LETTRE
de M. BERR-ISAAC-BERR,
A ses frères, en 1791, à l'occasion du droit de
Citoyen actif accordé aux Juifs.


page« Messieurs et chers frères,
Il est donc arrivé ce jour où le voile, qui nous couvrait d'humiliation, s'est déchiré; nous les récupérons enfin, ces droits, qui, depuis plus de dix-huit siècles, nous avaient été ravis combien ne devons-nous pas reconnaître en ce moment, la clémence merveilleuse du Dieu de nos ancêtres !

« Nous voilà donc, grâce à l'Etre-Suprême et à la souveraineté de la nation , non-seulement des hommes, des citoyens, mais encore des français ! Quel heureux changement, grand Dieu, tu viens d'opérer sur nous ! Encore le 27 septembre dernier, nous étions les seuls habitans (*) de ce vaste Empire, qui parussent être destinés à rester pour jamais avilis et enchaînés ; et le lendemain, 28, jour mémorable, que nous fêterons à jamais, tu inspiras ces immortels législateurs de la France. Ils prononcent, et plus de soixante mille malheureux, gémissant sur leur sort, se trouvent dans l'ivresse de la joie la plus pure. Ne nous le dissimulons pas, mes très-chers frères, ce ne sont ni notre résipiscence, ni nos bonnes moeurs qui ont fait mériter ce merveilleux réveil : nous ne pouvons
et ne devons l'attribuer qu'à l'indiscontinuité de la bonté céleste ; elle ne nous a jamais abandonnés : mais ne nous trouvant pas encore dignes d'accomplir sur nous les promesses d'une parfaite et durable rédemption, elle n'a cependant pas jugé à propos d'appesantir encore nos maux ; et, certes, nos chaînes nous devenaient bien plus insupportables, à l'aspect des droits de l'homme, si sublimement présentés et mis en évidence. Aussi, ce Dieu qui lit dans le coeur de l'homme, voyant que toute notre résignation n'aurait pas suffi, et qu'il fallait des forces surnaturelles pour supporter ces nouveaux tourmens, y a porté remède; il a choisi la généreuse nation française, pour nous réintégrer dans nos droits, et opérer notre régénération, comme il avait choisi, dans le temps, les Antiochus, les Pompées, pour nous humilier et nous enchaîner. Quelle gloire pour cette nation, d'avoir, en si peu de temps, fait tant d'heureux ! et certes, si tous les Français le deviennent par l'addition de droit et de liberté qu'ils viennent de conquérir, combien n'avons nous pas particulièrement gagné, et combien ne devons-nous pas être reconnaissans de cet heureux changement de notre sort ! De vils esclaves, de simples serfs, enfin d'une espèce d'hommes tolérés et soufferts dans cet Empire, soumis à des taxes énormes et arbitraires, nous devenons tout-à-coup enfans de la patrie , pour en partager les charges et les droits communs.

« Quel orateur oserait entreprendre de faire connaître tant à la nation, qu'à son roi, toute l'étendue de notre reconnaissance, et de notre soumission inviolable ! Mais ce ne sont ni des remercîmens ni des éloges que le roi et les représentans de la nation demandent ; ce sont des heureux qu'ils désirent de voir. C'est là qu'ils attendent et trouveront leur récompense. Conformons-nous-y donc, mes chers
frères, et examinons avec attention, ce que nous avons à faire, pour devenir véritablement heureux , et comment nous pouvons, au moins en partie, répondre à tous ces bienfaits dont nous nous voyons comblés. Agréez, je vous Prie, messieurs et chers frères, que je soumette à vos lumières quelques réflexions que j'ai faites à ce sujet.

"Berr Isaac Berr (1744-1828) a pris la parole à l'Assemblée Constituante. Il a joué un rôle décisif à l'Assemblée des Juifs et a écrit des brochures sur les problèmes de l'émancipation. (son fils, Michel Berr de Turique, a été un écrivain et un traducteur de talent.)
Cet homme actif a préconisé dans un opuscule que les Juifs se tournent davantage vers les travaux manuels et qu'ils étudient en même temps que les sciences profanes les matières juives en hébreu. (La première femme de Léon Blum et la troisième aussi, sans doute, descendaient d'Isaac Berr). Berr Isaac Berr a été conseiller municipal de Nancy."
Pascal Themanlys (lui-même descendant de Berr Isaac Berr) : Un itinéraire de Paris à Jérusalem, Ed. Ahva 1963.
« Le nom de citoyen actif que nous venons d'obtenir, est sans contredit la qualité la plus chère que l'homme puisse posséder dans un empire libre ; mais il ne suffit pas d'en avoir la qualité, il faut véritablement être en état d'en remplir les fonctions : nous n'ignorons pas nous-mêmes combien encore nous en sommes éloignés ; nous avons été en quelque sorte, obligés d'abandonner toutes les connaissances tant physiques que morales, enfin toutes celles qui peuvent contribuer à adoucir la vie de l'homme, pour nous occuper du commerce, afin de ramasser assez d'argent pour acheter de la protection, et satisfaire la cupidité de nos persécuteurs : et quoique nous devions, pour rendre justice à la vérité, convenir que depuis nombre d'années en France, et sur-tout en Lorraine, depuis le règne de Stanislas-le-Bienfaisant, notre sort a été bien adouci , et que nous n'avons eu, de la part de nos chefs et de nos magistrats, que des marques de protection et de bienveillance, nous avons toujours remarqué l'inutilité d'acquérir toutes ces connaissances, par l'impossibilité où nous nous sommes crus d'en profiter jamais. Il faut donc, mes chers frères, être frappés de cette vérité, que tout le temps que nous ne changerons pas nos moeurs, nos habitudes, enfin notre éducation, éducation totale, nous ne devons pas espérer d'obtenir l'estime de nos concitoyens pour occuper aucune des places où nous pouvons signaler le patriotisme qui couve depuis si long-temps dans nos cœurs. A Dieu ne plaise que j'entende vous parler de la profession de notre religion, ou de l'exercice de notre culte ; je me garderai bien de vous proposer d'y toucher. Ceux d'entre nous qui, pour des avantages quelconques qu'ils croiraient entrevoir dans la nouvelle constitution, se permettraient de changer les dogmes de leur religion, seraient à mes yeux des monstres. Si nous avions trouvé des consolations en suivant strictement notre religion pendant nos tribulations, combien ne devons-nous pas y rester attachés en ce moment, où nous jouissons du fruit de notre persévérance et de notre attachement à notre culte, en voyant que de tous les peuples anciens, nous sommes les seuls qui ont su se maintenir et résister à un torrent impétueux de malheurs qui se sont succédés pendant des siècles ! Et aujourd'hui, nominativement désignés dans la constitution française, n'aurions nous eu courage de rester fidèles à nos lois pendant dix-huit siècles de persécutions, que pour devenir réfractaires au premier rayon de liberté ? Non je n'en crois aucun de mes frères capables. Je ne vous entretiendrai donc pas du tout sur cette matière , ne doutant pas que nous ne soyons parfaitement d'accord sur le point fondamental. Mais je ne saurais assez vous répéter, combien il est indispensable de quitter cet esprit de corps ou de communauté, pour toutes les parties civiles et politiques, non inhérentes à nos lois spirituelles : là nous
ne devons absolument être que des individus, des français, occupés d'un vrai patriotisme, et du bien général de la nation : savoir sacrifier sa vie et sa fortune pour la défense de la patrie, se rendre utile à ses concitoyens, mériter leur estime et leur amitié, travailler de concert avec eux à la tranquillité publique, qui fait celle de chaque particulier, tel doit être le principal but de nos occupations journalières ; et comme nous ne sommes pas encore en état de remplir ces nobles fonctions, il faut s'occuper à en acquérir les moyens, et principalement fixer notre attention sur nos enfans, pour leur procurer toutes les facultés nécessaires.

« Acquittons-nous en ce moment de ce dont nous sommes susceptibles ; prêtons le serment civique d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Ce serment n'est que l'expression des sentimens que nous avons toujours professés. Nous n'avons jamais été accusés d'avoir enfreint les lois, ou d'avoir été rebelles même à celles qui nous entraînaient; nous avons su toujours respecter ceux même qui nous maltraitaient, et leur obéir : à plus forte raison donc, nous resterons fidèles à une loi qui nous rend tous nos droits, et qui nous assimile à tous les français y avec l'entière liberté de la profession et de l'exercice de notre religion. Ce serment, dis-je, qui ne doit être de notre part que la renonciation aux prétendus priviléges et exemptions dont nous jouissions, ne peut, sous aucun point de vue, répugner à nos frères les plus orthodoxes et les plus scrupuleux : nos priviléges et exemptions ne pouvaient supporter cette qualification, qu'eu égard à notre esclavage. Nous avions le privilége de former un corps de communauté particulière : c'était d'un côté, l'exclusion de toutes les autres corporations ; de l'autre, d'être particulièrement imposés, et taxés arbitrairement à des sommes bien au-delà de nos moyens et facultés. Un membre de cette communauté était-il accusé d'un délit quelconque, c'était la communauté tout entière qui en supportait les reproches et l'humiliation ; nous jouissions d'exemption de milices, de corvées ; c'est qu'on nous en trouvait indignes ; et pour couvrir l'injustice de pareils procédés, on nous en exemptait, à charge cependant de payer en argent, le triple des valeurs, etc. Il est bien aisé, sans doute, de renoncer à de pareils priviléges.

« Au moyen de la prestation du serment civique, qui sera regardée comme une renonciation à tous priviléges et exemptions précédennnent introduits en notre faveur, nous jouirons du droit et de la qualité de citoyens actifs, en réunissant toutefois les autres conditions requises. Vous voyez donc, mes chers frères, qu'il n'y a pas l'ombre de difficulté ou de scrupule à prêter le serment, au moyen duquel nous serons constitutionnellement reconnus Juifs français. Ce serment prêté, cherchons à remplir les devoirs dont nous sommes susceptibles, mais évitons de jouir des droits ; ne heurtons point l'opinion de quelques-uns de nos concitoyens, qui, endurcis encore par d'anciens préjugés, ne sauront pas se convaincre de la. vérité que les Juifs sont des hommes. Qu'il nous suffise, quant à présent, d'avoir acquis le droit inappréciable d'assister à toutes les assemblées des citoyens français, et ne nous y trouvons que lorsque nous serons en état d'y apporter des lumières suffisantes pour y être utiles, que lorsque nous saurons discuter et défendre les intérêts de la patrie ; enfin, que lorsque nos plus implacables ennemis seront convaincus, et revenus de leurs erreurs grossières sur notre compte.

« Si nous ne pouvons pas jouir nous-mêmes de toutes les douceurs que la nouvelle constitution nous prépare, car il est bien difficile de changer de moeurs et d'habitudes contractées depuis trente et quarante années, nous verrons au moins cueillir par nos enfans les premières fleurs de cette plante délicieuse ; nous devons même espérer cette indulgence de la part de nos généreux concitoyens, si notre régénération ne s'opère pas aussi promptement que nous le désirerions nous-mêmes. Notre éducation a été vicieuse sous plusieurs points de vue. Déjà le fameux Rabbin, Hartwilt Vessely, de Berlin, nous a rendu grand service, en publiant différens ouvrages, écrits en hébreu, sur cette matière. L'une de ces oeuvres, intitulée : Instructions salutaires adressées aux communautés juives de l'Empire, a été publiée en français pendant l'année 1782. On y trouve, et la cause de notre ignorance, et les moyens de redevenir le peuple appelé par Dieu même le peuple savant et intelligent. Je ne vous répéterai pas ce que vous pourrez lire dans les beaux ouvrages ; mais je vous engage, mes chers frères, à suivre cet auteur dans ses méditations ; et vous remarquerez facilement que notre sort, celui de nos descendans, dépendent uniquement du changement que nous apporterons à l'éducation.

« Sans doute, et ce doit être pour nous le premier des devoirs paternels, nous devons veiller à ce que nos enfans apprennent principalement la Bible sainte, dans la langue même qu'elle a été écrite par la main divine, et à nous transmise par Moïse, notre législateur; qu'ils sachent donc parfaitement la langue hébraïque, laquelle, malgré sa pauvreté, est la clef de toutes les autres langues, et doit être, pour nous sur-tout, le premier objet de nos études. Mais la connaissions-nous véritablement jusqu'à présent ? Avions-nous des maîtres en état de nous l'expliquer, et de nous en faire concevoir le vrai sens, par une traduction fidèle? Avant que nous possédions ce véritable trésor pour nous, la traduction de la Bible en allemand, par Mendelshon, nos enfans apprenaient l'hébreu, par des maîtres qui en donnaient l'explication dans un jargon que le maître et le disciple n'entendaient pas mieux l'un que l'autre. Chaque
maître, et cela dépendait naturellement du pays d'où il venait, avait sa manière de traduire et de parler. Rarement aurions-nous rencontré trois enfans, ayant appris chez trois maîtres différens, expliquer de la même manière; du même langage, enfin d'une même prononciation, le passage le plus simple de l'Ecriture sainte.

Moïse Mendelssohn (1729-1786) - Précurseur et théoricien de la Haskala (l'Emancipation), guide spirituel du judaïsme allemand, philosophe, érudit et traducteur de la Bible.
« Encore aujourd'hui, où nous possédons cette sublime traduction de Mendelshon, nous avons fort peu de maîtres véritablement possesseurs des deus langues dans lesquelles la Bible est écrite et traduite. Nous ne voyons que par-ci, par-là, quelques élèves des écoles de Berlin qui viennent dans ce pays-ci, mais trop rares et trop chers, pour que beaucoup des nôtres puissent en profiter. Il est cependant indispensable, que faisant apprendre à nos enfans la base et les principes de notre religion dans la langue originelle, nous leur en fassions donner l'explication dans le langage ordinaire qu'ils entendent et parlent de naissance.

« Il me semble que s'il nous était possible de faire enseigner à nos enfans la Bible sainte, par une traduction française, au lieu qu'ils l'apprennent par une traduction allemande ; mais que cette traduction fût aussi fidèle que celle de l'immortel Mendelshon, il en résulterait un grand et inappréciable avantage, ils n'auraient que deux langues à apprendre à la fois, tandis qu'ils sont obligés d'en apprendre trois, l'hébreu, l'allemand et le français. Aussi cette dernière, qui devrait être leur langage naturel, puisqu'ils sont élevés avec et parmi des français, a toujours été celle qu'ils ont su le moins, et qu'ils n'ont souvent pas su du tout. Ce n'est que lorsque la grande nécessité les a forcés de parler et de se faire entendre de leurs voisins, qu'ils ont commencé à balbutier quelques mots ; d'où est encore provenu que ceux même d'entre nous qui ont su apprécier assez tôt l'utilité de cette langue, et ont acquis la faculté de la parler, ont cependant conservé un accent allemand ou étranger. Leurs phrases même sont ordinairement incorrectes ; moi-même, qui vous écris en français, je ne me dissimule point mon inexpérience et ma faiblesse dans cette langue, j'ai cependant préféré de vous y entretenir, pour vous prouver que des Juifs peuvent communiquer et conférer ensemble de toutes les matières, même religieuses dans cette langue , et qu'il dépend de nous de ne plus surcharger le cerveau de notre jeunesse d'une étude de langues étrangères et inutiles. Ne voyons-nous pas des Juifs de l'Asie, les plus dévots et les plus scrupuleux, ne parler et n'écrire que l'hébreu et le langage de leur pays ? Pourquoi porterons-nous continuellement le nom de Juifs allemands ou polonais, tandis que nous sommes heureusement des Juifs français ?

« Je sens bien, mes chers frères, que cette proposition ne peut être adoptée que lorsque nous aurons une grande partie de nos livres saints, traduits fidèlement en français ; mais en attendant que nous trouvions parmi nous des hommes capables d'entreprendre ce grand ouvrage, n'évitons pas les moyens d'y parvenir. Je vous propose donc, mes chers frères, de faire établir une école commune pour nous, à l'instar de celle déjà établie à Berlin et en d'autres lieux de l'Empire ; nous instituerons des maîtres en langue hébraïque, que nous serons obligés, à la vérité, de chercher loin de nous ; nous instituerons également des maîtres en langue française. Je ne doute nullement que nos enfans ne fassent des progrès rapides dans l'une et l'autre des langues qu'ils apprendront ; ils seront tout à-la-fois, la base de notre religion, et celle de la constitution française ; et après avoir parcouru différentes classes, ils en sortiront pénétrés de la sainteté de notre religion, dont ils auront appris les dogmes par les vrais principes, et pourront être tout à-la-fois, bons Juifs et bons citoyens Français ; nous pourrons, après le premier essai, faire enseigner dans cette école toutes les sciences et arts mécaniques et autres, afin que sortant des études, nos enfans voient de belles carrières ouvertes, et puissent choisir chacun selon son goût , le genre de travail par lequel ils puissent conquérir, et l'estime de leurs concitoyens, et le soutien de leur vie. Nous n'aurons plus alors exclusivement cet esprit mer cantile et de trafic, qui était, pour ainsi dire, notre seul esprit.

biographie de beer isaac beer de turique
Nancy 1744 - Turique 5 novembre 1828

Berr Isaac Berr est le fils d' Isaac Berr (1695?-1754) né à Francfort sur le Main. En 1753, Stanislaw Lesczynski, roi du l'Etat polonais-lituanien et duc de Lorraine, nomme Isaac  Berr syndic des Ashkenazim de Lorraine. Son fils héritera de ce titre et de cette fonction, et prendra une part active à la direction des affaires de la communauté.

Berr Isaac Berr reçoit une excellente éducation, en particulier dans les domaines de l'hébreu et de la littérature rabbinique, que lui enseigne  Jacob Perle, grand rabbin de Nancy.

Berr Isaac Berr a 18 ans de moins que Cerf Berr. En 1783, il travaille comme caissier général de Nancy pour les entrepôts de celui-ci.

Propriétaire d'une manufacture de tabac et d'une banque, il acquiert une importante fortune. Il  épouse Merlé Miriam Mathilde Goudchaux (1745-1802) qui lui donnera dix enfants.

Il possède une propriété nommé Turique à l'ouest de Nancy. C'est pourquoi il prend le nom de  "Berr Isaac Berr de Turique" avec l'autorisation du roi.

Il fait partie du groupe de six "juifs allemands de Lorraine" qui se rendent à Paris en 1789 et conduit la députation des juifs de Lorraine à l'Assemblée le 14 octobre 1789. Il y défend l'idée de citoyenneté pour les juifs de sa région.

En 1792, il est élu au conseil municipal de la ville de Nancy.

Il fait partie du Conseil des notables juifs convoqué par Napoléon en 1806, puis du Grand Sanhédrin. C'est ainsi qu'il participe à l'organisation du culte juif en France et en Italie.

A la fin de ses jours, il sera pensionné par le roi Charles X, et se retirera dans sa propriété de Turique.

Ses écrits :

  • Discours des Députés des Juifs des Provinces des Evêchés d'Alsace et de Lorraine, Prononcés à la Barre de l'Assemblée Nationale, Paris, 1789
  • Lettre du Sieur Berr Isaac Berr à Monseigneur l'Evêque de Nancy, Paris, 1790
  • Lettre d'un Citoyen, Nancy, 1791
  • Lettre à ses frères, en 1791, à l'occasion du droit de Citoyen actif accordé aux Juifs
  • Réflexions sur la Régénération Complète des Juifs en France, Paris, 1806
  • Lettre du Sieur Berr Isaac Berr à Grégoire, Sénateur, Nancy, 1806
  • Discours du Sieur Isaac Berr, Paris, 1806.
Pour plus de détails sur la vie publique de Berr Isaac Berr, voir l'article de Chr.Pfister :
Les israélites à Nancy
« Il y a plus, mes chers frères ; dès que nous aurons rempli notre devoir envers nos enfans, et dès qu'ils seront bien initiés dans l'esprit et les principes de notre religion, nous pourrons, en toute sûreté, profiter des ressources qui nous sont offertes par nos généreux con citoyens, en faisant participer nos enfans aux bienfaits des écoles publiques et nationales : on ne les contrariera sûrement plus sur leurs opinions religieuses ; et dès qu'ils seront libres de ce côté, ils ne manqueront pas de se faire aimer de leurs camarades, en partageant avec eux, et l'émulation, et le désir de mériter les suffrages de leurs supérieurs. Au moyen de cette union, dans les écoles, nos enfans, ainsi que ceux de nos concitoyens, remarqueront, dès leur tendre jeunesse, que l'opinion ni la différence de religion n'empêchent point l'amour fraternel ; et que chacun devant naturellement embrasser et suivre la religion de ses pères, ils peuvent, en remplissant les devoirs religieux, remplir également ceux du citoyen : plus d'éloignement alors, plus de haine et d'antipathie entre les uns et les autres ; à mesure qu'ils croîtront en âge , les liaisons d'amitié et de fraternité se consolideront pour toutes les parties sociales et politiques non contraires aux dogmes de leur religion. Ils sauront que, rentrant chez leurs parens, les uns iront à l'église, les autres dans les temples ou dans les synagogues, pour adorer, sous différentes formes, et différens dogmes, le vrai Dieu, seul créateur de l'univers.

« Ce n'est là , mes chers frères, qu'une portion du plan que j'ai l'honneur de vous pro poser, pour assurer à nos enfans le bonheur inappréciable de jouir de la plénitude des droits de la constitution française : il faudra encore trouver moyen de les instruire dans les arts et métiers.

« Etablissons des ateliers de charité, dans lesquels nous ferons enseigner à des enfans pauvres, et à ceux qui ne sont pas nés pour une destination plus élevée, tous les métiers et arts mécaniques dont la société a besoin ; formons parmi nous des menuisiers, des serruriers, des tailleurs, etc. : et si nous parvenons à en avoir, de chaque métier, un seul en état de travailler en maître, il fera des élèves, et nous verrons insensiblement des ouvriers juifs qui n'auront d'autre but que de se rendre estimables en gagnant honorablement leur vie. L'oisiveté et la nonchalance, occasionnées par le désoeuvrement de notre jeunesse, se trouveront bannies.

« Vous me ferez observer, avec raison, mes chers frères, que tous ces plans et projets sont bien plus faciles à proposer qu'à mettreà exécution ; et que pour l'établissement de pareilles institutions, il faut des fonds, même considérables. Mais vous ne me ferez pas l'injustice de croire qu'une pareille conséquence m'ait échappé ; et ce n'est véritablement qu'après avoir conçu le moyen d'y parer, que je me suis décidé à vous faire part de mes idées. Sans doute il nous faudra des revenus fixes et certains, avant d'entreprendre aucun des établissemens que je vous propose. Mais qui de nous, un peu aisé, ne saura faire quelques sacrifices ? Qui ne se résoudra même à des privations personnelles pour contribuer au bonheur général de ses confrères, et répondre par là e npartie de notre reconnaissance pour l'acte de fraternité de nos concitoyens ?

« Lorsque nous formions une communauté par ticulière dans la ci-devant province de Lorraine, nous avions de terribles charges à supporter, outre une somme de quinze à seize mille livres que nous avions à payer annuellement, collectivement et solidairement, tant au roi, que pour industrie, gages du parlement, etc.; nous avions encore individuellement à payer des taxes arbitraires dans chaque lieu que nous habitions, soit pour logement de gens de guerre, pauvres, soit de paroisses, corvées, puits de ville, etc. etc.; et indépendamment encore des charges qui nous sont propres, les syndics, élus par notre ancienne communauté, étaient autorisés par elle, avec l'approbation du gouvernement, à former des rôles de contribution et à cotiser les individus, membres de cette communauté, sur leurs moyens et facultés. Aujourd'hui cette communauté est dissoute; et grâce à ceux qui ont été chargés de son administration, par succession de plus de cinquante ans, elle balancera facilement ses recettes et dépenses générales, sans être chargée, ni d'arrérages considérables, ni de dettes quelconques. Nous paierons à l'avenir l'impôt national par égale portion et mesure avec tous les contribuables de la France : nous ne paierons , pour ainsi dire, que ce que nous aurons consenti librement par la voie de nos représentans, qui sont également ceux de tous les Français. Eh bien, mes chers frères, faisons un effort ; montrons-nous capables de renoncer à des avantages présens, pour nous rendre dignes de plus grands avantages dans un avenir peu éloigné. Sachons nous priver d'une partie des biens que la nouvelle constitution nous offre, pour lui fournir dans nos enfans des sujets encore plus dignes que nous de ses bienfaits. Réunissons-nous tels que nous étions en Lorraine ; invitons même ceux des nôtres qui, par la division du royaume en quatre-vingt trois départemens, domiciliés dans notre département de la Meurthe, à se réunir à nous. Consentons unanimement et volontairement à supporter pendant dix années encore la charge équivalente à celle que nous étions contraints de payer : employons cette somme qui nous servait pour obtenir tolérance et protection, à faire des hommes dignes de la liberté qu'ils viennent d'obtenir, une fois la rentrée d'une somme certaine assurée, rien ne sera plus facile que de mettre à exécution les établissemens nécessaires pour l'enseignement et l'éducation de nos enfans.

« Nous continuerons à entretenir le rabbin élu par notre ci-devant communauté, qui remplira les fonctions de rabbin-général, pour tout ce qui a rapport à nos usages et cérémonies religieuses ; nous établirons dans tous les lieux où le nombre des habitans sera assez considérable, des rabbins particuliers, ou des vicaires, lesquels, également nommés par nous, seront confirmés par le rabbin-général, et seront soumis à son inspection. Chaque lieu où il y aura des vicaires établis, il aura son arrondissement, où il sera obligé de remplir les fonctions religieuses et civiles, autant que celles-ci tiennent à notre religion. Tous les enfans juifs du département, et ceux des pères qui auront consenti volontairement à contribuer, selon leurs moyens, à la masse générale, jouiront des établissemens d'éducation et des ateliers d'arts et métiers ; nous pourrons avec facilité établir le mode de perception de la contribution nécessaire, ainsi que de sa comptabilité, en choisissant des administrateurs dignes de notre confiance : au moyen de cette contribution générale, nous chercherons également à secourir et prévenir les besoins de nos pauvres vieillards infirmes, et hors d'état de gagner leur pain journalier. C'est absolument sur ces personnages que nous devons jeter nos regards, et porter toute notre attention ; mais nous ne devons pas l'étendre plus loin : et lorsque nous verrons des hommes en état de travailler, tendre la main, efforçons-nous de leur refuser la charité ; faisons-leur essuyer la dureté d'un refus humiliant, quoi qu'il doive en coûter à nos coeurs sensibles et charitables. Nous éteindrons par ce moyen la fainéantise qui, trop souvent préfère un pain donné à un pain gagné. Si on nous a reproché, dans le temps, de l'inaptitude, de la nonchalance, du dégoût pour le travail, cherchons à ne pas mériter ce reproche qui serait actuellement aussi juste qu'il était injuste alors : forçons, autant qu'il dépendra de nous, nos pauvres habitués à être entretenus sur nos aumônes, à donner la préférence au travail, même à la sueur de leurs corps. Enfin, mes chers fières, je m'acquitte d'un devoir bien cher à mon coeur, en vous faisant part de mes faibles idées sur notre situation actuelle ; idées qui, comme vous le voyez, ne sont qu'ébauchées, et qui ne pourront acquérir de développement, que lorsque vous aurez daigné les accueillir et les juger dignes de vos occupations; mais quel que soit leur succès, j'ose toujours espérer
que vous ne méconnaîtrez pas les sentimens de fraternité qui me les ont dictées ; et c'est avec cette pureté de sentiment, que j'ose vous exhorter, mes chers frères, à ne pas perdre un instant sans vous occuper de vous-mêmes.

  J'ai l'honneur d'être bien fraternellement,
Messieurs et très-chers frères,
Votre très-humble et très-obéissant,
serviteur,
Signé BERR-ISAAC-BERR.

(*) Nous avons respecté l'orthographe originelle du texte, y compris celle des noms propres (N.d.l.R.)    Retour au texte.

© A.S.I.J.A.