LES COUTUMES DES FIANÇAILLES ET DU MARIAGE
Extrait du TRAIT d'UNION, Bulletin mensuel du judaïsme traditionaliste
n0 76-77, tamouz-vav 5720, juillet-août 1960


en Alsace

LORSQUE dans les petites villes et les villages d'Alsace il y avait encore de grandes communautés juives, il était plus facile de parler de leurs coutumes qu'aujourd'hui où l'assimilation aux milieux ambiants a fait de sensibles progrès, surtout dans les villes où réside maintenant la grande majorité de la population israélite. Il y a cent cinquante ans, les "rues des Juifs" à Colmar, Haguenau, Ribeauvillé, Biesheim, etc., les "cours des Juifs" à Grussenheim, Riedwihr, Riquewihr, Epfig, etc. méritaient encore ces dénominations, et la vie qui s'y déroulait, présentait ces marques caractéristiques qu'on pouvait appeler : usages juifs.

Mais il ne faut pas croire que ces usages ont toujours trouvé l'approbation des rabbins et des "préposés" de l'époque. Dans un statut délibéré et adopté par une assemblée de notables (parnossim et chetadlonim - présidents de communautés et membres actifs) de la medinoh ("nation") qui eut lieu à Niedernai le 21 lyyar 5537 (28 mai 1777) on parle de certains us relatifs aux fiançailles ou au mariages qui furent considérés comme des... abus, et leur abolition fut non seulement demandée mais exigée : "§ 27. Dans notre province c'est l'usage que les jeunes gens achetent au fiancé qui arrive dans la communauté l'honneur religieux de Guelilouth Séfer Thorah (rouler le parchemin de la Torah) en échange duquel ils lui demandent de les régaler, ce qui mène le plus souvent à une beuverie. C'est pourquoi ce minhag doit être aboli et une amende est fixée pour les contrevenants. Il est aussi dorénavant défendu d'aller à cheval à la rencontre des fiancés lors du mariage car ces usages ont de très graves inconvénients et occasionnent des désordres (1)." Le § 28 permet la danse entre jeunes gens des deux sexes le jour du mariage et celui de schenkwein (servir du vin) le samedi précédant le mariage, appelé aussi spinholz (2), mais il interdit strictement de danser avec une femme mariée. Au moyen-âge, qui - pour les juifs - dura jusqu'à la Grande Révolution, ces amusements avaient lieu dans la maison communautaire appelée Tanzhus.
Le § 34 fixe une taxe à payer par les femmes qui assistent à la toilette de la mariée, et celles qui l'accompagnent sous le dais nuptial. Les premières s'appelaient Maanführerin (3), les secondes Unterführerin. D'autres paragraphes fixent les impôts à payer sur la dot (par les jeunes mariés à la communauté).

Dans ma jeunesse j'ai encore vu le rabbin semer des graines de blé sur ie voile de la marié assise sous la 'houppah (le dais nuptial); cet acte symbolique faisait allusion au verset de Genèse 1:28 : "Croissez et multipliez et remplissez la terre" (4). Mais je n'ai jamais vu en Alsace célébrer de mariage en plein air, ce que certains voudraient maintenant introduire.

Lorsque, après la bénédiction nuptiale, le cortège quittait le temple, le bedeau cassait au mur de la synagogue la bouteille qui avait contenu le vin utilisé au mariage. Il paraît que dans certaines communautés allemandes on avait même apposé au mur une pierre spéciale pour y casser ce verre (5). Encore aujourd'hui, par ci et par là, le marié écrase sous son pied un verre à la fin de la cérémonie. On explique ce geste comme un souvenir du deuil de la destruction du Temple. Chez les non-juifs les tessons sont signe de bonheur et un proverbe allemand dit : "Scherben bedeuten Glück" ("les tessons apportent le bonheur". Ce que les Grecs appelaient : La jalousie des Dieux, et dont ils avaient peur, joue peut-être aussi pour beoucoup dans de telles coutumes. C'est sûrement le cas pour le : "touchons du bois". On connaît aussi la légende de l'anneau de Polycrate, inspirée par la même crainte.

Il m'est resté encore un autre souvenir: Le Shabath après le mariage (en ce temps-là il n'y avait pas de voyage de noces !) le jeune marié ainsi que tous ceux qui avaient assisté au mariage étaient appelés à la Torah et ce Shabath portait le nom de Heimführung.

Quels sont les usages observés encore de nos jours ? Inutile de parler des visites, des réceptions, des cadeaux; cette "coutume" n'a jamais été mieux observée, et la publications de "faire-part" dans la presse y contribue pour beaucoup.

Aux fiançailles, le jeune couple se place dans un vaste cercle où l'on a écrit les lettres Mem Teth, initiales de Mazol Tov ("bonne chance", litt. "bonne étoile") et un moguen dovid (étoile à 6 branches). Le cercle doit signifier : Union et durée ! Mazol Tov (les Séfardime disent Simâne tov - "bon signe") est le souhait que forment les assistants pour les fiancés : Bonheur et prospérité. Un de nos maîtres, le grand savant Abraham Berliner, essaya très sérieusement de faire disparaître cette expression de notre langage. D'après lui, elle se base sur une conception superstitieuse, la foi en l'influence de la constellation des étoiles, donc un reste de l'ancienne astrologie. Les élèves de Berliner ne l'ont pas suivi, mais, en sa présence, il se gardaient bien de souhaiter à qui que ce soit : Mazol Tov.

Après quelques paroles de circonstance, un proche parent ou le rabbin qu'on invite souvent à cette "cérémonie", casse une assiette (brecht s'Tellerle) mouvement qui est suivie d'un cordial Mazol Tov général. L'expression knass legen pour les fiançailles s'explique ainsi : autrefois les conditions matérielles en vue du mariage étaient mises par écrit dans un document appelé Tenoïme dans lequel une amende (knass) assez forte était stipulée pour la partie qui se rétracterait. L'acte était signé des deux parties.

A l'office du vendredi soir qui suit les fiançailles officielles, et à celui qui précéde le mariage, l'officiant chante un Mal'houth'ho. C'est le passage qui commence par Mikomokho du Cantique de la Mer (Exode 15:11) où la puissance de Dieu est exaltée. Le choix de ces versets trouve sa motivation dans ces paroles talmudiques (Sanhédrîn, 22a) : "l'union bien assortie entre mari et femme est chose aussi difficile que le miracle du passage de la Mer Rouge".

A l'office du matin du Shabath qui suit les .fiançailles et à celui qui précéde le mariage, le fiancé appelé cérémonieusement à (lire) la Torah bénéficie d'un Michébérakh (bénédiction) spécial précédé par le chant de la première strophe d'un piyoute (poème liturgique= commençant par E'hod yo'hid (6). C'est le même par lequel sont honorés les 'Hathonim de Sim'hath Thora (7). Chez nous le choeur chante encore au fiancé un sonore Yevaré'he'ho et est ensuite invité par lui à une petite collation.

Ordinairement la fiancée est conduite par son père sous la 'houppâh (le dais nuptial), le fiancé par sa mère. La fiancée prend place à la droite du fiancé, les coupes de vin leur sont offertes par leurs parents respectifs. Les morceaux à chanter sont laissés au choix de l'officiant. D'autres usages, tel le demi-ieûne (parce que, dit le Talmud, les péchés leur sont pardonnés) (8) et la prière de Minh`ha avec Viddouy (confession des péchés) à réciter par les fiancés sont généralement observés au jour du mariage.

... Voilà pour les minhaguim (les coutumes). Mais c'est le dîne (la loi religieuse) qui occupe la première place.

en Pologne (avant-guerre)

S'IL est vrai que les évènements malheureux de la vie restent moins profondément gravés dans la mémoire que les occasion joyeuses, celle-ci pourraient être l'objet de notre observation, en tant que spectateur regardant les choses avec un certain recul. Dans la communauté juive d'Ostrowiec - centre de la Pologne - composée de cinq mille âmes et connue par ailleurs grâce au Gaon Rabbi Méir Ye'hiel Halévi Halberstat (9) les cérémonies de fiançailles et de mariage se déroulais selon une variété assez grande.

Les fiançailles

IL y avait des TENAIM, clauses en vue d'une conclusion de mariage, dont l'élaboration se prolongeait parfois plusieurs jours. Les intéressés étaient généralement absents, fort heureusement. Cela n'empêchait nullement les parents et familles de passer ensemble des moments agréables, en discutant des conditions de l'union future, en se réjouissant tout en tremblant : car personne ne pouvait prévoir l'issue de ces longues tractations ; et, puis, le KENASSE, amende à payer. en cas de rupture des fiançailles, était assorti de clauses terribles de sorte qu'on préférait le divorce à la rupture. . .

Il avait aussi des fiançailles où les parents étaient frustrés de cette partie de plaisir. Comme en France, deux jeunes gens, apprenait-on, viennent de se déclarer fiancés. Petit à petit, les négociations familiales cédaient la place aux exigences du temps. Pendant les dernières années d'avant guerre, par exemple, la pratique de la promesse de mariage "DAS WORT" avait été largement adoptée. C'était une réunion intime des parents, en présence de intéressés et de rares amis, agréméntée d'un peu de shnaps et de quelques douceurs. Le but de cette rencontre était moins de rendre les fiançailles officielles que de fixer la date du mariage.

Le mariage

LA cérémonie nuptiale sans décor architectural, ni discours de circonstance avait cependant un caractère très solennel. On me pardonnera, en l'occurrence, je l'espère, si je lui applique cette fameuse phrase du Talmud (Ketouboth 17a) au sens figuré. "La ke'hal vela cherak vela pircouss veyalatt 'henn" : "Sans fard, sans discours et sans encens, elle trouva tout de même grâce au yeux de tous".

La 'Houpa

DE manière générale, la 'HOUPA, le dais nuptial, était dressé à. ciel découvert. Tout le monde, invité ou non, venait s'associer à la joie des mariés. C'était ainsi une belle occasion de réconciliation des esprits et des coeurs. Comparer ce jour à Yom Kipour n'était pas un vain mot.

Au premier plan on pouvait voir des mains amicales lever au ciel des bougies multicolores. Ces feux ajoutaient de la flamme à la solennité, le jour plus encore que la nuit : puisque, comme jadis au temple, personne ne pouvait se méprendre sur le sens de ces lumières. D'ailleurs, dernièrement, l'usage s'était établi de célébrer le mariage le jour et surtout un vendredi après-midi. La sainteté du Shabath et le repos hebdomadaire effectif y étaient pour quelque chose.

La 'HOUPA terminée, les réjouissances commençaient. C'est là seulement qu'apparaissait la différence des classes et des convictions religieuses. Les Klezmorim et les Bad'honim s'en chargeaient bien, du reste (10).

La réception

Dès que les mariés avaient franchi le seuil de la maison, une musique gaie, pleine d'oubli et d'espérance et qui n'avait rien de commun avec les langoureuses marches nuptiales, s'élançait à leur rencontre. Ils s'installaient à la place d'honneur, chacun de son côté, et parfois même dans des pièces différentes suivant le degré de piété de la famille. Le Bad'han entre en jeu, tantôt seul, tantôt accompagné des Klezmorim. Tout d'abord il s'adresse au 'HATAN (fiancé). "A tout Seigneur tout honneur"... "Nous allons bénir la KALA (fiancée) et chanter ses mérites", s'écrie-t-il, et les musiciens de répondre "Amen". Il en fait de même pour la KALA. Quant aux ME'HOUTANIM, les parents, ils en ont chacun pour leur argent. Le tout débité en rime, sur un air bien connu, avec mesure et goût selon la qualité du Bad'han et l'auditoire. Pendant ce temps les service des dégoustations allait bon train. Afin de permettre aux mariés de goûter les belles paroles du Bad'han, tout le monde à la fois s'employait à vider ses assiettes au fur et à mesure qu'on les remplissait. Les pauvres et les mendiants y avaient accès également.

Chose curieuse, mais non incompréhensible, les nombre des musiciens étaient presque toujours inversement proportionnel à la fortune des mariés.

On dansait également au mariage. Bien souvent cela se réduisait au Mitsve-Tentsel (11) qui remonte à l'époque talmudique. Rabbi Yehouda Bar Ilaî était passé maître dans la matière, tant il connaissait le secret de réjouir les autres, et, par dessus tout, le 'HATAN et la KALA (Ketouboth, ibidem).

Il était extrêmement rare de rencontrer un 'HATAN qui fit une Deracha (12) le jour de son mariage. Pourtant les cadeaux de noces s'appelaient bien "DERACHA-GECHANK", "cadeau du discours". On pourrait penser à un euphémisme ; explication difficilement acceptable pour quiconque con-nait l'esprit dont était emprunt un tel mariage. C'est plutôt à la Halakha (la loi rabbinique) qu'il convient de se reporter laquelle pourra nous servir, en même temps, de conclusion.

Celle-ci nous enseigne : le 'HATAN est dispensé a priori de la lecture du Chema pendant les trois jours qui suivent son mariage, étant donné qu'il est trop préoccupé par l'accomplissement de la Mitsva (13). D'autre part, il est recommander au marié de développer 'un sujet religieux avant la bénédiction nuptiale.

La joie extrême qu'il éprouve en fondant un foyer, en participant à la continuité de la création divine lui permettrait-elle davantage d'étudier que de prier ?... En effet, le simple souvenir de ces cérémonies nous emplit encore et toujours de sainte émotion.

en Tunisie
par le grand rabbin Jacob Madar

LES fiançailles en Tunisie et particulièrement à Tunis se pratiquent comme en France, c'est-à-dire qu'il y a des fiançailles arrangées, d'autres par amour, etc... Cependant, les parents font quelquefois appel à des rabbins notaires pour la rédaction d'un contrat de fiançailles (tenaïm). Dans ce document, on stipule ce que la fiancée apportera en dot et on fixe le délai maximum jusqu'au mariage. On fixe également le montant des dommages et intérêt (bôcheth) que celui qui désirerait rompre devrait payer à l'autre partie.

Le Choul'hane Aroukh (14) veut qu'à partir du moment où les fiancés sont d'accord pour célébrer leur mariage, la fiancée doit compter sept jours de pureté (15) avant les shévah brakhoth (16). C'est pourquoi, sept jours avant le mariage, le jeune homme envoie une corbeille pleine de henné, de, parfums et de plusieurs paires de chaussures. (La coutume veut que les chaussures de la mariée soient à la charge de son fiancé). Les feuilles de henné séchées sont réduites en poudre dont on fait une sorte de pommade qu'on applique sur les cheveux, la paume des mains et la plante des pieds qui prennent la teinte de la rouille. C'était à la mode dans les temps anciens et cette mode est encore en usage parmi les arabes et les juifs de l'intérieur.Dans les grandes villes, on n'use pratiquement plus de ce produit de beauté. Cependant, pour le mariage, cela est devenu une sorte de tradition qu'il faut respecter, mais on se contente de l'appliquer sur la paumé des mains.

Le fiancé et sa famille sortent en procession de la maison de la fiancée. Quelquefois ils se font accompagner d'une musique indigène, tambour et cornemuse. Les parents de la fiancée donnent une grande réception durant laquelle précisément la fiancée applique le henné sur ses mains à l'aide d'une pièce d'or. C'est de là que cette réception a été nommée la "Henna".

Le samedi qui précède 'le mariage, la fiancée reçoit ses amies. Elle leur a préparé depuis la veille une poule farcie. Les jeunes filles sont persuadées qu'en mangeant de cette poule, elles auront également la chance de se marier au cours de la même année. Aussi se fait-on un devoir d'en faire goûter à toutes les amies, parentes, voisines.

A la tvilah (17) la fiancée est accompagnée de sa mère, sa belle-mère, ses soeurs, belles-soeurs, ainsi que quelques parentes et amies. Toutes se rendent au bain maure et s'affairent autour d'elle pour la laver. Les unes chantent les louanges de la jeune fille, les autres font des voeux pour le bonheur du nouveau couple. On jette dans la tvila des dragées, probablement pour que cette union soit douce. Ces bonbons sont ramassés par les jeunes filles qui espèrent se marier à leur tour en mangeant ces dragées. La fiancé, de son côté, se fait également accompagner à la tvila par son père, son beau-père et ses amis.

Le Shabath, à l'office du matin, on sort un deuxième rouleau de la Torah en l'honneur du marié. On y lit le passage de la Genèse 24:1-9, relatant la mission confiée par Abraham à son serviteur de choisir une épouse pour Isaac parmi les jeunes filles de son pays et de sa famille: Chaque verset est traduit en araméen par un fidèle. Pour cette raison, ce Shabath est dit : "Shabath Veabraham Zakéne", selon les deux premiers mots du passage en question.

Les shévah brakhoth (16) se font à la synagogue et très souvent-à la maison. On ne fait pas toujours appel au rabbin. Au préalable, les fiancés font faire la Kétouba (le contrat de mariage) par des rabbins notaires nommés par décret d'État. Les juifs étant régis en Tunisie par le Statut Personnel, la Kétouba constitue le document essentiel du mariage. Aussi prend-on le plus grand soin pour sa rédaction. On y mentionne la dot apportée par la jeune fille. Très souvent les montants s'élèvent à plusieurs millions (d'anciens francs).

Aujourd'hui que le Tribunal Rabbinique est supprimé, la Kétouba ne demeure pas moins valable. Les fiancés ont le choix entre le mariage civil ou par acte notarié transcrit sur les registres de l'Etat Civil Tunisien.

Après les sept jours de lune de miel prévus par le Choul'hane Aroukh (14), les jeunes mariés donnent une petite réception (en famille) chez eux. Il est d'usage de manger à cette fête du poisson (pour éloigner le mauvais oeil). On prend un poisson de grande taille et on introduit dans sa gueule et son ventre un bâton. Ensemble, les mariés doivent débiter ce poisson, le mari du côté de la tête, la femme du côté de la queue. Bien entendu, le mari n'arrive pas à couper la moindre tranche, alors que sa femme le fait avec agilité, d'autant plus qu'on donne à la femme un couteau aiguisé et au mari un vieux couteau ébréché. On pousse alors des cris de joie en disant que la femme a gagné. Au seuil de leur nouvelle vie, cela semble enseigner au mari que, s'il est désormais chef de famille, il doit pourtant laisser à sa femme le soin de s'occuper des affaires intérieures du ménage. Le poisson est frit et distribué aux convives. Il ne leur reste plus au'à souhaiter aux jeunes époux une vie de bonheur, en se promettant de revenir pour fêter la naissance d'un ben zakhar (un fils).


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