Rencontre avec le Rabbin Ariel REBIBO
Rabbin de Strasbourg, Directeur de Cabinet du Grand Rabbinat


Alain Kahn a rencontré, pour le Site du Judaïsme d'Alsacien et de Lorraine, le Rabbin Ariel Rebibo qui s’est installé récemment à Strasbourg et il a bien voulu nous faire part de ses expériences et de ses impressions depuis sa venue en Alsace (novembre 2019).

A.K : Pouvez-vous tracer les grandes lignes de votre parcours avant votre venue à Strasbourg ?

A.R. : Mes parents, d’origine marocaine, s’étaient installés en Israël avant de venir en France. Mon père en effet avait été nommé Rabbin de la Communauté juive de Charenton où j’ai par conséquent passé ma jeunesse. J’ai ensuite fréquenté à St-Maur-des-Fossés le Lycée-Yechivah Etz Hayim, qui auparavant avait été créé à Montreux avant de s’établir d’une part à Elisabethville et d’autre part précisément à Saint-Maur-des-Fossés près de Paris.
J’ai ensuite poursuivi ma formation en Israël à la Yechiva du Rav Botschko Hekhal Eliyahou puis au Séminaire Rabbinique de Paris en la complétant par un Master 2 en hébreu. J’ai d’abord expérimenté ma mission de Rabbin à Bastia pendant deux ans par des activités ponctuelles puis j’ai été nommé Rabbin à Amiens dans la Somme pendant trois ans avant de rejoindre Thionville où je suis resté dix-neuf ans avant de venir à Strasbourg.
Thionville est une Communauté que j’ai beaucoup aimée. Communauté de province, elle est très riche par les membres qui la composent auprès desquels j’ai ressenti une grande proximité. Le rabbin peut ainsi suivre les familles de très près, suivre les parcours individuels des uns et des autres. C’est extraordinaire car il y a un véritable lien qui se tisse avec tous les fidèles.
Le rabbin de province est un rabbin qui s’occupe par conséquent de tout, à la synagogue comme auprès des familles. Son activité concerne également la vie de la cité avec laquelle il entretient un lien très fort que ce soit dans le cadre de ses relations avec les autorités ou dans le riche domaine de l’interreligieux. J’ai ainsi entretenu des contacts enrichissant avec le prêtre, le pasteur, la député de la circonscription, avec les jeunes gens de la rue. A Thionville, la Communauté fonctionne à l’image des communautés équivalentes en Alsace en dehors des grands centres urbains.

A.K. : Quelle a été l’évolution de la Communauté de Thionville ?

A.R. : A un certain moment, j’ai vu Thionville décliner à l’image du Talmud Torah qui petit à petit n’avait plus d’enfants à accueillir mais ces dernières années on a aussi vu la Communauté de Thionville se renouveler grâce à l’arrivée de plusieurs jeunes couples avec enfants et il y a là un vrai dynamisme qui s’est développé. Pour moi cela a été une grande satisfaction de contribuer à ce renouveau, à ces chances de la Communauté d’ainsi grandir.
En général les communautés de la région déclinent petit à petit comme Sarreguemines ou Saint-Avold mais Thionville a un atout, celui de permettre à ces jeunes de s’y installer tout en pouvant travailler au Luxembourg.
J’y ai aussi découvert le judaïsme aschkenaze, Dix-neuf ans dans une communauté entièrement aschkenaze (certains jeunes venus récemment sont maintenant d’origine séfarade) cela permet de bien connaître les traditions, les minhaguim qui caractérisent le judaïsme alsacien et lorrain. Au début pour moi c’était nouveau mais je m’y suis fait et je me suis beaucoup attaché à la tradition aschkenaze.
Je me suis beaucoup attaché à ces villages, à ces petites villes comme Sierk-les-Bains ou Metzervisse, c’est devenu quelque chose de sentimental. Tout un travail a par exemple été fait au cimetière de Sierck-les-Bains aussi bien au niveau du nettoyage des pierres qu’à celui du déchiffrage des inscriptions et des recherches généalogiques correspondantes.
Ce judaïsme on ne le connait pas vraiment à Paris où là-bas ce sont des communautés reconstituées moins enracinées dans un terroir. Quand je discutais avec les gens, de leurs familles, de leurs proches, en vérité c’était comme lorsque mes parents me parlaient du Maroc, c’est vraiment comparable. On se mariait au plus loin avec quelqu’un du village d’à côté, mes parents ont connu pendant très longtemps un judaïsme très ancré dans le paysage local et là c’était vraiment pareil. Les gens pouvaient me dire "on vient d’ici, on est de là, de ces villes, de ces villages qui nous entourent2. J’ai appris à partager tout cela, ça laisse une trace vraiment très émouvante.

A.K. : En venant à Strasbourg, le contexte a-t-il beaucoup changé ?

A.R. : D’une part, je retrouve encore de tels liens avec certaines familles issues des "petites communautés" mais en même temps Strasbourg est quand même très différent. C’est une communauté qui a beaucoup évolué et qui a vu venir beaucoup de personnes de l’extérieur C’est ainsi pour le Merkaz ou pour la Grande Synagogue : je retrouve ce judaïsme que j’ai connu à Thionville, malheureusement lors des enterrements mais aussi par les échanges qui s’avèrent aussi riches de la même façon.
J’attache énormément d’importance au patrimoine. A cet égard, j’ai consulté votre site des milliers de fois sur bien des thématiques comme précisément sur les communautés, mais aussi les biographies, la liturgie, etc … tout cela est vraiment intéressant et c’est extraordinaire de faire cela en particulier pour les jeunes générations.

A.K. : Quelles sont les circonstances qui ont permis votre venue à Strasbourg ?

A.R. : Cela n’a pas été facile surtout à ce moment de renouveau de la Communauté de Thionville mais en même temps c’est important pour moi d’avoir d’autres défis à relever, au niveau intellectuel par exemple, à une plus grande échelle, dans l’interreligieux, dans l’enseignement etc …
Thionville m’a donné la chance de pouvoir me consacrer énormément à l’étude, aux cours, l’essentiel de mon travail c’était cela. J’enseignais beaucoup à l’école de Metz, à la communauté même, pour les adultes aussi et dans beaucoup d’autres cadres. A un moment de la vie, on a envie de se demander si cette approche plus personnelle de l’étude ne peut pas trouver un échos ailleurs, est-ce qu’elle peut être contredite, j’ai besoin un peu d’une confrontation. Pour moi Strasbourg c’est un peu cela. J’avais besoin de me confronter à d’autres personnes qui étudient, à d’autres publics, c’est cela le vrai défi à relever. J’ai la chance de rencontrer des gens, des publics différents, au Merkaz bien sûr mais pas seulement, ma parole est ainsi confrontée à un discours différent, enrichissant sur le plan du développement personnel.

A.K. : Vous avez parlé de l’interreligieux …

A.R. : C’est quelque chose qui me passionne, je m’y suis beaucoup investi et depuis que je suis à Strasbourg, j’ai dans ce domaine une activité très riche. Je vais organiser avec les Amitiés judéo-chrétiennes et l’Association Charles Péguy une journée d’études au centre communautaire sur les origines du christianisme. C’est important pour différentes raisons. Ce n’est pas seulement pour une question disons d’ordre de bon voisinage mais aussi pour approfondir sa propre religion par la compréhension mutuelle. Il y a une véritable amitié qui se crée et il y a une attente. Il y a vraiment des gens qui sont en recherche du judaïsme, qui veulent entendre la parole juive, la découvrir. Nous avons une obligation en toute humilité face à cette demande. Il faut aussi entendre le discours des autres, il faut être heureux de l’héritage de la Torah qu’on a reçu et réussir à partager ce qu’on peut partager.

A.K. : Pouvez-vous nous définir vos missions essentielles ?

A.R. : C’est le Merkaz tout d’abord. Ce n’est pas que donner des cours, c’est partager toute la vie du Merkaz, les cours, les offices, la vie communautaire et proposer à l’ensemble de la communauté strasbourgeoise une facette un peu différente de ce qui existe par ailleurs : donner une sorte de vision propre au Merkaz, propre à cette approche du judaïsme qui s’inscrit dans la "Torah im Derech Eretz" ("la Torah et l'ouverture au monde" : la Torah des gens qui travaillent selon leurs possibilités, qui donnent de l’importance aux études juives et profanes, une démarche qui s’inscrit dans celle qu’a connue Strasbourg avec André Neher, avec Benno Gross, avec un judaïsme qui est ouvert sur la cité mais en même temps un judaïsme très fidèle, sans concession à la Torah et à la Halakha (la jurisprudence religieuse).
Voilà ce que j’aimerais vraiment développer, ce n’est pas neuf, ça a toujours existé. Mais cette démarche répond à une attente d’une partie de la Communauté et elle ne correspond pas à une définition du Merkaz qui serait simplement une "petite Choule aschkenaze". Il accueille des gens qui ne se reconnaîtront peut être pas dans la définition d’ "aschkenaze", ils peuvent très bien avoir des origines séfarades ou autres, l’essentiel est d’adhérer à cette façon d’aborder le judaïsme, de l’étude de la Torah, d’une pratique de la Torah, d’une ouverture sur la cité, donner une place aux femmes par exemple, les uns se retrouvent dans cette approche d’autres non, et c’est bien aussi.
Strasbourg a besoin d’avoir des couleurs différentes du judaïsme et ce qui est magnifique c’est qu’on a envie de travailler ensemble. Il y a une tradition du Merkaz qu’il faut maintenir, les merkaziens ont des convictions profondes mais en même temps ils ne se coupent pas de la société. Personnellement j’ai donc une origine sépharade mais dix-neuf ans dans une communauté entièrement aschkenaze m’ont permis d’apprendre à me modeler à cette façon d’être et à penser qu’il y a une place pour la Torah, pour la société, une place pour Israël, pour le sionisme etc… C’est la raison pour laquelle le grand rabbin Harold Weill a pensé à faire appel à moi lorsque cette place s’est libérée. Il m’a appelé parce qu’il me connaît bien, en me disant que je correspondais bien au profil à condition que les gens du Merkae m’acceptent aussi … et le "chidouch" (mariage) s’est bien fait !

A.K. : Quel est l’accueil qui vous a été réservé ?

A.R. : Il a été extraordinaire, très chaleureux. On a passé de très belles fêtes avec des offices très beaux. Il y a du répondant aux cours avec des gens très intéressants et j’en suis très heureux. Ma famille a été très bien accueillie même si mes enfants ont eu un peu de mal à quitter la Communauté de Thionville à laquelle ils sont très attachés. Quant au Vaad (comité) du Merkaz, il fait vraiment beaucoup de choses, il s’investit énormément pour que ce ne soit pas juste un endroit où l’on vient prier et s'il il ya un message que je voudrais faire passer c’est que c’est un endroit où on a plaisir à se retrouver, plaisir à se rencontrer, à partager, à étudier, un endroit où il y a un sentiment de bien être. Ce bien être, avec le Vaad, je veux le développer pour que les gens soient heureux d’être là, je sens qu’il y a à ce niveau une volonté partagée.

A.K. : Avez-vous des projets particuliers ?

A.R. : Tout d’abord maîtriser et développer les cours car c’est important ; ceux de David Lilti et ceux que je donne : des cours pour dames, pour hommes, un grand cours le Shabath qui d’ailleurs attire énormément de monde de toutes les communautés, des jeunes, des plus âgés et c’est une vraie satisfaction de le constater comme j’avais pu le constater à Thionville.
Je voudrais également m’investir dans d’autres activités qui ne sont pas nécessairement propres au Merkaz, des projets dans l’interreligieux qui sont déjà en cours comme nous l’avons vu.
Je cherche aussi d’autres publics qui viennent moins à l’intérieur de la synagogue, au centre communautaire et c’est à nous d’aller les chercher, des étudiants, des personnes âgées.
Les personnes qui se sentent juives, on les voit participer à des activités mais celles qui sont moins religieuses, elles sont présentes dans le cadre d’associations, dans des activités sociales ou pour Israël et il faut réussir à leur proposer une approche de la Torah qui leur parle. Je crois que c’est quelque chose qu’eux-mêmes recherchent et qu’on peut leur apporter et il faut trouver la meilleure façon d’y arriver.
Avec le Vaad, il faut développer des projets qui ne soient pas uniquement religieux, des activités au sens communautaire du terme. C’est ainsi que la Communauté dans son ensemble doit se fédérer autour des prières, des cours et autour de ces activités communautaires.
Je terminerai en précisant que ce travail doit être fait avec les communautés en dehors de Strasbourg, je serai pour Hanouka à Brumath, on m’a invité à Ingwiller pour un autre moment ; je suis d’ailleurs en charge des communautés de toute la partie nord du Bas-Rhin.

Le site souhaite au Rabbin Ariel Rebibo plein succès dans ses nouvelles missions à Strasbourg et dans le Bas-Rhin !

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