Lion ARON,
Médecin cantonal à Soultz-sous-Forêts
par Jean-Claude Streicher
(22 août 2022)


Il y eut à Soultz-sous-Forêts, sous la Restauration, un médecin cantonal nommé Lion/Léon Aron, mais qui n'est pas un frère, ni même un parent du négociant et marchand de fer soultzois Léopold Aron, originaire de Phalsbourg (1). Il est en effet né à Furth, dans la banlieue nord-ouest de Nuremberg en Bavière vers 1770 et ne paraît s'être installé à Soultz qu'après la déclaration des patronymes juifs définitifs d'octobre 1808, puisqu'il n'y figure pas (2).

Un médecin cantonal est un officier de santé public institué par une loi du 10 mars 1803, afin que les indigents, désignés comme tels par les maires, aient enfin accès à des soins gratuits. Il devait aussi surveiller l'hygiène publique dans sa circonscription, rédiger régulièrement un rapport sur son évolution, procéder aux vaccinations, exercer la police médicale, organiser les soins en cas d'épidémie et assister les sage-femmes en difficulté dans l'exercice de leur fonction.

Il convenait donc qu'il soit docteur en médecine, mais dans les premiers temps, ce n'était pas forcément le cas. Nommé par le préfet du département, il était contrôlé par des institutions charitables et touchait une indemnité couvrant à peine ses frais (3). Lion Aron semble être le premier à avoir exercé à Soultz en cette qualité. A Woerth, ses collègues étaient les docteurs Sadoul, médecins cantonaux de père en fils jusqu'en 1870...

La profession a peu intéressé les historiens locaux. Le catalogue de la BNU de Strasbourg ne référence ainsi que la monographie que François Boegly a consacrée au docteur d'origine savoyarde Antoine Corbé, "premier médecin cantonal de la ville de Rouffach" (4). La thésarde Eveline Münch-Mertz a tenté de son côté de dresser leur portrait-type en Haute-Alsace, mais sans entrer nominalement dans le détail de leurs carrières personnelles et particulières. Son étude nous apprend ainsi qu'en 1837, les médecins cantonaux étaient au nombre de treize à Colmar, de huit à Altkirch ainsi qu'à Belfort, et qu'en majorité ils étaient docteurs en médecine (5).

Ses interventions de médecin

Bien évidemment, le docteur Lion Aron n'a pas laissé de mémoires, ni de correspondances restées inédits. Peut-être est-il question de lui dans la liasse 15M220 (médecin cantonal à Soultz-sous-Forêts) des Archives départementales du Bas-Rhin. A vérifier à la prochaine occasion... Nous avons cependant retrouvé des traces de son activité médicale dans les règlements notariés des successions de ses patients décédés ou alors dans les registres des jugements de la justice de paix cantonale, voire même du tribunal de première instance de Wissembourg.
En 1811, l'un de ses patients a ainsi été Jean-Philippe Rempp l'aîné, cultivateur et maire de Retschwiller. Il le traita "pendant sa maladie" pour un montant de 117 francs, jusqu'à son décès survenu le 14 août 1811 à son domicile, vers 9 heures du soir à l'âge de 53 ans (2), pendant que le pharmacien luthérien Musculus de Soultz lui avait procuré pour 110,80 francs de médications (6).
Au début de 1818, il lui appartint aussi de soigner, en tout œcuménisme, le curé Chrétien Loyson de Soultz "pendant sa dernière maladie" en son presbytère de la Hun(d)sgass (7), maison n° 163, mais sans succès tangible. Natif de Haguenau, celui-ci devait en effet y trépasser le 6 mars suivant vers dix heures du matin, à l'âge de 68 ans (2).
A la même époque, le médecin Lion Aron dut également soigner les conjoints Hützelberger de Birlenbach, qui avaient été violentés par Georges Scherer, sellier dans le village. Ses frais de "chirurgie" et de "médicaments" se sont alors montés à 102,07 F, que le tribunal de Wissembourg dut ordonner de lui régler par jugement du 23 novembre 1818. Mais deux ans et demi plus tard, les conjoints Hützelberger n'en avaient toujours rien fait. Le 13 juin 1821, il fallut donc les recondamner à les lui payer (8).

Bien entendu, Lion Aron soignait également ses coreligionnaires. Deux exemples peuvent être donnés à Surbourg. Mais ces derniers n'étaient pas forcément meilleurs payeurs. Le 9 juillet 1827, il obtient ainsi de la justice de paix cantonale que Lippmann Moser, juif sans profession y demeurant, soit condamné à lui régler 41 francs dans un mois "pour avoir traité la maladie de sa défunte femme" en avril 1824 (9).
Début 1838, pour 24 francs, Lion Aron "trait(a aussi) la maladie" de Lazare Dahlmann, commerçant juif à Surbourg, frère aîné d'Isaac qui était un marchand de chevaux en vue dans la localité. En vain, car Lazare décéda le 21 mai suivant vers 6 heures du matin, trois fois veuf, à l'âge de 48 ans, son pharmacien traitant ayant alors également été Frédéric Musculus de Soultz (10).

Consulté sur la démence d'une jeune Soultzoise

Plus inhabituel, Lion Aron a aussi été consulté début 1837 par la municipalité de Soultz et la sous-préfecture de Wissembourg sur la question de savoir si les violentes crises de démence dont souffrait Marie-Joséphine Marquaire, la fille de l'instituteur "libre" de Soultz, devaient motiver ou non son internement dans le nouvel établissement pour aliénés de Stephansfeld, près de Brumath.

Le 7 avril 1837, il signa ainsi un certificat d'aliénation, très freudien avant l'heure. Il y explique que Marie Joséphine "a donné les premières marques d'aliénation dans sa quinzième année, âge de sa puberté. A cette époque, écrit-il, elle a montré un état de lascivité étonnante, jusqu'à l'âge de 25 ans, temps où elle est devenue enceinte. Après qu'elle fut trois mois enceinte, jusqu'à la fin de son allaitement, elle était très calme (deux ans environ). Puis son aliénation a recommencé jusqu'à une seconde et troisième grossesse. Son troisième nouveau-né, au commencement de 1834 n'a vécu que 24 heures. A partir de ce temps, son aliénation est devenue plus extravagante.
"Depuis (l'interdiction prononcée le 8 novembre 1834 par le tribunal de Wissembourg), poursuit Lion Aron, elle avait plusieurs mois très calmes, mais depuis le carnaval dernier, elle est dans un état très furieux. Mais sa démence ne s'applique qu'auprès de son père, de sa soeur et contre son fils, âgé de dix ans environ, qu'elle maltraite par des coups. Hors de chez elle, son aliénation, qui est généralement connue, n'a aucun danger. L'état maladif de ce pieux père depuis deux mois laisse beaucoup à craindre par les mauvais traitements de sa fille."
"L'état mental de ladite Marquaire, conclut le médecin cantonal, est tel qu'il y a véritablement danger pour la famille et la société en général, si elle n'était pas promptement mise en sûreté. Elle casse et brise tout dans la maison. Elle bat son père et ses sœurs, prenant des couteaux ou autres instruments dangereux en menaçant de tuer les membres de sa famille. Elle crie qu'il lui faut du sang. Une autre fois, elle prend des brasiers du poêle en les jetant à tout hasard et menaçant d'incendier tout. Elle se trouve presque continuellement dans un état de fureur terrible et il est grandement temps de prendre des garanties à cet égard. Cette fille, qui a déjà fait quatre enfants, se calme toutes les fois qu'elle est enceinte. Aussi, je pense que sa fureur est une suite de ce qu'elle ne trouve pas un mâle qui voulut s'accoupler avec elle. Je fais cette observation pour les médecins de Stephansfeld sachent d'où peut provenir ce mal" (11).


A droite, derrière l'homme et les deux enfants, la maison Fürstenhauser,
où avait logé le ménage Lion Aron (27).


Le grand rabbin traditionnaliste Naphtali-Lazare Hirsch-Katzenellenbogen, dont Lion Aron
avait épousé une fille, décédée à Soultz ainsi que sa mère. A droite, sa plaque commémorative,
inaugurée le 4 décembre 2018 en la synagogue de Wintzenheim.
Elle sera donc effectivement internée avec un autre jeune Soultzois, Georges Neubrand, sous les numéros 175 et 174 respectivement, sur 222. Elle resta à Stéphansfeld un peu plus de deux ans, mais put revenir à Soultz pratiquement guérie et calmée. Ses frais de séjour devaient être pris en charge aux deux tiers par la municipalité, puisque que son vieux père était indigent. Mais celle-ci, invoquant un manque cruel de moyens, s'y opposa avec la dernière énergie, obligeant en octobre 1838 le préfet à prélever d'autorité sur le budget de la commune les 443,20 francs dus pour les deux aliénés (11).

Le milieu familial de Lion Aron

Ce sont les liens familiaux du docteur Lion Aron qui permettent de mieux cerner les circonstances par lesquelles il s'est retrouvé à Soultz. A une date que nous ignorons, manifestement antérieure à son arrivée dans le Sulzerland, il avait épousé Jeannette ou Hannah Hirsch (anciennement Katzenellenbogen), qui était une fille de Naphtali-Lazare Hirsch-Katzenellenbogen, grand rabbin à Wintzenheim près de Colmar et lui-même fils du rabbin de Bamberg en Haute-Franconie (Bavière).

Le beau-père de Lion Aron était né à Bamberg en 1750. Il avait ensuite grandi à Haguenau et était devenu le rabbin de cette ville, puis de Wintzenheim, en février 1809, où il accéda également aux fonctions de premier président du consistoire israélite du Haut-Rhin, dont dépendaient alors aussi les communautés juives des départements de la Haute-Saône et du Léman (12).
Il avait épousé une native de Gross-Glogau (Basse-Silésie), Rachel Hecht, qui, après le décès le 11 novembre 1823 de son époux à Wintzenheim, était venue habiter à Soultz chez Lion Aron. Elle y décédera le 30 octobre 1834 à l'âge de 64 ans et sera enterrée à Haguenau, puisqu'à cette date il n'y avait pas encore de cimetière israélite à Soultz. Tout naturellement, Lion Aron, alors âgé de 59 ans, avait alors déclaré son décès à la mairie (2).
Sara Naphtali Hirsch-Katzenellenbogen, une sœur de son épouse, avait de son côté épousé Zacharie-Gabriel Praunitz, qui était un négociant juif de Gross-Glogau en Basse-Silésie (13).

A Soultz, Lion Aron put se fixer Schlossgass, dans une "maison neuve à un étage", que sa femme Jeannette Hirsch, grâce à un legs de son père, le rabbin de Wintzenheim, avait pu racheter le 5 octobre 1822 du maire Nicolas-Marie Tirant de Bury, pour 4 000 francs. Cette maison se trouvait à l'emplacement de la poste actuelle, qui lui a été substituée à la suite des bombardements de 1944-45.
Elle touchait par derrière à l'ancienne propriété communale dite Kirchspielhof, dont le maire Tirant de Bury avait également pu se rendre propriétaire et dans laquelle se trouvaient la maison d'école catholique ainsi que l'ancienne Etappenscheuer communale (autrement dit la réserve de fourrages destinée à subvenir aux réquisitions militaires). Cette somme de 4 000 francs était à payer en quatre fois le 1er janvier des années 1824 à 1827, avec les intérêts à partir du 1er novembre suivant (14).

Un don oecuménique

Le médecin cantonal Lion Aron avait dicté dès le 5 janvier 1824, à son domicile, un premier testament, témoignant de son souci charitable, non pas seulement de la santé publique, mais aussi de l'instruction des enfants juifs, qui ne disposaient toujours pas d'une école élémentaire comparable à celle proposée aux enfants des deux autres confessions religieuses concordataires. Il légua alors, en effet, une somme de 500 francs "pour l'instruction des pauvres enfants israélites". Mais comme la misère était alors assez bien partagée, il légua également 250 francs "pour le même usage des enfants protestants" et 250 autres francs pour les enfants catholiques. Ces dons devaient être perçus et gérés par "le consistoire local israélite, le consistoire protestant local et la fabrique catholique de Soultz".
Seules réserves : ils ne seraient versés qu'après le décès de son épouse, Jeannette Hirsch, qu'il avait instituée son "héritière universelle". A sa mort, elle serait en effet la "seule et vraie propriétaire de toute sa fortune" et jusqu'à son décès à lui, elle aurait l'usufruit des mille francs qu'il léguait aux enfants pauvres. Autre réserve, ces enfants devaient "tous être de Soultz et reconnus pauvres". Ce testament eut pour témoins quatre Soultois émérites : le pasteur protestant Weissmann, Léopold Aron, le commerçant juif mentionné en préambule, Frédéric Musculus, l'apothicaire, ainsi que Alexandre Aron, qui est manifestement le fils aîné de Léopold et futur rabbin de Fegersheim (15).

Mais son épouse Jeannette décédera bien avant lui, vers 1835, rendant ces dispositions caduques. Lion Aron agira donc autrement. A son legs de mille francs destiné aux enfants pauvres, il substitua une sorte de fondation pour les familles pauvres et les malades indigents. Il siégea également au Comité d'instruction primaire de l'arrondissement, pendant que Israël Aron, un autre fils de Léopold, entrait au conseil municipal. De leurs efforts convergents sortirent nombre de changements. Une première étape est franchie en 1828, lorsque la municipalité voulut bien allouer à Elias Mannheimer, l'instituteur judaïque, 9 stères de bois de chauffage communal par an, en sus des 13 stères déjà fournis par la commune pour ses deux salles de classe (16).

Trois ans plus tard, en 1831, une nouvelle loi changea complètement la donne. Elle intégrait l'enseignement primaire des enfants israélites à l'enseignement public existant. De ce jour, l'Etat allait donc également rémunérer les instituteurs judaïques, pendant qu'il incombait aux municipalités de fournir et d'entretenir le local de la classe communale israélite ainsi que le logement de son maître, ou du moins de participer à leurs frais de loyer.
Isaac Goldschmidt, 42 ans, fut alors proposé par le Consistoire de Strasbourg pour être le premier "instituteur primaire de la communauté israélite de Soultz". Le recteur de l'Académie l'y nomma le 27 avril 1831 (17). Le notaire Philippe-Frédéric Müntz étant maire, le conseil municipal lui vota également une indemnité de 200 francs, comprenant un supplément de 90 francs à son traitement d'Etat, une indemnité de logement de 100 francs ainsi qu'une indemnité d'encouragement de 10 francs. Le 3 avril 1832, la municipalité reconduisit également son allocation de bois de chauffage (18)...

Dès le 21 décembre 1823, cependant, Annah (Annette) Hirsch, épouse du docteur en médecine Lion Aron, s'était vue contrainte de déclarer devant notaire qu'elle avait la conviction que la succession délaissée par son père Naphtali-Lazare Hirsch, rabbin à Wintzenheim, n'était pas suffisante pour indemniser sa mère Rachel Hecht, "du montant de son réemploi pour apport". En conséquence, elle renonçait à la succession de son père (19).

Décès de Rachel Hecht

Rachel Hecht, la veuve du rabbin de Wintzenheim, qui était venue habiter à Soultz avec le ménage Aron, y décéda le 30 octobre 1834, vers 6 heures du matin, à l'âge de 81 ans. Comme elle avait "des héritiers absents" (domiciliés loin de Soultz), le juge de paix cantonal s'est transporté le jour même à son domicile, vers 16 heures, avec son greffier pour "apposer d'office les scellés sur les meubles et effets mobiliers dépendant de sa succession."
"Ayant été conduits au premier étage, (tous deux ont) trouvé au corridor de cet étage une grande armoire en bois de cerisier, qu'on leur dit renfermer le linge et autres effets de la défunte."
D'une bande, ils en scellèrent chaque battant de porte. "De là, poursuit le juge de paix, ayant été conduits au second étage, dans une chambre à droite de l'escalier et y étant entrés, nous avons trouvé gisant sur son lit un cadavre que Lion Aron nous a déclaré être celui de la veuve Hirsch."

Ils scellèrent pareillement l'ouverture d'une porte en face de l'escalier du deuxième étage qui conduisait dans une chambre, dont les croisées donnaient sur la rue Schlossgass, laquelle chambre était habituellement occupée par la défunte de son vivant. Lion Aron, son épouse et leur servante ont ensuite déclaré sous serment qu'ils n'avaient rien détourné de ces objets, ni directement, ni indirectement. Quant à la garde des scellés, elle fut confiée à Frédéric Musculus l'apothicaire (20). Mais, en raison de l'absence des héritiers, ils ne pourront être rompus que le 27 janvier 1835 (21). Et il nous faudrait procéder à une consultation archivistique plus poussée pour connaître le fin mot de cette procédure.

La vie continua néanmoins. Le 29 mars 1835, le médecin cantonal Lion Aron, alors âgé de 62 ans, siège ainsi au conseil de famille des deux enfants mineurs délaissés par feue Eulalie Heymann, femme de Lazare Klotz, marchand de bestiaux à Soultz. Il y est élu leur subrogé tuteur (21).
Au recensement de l'année suivante, il habite toujours dans sa maison de la Schlossgass, mais avec Jeannette Wolff, domestique juive de 55 ans, sa femme étant décédée dans l'intervalle. En 1841, il y logeait avec une gouvernante, Frédérique Herrmann. Il y est toujours en 1846, à 78 ans, avec Loyé, une servante de 74 ans. En 1851, à 78 ans, il y habite avec Justine Aron, une nièce de 17 ans (22).
Le 17 août 1840, pour se conformer à une ordonnance du président du tribunal de Wissembourg, il avait déposé chez le notaire Müntz un testament holographe, par lequel Hanna Hirsch, sa femme, l'avait institué pour son héritier universel (23).

Ultimes volontés


Nussloch, le village près de Heidelberg dont étaient originaires les deux légataires
de Lion Aron. En médaillon, sa petite synagogue détruite en 1938.


C'est une localité badoise, qui a gardé le souvenir de son ancienne appartenance bavaroise.
Puis le 17 juin 1853, dans une chambre au rez-de chaussée de sa maison de la Schlossgass, "malade de corps, mais sain d'esprit", il dicta lui-même en langue allemande son nouveau et ultime testament au notaire Petri, en présence d'un témoin juif (Isaac Trautmann, 42 ans, qui était natif de Lembach, chantre et ministre officiant à la synagogue de Soultz depuis 1841) et de trois témoins non-juifs (Chrétien Neuhard, couturier ; Frédéric Wettling, barbier ; et Michel Werner, laboureur, tous de Soultz).
Ses ultimes dispositions tenaient en quatre points (24) :
  1. que 400 francs de sa succession soient "employés aux frais de mon enterrement et aux cérémonies que prescrit ma religion, voulant que le tout soit exécuté conformément à l'usage pour un homme de ma condition" ;
  2. il donnait et léguait "par préciput et avant tout partage" 300 F à une jeune fille, qu'il hébergeait "depuis quelques temps", Rosalie Meyer, fille de Salomé Meyer, marchand à Nussloch, localité située à quelque 10 km au sud de Heidelberg dans le grand-duché de Bade. Une communauté juive, qui comptait jusqu'à 68 membres en 1871, y avait vécu de 1712 à 1938 avec une synagogue, dont la famille Maier (le même ?) était la protectrice (25) ;
  3. et comme il n'avait pas d'enfants, il léguait la moitié de ses meubles et immeubles à la mère de la jeune fille qui lui avait tenu compagnie en dernier, Mme Fanny Guntzenhauser, épouse de Salomon Meyer, marchand à Nussloch, et l'autre moitié au neveu de cette dernière, Alexandre Guntzenhauser, négociant à Mannheim, "voulant qu'ils aient la propriété et la jouissance de ce que je délaisserai sans aucune exception". Curieusement, Guntzenhauser ne serait pas un patronyme juif, mais souabe. Il sera rendu célèbre en Allemagne par Alfred Guntzenhauser, galeriste munichois, qui a légué ses collections (2 459 œuvres d'art, dont 380 d'Otto Dix) à la ville de Chemnitz en Saxe, qui en a fait un musée d'art moderne classique fort renommé ;
  4. il nommait enfin pour son exécuteur testamentaire son bon ami de Soultz, M. Beyer, capitaine retraité, chevalier de la Légion d'honneur (24), mais que nous n'avons pas retrouvé dans le recensement de 1851.

Lion Aron décéda le 2 juillet 1853 vers 7 heures du matin, à l'âge de 83 ans comme "médecin", veuf de "Hanna Kaztenellenbogen" (2). L'inventaire de sa succession fut dressé le 11 juillet suivant à la requête de son exécuteur testamentaire et de Salomon Meyer, qui serait donc spécialement accouru de Nussloch.

En mobilier, il énumère et évalue notamment : une table recouverte d'une toile cirée en bois de chêne (3 F), deux secrétaires budget (15 F), une table ronde recouverte d'un tapis, réclamée par Mme Rothschild pour lui avoir été donnée par contrat de mariage, une horloge de la Forêt-Noire (2 F), 8 chaises à siège de paille, dont six ont également été réclamées par la dite Mme Rothschild, les deux restantes (3 F), un fauteuil en cuir garni (4 F), un sofa (25 F), trois paires de rideaux de fenêtre en percale (6 F), une glace (3 F), un laquais (?), un crachoir, un escabeau (1,50 F). Total : 59,50 F.

Petite bibliothèque hébraïque

Suit la liste des objets trouvés en évidence dans la chambre mortuaire, dans la chambre principale, dans la chambre d'à côté, dans une chambre au grenier, dans la chambre à linge sale, au grenier, dans la cour, ainsi qu'à la cave, dont nous retenons :

Dans une partie de la cave séparée du reste par une cloison, furent également relevées : 17, 76, 2, 3, 5 bouteilles de vin ; 84 bouteilles de Cleebourg... Au total, ce mobilier a été estimé à 1 257,75 F.

Le docteur en médecine ne possédait au ban de Soultz qu'un unique immeuble : 10,8 ares de jardin, entouré d'une haie vive et contigu à la propriété de la veuve Fürstenhauser, rue Schlossgass. Il lui était resté 1 060 F en argent comptant ; 589 F en créances actives et 132,80 F en dettes passives. Cent quarante francs devaient en être donnés aux pauvres de Soultz et de Haguenau et réservés aux préparatifs de son inhumation. Il y eut au total 188 F de frais d'e-terrement et cérémonies religieuses, plus 22 F en dépenses funéraires imprévues (24).

Mais de ce legs, les deux légataires, puisqu'ils n'étaient pas Soultzois, décidèrent de ne rien garder pour eux, préférant le vendre en totalité aux enchères. L'encan des meubles eut ainsi lieu dès les 13 et 14 juillet 1853, en la demeure de Nachmann Rothschild, commis de perception demeurant à Soultz, à la requête de Salomon Meyer de Nussloch. Ce dernier se réserva toutefois les cinq livres traitant de l'histoire de Moïse ; Jacques Lehmann : les cinq livres de prières de Moïse ainsi que divers autres ouvrages ; et Emmanuel Emsheimer, marchand de farines juif de Soultz, les onze restants. Avec les vins, le linge et le mobilier domestique, la vente rapporta 1 844,55 F au total, dont 1201,90 F avaient dû être cédés à crédit. Edouard Jaeger, pharmacien à Soultz, enfin, prit les 10,8 ares de jardin, partie en terre plantée d'arbres, pour 620 F (25).

Pourtant il y eut une contestation : le 24 juillet 1853, Nachmann Rothschild, qui poursuivait les droits de Justine Wertheimer, sa femme, contre Alexandre et Fanny Guntzenhauser, les deux héritiers désignés par Lion Aron, exigea par huissier la saisie-arrêt de l'encan, puisqu'on avait omis de lui réserver les meubles (une table ronde et six chaises à paille) que le défunt lui avait promis dans son contrat de mariage. Le 30 juillet 1853, Me Petri y répondit que le produit de la vente a été soldé en quasi totalité pour rembourser les dettes et régler les frais de funérailles et de notariat, et qu'en conséquence il n'en restait "plus entre ses mains que 391,25 F, somme qu'il paiera à qui par justice il sera ordonné." (26) Sans doute en a-t-il ainsi été.

Notes :

  1. Voir Jean-Claude Streicher : "Léopold Aron, marchand de fer à Soultz-sous-Forêts", L'Outre-Forêt, n° 176, 4e trim. 2016, p. 11-18.
  2. Adeloch.
  3. Eveline Münch-Mertz : "Les médecins cantonaux en Haute-Alsace au XIXe siècle : une élite de proximité ?", in Les élites régionales (XVIe – XXe siècles), Presses universitaires de Strasbourg, 2002, books.openedition.org/pus
  4. Annuaire de la Société d'histoire et d'archéologie du canton de Rouffach, 2007.
  5. Eveline Münch-Mertz : La médecine cantonale ou médecine des pauvres au XIXe siècle (1825-1870. L'exemple haut-rhinois ; thèse de doctorat en sciences historiques soutenue en 2003 à l'Université Marc Bloch, Strasbourg, sous la présidence de Jean-Michel Boehler, 255 p.,
    n° de thèse 2003STR30063.
  6. Archives départementales du Bas-Rhin (plus loin : ABR) : 7E56.1/63, inventaire des dettes passives du 27 août 1811.
  7. ABR : 7E56.2/21.
  8. ABR : U608.
  9. ABR : U1813.
  10. ABR : 7E56./197.
  11. ABR : X217.
  12. judaisme.sdv.fr, Geneanet.
  13. ABR : U1821, levée le 27 janvier 1835 des scellés apposés sur le mobilier laissé à Soultz par Rachel Hecht.
  1. ABR : 7E56.2/34.
  2. ABR : 7E56.1/12.
  3. ABR : 8E474/8.
  4. E. Schwartz, rabbin à Soultz-sous-Forêts : Le Rabbinat de Surbourg - Soultz-sous-Forêts de 1784-1884, Bulletin annuel des Amis de la Tradition juive pour l'année Israélite 5685 (1925), édité par les Amis de la tradition juive, Colmar.
  5. ABR : 7E56.1/12.
  6. ABR : 7R56.1/16.
  7. ABR : U1820.
  8. ABR : U1821.
  9. Ellenbach.
  10. ABR : 7E56.1/205.
  11. ABR : 7E56.2/92.
  12. alemannia-judaica.de
  13. ABR : U1834.
  14. Numistral.

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