La communauté juive d'Obernai au XIXe siècle
par Lucien Maurer
extrait de l'Annuaire de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Dambach-la-ville, Barr, Obernai, 1990
Les sous-titres sont de la Rédaction du site


Evolution de la population juive au 19ème siècle

La population juive d'Obernai, en 1870, n'a guère progressé depuis le Dénombrement de 1784 qui avait recensé 36 familles et 201 âmes (4). Sa structure cependant a sensiblement évolué depuis cette date. En effet, en 1808, seules 9 des 36 familles de 1784 ont pu être déterminées avec certitude. Certaines ont dû chercher fortune ailleurs, alors que d'autres se sont établies à Obernai (5).Les nouveaux venus n'ont toutefois pas remplacé les partants : en 1806, Obernai ne compte plus que 142 juifs (6).
Le rôle des patentes de 1813 qui recense 25 ressortissants juif nous renseigne sur leur activité professionnelle : 9 colporteurs, 6 revendeurs, 4 marchands de bestiaux, 2 bouchers, 1 mercier, 1 rubanier, 1 cabaretier et une cabaretière (7).

Au milieu du 19ème siècle le chiffre de 1784 est de nouveau atteint avec 204 juifs ; il progresse à 215 en 1870 et atteint le maximum en 1880 avec 219 (8). A partir de cette date les effectifs diminuent progressivement comme dans la plupart des communes rurales d'Alsace sous l'effet conjugué de la baisse de la natalité et de la montée vers les grandes villes.
Lorsqu'en 1867 le siège rabbinique est transféré d'Itterswiller à Obernai la communauté juive locale est bien structurée et solidement implantée. Elle est dirigée par un rabbin expérimenté, possède une synagogue et une école, et elle est gérée par une commission administrative vigilante et active.

Le rabbin Joachim Lévy

Le rabbin Joachim Lévy (Minwersheim 5-7-1802 - Obernai 1-3-1894), nommé à Obernai en 1867, avait déjà exercé son ministère à Niedernai (1835-1854) et à Itterswiller (1854-1867). Il  débuta sa carrière à Niedernai où il succéda au rabbin Emmanuel Bloch dont il avait épousé en 1832 la fille, Anne (1800-1872) (9).Une fille et deux garçons naquirent à Niedernai dont l'un Seligmann (1805-1914) sera rabbin à Uffholz, Durmenach et Soultz dans le Haut-Rhin (10).

En 1853,1e rabbin se heurta à une grave dissension au sein de la communauté de Niedernai, dont certains membres demandaient l'abolition de la vente des honneurs au Temple. De plus le maire, le Baron de Reinach accusa la rabbin de provocation à de faux témoignage et en saisit le ministre de l'Instruction publique. Le Consistoire du Bas-Rhin
et le Consistoire Central à Paris se concertèrent pour conjurer la menace de révocation que le ministre envisageait de prononcer contre le rabbin. Un accord fut trouvé pour transférer le siège du rabbinat à Itterswiller, décidé par arrêté ministériel du 15 juin 1854 (11). Le préfet fut chargé de surveiller le rabbin dans sa nouvelle résidence où "il tint une bonne conduite" (12).

Lorsqu'un arrêté impérial du 23 février 1867 transféra le siège du rabbinat à Obernai,le maire d'Itterswiller certifia,le 6 mai 1867, que "la famille Lévy qui demeure dans notre commune depuis douze ans a constamment mérité les meilleurs témoignages..." (13).

Fête de Pourim à Obernai - 1905
Avec sa nomination à Obernai, le rabbin Lévy voit se réaliser enfin le voeu exprimé depuis longtemps.En 1853,alors que sa situation était devenue impossible à Niedernai, il avait demandé au Consistoire de transférer sa résidence à Obernai,ce qui lui avait été  refusé en "raison de la proximité avec le chef-lieu du rabbinat" (14).Une nouvelle demande adressée au Consistoire en 1856 demeura également infructueuse sous prétexte "qu'Obernai avait un ministre officiant et que l'état ne salarie pas deux ministres dans une même localité" (15). Le transfert du rabbinat à Obernai où le rabbin Lévy exercera jusqu'à sa mort en 1894, ne lui procurera pas seulement une satisfaction morale mais aussi une sensible augmentation de son traitement annuel qui sera en 1870 de 1.300 F. (16). Il touche en même temps une indemnité de logement de 400F. par an,
qui est perçue sur les "communes formant la circonscription rabbinique au prorata de leur population israélite" (17).

Institutions communautaires

Les enfants de la communauté juive - une bonne trentaine - fréquentent l'école communale israélite, installée dans un immeuble appartenant à la Communauté, sis au 9 rue du Puits, qui abrite au rez-de-chaussée le bain rituel. Cette école, privée jusqu'en 1860, était subventionnée par la commune à raison de 250 F. par an. Le conseil municipal s'est longtemps opposé à son érection en école communale, malgré les demandes pressantes des autorités de l'Inspection de l'Académie. Après un nouveau refus (18),  le Comité supérieur de l'Instruction primaire de la circonscription de Sélestat, dans sa séance du 1er décembre 1845, s'est prononcé sans équivoque en faveur d'une école communale israélite, à l'instar de Dambach et de Scherwiller (19).

Le 10 mai 1846, l'inspecteur primaire du Bas-Rhin attira l'attention du préfet sur "la nécessité d'ériger en école publique l'école privée israélite d'Obernai". Cette mesure se justifie par le nombre des enfants qui fréquentent l'école privée au nombre de 36, effectif qui augmentera si la mesure est adoptée. Comme Obernai dispose de ressources suffisantes, l'inspecteur demande au préfet "d'ériger en école communale l'école privée israélite d'Obernai et de pourvoir d'office à son entretien si le conseil municipal refuse de porter au budget le traitement fixe de l'instituteur" (20).
Ce n'est qu'en 1860 que le conseil municipal institua l'école communale israélite et fixa le traitement de l'instituteur à 600 F. par an. Il touchera directement des élèves non indigents une rétribution mensuelle de 1 F. pour l'instruction religieuse (21).

Cette école est dirigée à partir de 1873 par Benjamin Lévi. I1 perçoit un traitement annuel de la commune, équivalent à celui de ses collègues chrétiens soit 650 F. ; en outre il touche une indemnité de logement de 150 F. et bénéficie de trois stères de bois d'affouage par an (22). Chaque année, la commune fournit huit stères de bois de sapin pour le chauffage de la classe unique.Benjamin Levi a assuré durant de longues années l'instruction de la jeunesse juive d'Obernai : c'est lui,en sa qualité d'instituteur, qui fit à l'état-civil la déclaration de décès du rabbin Lévy.

La commission administrative, présidée par M.Wertheimer avant 1870 puis par Ch. Scheyen, veille à la bonne marche de la Communauté qu'elle représente vis à vis des tiers. Elle se révélera très active et entreprenante dans ses démarches pour la construction de la nouvelle synagogue.

Comme ses voisines, la communauté juive d'Obernai enterre ses morts dans la nécropole de Rosenwiller en attendant de posséder son propre cimetière, rue de Molsheim, à partir de 1889 (23).

La Communauté dispose d'un lieu de culte, installé en 1752, au premier étage de l'immeuble,situé au fond de la cour du n° 43 de l'actuelle rue Couraud. C'est une belle synagogue baroque du 18ème siècle, qui hélas est très délabrée et s'avère trop étroite pour accueillir les fidèles (24). Faut-il la restaurer ou construire une nouvelle synagogue ? C'est là la principale préoccupation de la Communauté, que partage la nouveau rabbin Lévy. Sans doute a-t-il été confronté à des problèmes  analogues à Itterswiller où d'importants travaux, évalués à 2.000 F. en 1856 ont dû être entrepris à la synagogue (25). Enrichi de cette expérience, le rabbin Lévy connaît la lenteur administrative et les interlocuteurs auxquels il  aura affaire : le sous-préfet de Sélestat et l'architecte d'Arrondissement. La "question synagogale" (l'expression est du rabbin) occupera la Communauté pendant huit années et trouvera un heureux dénouement avec la construction d'un nouveau temple en 1876.

Construction de la nouvelle synagogue


Plan de l'ancienne synagogue
Dans son avant-projet pour la construction d'une nouvelle synagogue, l'architecte de l'arrondissement de Sélestat, Antoine Ringeisen, a dressé le plan de l'ancien oratoire de 1752 (25). Celui-ci fait apparaître à quel point l'ancienne synagogue était enserrée dans un ensemble de maisons privées. Situé au premier étage de l'immeuble au fond de la cour de l'actuelle Boucherie Ohresser, l'oratoire a 9,90 m. de long sur 8,05 m. de large et 3,45 m. de haut. Il est surmonté d'une voûte en berceau de 1,60 m. Il est éclairé par quatre fenêtres donnant dans la cour au nord et quatre autres, côté sud, vers la cour arrière que longe le canal des Moulins (que Ringeisen dénomme par erreur "Ruisseau dit Lehn" sur le plan. Enfin dans le mur est sont percées deux fenêtres entre lesquelles se dresse l'arche sainte (désignée par "tabernacle" sur le plan). Celle-ci forme une petite niche débordant sur le mur extérieur et bien visible actuellement entre les deux fenêtres murées depuis la Cour des Tanneurs. Au milieu du sanctuaire se dresse la "bima", l'estrade pour les chantres, avec baldaquin en pierre et en stuc. De part et d'autre sont installées 63 petites stalles pour hommes. La partie arrière sert de cage d'escalier pour l'entrée séparée des hommes et des femmes. Ces dernières ne disposent que de 49 places sur la tribune qui surplombe le fond de la synagogue. "Tout cet ensemble, constate Ringeisen, a été très soigné dans le principe, il a un cachet d'architecture très spécial du XVIIIè s. et produirait un grand effet s'il était convenablement restauré" (26).

Devant l'état délabré de la synagogue qui, au dire de certains menace ruine, la commission administrative de la Communauté lance en 1868 un appel au maire pour attirer son attention sur l'urgence des travaux de restauration à entreprendre.
Devant le conseil municipal, le maire reconnaît "qu'il y aurait lieu d'y pourvoir dans la mesure de la situation financière de la ville" (DCM 22.6.1868).
Il est un fait que les finances municipales ont été fortement obérées par la construction de la nouvelle église paroissiale et celle du magasin des tabacs. Une commission de trois membres est chargée de se rendre sur place avec l'architecte d'arrondissement pour constater les opérations urgentes à entreprendre. Comme l'architecte Ringeisen tarde à se manifester, la commission administrative s'adresse directement au sous-préfet de Sélestat pour attirer son attention sur
"l'état de son temple complètement délabré et qui menace ruine" (17.7.1868).

La visite des lieux s'effectua le 25 juillet1868, au cours de laquelle Ringeisen promit de faire le nécessaire. Mais entre la promesse et son exécution s'écoulèrent près de deux années,marquées par des interventions répétées de la Communauté et du maire auprès de l'architecte. Ces démarches n'avérant vaines, la Communauté s'adressa une nouvelle fois au sous-préfet. Elle le pria d'intervenir auprès de Ringeisen pour "qu'il envoie sans retard son rapport avec plans et devis de gros, réparations, s'il les juge suffisantes ou avec une estimation approximative de 1a dépense qu'occasionnerait la construction d'un Temple neuf approprié à nos besoins" (lettre du 13.5.1870). C'est la première fois qu'il est question d'une nouvelle construction.


La nouvelle synagogue - © Michel Rothé
Le conseil municipal, dans sa séance du 19 mai 1870,constatant que malgré de nombreux rappels, Ringeisen ne lui pas fait parvenir les documents promis lors de sa visite du 25  juillet 1868, "le met en demeure de produire ledit devis dans le mois pour ne pas se trouver dans la nécessité de demander les conseils d'une autre personne compétente". Cette menace semble avoir décidé l'architecte qui sait par expérience qu'elle est à prendre au sérieux. En effet ne s'est-il pas vu retirer en 1863 la mission que le conseil municipal lui avait confiée un an auparavant de dresser le plan et devis pour la nouvelle église paroissiale ? (27)
Devant la carence de Ringeisen, visiblement surchargé de travail par la construction des églises de Dambach, Bernardswiller et Craffenstaden, le conseil municipal n'hésita pas à charger Eugène Petiti de la construction de la nouvelle église d'Obernai.

Devant cette mise en demeure, Ringeisen rédigea son rapport avec plan et devis sommaire qui porte la date du 7 juin 1870 (28).
Le rapport de Ringeisen contient tous les arguments plaidant en faveur d'une nouvelle construction. Partant du  fait qu'aucune extension de l'oratoire n'est possible en raison de sa situation, on pourrait envisager un exhaussement de la synagogue. Cette solution ferait gagner dix places pour les femmes à condition d'installer des tribunes latérales. Or cette transformation entraînerait la démolition des combles et de la belle charpente assemblée en voûte (encore visible actuellement dans les combles de l'immeuble). Par ailleurs le nombre de places pour les hommes ne serait pas augmenté. Enfin cette solution ne remédierait pas aux inconvénients des accès à travers la cour et le corridor ni à ceux résultant d'un "voisinage concentré et malsain" (29).

En conclusion, Ringeisen note : "On comprend la résistance de la communauté israélite de dépenser des sommes élevées pour prolonger un état précaire et insalubre. Elle propose de faire l'acquisition d'un emplacement convenable et d'y établir un temple neuf en rapport avec les besoins du culte et les ressources disponibles ou à créer". C'est dans ce but qu'il a dressé un avant-projet, sur les bases du nouveau temple de Dambach-la-Ville, pouvant accueillir 110 hommes et 70 femmes, s'élevant à 40.000 F. sans le mobilier estimé à 10.000 F (30).
Le choix est donc arrêté : seule la construction d'un nouveau temple est envisagée. Mais la guerre de 1870 et le changement de nationalité mettent ce projet en veilleuse. Ce n'est qu'en 1872 qu'il sera repris.


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