THIONVILLE
par Jean-Bernard LANG
page réalisée avec le concours de Pascal FAUSTINI



Cinquantième anniversaire de la nouvelle synagogue de Thionville


L'ancienne synagogue de Thionville, construite en 1805 et détruite en 1940


La nouvelle synagogue, inaugurée en 1957


Le mémorial construit avec les pierres tombales juives du cimetière St François,
retrouvées après la guerre, à la suite de la profanation par les Allemands
(inauguré le 10 novembre 1957)

La ville faisait partie du comté, puis duché, du Luxembourg, sous domination bourguignonne au 15ème siècle, puis, après la mort de Charles le Téméraire sous les murs de Nancy, passa dans les biens de la Maison d'Autriche, puis enfin à la Couronne d'Espagne à l'avènement de Charles-Quint. En 1370, il semble que les juifs aient été expulsés du duché, mais il est probable que la mesure ne fut pas, ou seulement partiellement appliquée puisque l'on signale cinq familles juives dans la ville jusqu'en 1492. Peut-être y étaient-elles revenues après l'expulsion, ce qui arrivait souvent. Il y a peut-être eu à cette époque un cimetière juif puisqu'en 1566, un terrain municipal est dit "Judenkerschhof". Mais lorsque les Pays-Bas auxquels le duché appartenait, passèrent sous la suzeraineté espagnole, des édits anti-juifs y furent bientôt appliqués, à l'imitation de ce qui s'était passé en 1492 en Espagne.

XVIIe-XVIIIe siècles

En 1643, l'armée française mit le siège devant la ville et s'en empara. Là encore, elle avait eu besoin de l'entregent de certains juifs qui lui procuraient des grains, des fourrages et des chevaux de remonte. L'un d'eux, Oury Raphaël, devient même paraît-il l'homme de confiance du nouveau gouverneur militaire, le maréchal de Grancey, qui, en 1656, l'autorise à venir s'installer dans la ville conquise. La mesure est étendue à une autre famille juive, celle de Pinel Lévy.
Ces premières familles furent installées dans la ville sous la protection du gouverneur français, mais à l'indignation de la population. Certains juifs avaient un véritable monopole dans la fourniture du ravitaillement à la garnison. C'était le cas d'un certain Mayer Lévy, né à Mutzig, en Alsace, mais vivant à Buding. Malgré les services qu'il rendit, il lui fut longtemps impossible d'obtenir le droit de résider à Thionville. Le gouverneur militaire l'aurait volontiers soutenu dans sa démarche, mais il se heurtait à la farouche opposition de la municipalité qui s'appuyait sur les termes de la capitulation de 1643 lui garantissant le maintien de ses privilèges. Et ceux-ci, prétendait-elle, s'opposaient à toute présence juive en ses murs, eu égard à la loi en vigueur aux Pays-Bas ex-Espagnols. Ce faisant, elle oubliait, pour les besoins de sa cause, que dans ce dernier territoire, devenu d'ailleurs autrichien en 1713, la situation évoluait aussi, puisque les juifs avaient été réadmis dans la ville de Luxembourg en 1757. Il fallut l'intervention du Maréchal de Ségur, ministre de la Guerre en 1786, pour faire enfin plier les édiles.

Une première passe d'armes avait d'ailleurs eu lieu en 1775. Un édit royal de 1767 avait mis en vente des brevets de maîtrise que des étrangers pouvaient acquérir. Trois juifs messins, l'imprimeur Moïse May, son gendre et son petit-fils, Abraham Spire, achetèrent un brevet d'imprimeur à Thionville et furent aussitôt attaqués en justice par la corporation. Le procès eut lieu devant la Cour Souveraine de Nancy (le Parlement de Metz ayant été provisoirement supprimé). May et ses associés furent défendus par le jeune avocat Pierre-Louis de Lacretelle qui échoua à faire valoir les droits de ses clients, mais fit éditer le texte de sa plaidoirie à Bruxelles. Celle-ci, vibrant appel à la tolérance, connut un vif succès et contribua à façonner les esprits à la veille de la Révolution.

Un épisode du siège de Thionville de 1792 illustre l'évolution des esprits au cours de cette période. La garnison était commandée par un officier d'origine aristocratique, Félix de Wimphen que l'on soupçonnera plus tard de sympathies pour les émigrés. On l'accusera d'avoir communiqué avec l'armée des Princes par l'intermédiaire d'un juif nommé Joseph Godchaux, habitant La Grange, qui aurait transmis à l'ennemi des renseignements sur certaines positions de la forteresse, particulièrement vulnérables aux tirs d'artillerie. Devant le tribunal, Godchaux vint témoigner pour révéler qu'il s'était agi en fait d'intoxiquer l'ennemi afin de lui faire bombarder des objectifs sans intérêt pour la défense. De Wimphen fut défendu par Merlin de Thionville et acquitté.

Ce n'est qu'après 1791 que les juifs purent venir habiter Thionville en toute quiétude, provoquant d'ailleurs peu à peu la désertification des petites communautés rurales des environs (Koenigsmacker, Monneren, Montenach, Sierck, Metzerwisse, Luttange etc). Celle qui résistera le plus sera celle de Buding.

XIXe siècle-début du XXe siècle

Une synagogue sera aménagée dès l'époque napoléonienne (1805) rue de la Poterne dans une maison d'habitation transformée de fond en comble. Elle comportait trois étages dont le dernier fut conservé pour le logement du ministre-officiant. Le second fut réduit à une tribune pour les dames à laquelle on accédait par un maigre escalier en colimaçon aménagé dans les murs d'une maisonnette voisine que l'on dut acheter pour cet usage. Malgré une vétusté de plus en plus criante qui nécessita de nombreux travaux de consolidation (en 1848, il semble qu'elle menaçait ruine), elle restera en service jusqu'en 1912, date à laquelle sera inaugurée avec faste et en présence d'une fanfare militaire allemande, la nouvelle synagogue de l'actuel boulevard Clemenceau.

Jusqu'en 1868, il n'y avait que des ministres officiants à Thionville, mais le 12 août de cette année, le consistoire messin demanda officiellement la création d'un poste rabbinique, arguant de la présence de 1300 à 1400 israélites dans la région. Cette proposition ne fut pas suivie d'effet immédiat, la guerre franco-allemande ayant éclaté entre-temps, mais en janvier 1906, les juifs allemands, installés en nombre dans la ville depuis l'annexion, firent venir un rabbin. Le consistoire fit traîner les choses pendant trois ans, compte tenu de l'origine allemande de l'impétrant, puis finit par s'incliner en 1909. L'autorité de la présidence entérina le fait en 1910 en officialisant le siège du rabbinat de Thionville, détaché de celui de Metz, dont le ressort était les deux cercles de Thionville-est et Thionville-ouest. Le rabbin était Abraham J. Kohn, formé par les célèbres séminaires israélites de Breslau et de Berlin, remarquable érudit auteur d'une première histoire des juifs de Thionville Die Niederlassung der Juden in Diedenhofen. Son ministre officiant était le ‘hazan Hofstein. A cette époque, la communauté de Thionville comptait soixante-dix-sept ménages, soit une population totale de deux cent quatre vingt-cinq personnes. La majorité de ses membres était formée de commerçants, mais on dénombrait tout de même un notaire, un dentiste, un avoué, un architecte, un percepteur, un juge et un ... conducteur de locomotive. L'enseignement religieux était dispensé à cinquante-six élèves, filles et garçons.

Le rabbin Kohn, patriote allemand, décida de quitter sa communauté en 1918. Il fut remplacé en 1921 par le rabbin Henri Lévy qui épousa une veuve fortunée d'origine allemande, Mme Strauss, déjà mère de trois filles et d'un garçon. L'homme était une figure particulièrement attachante du judaïsme alsacien-lorrain. Né en 1883 à Balbronn (Bas-Rhin), il fut d'abord rabbin à Mascara (Algérie) en 1908. Il se porta volontaire en 1914 comme aumônier militaire et participa aux campagnes des Dardanelles et de Verdun où il reçut la Croix de Guerre. A nouveau volontaire (dès 1936, lors de la réoccupation de la Rhénanie par les nazis), il fut mobilisé en 1939 et affecté comme aumônier au secteur de Forbach jusqu'en février 1940 où il fut atteint par la limite d'âge.

Dans l'entre-deux-guerres, Thionville, tout comme Metz, connut un important courant d'immigration en provenance du judaïsme est-européen. Mais la communauté, dirigée par son président Mathieu Bader, ainsi que par le rabbin Lévy, accueillit les nouveaux venus avec une telle chaleur que la plupart d'entre eux s'intégrèrent facilement et que Thionville ne connut ni communauté séparée ni synagogue particulière. Le ministre officiant de l'époque était Léopold Hofstein.

De la seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours

En mai 1940, ce fut la débâcle et le départ pour des départements que bien peu de gens connaissaient. Le rabbin Henri Lévy, qui s'était retiré à Saumur, fut déporté et assassiné à Auschwitz en 1944. La superbe synagogue fut entièrement rasée par les nazis. Ils l'incendièrent le 20 juillet 1940 après en avoir arrosé les murs avec de l'essence et interdit aux pompiers d'intervenir. Cependant, hypocritement, le Metzer Zeitung présenta le 22 juillet l'incendie comme accidentel et provenant d'un court-circuit électrique. Par la suite, les vestiges furent abattus et les pierres, vendues à un certain Martin, entrepreneur en bâtiment chargé de la démolition, furent réemployées à la construction de certains immeubles, rue Lazare Hoche et rue des Ducs de Lorraine. Les occupants s'acharneront encore bien plus sur le cimetière dont la clôture sera enlevée, les pierres tombales arrachées et les tombes nivelées. Cette vile besogne se fit en plusieurs étapes, au cours des années 1941 et 1942.

Après la Libération, la communauté se reconstitua avec l'aide d'aumôniers juifs de l'US Army. Les premiers offices eurent lieu dans une salle du lycée Charlemagne. Un président provisoire, Paul Blum, fut élu. Il fut remplacé dès 1946 par Maurice Dreyfuss, puis en 1955, par son gendre Rolf Glaser. La communauté engagea un ministre officiant, Bernard Wolff, qui exerçait alors à Sarrebourg, et demeura à Thionville jusqu'en 1984.

Un nouveau cimetière sera acquis alors par la communauté en 1947 et une nouvelle synagogue, construite dans un style très contemporain, fut inaugurée en 1957. Depuis 1964, les présidents furent Léon Lévy, René Hofstein, Sylvain Jacob, Pierre Weill, Michel Lévy, puis à nouveau Pierre Weill, Emile Benarroch et Jean-François Israël. D'autres Thionvillois furent des membres éminents du consistoire départemental. Ainsi Henri Lévy, membre de cette organisation dès 1946, René Lévy qui assura longtemps une prestigieuse présidence et qui fut la cheville ouvrière de la reconstruction après la Libération, ou encore de nos jours Monsieur André Fruchtenreich.

Pendant longtemps, Bernard Wolff assura les fonctions de ministre officiant et d'aumônier militaire. Il partit en 1984 et Gérald Rosenfeld lui succéda comme chantre (il est également aumônier militaire). En ce qui concerne le poste rabbinique, dès l'après-guerre, l'habitude se prit de cumuler les postes de rabbins de Thionville et de rabbin adjoint au grand rabbinat avec résidence à Metz. Dès 1947, ce fut le cas de Robert Dreyfus, puis plus tard de M. Ptascheck. Ce dernier prit sa retraite le 30 septembre 1980. On le remplaça d'abord par des rabbins-stagiaire, Didier Weill et Marc-Alain Ouaknin (1981- 1982) puis par Philippe Assous à partir de 1982. Le rabbin Assous démissionna en 1987 et fut remplacé par le rabbin Saadia Morali. Finalement, le rabbin Morali décida de quitter Thionville en mai 1990, ayant obtenu le poste de Lausanne. Le 1er janvier 1991, il était remplacé par un enfant du pays, Bruno Fiszon, devenu en 1998 grand rabbin de la Moselle. A nouveau vacant, le poste de Thionville fut pourvu par la nomination en 1999 de Maurice-Charles Braun, puis à partir du 1er septembre 2000 par Ariel Rebibo.

Le rabbin Rebibo a quitté Thionville en 2019 pour le Merkaz à Strasbourg. Il a été remplacé par le rabbin Mordehai Sultan le 1er février 2020.

 

D'après les travaux du regretté Pierre Roos (Histoire des juifs à Thionville), la thèse du grand rabbin de la Moselle, Bruno Fiszon et les archives départementales de la Moselle.
Nos remerciements pour le travail fourni par Merry Roos et M. Yves Samuel


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