BITCHE

Le judaïsme au Pays de Bitche :
naissance, développement puis déclin de la communauté
texte et photographies : Olivier JARRY


Table des matières
Premières mentions dans le Bitscherland

La ville de Bitche appartient successivement au duché de Lorraine, à la principauté de Zweibrücken, puis à nouveau à la Lorraine. En 1690, sous l'occupation française, on voit s'implanter dans la cité deux familles juives. Les autorités souhaitent les voir développer le commerce de viandes, particulièrement à l'usage de la garnison, mesure communément adoptée dans les villes fortes pour maintenir des prix acceptables pour les militaires. Il semble que le retour à la souveraineté lorraine, après 1697, ait entraîné leur départ. D'autres Juifs, au nombre de cinq, tentent une installation à Achen, village situé plus à l'ouest, vers 1710, mais sans succès durable, semble-t-il.

Des indices relevés dans le canton de Volmunster laissent à penser que des Juifs aient pu fréquenter les villages de Walschbronn et Volmunster au cours du Moyen Âge, sans toutefois d'implantation durable. En effet, malgré l'absence de toute trace d'occupation juive – que représenteraient une synagogue, un Mikvé, la présence ou bien ne serait-ce que la trace d'une Mezouzah –,  l'existence d'une rue des Juifs à Volmunster et d'une Judengasse à Walschbronn est significative. Les habitants de ces villages semblent tout de même attachés à ces vestiges toponymiques puisque, après la seconde guerre mondiale, le bourg de Volmunster étant totalement détruit, la rue des Juifs a néanmoins été réintégrée dans le plan de reconstruction.

On peut également citer une parcelle du cadastre de la petite commune de Nousseviller-lès-Bitche, appelée Beim Juden. On peut interpréter la toponymie de ce lieu-dit comme désignant un terrain autrefois propriété d'un sujet israélite, ou bien encore comme un lieu de passage que les Juifs empruntaient.

A Bitche même, les Juifs sont longtemps inconnus, mais ne semblent pas très soucieux de s'installer dans la cité militaire. La première citation écrite faisant état de fidèles israélites présents en ville date de l'année 1760. Il s'agit d'un écrit stipulant que quatorze Juifs originaires de Bitche – plus vraisemblablement du Pays de Bitche -, accusés de vol, sont pendus à Nancy. Ce récit, conservé aux archives régionales de Lorraine à Nancy, témoigne bien de la situation de bouc émissaire qui est souvent faite aux pratiquants de cette religion à cette époque. On cite des Juifs installés en ville en 1791 (Rosenfeld et Lang, 2001).

La ferme du Judenhof

Hermann Bickler
Sur le ban de la commune de Hottviller, à proximité de l'écart du Kapellenhof, se situe la ferme du Judenhof. Cette bâtisse isolée est citée seulement au 19ème siècle. La tradition raconte qu'elle aurait été construite par un homme de confession juive, dont le nom a été oublié. Celui-ci l'aurait par la suite vendus à un certain Pierre Hoellinger, qui lui-même l'aurait cédé à la famille Bichler en 1921, toujours propriétaire.

Certains osent même affirmer que le bâtisseur de la ferme serait également celui de la ferme voisine du Welschhof. Ceci n'apporterait aucun intérêt particulier si cette seconde ferme n'était pas le lieu de naissance d'Hermann Bickler. Cet Allemand, de confession anabaptiste, deviendra par la suite avocat à Strasbourg et s'engagera dans la cause autonomiste. La seconde guerre mondiale se préparant, Bickler entrera dans la S.S. et obtiendra des postes importants dans l'administration nazie, tel que le poste de Kreisleiter de Strasbourg. L'historien Bankwitz affirmera même qu'il a été, "parmi tous les dirigeants autonomistes, le seul et authentique nazi" (Bankwitz, 1980).

Le développement de la communauté après 1870

Pendant la période de l'annexion allemande de 1871 à 1918, la présence d'une importante garnison militaire attire les migrants à Bitche. Suite au siège de la citadelle de 1870-1871 et au développement économique qui en résulte, on assiste à une forte immigration juive, dont la communauté développe le commerce local. Venue des villages de l'Alsace du nord et de l'Allemagne, et plus spécialement des villages de Woerth, de Westhoffen, de Colmar, de Herrlisheim et de Diemeringen, cette nouvelle communauté développe le commerce par des magasins de vêtements, de tissus, de chaussures et aussi par le commerce du bétail. Elle se distinguera plus tard par des fonctions administratives dans la cité, telle que celle de juge de paix, belle élévation sociale.

Durant cette période de l'annexion, une nouvelle séparation a lieu entre élèves, qui doivent choisir le 1er mai 1800 entre les écoles catholique – dirigée par les Schulbrüder ou Frères des Écoles Chrétiennes - et protestante. Les écoliers israélites de la ville ont quant à eux le choix entre les deux écoles confessionnelles (Rittgen, 1988).

Les maisons juives de Bitche et Schorbach

Quelques maisons ayant appartenu à différentes familles juives de Bitche et des environs sont encore visibles aujourd'hui. Ainsi, la famille Hirsch, dernière famille de confession juive de la ville, toujours spécialisée dans la confection et la vente de vêtements, a emménagé à Bitche dans les années qui ont précédé la seconde guerre mondiale. Monsieur Constant Hirsch a fréquenté l'école primaire communale de Schorbach avant de suivre ses parents en ville. Leur ancienne maison, située dans le village de Schorbach, demeure intacte.

La maison située au numéro 18 de la rue du Maréchal Foch, occupée actuellement par un cabinet de kinésithérapie au rez-de-chaussée, a également été occupée par une famille juive au cours du passé. En effet, la façade de l'immeuble, datant très probablement du début du 19e siècle, représente au niveau du 1er étage deux têtes d'animaux, celles d'un mouton et d'un bœuf. Cet attribut atypique s'explique par le fait que la famille installée dans cette maison vivait du commerce des bestiaux, profession très généralement attribuée aux Juifs. Ayant réussi leur ascension économique, ses habitants veulent manifester aux yeux de tous, la prospérité due à leur activité professionnelle.

L'imposante maison, située au numéro 17 de la rue de Sarreguemines, à proximité de la synagogue et occupée depuis peu par un atelier de sellerie, est une autre maison d'habitation juive très ancienne. Elle est occupée par l'importante famille Braun jusqu'au milieu des années 1970, date à laquelle Alex Braun, président de la communauté, part faire son Alyah en Israël avec toute sa famille. Cependant, aucune trace de Mezouzah n'est visible à proximité des portes de l'habitation.

La première puis la seconde synagogue

Une première synagogue est installée en appartement rue Teyssier. Il s'agit de la maison Meinke, devenue par la suite la mercerie Biache puis l'actuel salon de coiffure Vogt. La synagogue actuelle est une maison de particuliers, située dans la rue de Sarreguemines, à l'angle des rues des Remparts et de la Patrouille. Propriété au début du 19ème siècle d'un officier de la forteresse, le capitaine Jean-Joseph de Lacrosse, elle est léguée successivement à sa femme de ménage, Marie Megel, originaire de Hanviller, puis au neveu de celle-ci, Balthazar Lehmann, facteur de son état. C'est à ce moment que la communauté israélite en fait l'acquisition, en 1884. Il s'agit d'une maison ordinaire, seule une inscription hébraïque au-dessus de la porte signalant au passant attentif sa fonction religieuse passée. Il faut signaler par ailleurs l'absence de trace d'une Mezouzah sur la porte du bâtiment cultuel, ce qui semble assez inhabituel. Un jardinet est situé à l'arrière du bâtiment et permettait aux familles israélites de célébrer la fête des Tabernacles de façon communautaire, chaque famille montant sa tente non pas dans son jardin mais dans celui de la synagogue.

Le mobilier nécessaire à la pratique du culte a été maintenu dans la synagogue bitchoise jusqu'en 2007, lorsque le consistoire central de la Moselle a soustrait ces objets en danger à l'intérieur du vieux bâtiment fort délabré, qui connaissait des visites nocturnes de plus en plus fréquentes. Le banc de circoncision de la communauté bitchoise possède une forme particulière, propre aux synagogues d'Alsace et de Moselle germanophone. En effet, la tradition veut que le prophète Élie soit présent lors de cette cérémonie. C'est pourquoi les bancs de circoncision de nos communautés possèdent deux places, l'une étant réservée au parrain portant le jeune garçon sur ses genoux, l'autre au prophète. Cette coutume disparaît dès lors que l'on quitte la Moselle dialectophone ; ainsi, la synagogue de Boulay possède un banc de circoncision à deux places, tandis que celle de Courcelles-Chaussy - située seulement à onze kilomètres de là, mais de l'autre côté de la Nied allemande et donc en zone romane -, possèdera un banc à une seule place.

Plusieurs mappoth étaient jusque là conservées à la synagogue, très certainement confectionnées, comme le veut la tradition locale en Alsace-Moselle mais aussi dans certaines communautés d'Allemagne et d'Europe centrale, avec le lange qui servit lors de la Brith-Mila. Des motifs patriotiques apparaissent sur plusieurs mappoth datant du XXe siècle et confirment le souci constant des fidèles israélites d'apparaître légitimistes devant les représentants du pouvoir ; il en est de même avec le lever des couleurs : plusieurs porte-drapeaux sont accrochés à la façade de la synagogue bitchoise.

Déclin puis quasi-disparition de la communauté

En 1900, le recensement fait état de 3640 habitants pour la cité bitchoise, dont 68 Juifs. Gravement touché par le départ des Juifs allemands en 1918, la communauté ne se relèvera jamais tout à fait. En 1938, sachant très bien ce qui se déroule de l'autre côté de la frontière, toute proche, et peut-être pour conjurer le sort, la communauté entreprend une rénovation générale de la synagogue, nécessitant 25 000 francs.

En 1939, la communauté, bien structurée, comprend vingt-cinq familles, un ministreofficiant et une synagogue vivante. La Shoah emportera trois familles, déportées ou tuées par les Nazis. Il s'agit des familles Wolff, Durlacher et Ephraïm. Le dernier ‘Hazan avant la seconde guerre mondiale est Félix Wolff, né en 1877 à Hoenheim, dans le Bas-Rhin, qui exercera ses fonctions à Bitche de 1900 à 1939. Replié en Charente après l'exode, il est arrêté en juillet 1944 dans le Cher et assassiné par la Milice avec trente-huit coreligionnaires, dont toute sa famille, dans des circonstances épouvantables, à la ferme de Guerry. Son épouse, née Alphonsine Weill, décède également lors de ce massacre. La famille Durlacher doit perdre deux de ses membre, Henri et Arthur ; la famille Ephraïm, un homme, Félix. Une plaque commémorative est installée après-guerre dans la synagogue, portant l'inscription suivante : La communauté israélite de Bitche à la mémoire de ses martyrs victimes de la barbarie hitlérienne, suivie du nom des cinq victimes bitchoises.

Les populations civiles de la ville de Bitche sont déplacées dans le département de la Charente-Inférieure. Peu de temps après l'arrivée des Allemands en Charente durant l'été 1940, il est signifié à la population réfugiée qu'il leur est permis de regagner leur ville. L'occupant nazi les y attend de pied ferme. L'accueil des réfugiés dans leur ville se fait donc dans une ambiance totalement nazifiée. Cependant, cette administration par les autorités nazies ne semble pas avoir manifesté de sentiments particulièrement véhéments envers la communauté juive et son lieu de culte. En effet, d'autres synagogues des environs ont été détruites par l'occupant ; ainsi, la synagogue sarregueminoise toute proche est victime des hordes nazies et de leurs complices locaux, du 17 au 19 septembre 1940, qui réduisent le bâtiment en ruines, tout comme celle du village de Frauenberg la même année. Le bâtiment bitchois n'a fait pour sa part l'objet d'aucune dégradation gratuite.

Monsieur Constant Hirsch, dernier fidèle israélite à habiter Bitche, nous raconte une anecdote s'étant produite lors de la libération de la ville, le 16 mars 1945. L'offensive américaine vers Bitche a eu lieu le vendredi 15 mars et, à 13 heures, le village voisin de Reyersviller est repris et même dépassé par les hommes de la 5ème division US. Les troupes allemandes, réalisant qu'il est inutile de résister, désertent la ville dans la soirée et c'est ainsi que la réduction totale de Bitche a lieu le 16 mars 1945. Le départ des troupes allemandes évite en fait à la ville une destruction totale puisque les troupes US sont déterminées à en finir. A 6 heures du matin, suivie de tout le bataillon, la compagnie E du 398e régiment d'infanterie US entre dans Bitche, où ne se trouve plus aucun Allemand. Au nord de la ville, une section américaine capture le chef du 2ème bataillon du 255ème régiment de Volksgrenadier, quatre officiers d'ordonnance et plus de soixante-dix sous-officiers et soldats (Rittgen, 1988). Un soldat américain prend alors l'initiative d'ordonner à l'un de ces captifs de repeindre l'inscription hébraïque surmontant le linteau de la porte de la synagogue – présenté sur la photographie ci-contre -, dont la peinture s'émiettait, tout comme aujourd'hui. Ironie du sort !

L'évolution démographique de l'après-guerre entraîne la diminution puis la quasi disparition de la population juive, qu'il s'agisse de départs pour raisons professionnelles, de décès ou encore de départs pour Israël. L'arrivée d'une famille d'Algérie, les Lévy-Chapira, demeure une exception, la communauté diminuant d'année en année. Jacques Braun, qui préside cette communauté pendant une trentaine d'années, meurt en 1972. Il est remplacé par Alex Braun, qui démissionne en 1976 pour faire son Alyah. Il restait à cette époque six familles, actuellement, il n'en subsiste plus que deux. Les deux derniers présidents sont Samuel Hirsch et Léon Moock.

Depuis les années 1970, il n'y a plus Minyan et le bâtiment qui abritait la synagogue, épargné par l'occupant nazi et qui existe toujours, n'est plus utilisé pour le culte et désaffecté en 1970. La communauté bitchoise est de toujours caractérisée par une vie religieuse intense, avec des présidents de communauté de tendance orthodoxe. Deux d'entre eux se distinguent particulièrement. Monsieur Samuel est le beau-père du grand rabbin Ernest Weill, fondateur de la Yeshiva (école talmudique) d'Aix-les-Bains, très réputée. Monsieur Jacques Braun, décédé en 1972, est un homme très apprécié dans la cité, où il est d'ailleurs conseiller municipal.

Généalogie et inhumation

Les actes civils et religieux traitant des fidèles israélites de la communauté bitchoise laissent apparaître que ceux-ci se mariaient principalement avec des coreligionnaires des communautés voisines de Sarreguemines, Niederbronn-les-Bains, Oberbronn, Gundershoffen et Ingwiller, et plus occasionnellement de Frauenberg, Phalsbourg, Niedervisse, Hellimer, Brumath, Offwiller, Pfaffenhoffen, Schweighouse, Sarre-Union ou encore Strasbourg. Seuls quelques actes, très rares, font état de mariages mixtes, les conjoints étant alors originaires de la proche région de Bitche.

La communauté juive bitchoise n'a jamais possédé de cimetière propre, puisque les fidèles étaient – et sont toujours - enterrés dans les cimetières des communautés voisines de Gundershoffen et d'Ingwiller, selon l'origine de leur famille.

Intérieur de la synagogue
Sources Bibliographiques
Remerciements

Mes remerciements vont à différentes personnes : M. Jean-Marie Gehl, professeur au lycée Saint-Augustin de Bitche, MM. Jean Daltroff, Jean-Jacques Malz et Roger Braun, qui se sont intéressés à l'histoire de cette communauté bitchoise et de sa synagogue bien avant moi, et dont les billets et articles m'ont permis d'amorcer mes recherches, M. et Mme Constant Hirsch, dont les renseignements et les anecdotes sur la communauté - et particulièrement ceux concernant la période précédant la seconde guerre mondiale – m'ont été fort utiles.

Et pour finir, j'adresse de vifs et sincères remerciements à M. Antoine Lacroix, sans qui cette aventure n'aurait était possible. M. Lacroix a immédiatement répondu à ma demande lorsque je me suis adressé à lui avec l'idée de mener mon dossier LCR sur la communauté juive bitchoise et sa synagogue. Il a accepté de prendre de son temps et de son énergie pour me faire partager ses connaissances sur le sujet, me donner ses conseils sur la façon dont organiser mon travail et me faire profiter de ses nombreux documents traitant du judaïsme rural en Alsace-Lorraine. M. Lacroix a également permis que j'accède à la synagogue de Bitche, pourtant désaffectée, afin que je puisse y prendre les clichés présents dans ce dossier.

Que tous soient ici justement remerciés pour l'aide, les conseils et les encouragements qu'ils ont pu m'apporter durant ma démarche.

Olivier Jarry

Synagogue
précédente
Synagogue
suivante
synagogues Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .