Ephraïm ROZEN
(1925-2015)


Ephraïm Rozen naît en 1925 en Pologne dans la ville industrielle d'Ostrowiec, où vivent 25% de Juifs. Il est le troisième d'une famille de six enfants. Ses parents possèdent une petite usine de bougies et de savon.
Après l'invasion des troupes allemandes en Pologne en septembre 1939, l'entreprise de ses parents est confiée à un administrateur provisoire et un ghetto est constitué à Ostrowiec. En 1942, sa mère meurt du typhus, son père est fusillé tandis que le reste de sa famille est déporté le 11 octobre 1942. Avant de mourir, le père d'Ephraïm Rozen le cache en lui ordonnant de "rester vivant". Ephraïm Rozen est alors contraint de travailler en usine dans le ghetto rétréci d'Ostrowiec puis dans un camp. En mai 1944, il se cache à nouveau mais il est repris par les SS et emprisonné dans un camp de concentration aux environs d'Ostrowiec.
Déporté à Birkenau, il est envoyé travailler dans la mine de charbon de Jaworzno. Pour tenir bon, il se raccroche à sa foi en Dieu. En janvier 1945, il participe à la marche de la mort et se retrouve à Buchenwald. En février, il est envoyé dans le camp de Schörzingen.
Libéré par les soldats français, il est soigné à Constance om il rencontre le général Koenig qui lui recommande de s'installer en France.

Lorsqu'il arrive à Paris, il ne parle pas un mot de français, mais il parvient cependant à suivre l'enseignement du Séminaire rabbinique de la Rue Vauquelin en 1945. rzz(r
Il épouse une Française, Evelyne Kahn, qui l'aidera à se perfectionner dans sa langue d'adoption, et ils auront six enfants.
Son premier poste de rabbin le conduit à Clermont-Ferrant, puis il officie à Toulouse.
Il sera rabbin à Sarreguemines de 1967 à 1986, où il reçoit le titre de grand rabbin.
Ensuite il s'installe à Strasbourg, où il se consacre principalement aux études juives.

En 1993, il participe à l'ouvrage collectif Célébrations dans la tourmente (ed. Verdier), dans lequel il témoigne des épreuves qu'il a subies pendant la guerre.

Remise des insignes de la Légion d'Honneur au grand rabbin Rozen ; Strasbourg, 22 avril 2012

L'arbre dans la tradition juive
Extrait de l'Almanach du KKL-Strasbourg 2016 (avec l'aimable autorisation des éditeurs)

Le grand rabbin Ephraïm Rozen za"l qui nous a quittés cette année était un survivant de la Shoah.
Il a su recréer en Alsace une famille et exercer tout au long des années un magistère, notamment dans la communauté de Sarreguemines. Il fut également un contributeur à notre Almanach. Pour lui rendre hommage, nous republions un des textes qu'il nous avait confié.






Arbres du Jardin des Roses à Jérusalem, en hiver et au printemps
© B. Weill
Peut-on parler de l'arbre, de son importance, de ses fruits, de sa beauté et de sa symbolique sans remonter à son origine ? "L'arbre n'est-il pas semblable à l'homme" (Deutéronome 20:19). Dans l'ordre de la Genèse, il précède même l'homme.

Au troisième jour de la Création, D. dit : "Que la terre produise de la verdure, de l'herbe renfermant sa semence ainsi que des arbres" (Genèse 1:2 ).
"L'Eternel D. fit germer sur la terre tout arbre agréable à voir et bon à manger, l'arbre de la vie au milieu du Jardin (d'Eden) et l'arbre de la connaissance du bien et du mal" (Gn. 2:9).

Noé planta un vignoble (Gn. 9:20), Abraham un verger (Gn. 21:33).
Pour l'accroissement du genre humain, la Torah emploie un terme emprunté à l'arbre: Perou Ourvou, "fructifiez et multipliez"(Gn. 1:28).
"Les arbres de la forêt chantent la gloire de D." (Psaume 96:12).
Au Commencement, les hommes comme les animaux se nourrissaient uniquement de végétaux, de fruits d'arbres principalement.

Son importance

"Le quinze Shevath est le Nouvel An des arbres", enseigne la Michna (Rosh-Hashana 1:1). Cette période coïncide avec la montée de sève dans les plantes. A l'instar de Rosh-Hashana - Nouvel An de la Création de l'homme, Jour de Jugement -, le quinze Chevat, il est décidé au ciel de l'existence, l'épanouissement et la production des arbres (Sepher Haodaa).

Le Midrach (Beréshith-Rabba 41:1) nous renseigne sur la sexualité des arbres conformément à l'image du Psalmiste : "Le juste s'épanouit comme le palmier, s'élève comme le cèdre du Liban " (Ps. 92:13). Le palmier-dattier et le cèdre du Liban sont " les prototypes" d'arbres dont le comportement ressemble à celui de l'homme en ce qui concerne le désir de se reproduire et la volonté de se perpétuer.

Les vertus médicinales des feuilles d'arbre (Ketouboth 112a), leur beauté naturelle et leur utilité ne sont plus à démontrer.
"Quiconque, se promenant au mois de Nissan - avril - aperçoit des arbres en fleurs, doit prononcer la bénédiction suivante : Béni-soit l'Eternel notre D., Roi de l'univers, qui ne priva la nature de rien et y créa des arbres pour en faire profiter les humains" (Berakhoth 43b). L'arbre en fleurs n'est-il pas un signe de renouvellement de la nature, un bien dont nous profitons en permanence ?

Renaissance et continuité

"Honi, raconte le Talmud, peina toute sa vie pour comprendre enfin le verset du fameux Shir Hamaaloth - cantique des degrés et d'élévation, Psaume 126 - "Quand l'Eternel ramènerait les exilés de Sion, nous serions comme dans un rêve". Est-il possible de rêver continuellement pendant soixante-dix ans ? (allusion à l'exil de Babylone qui dura ce laps de temps).
Un jour cependant, en cheminant à la campagne, il vit un vieillard en train de planter un caroubier. - Dans combien d'années produira-t-il ?
- Au bout de soixante-dix ans.- Vivras-tu encore à ce moment-là ?
- Cela ne fait rien. En venant au monde, je trouvai des caroubiers plantés par mes ancêtres. Plus tard, mes descendants trouveront l'arbre planté par mes soins.
'Honi, très fatigué, pénétra dans une grotte et s'endormit. En sortant, il vit un jeune homme cueillir les fruits de l'arbre. Etonné, il demande : - Est-ce toi qui plantas ce caroubier ?
- Non, je suis le petit-fils du vieillard qui l'avait planté.
'Honi comprit alors qu'il avait dormi soixante-dix ans, tel un rêve" (Taanith 23a).

Il comprit également le sens du retour à Sion qui se déroulera comme un rêve, effaçant temps et espace dans une accélération de l'histoire à peine croyable.

La réponse du vieillard, planteur de l'arbre, nous intéresse à plus d'un titre.
Elle est projection, au ralenti, du film rêvé ; elle développe une action s'étendant sur des générations, trois au moin s; elle démontre la solidarité existant parmi les hommes ; elle est l'illustration de l'enseignement de nos Sages : " Les Juifs sont des gens responsables les uns vis-à-vis des autres.
"Quel bel exemple de continuité et de renaissance ! sujet de préoccupation permanente de 'Honi, symbole du chant d'élévation : " qui sème en larmes, récolte dans l'allégresse".

L'arbre c'est la vie

Selon la tradition allégorique (Beréshith-Rabba 15:6), l'arbre de la vie, planté par D. au milieu du Jardin d'Eden, couvrait la surface de la terre habitée.
Rabbi Yehocha Bar Hai dit que son feuillage s'étendait sur un espace de cinq cents années de marche.
Non, affirme Rabbi Youdan au nom de Rabbi : son tronc était haut de cinq cents années de marche. Autrement dit, pareil à l'homme cosmique, il remplissait l'espace horizontalement et verticalement (Beréshith-Rabba 8:1).

Sans l'arbre, point de vie. Ne produit-il pas, grâce à la chlorophylle, l'oxygène indispensable à la vie ?
"La Torah est un arbre de vie" (Proverbes 3:18) pour ceux qui la mettent en pratique. Oxygène du peuple juif, elle n'a cessé d'irriguer, de vivifier l'esprit de ses adeptes.

"Rabbi Na'hman, sur le point de prendre congé de Rabbi Its'hak, sollicita de ce dernier sa bénédiction.
Ecoute cette parabole, dit Rabbi Its'hak : Un homme, marchant dans le désert,affamé, assoiffé et fatigué trouve tout à coup un arbre aux fruits succulents, à l'ombre agréable, au pied duquel coule une source d'eau. Le voyageur mange de ses fruits, boit de sa source et se repose à son ombre. Avant de repartir, il s'adresse à l'arbre en ces termes : Arbre ! arbre ! comment te témoigner ma gratitude ? Que te souhaiter ? De produire des fruits succulents? Ils le sont.
De répandre une ombre agréable? Elle l'est.
D'avoir une source d'eau à tes pieds ? Elle y est.
Fasse seulement D. que toutes tes pousses te ressemblent !
Il en est de même de toi, mon cher Ami. Comment te bénir ? Que te souhaiter ?
De réussir dans l'étude de la Torah ? Tu en es maître.
D'acquérir de la richesse ? Tu es déjà riche.
De donner naissance à beaucoup d'enfants? N'es-tu pas béni de fils et de filles ?
Ma bénédiction, la voici : Fasse D. que tous tes descendants te ressemblent." (Taanith 5:8).

La symbolique de cette parabole est claire : assurer la continuité.
Au delà de la prospérité et du bonheur, se pose le problème: comment conserver ce capital à la fois matériel, moral et spirituel ?
La bénédiction des Cohanim en est la réponse adéquate : "Que l'Eternel te bénisse et veille sur toi" (Nombres 6:24), sur les bienfaits qu'il t'aura accordés afin qu'ils se perpétuent et deviennent un capital inaliénable, un Keren kayemeth.

L'arbre et le Keren Kayemeth Leisraël

Quotidiennement, avant de nous livrer aux activités journalières, nous lisons dans le livre de prières en guise d'étude cet enseignement talmudique : "Voici les bonnes actions dont nous mangeons les fruits dans ce monde-ci et dont le capital demeure intact pour le monde futur, Weha-keren Kayemeth Lo Laolam Habah, ce sont : honorer les parents, rendre service à son prochain de manière désintéressée etc." (Shabath 127a).

Les fondateurs du KKL, s'étant inspirés de ce texte pour qualifier leur oeuvre, avaient jugé bon de placer la plantation des arbres en tête de leurs préoccupations.
Les multiples fonctions de l'arbre que nous venons d'étudier, loin d'être exhaustives, justifient pleinement la place qu'il occupe dans la renaissance d'Eretz Israël.

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