David SINTZHEIM
1745 - 1812
par le Grand Rabbin Ernest Gugenheim
Extrait du Journal des Communautés, 26ème année, 17 janvier 1975

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Dans l'Univers Israélite du 7 février 1908, le grand rabbin Liber publiait, sous la signature de Ben Ammi, un article intitulé Le premier grand rabbin de France. C'était à la veille de l'élection d'un nouveau grand rabbin de France - elle devait avoir lieu le 13 février - mais on ne savait pas encore que ce serait Alfred Lévy. Le grand rabbin Liber écrivait : "Cette élection nous reporte naturellement à un siècle en arrière, à l'époque où Napoléon plaçait un grand rabbin de France à la tête du culte israélite, officiellement reconnu et légalement réglé. Il y a cent ans que la main puissante qui régentait tout le monde et organisait toutes choses, qui allait défaire un pape, faisait un grand rabbin. C'était, il est vrai, une main heureuse et qui n'eût pu faire un meilleur choix. David Sintzheim se recommandait, s'imposait en quelque sorte par son caractère et son autorité, par sa science et par ses services..." Je voudrais ici vous convier à découvrir la véritable personnalité de David Sintzheim dont l'image nous est parvenue sinon défigurée, tout au moins déformée ou ternie, à travers le prisme de l'histoire.

Nous connaissons peu de choses de sa jeunesse et le peu que nous en savons, c'est à lui-même que nous le devons, à la préface en grande partie autobiographique de son ouvrage monumental, Yad David. Il descendait d'une famille juive des plus notables qui comptait des membres éminents à Worms, à Mannheim, à Strasbourg, à Francfort, à Vienne. R. Haïm Ben Bezalel, frère du Maharal, semble avoir été l'un de ses aïeux. Son arrière-grand-père, R. David Aptero, fut dayan à Francfort pendant cinquante ans et composa un commentaire au Sefer Hassidim. Dans son Yad David sur Chabbat (81a), David Sintzheim le défend contre les attaques de R. Jacob Emden et fait cette remarque : "C'est le commentateur du Sefer Hassidim qui a raison. Il s'agit du grand-père de mon père et je porte son nom."

Le père de David Sintzheim, Isaac, fut rabbin à Trèves, puis à Niedernai. Il eut aussi une fille qui épousa le rabbin de Bouxwiller, Aviezri-Selig Auerbach. Josep-David Sintzheim naquit à Trèves en 1745 ; c'est auprès de son père qu'il acquit l'essentiel de sa formation. Il décrit, dans sa préface de son Yad David, cette première partie de son existence : "Je remercie Dieu de m'avoir fait vivre dans l'étude, à l'ombre de l'école ; jeune encore, j'étudiai avec mon père qui avait été lui-même disciple de rabbins célèbres. C'est lui qui m'initia à la compréhension méthodique et rationnelle du Talmud et des autorités postérieures. Il estimait qu'il fallait pénétrer d'abord le sens naturel, dans les ouvrages des Rishonim et des A'haronim, avant de s'engager dans la finesse de la dialectique. C'est dans cet esprit que je travaillai sous sa direction. A vingt ans, j'avais déjà parcouru tout le Talmud, sauf le Seder Kodashim, ainsi que le Tour Ora'h Haïm, Yoré Déa et une grande partie de Hoshen Michpath. Favorisé par la Providence, je pus poursuivre mes études dans l'aisance et la paix, et je recommençai à examiner le Talmud, sur le plan pratique (c'est-à-dire de la Halakha). C'est alors, en 1778, que fut ouverte une grande école talmudique à Bischheim, par les soins de mon beau-frère, le célèbre Neftali Herz Medeisheim, qui favorisa l'étude de la Torah et acquit une grande réputation par les services qu'il rendit au judaïsme."

C'est en effet à l'âge de vingt ans que David Sintzheim avait épousé Esther, la sœur de Herz Medelsheim, plus connu sous le nom de Cerfberr. Fournisseur des armées, grâce à l'intervention du Duc de Choiseul, ambassadeur français à Vienne, il avait transféré sa résidence de Medelsheim dans le Palatinat à Bischheim, jusqu'au moment où, après une longue lutte, il obtint l'autorisation de s'établir à Strasbourg. A l'instar des anciens Chtadlanim, il mit sa fortune et son crédit au service de ses coreligionnaires. Nous savons son rôle prépondérant dans l'émancipation des Juifs et la générosité admirable qu'il ne cessa de témoigner à leur égard. (Rappelons cependant que son immense fortune léguée à ses enfants fut détruite par la Révolution et par suite du refus de Napoléon de régler les dettes du Directoire.)

Grâce à cette union, David Sintzheim put donc s'adonner pleinement à l'étude, libéré de tout souci matériel, et il entreprit pour la seconde fois de parcourir l'ensemble du Talmud, de façon approfondie, songeant déjà à son œuvre future. Sa science et sa réputation devaient rapidement grandir. Dans un ouvrage paru à Strasbourg en 1777, Le'hem Setarim de R. Chelomo Algazi, l'éditeur lui rend hommage en ces termes : "Et maintenant Dieu m'a donné le mérite de rentrer dans le palais du roi David - Qui sont les rois ? Les rabbins ! - cet homme noble, célèbre par sa connaissance de la Tora et sa piété, maitre en toutes sciences, Rabbi David de Sintzheim, qui réside actuellement à Bischheim. J'ai trouvé dans sa maison une riche et belle bibliothèque et aussi un exemplaire du Le'hem Setarim. Je lui ai demandé s'il voulait me confier cet ouvrage afin de le réimprimer il me l'a immédiatement remis gracieusement pour le bénéfice du grand public..." Ce même ouvrage contient aussi l'imprimatur de R. Ye'heskel Landau, le célèbre rabbin de Prague, qui, après avoir souligné le mérite des éditeurs qui s'attachent à publier les œuvres des anciens, écrit : "Rendons hommage aussi à cet homme considéré entre tous, dont tout le monde chante les louanges, le guide de notre génération, le chtadlan R. Herz Medelsheim de Strasbourg ! Déjà avec l'aide de ses gendres il a pris en charge la réédition de la Chita Mekoubetseth qui était entièrement épuisée, dans une impression magnifique, et de manière totalement désintéressée." Signalons en passant, à titre documentaire, que d'autres rabbins alsaciens, dont la science talmudique devait être très solide, ont joint également leur haskama, leur approbation, à celle du R. Y. Landau.


Le Grand Sanhédrin, qui se réunit du 9 février au 9 mars 1807. On aperçoit au fond de la salle
le président David Sintzheim est reconnaissable à son chapeau dit "bonnet d'Aaron".
La chronique nous rapporte un épisode très instructif et qui restitue bien l'atmosphère de cette époque. Un différend opposait Cerfberr et David Sintzheim à une autre famille très considérée de Bischheim, celle du rabbin Isaac Lehmann, dit Reb Leime, à propos d'une histoire de péage. L'affaire vint en Dîn Tora devant le rabbin de Niedernai. Dans l'exposé des griefs, R. Leime dit entre autres qu'il avait lui-même suivi les leçons des rabbins les plus célèbres de Metz, de Francfort et de Worms et que s'il était vrai que David Sintzheim était plus versé que lui dans les écrits, profanes, en ce qui concerne le Talmud, il en avait déjà oublié plus que celui-ci n'en avait jamais su !.. Il devrait, du reste, avant tout, s'occuper de ses amis qui se font raser dans la période de l'Omer et des Trois semaines..." Le Beth Dîn se prononça en faveur de Reb Leime et Cerfberr se soumit de bonne grâce au jugement.

En 1778, Cerfberr avait donc fondé à Bischheim une Yeshiva dont il avait confié la direction à son beau-frère. C'est là que celui-ci, tout en dispensant son enseignement à ses disciples, entama pour la troisième fois l'étude complète et approfondie du Talmud, jetant déjà les bases de l'ouvrage monumental qu'il projetait. Cette Yeshiva devait se maintenir jusqu'en 1792, les excès de la Terreur ayant alors obligé David Sintzheim à chercher refuge à Strasbourg. Voici le témoignage qu'il en donne lui-même : "Après la mort de mon beau-frère, je continuai à étudier avec mes élèves et je recommençai le Talmud pour la troisième fois. Nous travaillâmes en commun jusqu'en 1792, année où les ravages de la guerre nous obligèrent à nous réfugier à Strasbourg. En 1794, la colère éclata sur nos têtes et, n'était Sa miséricorde, nous aurions tous péri. On condamna à l'autodafé tous les livres hébreux, beaucoup de Sifré Tora et de volumes hébraïques furent brûlés et je dus cacher ma bibliothèque. Pendant ces persécutions, l'école chôma forcément. Je dus interrompre mes travaux pour errer, exilé de ville en villem de frontière en frontière. Enfin Dieu eut pitié de nous et la paix revint dans le pays."

Avec la fin de cette période troublée, Sintzheim retourna à Strasbourg dont il fut bientôt nommé rabbin avec pour adjoint son neveu et gendre, R.A. Auerbach. C'est en 1799 que parut le premier volume de son commentaire sur le Talmud, Yad David, où il révèle déjà une érudition hors pair.
Il explique son projet dans l'introduction : "Le but de cet ouvrage est de connaître tous les passages du Talmud ou de ses commentateurs qui ont provoqué des questions, des solutions, des explications ou des remarques, cités dans des ouvrages qui n'ont pas été rédigés d'après l'ordre du Talmud, dans les Responsa, dans les recueils de sermons ou chez les commentateurs de Maïmonide et autres. J'ai noté ces remarques à l'endroit où elles se rapportent, de sorte qu'il est facile de les trouver. Je suis en cela l'exemple du Knesset Haguedola et du Yad Aharon, mais j'ai ajouté moi-même plus de trois cents ouvrages, recueillant ce que les anciens auteurs ont laissé de côté. Mon but essentiel est d'expliciter les paroles des Richonim et de les défendre contre les attaques des A'haronim, par des paroles que j'estime correspondre à la vérité de la Tora..."

Lorsqu'à son retour d'Austerlitz, Napoléon entreprit de régler la question juive et décida la convocation de l'Assemblée des Notables, afin de "délibérer sur les moyens d'améliorer la Nation juive ", David Sintzheim dont la réputation n'avait cessé de grandir fut délégué par Strasbourg et s'imposa rapidement par sa science et son autorité. La mission des rabbins et des délégués attachés aux traditions religieuses était extrêmement délicate, mais tous avaient conscience de leur écrasante responsabilité. D'un côté, il ne fallait pas déplaire à l'empereur et tenir compte de ses volontés ; dans son discours d'ouverture, le comte Molé le leur avait bien fait sentir : "Sa Majesté, dit-il, veut que vous soyez français ; c'est à vous d'accepter un pareil titre et de songer que ce serait y renoncer que de ne pas vous en rendre dignes." Mais il fallait aussi résister à la pression intérieure de nombreux délégués libéraux, favorables à l'assimilation et qui ne demandaient qu'à manifester leur bonne volonté à l'égard de Napoléon. Dans une lettre adresse au rabbin Yeiteles de Prague, David Sintzheim laisse poindre sa peine et note que "tous ceux que les journaux appellent rabbins sont loin de l'être et qu'il y en parmi eux qui ne savent même pas l'hébreu".

Les différentes tendances apparurent dès la séance d'ouverture qui avait été fixée au 26 juillet, qui était comme par hasard jour de Shabath. Les députés s'étaient rassemblés dans la synagogue de la rue Sainte-Avoye pour se rendre de là en cortège à la chapelle Saint-Jean, élevée en souvenir d'une affaire de profanation d'hostie et qui avait été désignée comme lieu des séances. La plupart des délégués allèrent à pied, mais quelques-uns s'y rendirent en voiture. Cette première séance devait être consacrée à l'élection du bureau, aussi les délégués religieux avaient-ils essayé de faire ajourner la séance ou du moins l'élection qui devait se faire par bulletins écrits. Finalement les "religieux" apportèrent leurs bulletins écrits de la veille, cependant que d'autres rédigèrent délibérément les leurs le samedi même, sous les yeux des rabbins. Comme on sait, ce fut Abraham Furtado qui obtint la présidence par 72 voix contre 32 à Berr Isaac Berr de Nancy, qui était plus traditionaliste et plus proche des rabbins.

L'assemblée se réunit à nouveau le 29 juillet et c'est alors que les trois maîtres des requêtes, Molé, Portalis et Pasquier, qui devaient suivre leurs travaux, leur remirent solennellement la liste des douze questions dont la teneur paraît avoir été inspirée par Napoléon lui-même. Ces questions furent soumises à fin d'étude à une commission dont faisaient partie, entre autres, à côté de David Sintzheim, Andrade, Cologne de Mantoue, et Segré de Verceil. Selon Graetz, la commission elle-même chargea Sintzheim d'élaborer les réponses, ce dont il s'acquitta à la satisfaction unanime, avec célérité, puisqu'il remit ses réponses dès le 3 août, où l'Assemblée se réunit à nouveau afin d'en débattre.

Seule, la troisième question, relative aux mariages mixtes, la seule vraiment embarrassante, fut l'objet d'une discussion lente. "Une juive peut-elle se marier avec un chrétien et une chrétienne avec un juif ? ou la loi veut-elle que les juifs ne se marient qu'entre eux ? " Certains notables étaient tout prêts à choisir cette seconde alternative. On connaît la réponse habile - et inattaquable du point de vue religieux - telle qu'elle apparaît dans les Décisions doctrinales, les Tekanoth du Grand Sanhédrin : "Les mariages entre Israélites et Chrétiens, contractés conformément aux lois du Code civil, sont obligatoires et valables civilement et, bien qu'ils ne soient pas susceptibles d'être revêtus des formes religieuses, ils n'entraîneront aucun anathème." C'est David Sintzheim qui avait fait remarquer que la Loi de Moïse n'avait jamais condamné nommément que les mariages avec les Egyptiens, les idolâtres, les Moabites, les Ammonites et les sept nations cananéennes. Il en résulte, concluait-il, que les unions entre juifs et chrétiennes ne peuvent recevoir de bénédiction juive, mais n'encourent pas l'anathème. Il en est de même dans l'Eglise catholique, ajouta le rabbin Andrade, les époux ne peuvent contracter qu'un mariage civil, mais de telles unions ne sauraient être bénies par l'Eglise. Cette réponse dut décevoir l'Empereur qui aurait aimé que les délégués acceptent de déclarer les unions entre juifs et chrétiens non seulement licites mais souhaitables, pour hâter la fusion entre les communautés.

Lorsque Napoléon résolut de réunir le Grand Sanhédrin pour donner une sanction doctrinale aux réponses des Notables, c'est tout naturellement David Sintzheim qui fut désigné comme président, avec le titre de Nassi, proposé du reste par l'Empereur qui le tenait en grande estime, mais vénéré par tous pour sa science et sa piété. La première séance eut lieu en grande pompe le 9 février 1807 et débuta par une prière en hébreu, récitée par Sintzheim, où figuraient ces paroles : "Eclaire-nous par la lumière de Ta Face, afin que nous ne nous écartions ni à droite ni à gauche du sentier de Tes commandements et de Ta parole que tu as enseignée à nos pères... Préserve-nous des erreurs, enseigne-nous ce que nous devons dire, et puissions-nous préserver, ensemble, le respect de notre loi et les ordres du roi...»

On a diversement apprécié le rôle du Sanhédrin : le projet de Napoléon était impressionnant mais le résultat fut en fait assez maigre. On a jugé parfois sévère l'attitude des Notables et des membres du Sanhédrin, leur reprochant une trop grande servilité à l'égard de l'Empereur et des concessions sur des impératifs religieux. Certains rabbins refusèrent d'ailleurs, par scrupule religieux, de siéger à l'assemblée des Notables, comme le rabbin Crémieux d'Aix, ou au Sanhédrin, comme le rabbin Constantini de Marseille. Nous préférons nous en rapporter au jugement du Hatam Sofer, dont l'intégrisme ne saurait être mis en doute. Dans l'oraison funèbre qu'il prononça à mémoire de David Sintzheim, il lui rendit un hommage exceptionnel. Après avoir rappelé le mérite de ces justes qui se sont trouvés, dans chaque génération, pour représenter et défendre le judaïsme devant les rois des nations, il poursuit : "Tel était celui dont nous déplorons la perte aujourd'hui, le Gaon Rav David Sintzheim, l'auteur du Yad David, qui approcha le roi et les princes et jouit de leur estime et qui donna la solution à nombre de questions qui lui furent posées. Et malgré cela, il fut un grand en Israël, étudiant la Tora sa vie durant ; il fit de nombreuses fois l'étude du Talmud tout entier et tous les ouvrages des Richonim et des A'haronim étaient littéralement à ses yeux comme des livres ouverts, comme son œuvre en témoigne. Je le connaissais dans ma jeunesse et j'ai pu, jusqu'à maintenant, grâce à nos relations épistolaires, apprécier sa piété et sa totale intégrité. Tout en étant, grâce à sa sagesse, passé maître en politique et en diplomatie, il a conservé cette parfaite intégrité et (Jérémie 48:11) "son parfum ne s'est point altéré".

Ce n'est du reste qu'à contrecœur que David Sintzheim délaissait l'étude pour s'occuper des affaires communautaires. Il semble avoir su combiner cette activité intellectuelle avec ses fonctions de grand rabbin et de président du Consistoire Central auxquelles il accéda en 1808. Il en témoigne dans la préface d'un de ses ouvrages, Min'hat Ani, qu'il a rédigé en quelques mois, de juillet 1809 à avril-mai 1810 : «Je rends hommage à Dieu qui m'a fait vivre jusqu'à ce jour 28 Iyar 5570 (1810), où j'ai terminé cette œuvre, car j'ai été malade l'hiver passé pendant deux mois environ, accablé par la souffrance... J'ai appelé cet ouvrage "offrande du pauvre", car c'est dans la privation de la Tora que je l'ai rédigé ici à Paris, manquant des livres nécessaires et disposant de peu de temps, du fait que je suis obligé de m'occuper des affaires communautaires. Malgré cela, je n'ai pas déserté la Maison d'Etude, fût-ce une heure, dans mes moments de loisir. Puisse Dieu me montrer à nouveau la demeure sainte, ma maison remplie de livres sacrés !»

Dans le Min'hath Ani, entièrement terminé en 1812, Sintzheim fait montre d'une érudition littéralement stupéfiante, comme du reste dans tous ses écrits. Erudition et sagacité caractérisent son œuvre. Par son érudition comme par la clarté de ses explications dans tous les domaines de la Loi écrite et orale, il dépasse tous ses prédécesseurs. Il a compilé dans ses ouvrages une véritable bibliothèque encyclopédique et nous ne lui connaissons pas à cet égard, dans toute la littérature, des commentateurs d'égal.


Tombe de David Sintzheim au cimetière du Père Lachaise à Paris.
On remarque qu'un arbre est poussé sur sa tombe, preuve que
la vitalité du grand rabbin ne s'est pas éteinte !
En tant que décisionnaire, Sintzheim fait aussi autorité et, si un recueil complet de ses responsa semble s'être perdu, on connaît cependant un certain nombre de ses techouvoth adressées à ses collègues de France et d'Italie. Ces derniers lui témoignent une réelle déférence qui perce sous les qualificatifs hyperboliques en usage dans ce genre littéraire. Les sujets les plus variés sont traités ; il existe un échange de lettres entre Sintzheim et le Chaagat Arié, le célèbre rabbin de Metz, à propos des caveaux en profondeur des cimetières parisiens.

La plupart des ouvrages de David Sintzheim et, en particulier le Yad David, sont encore inédits et ont été conservés, sous forme de manuscrits, jusqu'à la guerre dans la famille Auerbach, ses descendants directs par sa fille. L'institut de Recherches talmudiques de Jérusalem, Makhon Yerouchalaïm, dont l'un des buts est la publication de semblables manuscrits, a réussi à réunir la majorité de ses écrits qui avaient été dispersés après la guerre et se propose de les publier. Il s'agit notamment de son œuvre monumentale, Yad David, dont seul un volume avait paru en 1798 à Offenbach. Ce serait un véritable titre de gloire -sinon une obligation morale - pour le judaïsme français d'aujourd'hui, et une preuve de sa vitalité, d'assumer la charge financière de cette édition ou d'y contribuer pour une large part.

Nous savons peu de choses sur les dernières années de David Sintzheim et sur son activité de grand rabbin du Consistoire Central. M. Nahon m'a cependant aimablement communiqué un certain nombre de documents inédits des Archives des Consistoires. Il s'agit essentiellement de lettres adressées par le Consistoire de Paris au Consistoire Central, qui sont hautement instructives quant à l'esprit de l'époque.
Dans une lettre datée du 30 octobre 1809, les signataires B. Rodriguez, Worms de Romilly, De Oliveira expriment "leur profonde douleur d'avoir appris que le grand rabbin Sintzheim, méconnaissant ce qu'il devait à son caractère et à son devoir, a fait à la synagogue, à M. le grand rabbin Seligmann une sortie violente contre les opérations du Consistoire départemental (le Consistoire de Paris)". On apprendra par une autre lettre que le grand rabbin Sintzheim, cherchait à empêcher la formation du Comité d'Encouragement et de Secours. A plusieurs reprises le Consistoire de Paris a eu à se plaindre de la conduite du grand rabbin Sintzheim : pour sa résistance à l'exécution de l'article 12 du règlement qui défend les assemblées de prières sans une autorisation expresse ; pour son opposition à l'exécution d'un arrêté du Consistoire Central qui prescrit un nouveau mode d'appel à la Tora ; enfin et surtout pour un discours prononcé le Shabath avant Kippour en 1810 (lettre du 10 octobre 1810) où 3il s'est borné à rappeler aux fidèles les observances minutieuses qui se pratiquent en certains lieux à pareil jour, et il a négligé des devoirs bien plus essentiels que la religion leur enseigne... De pareilles exhortations ne pourraient servir qu'à fomenter le fanatisme et à entretenir la superstition. Le grand rabbin Sintzheim doit savoir que l'article du règlement lui prescrit impérieusement d'enseigner la morale renfermée dans les décisions du Grand Sanhédrin - et une autorité non moins respectable pour lui, le prophète Isaïe, lui apprend (ch. 58) ce qu'est le vrai jeûne... Voilà ce que le grand rabbin Sintzheim aurait dû rappeler aux fidèles au lieu de les entretenir avec complaisance d'objets qui ne sont que les accessoires de la religion et qui varient dans la pratique selon les temps et les lieux (voyez Léon de Modène, ch. 6, art. Kippour)... Nous vous prions de faire sentir au grand rabbin Sintzheim le tort qu'il pourrait se faire en continuant de répandre parmi les fidèles une doctrine qui n'est propre qu'à obscurcir les vérités éternelles de la religion pour les remplacer par des pratiques extérieures qui ne parlent qu'aux sens. Le devoir des grands rabbins et des Consistoires est de purger la doctrine des pratiques accidentelles que l'ignorance et la superstition voudraient perpétuer."
"Nous cherchons toujours - ajoutent-ils dans une lettre du 22 octobre 1810 - à empêcher qu'on ne prêche dans nos Temples une doctrine qui tend à affaiblir les rapports sociaux, à isoler les Israélites de la grande famille, à mettre des entraves au développement de leur industrie, en donnant de l'importance à des objets qui ne sont que de faibles accessoires de la religion."

David Sintzheim mourut le 7 Kislev 5573 (novembre 1812). On lui fit des obsèques solennelles et on éleva sur sa tombe un monument en forme de pyramide, portant cette épitaphe : "Ici repose le Grand Rabbin David Sintzheim, ancien chef du Grand Sanhédrin, Président du Consistoire Central des Israélites de l'Empire, décédé le 7 du mois de Kislew, l'an 5573 de la création (novembre 1812)." Au bas du monument sont gravés des rayons de bibliothèque chargés de livres. Sur la face tournée vers le Nord est cette inscription : "Pleurons l'interprète fidèle de la Loi divine, le soutien de la foi, le prince des Docteurs, le luminaire d'Israël et son ornement. En nous quittant plein de jours, sa mort causa les regrets d'une fin prématurée ; le souvenir de sa piété et de ses ouvrages portera son nom à la postérité la plus reculée." (L. Kahn ; Le Comité de Bienfaisance, Paris, 1886.)

C'est encore à notre maître le grand rabbin Liber que j'emprunterai ma conclusion : "La carrière de David Sintzheim est celle d'un savant enlevé par les circonstances à ses études, d'un travailleur jeté par les événements de l'école dans la vie. Il avait rêvé d'écouler ses jours dans un cabinet de travail et n'ambitionnait d'autres luttes que les luttes pacifiques de la Tora-mil'hamta chel Tora. Mais l'action le réclamait, et il se donna à elle. C'était, d'ailleurs, sa réputation de savant qui l'avait fait choisir entre tous, et ce fut elle aussi qui fit surtout son autorité. Il en a toujours été ainsi en Israël, et l'histoire de la science juive est l'histoire du rabbinisme et du rabbinat. Le judaïsme est une doctrine et un enseignement ; le rabbin doit être un savant et un maître."


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