Le Grand Rabbin Ernest WEILL
Une image de sa vie et de son époque
1865-1947
Par le Rabbin Joseph Bloch

Brochure éditée par LES AMIS DE LA TRADITION JUIVE, Strasbourg 1957.
Les sous-titres sont de la rédaction du Site.
Merci à Monsieur le Grand Rabbin Edmond Schwob pour sa contribution à l'édition de ces pages.

Le Grand Rabbin E. Weill
Ernest Weill
Le 25 octobre 1955, il y a eu 90 ans qu’Ernest Weill, grand rabbin du Haut-Rhin, voyait le jour dans un petit village de ce département, à Reguisheim. Cet anniversaire nous donne l’occasion de présenter une vue d’ensemble de la vie de cet homme éminent.

Son père J.-David Weill tenait un commerce de cuir; ce qui l’avait fait surnommer par ses concitoyens le "Leder-Weill". Sa mère, Jeannette Lévy de Marmoutier, était une femme d’élite et semble avoir exercé une influence prédominante sur le développement de son fils. Dans toutes les situations pathétiques de sa vie, l’image de la mère apparaît devant lui ; dans ses meilleurs écrits, dans ses plus beaux discours, il men­tionne la mère comme le guide le plus sûr, Plus que le père, elle est le centre de sa pensée.

Son père comme sa mère se distinguaient par une profonde piété juive. Il est vrai qu’au siècle dernier, notre Alsace était, dans l’ensemble, un foyer ardent de judaïsme, d’un judaïsme qui ne se limitait pas au Temple, mais qui se retrouvait ferme ment ancré dans la vie familiale et inspirait toutes les mani­festations de la vie. On dit que sa grand-mère maternelle, Sarah Wahl, de Metz, aurait eu aussi une grande influence sur sa jeunesse.

Reguisheim, avec ses 250 habitants juifs, avait encore à cette époque une école primaire juive. C’est là que le garçon doué reçut le premier enseignement des sciences juives et profanes. Sa première année d’études se situe au lendemain de la guerre de 1870, époque où la langue parlée en classe était tantôt le français, tantôt l’allemand.

Premières études

Plus tard, ses parents s’installèrent à Neuf-Brisach, et E. Weill fréquenta le cours complémentaire de cette petite ville jusqu’en mai 1880, année où fut fondée à Colmar, par les trois consistoires de Strasbourg, Colmar et Metz, l’École Rabbinique destinée à assurer une préparation supérieure aux garçons qui se vouaient au rabbinat.

Le directeur de l’internat, sis 4 boulevard St-Pierre, enseignait les matières juives ; la préparation des Humanités se faisait au lycée tout proche. Ainsi les étudiants doués et appliqués acquéraient une base solide pour leur future profession.

L’établissement, après avoir connu la direction provisoire et de courte durée du rabbin Nephtalie Lévy de Cernay, fut dirigé par un jeune pédagogue de talent, le Dr. Bloch, de l’Ecole supérieure de Fuerth (Bavière). Celui-ci, très capable, et profondément vénéré par ses élèves, mourut après deux années d’activité. C’est l’élève de troisième E. Weill qui fut chargé par ses camarades de prononcer d’ultimes paroles de reconnaissance. Déjà, on reconnaissait en lui l’élève le plus digne et le plus apte.

En 1882, le rabbin Dr. Zacharias Wolff, né en 1840 à Pfungstadt, Hesse (1), qui dirigeait une école privéeà Bieblis, près de Darmstadt, fut appelé comme directeur de l’Ecole rabbi­nique de Colmar. Il était un élève d’Israël Hildesheimer de l’époque de Eisenstadt et avait été choisi comme précepteur de ses enfants.

Grâce à son talent pédagogique et son caractère aimable, il avait le don de s’attacher ses élèves et de les influencer au point de vue religieux. Son épouse, Régine Rubensohn, issue d’une belle famille juive de Cologne, soutenait efficacement son mari dans son activité pédagogique. Tous ses anciens élèves - plus de vingt d’entre eux ont exercé leur rabbinat en Alsace et en Lorraine - ont témoigné à ce couple sans enfants une fidélité et une reconnaissance de tous les jours (2). Lorsque mourut en 1915 le Dr. Wolff, alors rabbin de Bischheim, près de Strasbourg (son épouse était décédée en 1901), c’est encore à E. Weill, alors rabbin de Bouxwiller, que revint l’honneur de prononcer le Hesped ou oraison funèbre.

En automne 1886, E. Weill passa son Abitur ou baccalauréat, au lycée de Colmar, et s’engagea dans les études rabbiniques supérieures. Il était prévu que les élèves de l’Ecole rabbinique de Colmar iraient suivre des cours à l’Université de Strasbourg en même temps que des cours de Talmud donnés dans cette ville par certains rabbins. Mais ces derniers cours ne donnaient pas toujours satisfaction (3).

Trois jeunes candidats-rabbins prirent alors une décision qui ne fut pas seulement déterminante pour leur propre évolu­tion et pour ceux qui suivirent plus tard leur exemple, mais de plus pour la structure religieuse des communautés juives d’Alsace, qui lui devront maintes initiatives et réalisations. Des guerres particulièrement meurtrières ont, naturellement, causé bien des malheurs et effacé bien des choses ; le souvenir cepen­dant persiste. Et les forces spirituelles continuent à exercer leurs effets ; elles survivent aux hommes et à leur destin.

A Berlin - L’élève préféré de Hildesheimer

Comme la continuation des études à Strasbourg semblait peu fertile, deux chemins étaient ouverts, l’un conduisait à Breslau et l’autre à Berlin. Armand Bloch, de Strasbourg, Ernest Weill et son ami Joseph Zivi (de Biesheim) étaient les premiers élèves-rabbins d’Alsace à se décider pour Berlin, non pas que la capitale les attirât plus que le centre départemental de la Silésie, mais parce qu’à la tête du Séminaire de Berlin se trou­vait un Israël Hildesheimer, le maître de leur propre professeur et en même temps un homme d’une valeur universelle pour sa science, sa piété et sa bonté. Plus tard, d’autres ont suivi leur exemple, et un nombre prédominant de rabbins alsaciens de la première moitié de notre siècle ont trouvé leur modèle auprès des Israël et Hirsch Hildesheimer,des David Hoffmann, Jacob Barth, Abraham Berliner et Joseph Wohlgemuth. Au séminaire rabbinique où, par moments, plus de dix candidats alsaciens poursuivaient leurs études en commun, ils étaient la plus grande et la plus influente équipe, animée d’une particularité consciente.

A cette place il ne s’agit pas pour nous de peser et de faire ressortir les avantages ou les faiblesses de l’une ou de l’autre école.

Abstraction faite de la différence des idées et des doctrines, dont le choix n’était souvent qu’affaire de tempérament, d’éducation, de milieu et parfois aussi de calcul, nous devons le proclamer dans ces lignes, nos maîtres étaient tous non seule­ment de grands savants, mais aussi de grands hommes. Chacun de nous, si par ailleurs nos opinions devaient se différencier, a été impressionné par l’esprit émanant de Hildesheimer, par ce judaïsme serein, aimable, prêt au sacrifice : "J’ai ressenti un souffle de ton esprit".

E. Weill était devenu l’élève préféré de Hildesheimer. Lorsque, dix ans plus tard, nous venions à Berlin, le nom de E. Weill était encore dans la bouche de ses maîtres et de ses compagnons d’études. On pouvait avoir l’impression d’avoir hérité de son prestige. Nous avons une preuve de cette influence de Hildesheimer sur E. Weill dans ce qu’il a écrit un quart de siècle plus tard (Das Jüdische Blatt, 4 novembre 1910, p. 9) :

"Nos grands hommes, nos modèles pour Talmud Torah im dérekh éretz (étude de la Torah alliée à la culture moderne) ont engagé toute leur vie pour ces principes. Leur intention était de nous rendre capables de représenter vigoureusement le judaïsme traditionnel au milieu de la vie moderne. Etre moderne et res­ter traditionnel, quelle audace et en même temps quel délicat attachement ! Oui, nos grands maîtres ont étécapables de ce tour de force. Notre maître inoubliable, le Dr. Hildesheimer (zatza"l) a placé tout son amour et toute sa vitalité au service de cette tâche. Il a réalisé en lui-même ce but élevé ; en lui la sagesse de la Torah et la culture moderne se sont fondues en une unité harmonieuse. C’était un caractère exceptionnel et un grand esprit; sa personnalité s’est enracinée dans nos âmes avec plus de profondeur encore que ses théories."

Mais les élèves, approchent-ils l’exemple du Maître ?...

Dans ces années d’études se situe aussi le rapprochement avec maints compagnons dont les liens d’amitié devaient porter des fruits plus tard. La fondation de Das Jüdische Blatt, en 1910 par E. Weill et Pinchas Kohn, remonte finalement aux études faites en commun dans la Gypsstrasse à Berlin.

E. Weill obtint son doctorat en 1891 à l’Université de Stras­bourg auprès du célèbre orientaliste et ami des juifs Théodor Noeldeke par sa thèse Le commentaire de la Mishna de Maïmonide, traité de Berakhoth. Cette thèse fait suite au commentaire sur Makoth publié en 1880 par son Maître Jacob Barth. Elle contient le texte arabe, la traduction en hébreu et des remarques savantes. Dans la même année, E. Weill obtient son diplôme de Rabbin des mains d’Israël Hildesheimer.

Après de brillantes études, muni de diplômes prometteurs, E. Weill va à la recherche d’un poste rabbinique. A ce moment, comme plus tard encore, où on lui offrit des postes importants en Allemagne, il préfère un poste de rabbin dans un village alsacien à un grand secteur de l’autre côté du Rhin. Toute sa vie durant, il se sent enraciné dans le sol et le judaïsme alsaciens. Ce n’est pas sans une pointe de coquetterie qu’il parle le dialecte judéo-alsacien avec son coloris haut-rhinois.


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