa presque complètement, si bien que les chefs de famille juifs qui habitaient à Uffholtz en 1784 portaient à peu d'exceptions près les mêmes noms que ceux qui y habitaient soixante ans plus tôt. L'augmentation de la population juive du village, dont nous allons parler à présent, était donc due essentiellement à un taux de natalité élevé.

Développement de la communauté au XVIIIème siècle

Alors qu'au 17ème siècle la communauté juive d'Uffholtz restait toujours limitée à quatre ou cinq familles, la nouvelle communauté qui se forma au début du 18ème siècle se développa rapidement, comme le prouvent les chiffres suivants : 1706 - 7 familles
1725 - 16 familles
1742 - 21 familles
1784 - 44 familles
Les autorités de l'abbaye avaient tenté en vain de freiner cette évolution démographique en ne permettant qu'aux "fils aînés des anciens Juifs habitants à Uffholtz et à Wattwiller" de fonder un foyer dans le bailliage, défense étant faite aux "fils puînés" "de sy marier et de s'y establir". En 1752 la commune d'Uffholtz se plaignit de ce que cette ordonnance de "Son Altesse Eminentissime" (le prince-abbé de Murbach) n'était pas respectée par les Juifs du village, qui se multipliaient "de jour en jour", "(ce) qui est la ruine entière des bourgeois et habitants dudit Uffholtz" (sic) ! Pour lui donner satisfaction, on expulsa cette année-là six "fils puînés" qui avaient fondé un foyer dans leur village natal. Quatre d'entre eux purent néanmoins retourner à Uffholtz quelques années plus tard, après avoir obtenu des "décrets" d'admission moyennant finances (150 livres chacun). D'autres "fils puînés" bénéficièrent de cette faveur comme par exemple Samuel Wurmser qui, pour rester dans son village natal, fut obligé de payer 300 livres au prince-abbé et 100 livres au curé d'Uffholtz "pour les pauvres du village" (1761).

La synagogue et son premier desservant

En 1750 Salomon et Götschel Brunschwig cédèrent à la communauté juive d'Uffholtz leurs droits sur la "Judenschuell" (litt. "école des Juifs", synagogue) du village. La communauté acquit le bâtiment principal et l'écurie attenante pour la somme de 425 livres. La synagogue était située dans la rue "traversière" ("in der hindem Creützgassen") au centre du village (alors que l'église se trouvait, elle, au bas du village). Elle servait apparemment de lieu de culte depuis 1731 puisque l'acte de vente de 1750 fait référence à un "décret de feu Monsieur le Bailli Munck en date du 22 Mai 1731", qui autorisait sans doute les Juifs du village à s'en servir comme tel.

La synagogue est mentionnée dès 1738 dans un registre de police : cette année-là Götschel Brunschwig porta plainte contre un jeune du village qui avait lancé des pierres contre son habitation "sous la synagogue" ("under der Juden Schuell"). La salle qui servait de synagogue proprement dite se trouvait donc au premier étage de la maison de Götschel Brunschwig à cette époque-là.

Le premier rabbin qui officia dans cette synagogue fut sans doute Hirtz Blum, qualifié de rabbin ("Hirtz Bluem der Rabiner") dans un rôle fiscal de 1742. Il s'était établi à Uffholtz dès 1716 et exerçait encore ses fonctions en 1753. N'étant que "commis rabbin", il était subordonné au rabbin provincial Samuel Weyl de Ribeauvillé (celui-ci avait été nommé rabbin des Juifs de la principauté de Murbach en 1714). En 1739 le "Rabbin d'Uffholtz" fut commis pour recevoir le serment d'un Juif thannois dans un procès, mais la partie adverse s'opposa "à ce que l'affirmation du Suppléant fût reçue par un Rabbin qui n'avait pas de Lettres Patentes du Roi". Le Juif de Thann offrit alors de "faire son affirmation entre les mains du Rabbin de Ribeauvillé" (Ordonnances d'Alsace).

La communauté d’Uffholtz à la veille de la Révolution

En 1781 Uffholtz comptait 187 Juifs et 827 Chrétiens : les Juifs formaient donc plus de 18 % de la population totale du bourg. D'après un rapport de la Municipalité, il y avait 225 "feux" (foyers) à Uffholtz en 1787, "y compris 37 feux des Juifs" (sic) : environ 16% des foyers du bourg étaient donc de religion juive à la veille de la Révolution. En 1788 le village comptait 40 familles juives composées de 190 individus ; les Juifs possèdaient 30 maisons dans le village et leurs "facultés" étaient estimées à 377.200 livres.

Le "Dénombrement général des Juifs qui sont tolérés en la Province d'Alsace" (1784) nous fournit les chiffres suivants pour Uffholtz : 44 familles et 206 individus. Uffholtz occupait la vingtième place en Alsace pour l'importance de sa communauté juive. A titre de comparaison, la communauté de Cernay ne comptait alors que 138 membres, celle de Soultz, 102 membres, celle de Thann,35, celle de Guebwiller, 38, et celle de Wattwiller, 31.

La communauté d'Uffholtz avait à sa tête un "préposé des Juifs" (appelé "Judenschultz" en allemand, "parness" en judéo-alsacien). Il s'appelait Léopold Lévy et dirigeait la communauté depuis plus de vingt ans. Le "Commis Rabin" du bourg s'appelait Moïse Wurmser (vers 1745-1821). C'était un enfant du village. Outre Uffholtz, il desservait sans doute Cernay, Wattwiller, Thann et Wittelsheim, à la veille de la Révolution. A Uffholtz même il était assisté par un chantre (appelé ,"Vorsinger" en allemand), Jacob Bollach. Quatre "maîtres d'école" enseignaient l'hébreu à la jeunesse israélite du village.   

En 1780 les Juifs d'Uffholtz payaient 77 livres 16 sols à la commune comme "part contributive aux charges de la communauté", plus 50 livres "pour un canton de pâturage exclusif" (au lieu-dit Pflänzer). Ils avaient le droit de "chasser" le même nombre de bêtes "au troupeau communal" que les chrétiens, mais ils n'avaient pas d’ "affouage", autrement dit ils ne recevaient pas de bois de chauffage de la commune comme les autres habitants. Ils payaient au chapitre de Murbach 13L.6s.8d. par ménage pour le "droit de protection", plus 155 livres pour le droit de boucherie et 54 livres à titre de "droit de selle" ("Sattelgeld", impôt qui s'était substitué dès le 18ème siècle à l'obligation de fournir des chevaux au seigneur du village).

En 1789 deux délégués de la communauté juive d'Uffholtz participèrent à la rédaction du cahier de Doléances des Juifs d'Alsace : Aaron Lévy et Joseph Brunschwig. Ce dernier fut élu "député de la Nation juive établie en Alsace" et envoyé à Paris avec un député bas-rhinois pour y participer à la rédaction d'un cahier de Doléances commun à tous les Juifs de l'Est. Il représentait la Haute-Alsace.

Le progrom de juillet 1789

La Révolution commença fort mal pour les Juifs d'Uffholtz puisqu'ils furent parmi les premiers à faire les frais des troubles qui éclatèrent en Alsace en juillet 1789.

Dès que leur parvint la nouvelle de la prise de la Bastille par les Parisiens, les habitants de la vallée de St-Amarin, qui étaient sujets du prince-abbé de Murbach comme ceux d'Uffholtz, se soulevèrent à leur tour et marchèrent sur Guebwiller, capitale de la principauté, où résidaient le prince-abbé et le chapitre honnis. Comme Uffholtz se trouvait sur leur chemin, ils s'y arrêtèrent et pillèrent la cave seigneuriale de la cour dîmière appelée "die Burg" (27 juillet 1789). Après de copieuses libations aux dépens du prince-abbé (110 mesures de vin blanc et 13 mesures de vin rouge furent ainsi "perdues dans la cave à Uffholtz", d'après un "état estimatif" daté de septembre 1789 !), les émeutiers s'en prirent apparemment dès ce jour-là aux Juifs du village, ses "protégés", et à leurs maisons. Puis, après avoir forcé les habitants d'Uffholtz à se joindre à eux, ils poursuivirent leur chemin et commirent d'autres excès à Guebwiller et dans les environs.

Le 29 juillet ils repassèrent par Uffholtz où "ils pillèrent encore la maison du Juif Manheimer" (chronique de Josué Hofer, greffier-syndic de Mulhouse), avant d'être dispersés par les troupes du Général-baron de Vietinghoff, Maréchal de camp à Sélestat.
Le 30 juillet le chevalier de Stentz, officier au Régiment Royal Deux-Ponts, vint constater sur place les dégâts commis par les émeutiers. Voici le procès-verbal qu'il fit dresser par le greffier de Wattwiller : "Ce jourd'hui, 30 juillet 1789, à 7 heures du matin, nous, officier du régiment royal Deux-Ponts, accompagné d'un détachement de ce régiment, nous nous sommes transportés à la réquisition de Samuel Hirsch Manheimer, juif marchand et négociant à Uffholtz, dans sa maison sise en ce lieu, laquelle nous avons trouvé dans le plus pitoyable état, la toiture découverte, les vitres et les volets brisés, l'intérieur dévasté, les meubles et effets enlevés. Le sieur Manheimer nous a déclaré que ces dégats avaient été commis par des particuliers d'Uffholtz et par des habitants de la Vallée de Saint-Amarin ; qu'il lui a été impossible de sauver le moindre meuble, ni son argent comptant, consistant en 165 Louis d'or, son argenterie, ses montres d'or et d'argent, ses bijoux, le tout d'une valeur de 8 à 9000 livres, ni ses titres obligatoires, billets à ordre, promesses et autres titres (...). Et sans désemparer, nous nous sommes transportés à la même requête que dessus, dans la synagogue de ce lieu, que nous avons trouvée abimée et dévastée, tant intérieurement qu'extérieurement, la plus grande partie de ses fenêtres, volets et tuiles cassés et emportés, comme du reste, toutes les maisons juives du village. Et nous avons signé audit Uffholtz, les jour, mois et an que dessus.
Signé : Le Chevalier de Stentz, officier au Régiment Royal Deux-Ponts, Ingold, greffier".

Le même jour ou le jour suivant, le chevalier envoya le tambour de son détachement parcourir les rues du village pour sommer les habitants qui avaient pris part au pillage "de rapporter les effets enlevés aux Juifs" ("Item dem tambour des detachement in dem orth auszutrumeln die denen Juden entwendeten effecten zuruckzubringen...", comptes communaux). Le 31 juillet le général de Vietinghoff traduisit devant un Conseil de guerre et fit pendre à Cernay deux des émeutiers les plus gravement compromis dans les pillages. D'après le chroniqueur mulhousien Josué Hofer, un troisième émeutier échappa de justesse au même sort à Uffholtz ("Zu Uffholtz wurde einer nur auf grosse Fiirbitt und grosse Geldbuss begnadigt"). L'année suivante le général, à qui certains reprochaient ces exécutions sommaires, éprouva le besoin de se justifier en faisant publier par son aide de camp une lettre faisant l'apologie de son action pendant les événements de juillet 1789 : entre autres mérites, il s'attribuait celui d'avoir "sauvé le château et le village de Wattwil (Wattwiller), et celui d'Uffholtz, presqu'entièrement habité par les juifs (sic)" (9).

Climat tendu après le "passage des brigands"

Traumatisés par les évènements qu'ils venaient de subir et craignant une nouvelle explosion d'antisémitisme, les juifs d'Uffholtz "sollicitèrent par requête de la troupe pour l'observation du bon ordre et de la sûreté de tous les habitants de ce lieu". Un premier détachement arriva à Uffholtz le 8 octobre 1789. Il fut renforcé par la suite et placé sous le commandement d'un lieutenant. Fin décembre 1789 la Municipalité d'Uffholtz protesta contre les frais occasionnés à la commune par le séjour de cette "troupe" dans le village, soulignant "que depuis le passage du mois de juillet dernier des brigands de la vallée de St-Amarin, il régnait une tranquillité parfaite en ce lieu, par conséquent la communauté n'avait besoin du secours d'aucune troupe". Les préposés de la communauté juive regrettèrent que l'administration provinciale eût mis "les fournitures (de la troupe) à la charge des chrétiens", alors qu'ils avaient promis de les "supporter autant que leurs facultés (le) leur permettent, tant pour se conserver dans la bonne union avec la Municipalité que pour empêcher qu'elle ne fasse rappeler ladite troupe". Ils supplièrent l'Administration de ne pas mettre à la charge de leur communauté le "supplément de paie" du détachement chargé de les protéger, "d'autant plus qu'il est notoire que passés les deux tiers des Juifs du lieu sont pauvres à ne pouvoir y contribuer". Ils offrirent en revanche de continuer à verser une "gratification" aux soldats, comme ils l'avaient fait jusque-là.

D'après les comptes communaux les Juifs d'Uffholtz contribuèrent finalement pour 100 livres à la "haute paye" de leurs protecteurs, qui restèrent dans la commune jusqu'en mai 1790. En janvier 1790 les esprits étaient toujours surchauffés de part et d'autre, comme le prouve l'incident suivant : un samedi soir Samuel-Hirsch Manheimer, la principale victime des événements de 1789, fit irruption dans la cour du presbytère en s'écriant qu'il avait appris d'une vieille femme que "cette nuit même on ferait sonner le tocsin et on ameuterait les habitants de la commune pour ruiner une nouvelle fois les Juifs et se révolter contre eux." Manheimer fut mis aux arrêts pour avoir troublé l'ordre public en ajoutant foi à des propos en l'air ("leichtsinnige Reden") tenus par quelques habitants du village. Pour éviter tout nouvel incident, la Municipalité instaura le couvre-feu dans le village à partir de 10 h du soir et chargea le lieutenant et ses hommes de le faire respecter (délibération du 18 janvier 1790).

L'expression "se révolter contres les Juifs" ("wider die Judenschafft revoltieren") montre clairement que les Juifs étaient considérés comme des oppresseurs, au même titre que le seigneur et ses agents, par ceux que "les mauvaises années successives provenant des grêles et des gelées" et "le fardeau des impositions" avaient forcés à s'endetter auprès d'eux. Dans un rapport envoyé en 1788 à la nouvelle administration provinciale d'Alsace, la Municipalité d'Uffholtz cite parmi les causes de la pauvreté du "huitième environ des habitants" du village, outre les causes mentionnées entre guillemets ci-dessus, "les usures exercées par les Juifs contre eux". En réalité seule une minorité de Juifs pratiquaient l'usure: un rapport de 1823 sur 1’ "usure juive" ne dénombre que cinq usuriers juifs notoires dans tout l'arrondissement de Belfort, dont deux habitaient à Uffholtz (10). "Il est des catholiques et des chrétiens aussi juifs que les Juifs", remarquait le receveur de l'enregistrement de Cernay dans son rapport sur l'usure dans le canton !

Deux ans après les évènements de juillet 1789 la Révolution mit fin au régime discriminatoire envers les Juifs en leur conférant la citoyenneté française (13 novembre 1791).

Chef-lieu du rabbinat du Haut-Rhin sous la Révolution

En 1791 Isaac Aron Phalsbourg, domicilié à Mutzig, "rabbin en chef de la Nation juive de la Haute-Alsace", annonça au Directoire du département du Haut-Rhin qu'il était "prêt à transporter son domicile dans le Haut-Rhin" et à y prendre ses fonctions de "rabbin du Département du Haut-Rhin". Il fut chargé de "prêter le serment requis en sa qualité de fonctionnaire public par devant la Municipalité du lieu où il fixera son domicile". Il s'établit à Uffholtz où demeurait déjà Joseph Brunschwig, un des deux "préposés de la Nation juive dans le département du Haut-Rhin" (comme ils s'intitulaient pompeusement en 1790). Son nom figure dans un "état des citoyens d'Uffholtz" dressé en 1798 : "Isaac Aron", 70 ans, domicilié dans la commune depuis six ans.

Le 3 Octobre 1797 Isaac Aron, Moïse Wurmser et Jacob Bollaque (sic) prêtèrent serment à la Constitution de l'an III devant l'administration municipale du canton de Cernay (leurs noms figurent sur un "état des rabins qui ont prêté le serment de haine à la royauté", daté de la même année). Il n'y eut donc pas de "rabbins réfractaires" comme il y eut des prêtres réfractaires. Cela n'empêcha point que les Juifs fussent soumis aux mêmes tracasseries que les catholiques pratiquants pendant cette période d'intolérance religieuse : leur synagogue fut fermée sous la Terreur et ne fut rouverte qu'en 1796 (en même temps que l'Eglise).
Le "rabbin éminent et renommé" Isaac Aron Phalsbourg, "juge et rabbin dans la sainte communauté d'Uffholtz et dans le Haut-Rhin", mourut en 1805 (d'après son épitaphe au cimetière de Jungholtz). Après sa mort Uffholtz cessa d'être le siège du rabbinat de Haute-Alsace au profit de Wintzenheim.

Meyerbaer Manheimer, Député à l'Assemblée des Notables (1806)

Sous le Premier Empire le culte israélite fut réorganisé. Napoléon réunit à cet effet une Assemblée de Notables en 1806, puis un Grand Sanhédrin l'année suivante. Meyerbaer Manheimer d'Uffholtz, 23 ans, fut sans doute le plus jeune député à faire partie de la première (11) de ces deux assemblées qui préparèrent les décrets de 1808, décrets qu'il "s'appliqua avec zèle à faire mettre en exécution" à son retour. Il était le fils de Samuel-Hirsch Manheimer, qui lui avait légué une fortune considérable (ayant acquis de nombreux biens nationaux sous la Révolution) (12).

Meyerbaer Manheimer "prit une grande part à l'organisation civile et religieuse des Israélites dans le Haut-Rhin"
et oeuvra pour "l'extinction de l'usure parmi ses coreligionnaires",
,une des causes principales de l'antisémitisme alsacien dont sa famille avait tant souffert. (Sitzmann, Dictionnaire des Hommes Célèbres de l'Alsace). Il fit plusieurs fois partie du Consistoire Israélite du Haut-Rhin dont il fut l'un des esprits les plus éclairés et les plus modernistes. Ajoutons qu'il joua un rôle important dans l'économie régionale en fondant à Colmar une
"maison de banque, que son activité et sa capacité rendirent bientôt la plus florissante de la ville et l'une des plus florissantes de la région de l'Est" (Sitzmann). Il mourut à Colmar en 1851 (13).

Le décret impérial du 20 juillet 1808

LE CENTRE DU VILLAGE D'UFFHOLTZ AU 19ème siècle (plan cadastral 1837)
A - la synagogue (rénovée en 1858)
B - maisons du banquier Meyerbaer Manheimer
D - maisons habitées par des familles juives
DE - école israélite
F - église construite en 1827 sur l'emplacement de la maison de Hirtz Grumbach
Parmi les décrets promulgués en 1808 à la suite de la réunion du Grand Sanhédrin, il y avait celui du 20 juillet relatif aux noms et prénoms des Juifs de France. Ce décret prescrivait aux Israélites de se faire inscrire "sur un registre spécial" à la mairie de leur lieu de résidence et de déclarer à cette occasion s'ils voulaient conserver leur nom patronymique (lorsqu'ils en avaient un !) et leur prénom ou s'ils préféraient en changer. Le maire d'Uffholtz enregistra ainsi 264 déclarations entre le 10 octobre et le 21 novembre 1808, plus deux l'année suivante. Sur ces 264 déclarations, 236 furent "rectifiées" en décembre 1808 pour vice de forme : les signatures avaient été faites "en caractère hébraïque" !

Les Juifs d'Uffholtz gardèrent tous les noms de famille "sous lesquels ils étaient connus". Peu d'entre eux changèrent de prénoms. En 1811 le maire d'Uffholtz enregistra cependant 43 nouvelles "rectifications de déclaration" : un certain nombre de prénoms judéo-allemands avaient été déclarés irrecevables par l'Administration (le sous-préfet avait même refusé son visa aux porteurs de tels prénoms). Hirtz Blum, par exemple, troqua son prénom "juif" contre celui de Henri ; ses filles Gütel et Besel prirent les noms de Catherine et de Joséphine ; Feisel Hirsch Wurmser choisit le prénom d'Ulrich,sa femme Madel francisa le sien en Madeleine, leur fille Beillen reçut celui de Marie-Barbe, etc. (Etat Civil d'Uffholtz).

Uffholtz, chef-lieu de rabbinat au XIXème siècle

Jusqu'au milieu du 19ème siècle Uffholtz fut "le chef-lieu d'un rabbinat comprenant dans sa circonscription les cantons de Cernay, de Thann et de St Amarin" (Bacquol, Dictionnaire topographique..., 1865). Ce n'est qu'en 1857-58 que les communes des cantons de Thann et de St Amarin furent "disjointes du ressort rabbinique d'Uffholtz dont elles relevaient"et rattachées au rabbinat de Thann nouvellement créé. Après cette date le rabbin d'Uffholtz ne desservait plus que les trois communautés du canton de Cernay : Cernay, Uffholtz et Wattwiller.

Deux rabbins seulement se succédèrent pendant la première moitié du 19ème siècle : Moïse Wurmser, qui était déjà rabbin avant la Révolution, et Gabriel Grumbach qui lui succéda en 1823 (il exerça ses fonctions jusqu'en 1859, date de sa mort). Les rabbins qui vinrent après eux, jusqu'à la guerre de 1870, étaient tous des Bas-Rhinois: aucun d'eux ne resta longtemps à son poste. Les deux derniers titulaires du "rabbinat de Cernay-Uffholtz" n'habitaient plus à Uffholtz, mais à Cernay, chef-lieu du canton.

L'école israélite d'Uffholtz

Nous avons vu qu'en 1784 quatre "maîtres d'école" exerçaient leur métier à Uffholtz. Trois d'entre eux (au moins) étaient des précepteurs employés par des Juifs aisés du bourg (14). Le préposé Léopold Lévy confia ainsi l'instruction des ses enfants à plusieurs précepteurs successifs : Samson Michel de Pologne (1773), Freyen Joseph (1784), etc.

Les registres de l'Etat Civil mentionnent plusieurs "maîtres d'école hébraïques" qui enseignèrent à Uffholtz sous l'Empire; c'était des précepteurs itinérants qui venaient parfois de loin (Courlande, Pologne, région de Spire, etc.). En 1826 il est fait mention d'un "instituteur des Juifs", Marc Dreyfus, qui vivait à Uffholtz avec sa femme et qui y enseignait. Pourtant il n'y avait pas d'école israélite proprement dite dans le village à cette époque-là, puisqu'il fut question d'en construire une cette année-là justement.
A l'instigation de Meyerbaer Manheimer, son président, le Consistoire de Wintzenheim avait en effet décidé "que l'une des cinq écoles à former dans la circonscription sera établie pour Cernay et Uffholtz ensemble et ce dans ce dernier lieu". Cette école devait accueillir une centaine d'enfants des communes de Cernay, d'Uffholtz et de Wattwiller. Ce projet ambitieux tomba à l'eau après un commencement d’exécution : une grande partie de la communauté le jugeait trop coûteux. Il semble néanmoins qu'une école israélite fût quand même ouverte par la suite, peut-être dans le local situé à côté de la synagogue, occupé par le chantre en 1827.

En 1841 un "instituteur" du nom de Sigefroi Schlessiger est cité à Uffholtz (recensement). En 1851 Manheimer écrivit au recteur pour proposer Pharès Weill de Bollwiller comme successeur de l'Allemand (Schlessiger?) qui avait jusque-là donné l'instruction aux enfants israélites du bourg.
En 1852 le ministre de l'Instruction Publique autorisa "provisoirement le maintien d'un instituteur non breveté dans l'école israélite d'Uffholtz", "l'exiguité des ressources de la population israélite d'Uffholtz" ne lui permettant pas de "salarier deux fonctionnaires distincts pour l'officiat et l'instruction". C'est donc le ministre officiant qui faisait fonction de maître d'école !
En 1854 il y avait trois écoles à Uffholtz: une "école primaire des garçons", une "école primaire des filles" et une "école primaire des Juifs" ! Cette année-là le grand rabbin de Colmar "sermonna" le ministre-officiant Moïse Beyersdorf, natif de Bollwiller, qui s'était mal conduit pendant l'inspection du 23 décembre 1853, Beyersdorf envoya ses excuses à l'inspecteur.

L'école israélite d'Uffholtz ferma ses portes en 1855, vraisemblablement. En 1856 il n'y avait plus que deux écoles et une salle d'asile (école maternelle) à Uffholtz. En 1860 la communauté juive réclama la réouverture d'une école israélite dans le village, qui était toujours "chef-lieu d'un rabbinat communal", ce qui rendait leur demande recevable. Les parents d'élèves israélites se plaignaient de ce que l'instruction religieuse catholique se faisait "pendant les heures de classe", ce qui "occasionnait pour les israélites une grande perte de temps". Le conseil municipal rejeta la demande de la communauté juive. L'Inspecteur primaire trouva cependant une solution qui satisfaisait tout le monde : il chargea M. le Rabbin d'Uffholtz d'assurer l'enseignement religieux de la jeunesse israélite du village (une trentaine d'enfants en tout) pendant les heures consacrées aux exercices religieux par le Règlement des Ecoles Primaires.

Déclin et fin de la communauté juive d'Uffholtz

En 1836 la communauté comprenait 25 revendeurs,13 marchands de bétail, 3 marchands de farine, 3 bouchers, 3 épiciers, 1 marchand de cuir, 1 cordonnier, 1 colporteur, 4 graveurs, 2 journaliers. Une trentaine de jeunes gagnaient leur vie comme tisseurs de coton dans les quatre tissages du bourg (dont l'un appartenait à la famille Manheimer) ou à Cernay. En 1866 il n'y avait plus que 7 courtiers, 3 marchands de bétail, 3 marchands d'étoffe, 1 marchand de cuir, 4 bouchers. 1 épicier. I mercier,1 marchand d'éponges, 1 marchande de laine, 1 marchand de livres, 1 ferblantier, 1 journalier, 1 rentier (Samule Manheimer, fils de Meyerbaer) (Recensements).

Vers le milieu du 19ème siècle la population israélite d'Uffholtz, qui s'était stabilisée après la Révolution, commença à diminuer, lentement d'abord, puis de manière accélérée après l'annexion de l'Alsace par la Prusse :
1804221 Israélites1231 Catholiques
1833236 Israélites
1841218 Israélites1597 Catholiques38 Protestants
1851180 Israélites1633 Catholiques (et Protestants ?)

1861164 Israélites
1880 48 Israélites1454 Catholiques 18 Protestants
18928 Israélites1412 Catholiques 8 Protestants
19006 Israélites1445 Catholiques12 Protestants

Dix ans après l'Annexion, la communauté israélite ne comptait déjà plus qu'une douzaine de familles. Les Juifs d'Uffholtz furent donc sans doute nombreux à opter pour la France après 1871. Plus nombreux encore furent ceux qui s'établirent dans les villes de la région même, où ils accédèrent peu à peu au rang de la bourgeoisie. La population israélite de Thann passa ainsi de 35 membrés en 1784 à 254 membres en 1846 et à 346 membres en 1857, date de la création du rabbinat de Thann. Celle de Cernay passa de 138 membres en 1784 à 220 membres en 1826 et à 291 membres en 1860. En 1900, alors qu'Uffholtz ne comptait plus que six Israélites, Cernay en comptait encore 122, et Thann, 187.

Chose curieuse, les Juifs de Cernay considéraient ceux d'Uffholtz comme des étrangers parce qu'ils observaient quelques coutumes particulières (ils portaient par exemple le châle de prière sur la tête pour prier, comme les Juifs d'Europe Centrale). N'ayant trouvé nulle trace d'une immigration importante de Juifs étrangers à Uffholtz au 19ème siècle, nous en concluons que les Juifs d'Uffholtz avaient sans doute conservé des usages tombés en désuétude ailleurs en Alsace.

Après la guerre de 1870, Je rabbin Nephtali Lévy fut autorisé à changer de résidence pour convenance personnelle, sa femme étant de Cernay. Il s'établit donc à Cernay où habitait la communauté la plus importante de son rabbinat. Son successeur, Salomon Bamberger, un Bavarois (1886-1915), cessa de desservir Uffholtz. Il ne desservait plus que Cernay et Wattwiller (qui comptait encore 28 Juifs au début de ce siècle). Les derniers Juifs d'Uffholtz assistèrent aux offices religieux de la synagogue de Cernay jusqu'en 1914.

En 1900 la synagogue d'Uffholtz, qui avait été reconstruite en 1858-1859, fut vendue aux enchères par le Consistoire : elle fut adjugée pour 2500 Mark à un agriculteur du village, qui transforma le bâtiment en étable, "au grand scandale des Israélites de la région". Elle fut détruite pendant la première guerre mondiale comme la plupart des maisons du village, situé au pied du Vieil Armand.

Anne Berna, fille de l'instituteur catholique qui enseignait à Uffholtz avant la guerre, nous a laissé une description de la synagogue de son village natal, telle qu'elle était peu avant sa désaffectation : c'était une "maison d'aspect austère" aux "fenêtres cintrées hermétiquement closes" et à la "lourde porte de fer" "éternellement verrouillée", qui se dressait au milieu d'un jardin entouré d'un "mur élevé". Mlle Berna, sa mère et plusieurs autres chrétiennes du village y assistèrent vers 1895 au dernier mariage religieux israélite célébré à Uffholtz (Marie Félice, Die Letzte Judenhochzeit in Uffholtz, Elsassland 1929). Nous n'avons malheureusement pas pu trouver de carte postale représentant le sanctuaire avant sa destruction...

Uffholtz fut complètement détruit pendant la guerre de 14-18. Après la guerre aucune famille juive ne revint habiter dans le village. Aujourd'hui seul le nom dialectal d'une ruelle ("s'Judagassla") et un lieu-dit ("im Judaloch") perpétuent le souvenir d'une communauté qui partagea le destin du village pendant trois siècles. Les anciens du village se souviennent encore ou ont encore entendu parler de quelques personnages pittoresques qui avaient vécu à Uffholtz immédiatement avant la guerre de 14, comme par exemple le marchand de tissu Daniel Blum qui parcourait les rues du bourg "mit sina bindala" (avec ses ballots).

Sources et bibliographie
La liste des ouvrages et des sources documentaires que nous avons consultés étant très longue, nous invitons nos lecteurs à se reporter à notre Mémoire intitulé Origines, développement et déclin de la communauté israélite d'Uffholtz (canton de Cernay) 1615-1915, 1984, p. 71-72 (Archives Municipales de la Ville de Mulhouse. Archives Départementales du Haut-Rhin, Bibliothèque Universitaire de Strasbourg)

Notes :

  1. "Les Juifs d'Uffholtz 1615-1915", in : Les Cahiers de l'Histoire d'Uflboltz, janvier 1985 (en vente à la Mairie d'Uffholtz)
  2. Archives du Bas-Rhin Série G (régence de Saverne)
  3. Un marché aux bestiaux très fréquenté se tenait tous les mardis à Cernay sur l'Ochsenfeld ; ce marché et les trois foires annuelles attiraient des maquignons, des  bouchers et des tanneurs, venus de toute l'Alsace et des régions environnantes.
  4. Schlumberger (Léon de), Cartulaire de la Famille Schlumberger, Mulhouse, 1903.
  5. AMM Protocoles du Magistrat. En 1663 les Juifs suivants avaient le droit d'entrer dans la ville pour y faire le commerce du bétai l: les fils du vieil Isaac (Schwab), le vieux Hirzell (Wechsler de Wattwiller), Koppel (Dreyfus de Guebwiller) et son gendre (Gabriel Bloch), Heimly (de Soultz) et son fils, le vieux Jäcklé et David (Ginsburger) d'Ensisheim et Lazare (Brunschwig) de Thann (II A 15).
  6. "...die Juden wolten ihr Sinagog in ihren kosten gern wider bauen und och dem Closter darvon zinsen (sed procul este profani)", Stintzl (Paul), Oelenberg. Il ne reste aucun vestige de cette synagogue médiévale.
  7. Uffholtz possédait déjà la communauté la plus importante de la principauté de Murbach. Celle de Guebwiller ne comptait que quatre ménages, celle de Wattwiller, plus qu'un seul.
  8. En 1687 un certain Lazare, petit-fils d'Abraham d'Uffholtz, vendit les biens qu'il avait hérités de son grand-père à Uffholtz : il habitait à Valff (Seigneurie d'Andlau) en Basse-Alsace. En 1697 un autre Juif d'Uffholtz, âgé d'une vingtaine d'années, se fit baptiser sous le nom de François-Conrad, "mais le sort du néophyte ne fut pas heureux" (journal de Bernard de Ferrette). Sans doute retourna-t-il au judaïsme et quitta-t-il le pays pour échapper aux poursuites !
  9. M. de la Rochelambert, L'insurrection de la Vallée de Saint-Amarin, en Juillet 1789, 12 janvier 1790, réimprimé à Mulhouse, par Imprimerie Risler E. Koenig, Successseur, 1874 (les extraits cités nous ont été communiqués par M. Didier Manheimer).
  10. Archives du Haut-Rhin V 611 (plus loin : ADHR).
  11. D'après M. Didier Manheimer, son arrière-arrière-petit-fils, Meyerbaer Manheimer fit partie de l'Assemblé des Notables, mais non du Grand Sanhédrin, contrairement à ce qu'écrit Sitzmann. Cette confusion entre les deux assemblées est déjà faite par les partisans de Manheimer vers 1830 : dans une lettre adressée au préfet, dans laquelle ils prenaient sa défense contre ses détracteurs, ils affirmaient en effet que "déjà à l'âge de 20 ans il était du nombre du Grand Sanhédrin" (ADHR 1 T 69).  
  12. "Les Frères Manheimer...sont très avantageusement connus dans ce Département, par leur propre conduite et par la bonne réputation qu'y a laissé leur père décédé. Ils possèdent des biens-fonds considérables dans les communes de Cernay, Uffholtz, Wattwiller, Soultz, Guebwiller, consistant en vignes, prés, champs et forêts qu'ils font valoir par eux-mêmes et dont les contributions directes s'élèvent à 1250 francs. Ils joignent à leurs travaux agricoles une fabrique de draps, établie à Cernay par leur père, et ils ne négligent rien pour donner à cet établissement toute l'extension dont il est susceptible, surtout dans l'intention d'en faire une école d'industrie pour les pauvres de leur religion. L'aîné des trois frères, Meyerbaer, Manheimer, s'est toujours distingué par la sagesse de sa conduite et de ses opinions. Comme riches propriétaires, cultivateurs et manufacturiers, ils paraissent avoir aussi des droits à la bienveillance du Gouvernement" (rapport de police, Archives Nationales, F.-19-11-010, communiqué par M. Didier Manheimer).
  13.  La famille Manheimer conserva des biens-fonds à Uffholtz jusqu'à l'aube du 20ème siècle. Une annexe du village porta longtemps le nom de MAN(N)HEIMER (la scierie qui s'y trouvait ayant appartenu à la famille). A Wattwiller une forêt du chapitre de Murbach, achetée par Samuel-Hirsch Manheimer en 1796, prit le nom de "Judenwald" (Bois du Juif', cadastre 1899.
  14. La bibliothèque de Samuel-Hirsch Manheimer, père de Meyerbaer, était "composée de deux cent quatre-vingt dix livres de la langue hébraïque" en 1806 (inventaire après-décès). Meyerbaer Manheimer fut un des membres cofondateurs de la société Schongauer de Colmar, créée en 1848, qui gère le célèbre Musée d'Unterlinden.


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