BLIESBRÜCK
par Jean-Bernard LANG
page réalisée avec le concours de Pascal FAUSTINII



Le premier juif signalé dans cette localité semble avoir été un certain Moyse Lévy, originaire de la ville impériale d’Hilbesheim, né vers 1659. Au nombre des co-seigneurs qui assurent inévitablement sa protection, figurent le baron de Leyen mais aussi le comte de Créhange, qui a une propriété dans le lieu et dont la politique vis-à-vis des Juifs est bien connue dans ses états. La destruction du Palatinat en 1689 provoque un afflux d’immigrés qui se fixent dans ce village. Les tentatives de Louis XIV de construire une intendance de la Sarre, qui couvre toute la région, facilite les relations commerciales et attire de nombreux colporteurs et marchands de toutes origines. Moyse Lévy occupe une place particulière dans cette société car il est non seulement marchand de chevaux mais aussi guérisseur pour animaux. Il traite ainsi un cheval souffrant de constipation en 1714 et un porc malade en 1716.     
                  
Le retour en 1697 de la souveraineté ducale ne va pas sans difficultés pour les nouveaux venus et l’affaire de la bande de détrousseurs juifs de Bade, qui opère dans le “Bitcherland“ en 1709 (voir Frauenberg) amène l’incarcération de Moyse Lévy et de sa famille. Ils seront libérés au bout d’un mois. La situation s’améliorera peu à peu après 1715, et si les enfants de Moyse Lévy quittent Bliesbruck pour s’établir à Hambach, d’autres les remplacent, en particulier vers 1718 / 1720 Samuel Bonnewitt,  rabbin originaire de Puttelange. L’immigration  finit par être stoppée vers 1730, mais elle reprendra peu à peu après 1750 et la fin de l’indépendance du duché.
                  
De toute façon, la Blies délimite dès l’origine une séparation entre le quartier juif installé sur la rive gauche et le village chrétien, sur la rive droite, au nord. Le règlement ducal de 1753 autorise quatre familles juives à la résidence, mais en réalité, le village en abritait déjà une trentaine. En 1752, une synagogue est installée dans une maison particulière. Ces familles ont une triple origine : lorraine, alsacienne et allemande (surtout palatine et bavaroise). En 1844, le village compte 1152 habitants, dont 133 Juifs, soit 11,5 % de la population.
                   
 La coexistence entre les deux communautés, là comme ailleurs, sera parfois conflictuelle, souvent emplie de méfiance, mais aussi de l’indéniable complicité qui naît de tant de liens tissés par les intérêts mais aussi le mode de vie. Petits commerçants, épiciers, boulangers, bouchers, colporteurs, les juifs ne pouvaient vivre de la seule clientèle de leurs coreligionnaires, et avaient donc les chrétiens comme clients. Des liens ambigus naissaient ainsi. Par exemple, le curé exhortait les paysans de cesser d’appeler leurs vaches d’un nom d’une sainte, ce qui était une vieille coutume destinée à placer la bête (précieuse) sous une protection divine. Les paysans obéirent, et désormais leurs donnèrent des noms tirés des patronymes en usage chez les juifs : Bella, Brunette, Nina, Minette etc ... On ne sait s’il faut y voir une marque d’antijudaïsme (relation entre un prénom juif et un animal) ou une suite inconsciente à l’usage précédent ...
                     
En 1717, puis en 1750 encore, deux décisions judiciaires ordonnent aux cabaretiers du village de fermer leurs établissements au coucher du soleil, au motif que les ivrognes profitent de la nuit tombée pour se rendre dans le quartier juif pour y insulter les habitants. A la veille de la Révolution, le procureur du Roi de Sarreguemines croit bon de reprendre à son compte les plaintes d’une partie de la population et  envisager l’expulsion des juifs de Bliesbrück et de Frauenberg, en s’appuyant sur les imprécisions du droit féodal (voir Frauenberg).
                    
En 1843, un juif nommé Juda Bonoff est élu au conseil municipal, et parvient même au poste de maire en 1854. Il  n’est cependant pas réélu en 1866, malgré l’excellence de son administration. Le sous-préfet de Sarreguemines, commentant l’événement dans son rapport au préfet de la Moselle, accuse le curé de Bliesbruck de cet échec, dû au seul motif de la religion de l’ex-maire.

La communauté commence à s’étioler dès le milieu du 19ème siècle, affectée par le puissant mouvement d’émigration qui touche les juifs en tout premier; et qui s’accentue encore après l’annexion de 1871. La plupart partent vers les grandes villes de France, Paris surtout, mais aussi vers la Belgique et l’Amérique. Une famille Kahn, installée au village dès le début du 19ème siècle, voit son dernier représentant, Isidore, quitter Bliesbruck pour Paris à une date inconnue, probablement après 1871.  L’une de ses deux filles, Elvire, fut la mère de Pierre Mendès-France.

La communauté disparaît vers 1890 et la synagogue est désaffectée en 1931. Sise au 101 Kreisstrasse, elle fut acquise par Benoît Lévy, boucher dans cette localité, qui la fit raser pour édifier sa propre maison.

 

D'après Joseph Weissend, Didier Hemmert et documents des Archives Départementales de la Moselle.


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