Trænheim

Synagogue de Trænheim

Au 18ème siècle un petit oratoire, inauguré en 1723, avait été aménagé dans une maison particulière. Une synagogue fut construite en 1842 sur un autre emplacement, mais après le départ de la dernière famille juive, en 1923, le consistoire du Bas-Rhin vendit la synagogue qui fut aussitôt démolie.

On peut voir encore les vestiges de l'oratoire, qui subsistent dans le grenier d'une maison de Trænheim. Il s'agit de la seule synagogue d'Alsace présentant des peintures murales. Ces vestiges ont été découverts au début des années 1990.

LE GRENIER-SYNAGOGUE DE Trænheim
par Bernard KELLER


Le pasteur Bernard Keller nous présente la synagogue-grenier de Traenheim
Réalisation : Jean-Luc Nachbauer / Les Films de l'Europe (début des années 1990)
© Site internet du Judaïsme d'Alsace et de Lorraine

Au centre de Trænheim, une maison discrète, en marge de la rue principale. Dans la cour, la descente à la cave porte une date, 1582. Mais c'est en montant au grenier qu'on découvre ce que cache la discrétion. Dans la pénombre, l'oeil – qui commence à s'habituer – distingue l'organisation des colombages. Les pans de bois des cloisons servent de cadres à des peintures murales. Sur l'enduit qui couvre le remplissage, des fleurs, des guirlandes, des dessins, énigmatiques au premier abord, et surtout des inscriptions en hébreu, soigneusement calligraphiées.

Grenier
Vue d'ensemble du grenier

A l'évidence, un ancien occupant des lieux était juif et avait aménagé ici, dans son domaine privé, un espace lié à son identité particulière. De nos jours, il n'y a plus de Juifs à Trænheim. Le propriétaire actuel raconte : il y a une vingtaine d'années, peut-être plus, il n'y avait là rien pour attirer l'attention. Les cloisons avaient été recouvertes d'un badigeon de chaux. Celui-ci, en s'écaillant, a probablement laissé deviner qu'il dissimulait un décor car un membre de la famille a gratté délicatement cette couche superficielle et a fait apparaître une première inscription. Signe des temps, la génération suivante s'intéressa d'avantage au grenier et dégagea de nouveau d'autres surfaces. Au bout du compte, ce qu'on peut voir aujourd'hui est quasiment unique en Alsace, région qui est pourtant riche en vestiges du passé de sa population juive. Sous les tuiles et intégré dans la charpente, cet espace de 5,50 x 4,50 m, conserve trois de ses quatre cloisons d'origine dont les décors renvoient à des éléments de la culture religieuse juive.

Deux grands textes apparaissent sur des panneaux rectangulaires. Les deux textes, actuellement lisibles, sont de deux mains différentes. Il s'agit de prières des services religieux réguliers :

Trois acronymes sont calligraphiés en lettres géantes. L'usage de ces abréviations (rashé tévot, litt. "têtes de mots") est courant, aussi bien dans la littérature que pour les inscriptions. On les trouve ici, en bon état de conservation Leur interprétation ne présente pas de difficulté, ces versets se retrouvant ailleurs :

Des motifs religieux font référence, à deux éléments de la fête des Cabanes (Soukoth) : le loulav (palme) et l'ethrog (cédrat), ce dernier dans une sorte de bol. Un autre registre représente les mains bénissantes du cohen et les attributs du lévite : aiguière et patène (thèmes repris maintes fois sur les stèles funéraires).

Si l'on se réfère à la riche décoration des synagogues d'Europe de l'est et de l'Allemagne du sud, il est possible que les panneaux disparus aient comporté d'autres motifs relatifs aux fêtes annuelles, comme le shofar (la corne de bélier) pour le Nouvel An. N'y a-t-il pas une cohérence dans le choix de ces décors qui prennent appui sur des espaces pour rappeler l'autre dimension de la vie, les temps : temps de la semaine avec 'al hakol qui accompagne la sortie du séfer Torah, du mois, salué par "Mishé 'assah nissim", et de l'année avec la fête annuelle de Soukoth (et peut-être d'autres fêtes annuelles sur des panneaux disparus) ?

L'ensemble des panneaux a reçu un décor floral : les inscriptions sont encadrées par un double trait qui enserre des tiges ondulées d'où part quelquefois un rameau à l'extrémité duquel s'épanouit une fleur. Les panneaux non inscrits portent des fleurs épanouies ou en bouton. On a pu émettre l'hypothèse que ces tulipes (?) et ces roses (?) stylisées auraient eu pour modèle des motifs populaires régionaux. Il semble bien qu'il faille étendre la recherche au-delà des limites de l'Alsace.

Qu'est-ce que ces vestiges livrent du passé de ce grenier à l'époque où habitait ici une famille juive, attachée à son judaïsme ? Le visiteur qui médite un instant dans l'espace du grenier peut imaginer la lecture de la Torah, l'accueil du Shabath, la célébration des fêtes par les habitants du lieu et leurs voisins. S'il est un familier de ces cérémonies, il lui sera possible de chanter les paroles inscrites sur les murs. C'est déjà beaucoup que cette vision intérieure qui se projette dans le passé, sans rupture avec le présent, par la vertu de la tradition. Il reste que demeurent beaucoup de questions. Quand ? Qui ? Comment ?

En 1887, Elie Scheid, dans son Histoire des Juifs d'Alsace, exploitait un dossier des Archives départementales du Bas-Rhin, le n° 2517, pour faire revivre un épisode de la vie à Trænheim au 18e siècle. Il s'agit d'un conflit opposant le pasteur du lieu, Georg Heinrich Lang, à Isaac, fils de Costel. Le pasteur veut faire interdire l'aménagement du grenier d'Isaac en synagogue. Il en appelle à la régence des comtes de Hanau-Lichtenberg. Par chance, l'essentiel des échanges de lettres a été conservé aux archives, et les épisodes successifs du conflit apparaissent les un après les autres. Ce récit a été repris à intervalles réguliers au cours de notre 20e siècle dans diverses publications. On ne peut donc manquer de se poser la question : "Le grenier de Trænheim et ses vestiges sont-ils la synagogue, objet du conflit entre le pasteur Lang et Isaac ?"

Il a fallu faire des recherches complémentaires, en va-et-vient entre les textes et les lieux pour trouver une réponse. Cette réponse est affirmative. Le dossier des archives du Bas-Rhin contient en effet un rapport d'inspection du local incriminé par le pasteur. En janvier 1723, un charpentier de la lignée des Schini en donne une description et les dimensions. Au cours des années passées, des modifications étant intervenues dans la charpente et les cloisons, la comparaison n'allait pas de soi. Il a fallu résoudre un certain nombre de problèmes, mètre en mains et faire appel à un architecte ami pour arriver enfin à une conclusion positive : l'aménagement des combles de la maison en question date bien de l'hiver 1722-1723. On peut donc associer ces vestiges au litige dont les traces écrites sont réunies aux Archives départementales.

André-Marc Haarscher vient de publier un état de la question dans son gros ouvrage Les Juifs du comté de Hanau-Lichtenberg (pages 78-79 et surtout sous forme d'un dossier annexe, pages 385-391). On y trouve la synthèse entre les documents d'archives — l'essentiel y est publié et traduit — et la réalité des vestiges de Trænheim. Les recherches les plus récentes permettent d'apporter des rectifications aux publications anciennes, souvent fantaisistes. Hormis les points de détail, un fait nouveau est apparu, qui vient heureusement compléter l'histoire de la toute petite communauté des familles juives de Trænheim : il y a eu, successivement, trois synagogues à Trænheim.


Dessins évoquant la fête de Soukoth

Dessins évoquant le rôle du Cohen

"Al hakol" (chanté avant la lecture de la Torah)

"Mi shé 'assah nissim" ("Celui qui a fait des miracles")

Celle qu'on n'attendait pas

En 1990, les publications mentionnaient deux synagogues. Celle du conflit de 1723 et celle qu'avaient connue naguère les personnes originaires de Trænheim nées avant 1920. Celle-ci, située au bout de la rue de la Monnaie, a été fréquentée par le regretté Jacques Schwartz, l'éminent papyrologue strasbourgeois et fils du grand rabbin Isaïe Schwartz. Il l'évoquait comme un souvenir d'enfance. Cet édifice a été démoli entre 1920 et 1925. Au cours de nos recherches, la mémoire collective du village a été sollicitée afin de recueillir ce qui pouvait avoir trait au judaïsme local. C'est alors que prit forme une image, d'abord floue et qui allait en se précisant, celle d'un autre grenier qui aurait abrité un lieu de culte pour la petite communauté juive. On indiquait les combles du logement de service de l'instituteur, rue principale. L'image est devenue réalité, à la fois sur le terrain et dans les textes : le dernier instituteur qui a occupé ce logement garde bien le souvenir d'une pièce, arrangée dans le grenier. Malheureusement, la maison a été vendue, et le nouveau propriétaire a démoli cette pièce. Il en reste toutefois une image négative, la forme de voûte en berceau qu'on a voulu donner au plafond, et qui se lit dans la découpe courbe des chevrons (un plafond voûté faisait déjà partie des accusations du pasteur Lang : cette forme de couverture dénotait, pour lui, la volonté d'Isaac d'ériger "une véritable synagogue").

Cette pièce n'était pas décorée, du moins dans les souvenirs de petite fille de madame le maire actuel de Trænheim. Elle y jouait à la poupée, étant justement la fille de l'instituteur. D'autre part, un texte d'historien donne des indications qui vont permettre de placer cette autre synagogue en grenier entre celle d'Isaac et la troisième, construite en 1842, selon Rothé-Warschawski (Les synagogues d'Alsace et leur histoire). J. Clauss, dans Das Reichsland Elsass-Lothringen (Strasbourg 1901-1903), signale que la première synagogue n'était déjà plus en service au moment de la Révolution et qu'elle avait été remplacée par une autre, installée dans le logement de l'instituteur (pages 1120-1121).

La lumière vient-elle de l'Est ?

Maquette de la synagogue de Trænheim (cloison sud) exposée
au Musée judéo-alsacien de Bouxwiller
Maquette
La rareté des décors du grenier de Trænheim est l'argument principal de son classement parmi les monuments historiques (le 4 mai 1998). Rareté ? Par rapport à ce que l'on connaît en Alsace, datant de cette époque, certainement. En revanche, le style de l'ornementation, les textes, les acronymes se retrouvent dans une proportion significative ailleurs en Europe centrale et orientale. Relation entre Est et Ouest ? La question est à l'étude depuis quelques années. Il existe déjà des indices pour jalonner le cheminement de ce style qui partirait des synagogues en bois de Galicie, dans la seconde moitié du 17e siècle, pour se diffuser en Franconie puis en Wurtemberg, au mileu du 18e siècle. Trænheim serait l'aboutissement géographique le plus à l'ouest de cette diffusion, avec les vestiges de la synagogue du village d'Odenbach, en Palatinat.

Robert Weyl, qui venait de découvrir le grenier, écrivait dans une lettre du 14 octobre 1992 : "... tout ceci doit être l'œuvre d'un ba'hour, d'un étudiant de passage, payant ainsi son écot". Ce ba'hour venait-il de Prague, où l'Altneuschul propose des acronymes dont deux se retrouvent sur les trois de Trænheim? Ou de Franconie ou de Galicie? On pourrait rapprocher les résultats d'une étude comparée des styles de l'affirmation de Freddy Raphaël : "A partir de la deuxième moitié du 17e siècle et durant le 18e, la plupart des ministres-officiants et des instituteurs d'Alsace-Lorraine étaient d'origine polonaise... "

Voilà les premiers jalons de la prochaine étape pour les chercheurs. Par ailleurs, en classant le grenier-synagogue parmi les monuments historiques, les instances officielles ont posé un autre jalon, pour une entreprise d'un ordre différent, celle de la protection du grenier et de son toit. Espérons que ces vestiges, miraculeusement préservés, bénéficieront de la protection annoncée par leur classement et qui se révèle urgente car, pour le moment, les lieux ne peuvent pas être ouverts au public, malgré les excellentes dispositions des propriétaires actuels.

Cette vue d'une cloison de Trænheim est reprise d'une maquette de Perrin Keller, visible au musée judéo-alsacien de Bouxwiller. Dans l'espace de ce musée consacré aux synagogues d'Alsace, sa particularité stylistique est mise en évidence. La notice qui l'accompagne indique l'intérêt qu'elle suscite désormais, au-delà de la communauté des juifs d'Alsace : ce sont des protestants qui ont eu à cœur de la faire sortir de l'oubli et d'en obtenir le classement, signe encourageant après l'évocation de son aménagement mouvementé au 18e siècle en raison de l'opposition du pasteur de Trænheim. Les temps peuvent changer.

Crédits photographiques : Bernard Meyer - Charles Kugel - Bernard Keller - Ingrid Töldte

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