ROSENWILLER
La communauté - Le cimetière
par Moïse GINSBURGER
Extrait de Souvenir et Science, Revue d'histoire et de littérature juives, 1930 Guebwiller
(les intertitres sont de la Rédaction du Site)

I. - La Communauté

Le cimetière israélite de Rosenwiller sur une image ancienne
coll. M. & A. Rothé
Le petit village de Rosenwiller est situé dans une région qui était probablement déjà habitée à l'époque celtique. C'est par cette région en effet, que passe la route celtique qui va de Barr à Dinsheim.

Une paroisse y existait déjà au 13ème siècle, et, en 1364, il est question, pour la première fois, d'un Wilre proope Rodesheim, d'un hameau près de Rosheim, en 1463, de Roszheimwyler, qui est devenu, par la suite, Rossewiller ou Rosenwiller.

Le village faisait partie de l'Evêché de Strasbourg et dépendait du bailliage de Dachstein. En 1484, après qu'il eut été presque complètement détruit par suite de guerres et d'incendies, l'évêque Albert de Strasbourg l'engagea, pour une durée de 81 ans, aux seigneurs de Rathsamhausen zum Stein. En 1565, Rosenwiller fut donné à vie aux membres de la même famille de Rathsamhausen, mais lorsqu'en 1582 elle se fut éteinte, le village revint à l'Evêché (1). Tout porte à croire que c'est précisément cette famille noble des Rathsamhausen zum Stein qui a donné à un certain nombre de familles juives l'autorisation de s'établir à Rosenwiller.

Les procès des Juifs de Rosenwiller et les interventions de Josel

Déjà, en 1550, il est fait mention d'un certain Haym de Rosenwiller dans une lettre adressée au Magistrat de Strasbourg, le 25 juillet 1550, par Jean Eberbart, bailli strasbourgeois à Marlenheim. Ebehart fait savoir au Magistrat que le bourgeois Lienhart Wagner de Marlen était mort quelques années auparavant et que sa succession avait été arrêtée par ses créanciers, parmi lesquels figurait aussi Haym de Rosenwiller, qui avait à demander la somme de 117 florins.
Mais ce même Haym était également débiteur de Wagner, et lorsque les autres créanciers voulurent lui déduire son dû, il fit tout son possible pour accaparer toutes les créances de Wagner, afin de pouvoir se faire payer, bien qu'à vrai dire ces créances eussent dû faire partie de la succession de Wagner et être mises à la disposition de tous les créanciers.
C'est le tribunal de Dangolsheim qui avait confirmé les actes d'achat de Haym, et de cette manière, celui-ci avait pu obtenir différentes sommes des débiteurs de Wagner.
Eberhart demanda donc au Magistrat de Strasbourg de faire en sorte que le Juif fût forcé de rendre cet argent pour qu'il fût réintégré à la succession de Wagner et distribué entre les créanciers (2).

Je suppose qu'il s'agit du même Haym de Rosenwiller dans une correspondance entre Josel de Rosheim et le Magistrat de Strasbourg. Le Magistrat s'était plaint à Josel à propos de plusieurs Juifs qui avaient traduit des sujets strasbourgeois devant des tribunaux étrangers, notamment devant celui de Rottweil. Or, nous lisons dans le Registre des procès-verbaux du Magistrat de Strasbourg de l'année 1545 (fol. 375) que Josel avait écrit, le 16 septembre, "Haman juden halben zu Rossenweiler", "à propos de Haman [lire: Haym], Juif de Rosenwiller", disant que l'autorité supérieure, c'est-à-dire le seigneur de Rathsamhausen, écrirait au Magistrat, ce pourquoi le Magistrat décida d'attendre cette lettre (3).

Le même Magistrat de Strasbourg avait encore à se plaindre des Juifs de Rosheim et de Rosenwiller, qui avaient acheté de l'argent métal à un ambulant, argent que le négociant Wolf Eberstein prétendait lui avoir été volé. Les Juifs mirent tout cet argent à la disposition d'Eberstein et prêtèrent serment qu'ils avaient tout livré. Toutefois, Eberstein adressa une nouvelle demande au Magistrat et prouva, par une lettre, que Jeckel, sans doute de Bergheim, lui avait promis de lui faire parvenir le restant de l'argent. Le Magistrat refusa donc, à tous les Juifs de la circonscription de Josel, l'entrée de la ville de Strasbourg. Josel pria le Magistrat, par une lettre du 28 mars 1552, d'engager Eberstein à s'en tenir exclusivement à Jeckel, qui lui avait fait des promesses, et de permettre aux autres Juifs de se réfugier à Strasbourg comme au temps de la Guerre des paysans. Le Magistrat décida de communiquer la lettre à Eberstein mais de ne pas accorder de sauf-conduit aux Juifs avant que cette affaire soit réglée (4).

En 1554, nous trouvons encore deux Juifs de Rosenwiller qui avaient des procès à Rottweil, Abraham et Jacob. Ce dernier y avait fait citer un certain Valentin Schwitzer de Flecksperg, sujet strasbourgeois. Le Magistrat lui fit des reproches. Il s'excusa en alléguant qu'il ignorait avoir eu affaire à un sujet strasbourgeois (5).

Vers la même époque, il est fait mention d'un autre Juif de Rosenwiller du nom de Cossmann dans une pétition adressée à l'Evêque de Strasbourg par le tonnelier Steffan Hebner de Biblenheim. Hebner invoquait l'aide de l'Evêque contre le prévôt de Soultz et le bailli de Dachstein, qui l'avaient fait mettre en prison, lui avaient enlevé tous ses biens et l'avaient expulsé, avec toute sa famille, des terres de l'Évêché Dans la même lettre, Hebner écrit que Cossmann était venu chez lui avec le prévôt de Soultz, au moment des vendanges de 1560 et avait noté tous les meubles qu'il possédait. En même temps, Cossmann lui avait promis de lui rembourser toutes ses dettes non hypothéquées et de lui faire crédit pendant toute une année. Cette lettre est ainsi conçue :

cliquez ici pour voir le facsimilé de la lettre en allemand (.PDF)

Tentative d'expulsion des Juifs au 16ème siècle

L'Évêque Érasme de Strasbourg donna ordre de faire une enquête, mais nous ne connaissons pas la suite de l'affaire (6). Cet évêque n'était pas un ami des Juifs. Il voulait, à tout prix, se débarrasser de ceux qui habitaient les terres de l'Évêché et s'etait adressé, à différents reprises, au Magistrat de Strasbourg, afin de se mettre d'accord avec lui à propos d'un Mandat d'expulsion des Juifs du bailage de Marlenheim qui appartenait en commun à l'Évêque et à la ville Strasbourg.

Le 22 juin 1562, l'Evêque écrivit une nouvelle lettre au Magistrat pour lui annoncer l'envoi d'un projet de Mandat auquel il devait apporter les changements qui lui paraissaient nécessaires. Les Mandats antérieurs n'ayant pas été observés, il était à craindre que l'on ne puisse pas arriver à faire partir les Juifs du bailliage.

Blason de Rosenwiller :
la bèche et la serpe,
travail de la vigne
Le 4 septembre 1562, l'Évêque accusa au Magistrat réception du Mandat et du projet avec les changements. Il lui proposa, en même temps, de réunir les fonctionnaires et les sujets à Marlenheim et d'y faire publier le Mandat. Le contenu devait en être communiqué aux Juifs de Rosheim, de Rosenwiller, de Kolbsheim, de Traenheim, de la préfecture de Haguenau, de Surbourg, d'Eschbach, de Bossendorf, de Lutzelhouse, de Wingersheim, etc.
Le Mandat est daté de 17 septembre 1562. Il enjoint surtout aux habitants du bailliage de Marlenheim de liquider leurs dettes envers les Juifs et de ne plus rien leur acheter, à l'avenir, excepté l'alimentation.

Le notaire Adam de Bois de Saverne fut chargé de faire la publication du Mandat en question. Nous lisons, dans le rapport conservé aux Archives de la Ville de Strasbourg (7), qu'il avait lu le Mandat, le 24 septembre, dans la chancellerie de Saverne, mot à mot, en présence des Juifs Simon et Asser de Neuwiller et Jacob de Bouxwiller et qu'il avait laissé une copie à chacun d'eux.
Il en fit de même et au même endroit en présence de Dodorus de Bossendorf et d'Abraham de Gunstett, le 1er octobre,
Le lundi, 9 novembre, il donna communication du Mandat, dans l'auberge de la Charrue à Saverne, à Esaïe de Leutelshausen et lut enjoignit d'en faire part également à son compagnon Abraham de Leutelshausen.
Le mercredi. 4 novembre, il était allé à l'auberge du Cygne à Saverne et avait communiqué le Mandat aux Juifs les plus influents de Rosenwiller, Abraham et Jacob. Abraham fit observer pourtant qu'il était médecin, qu'il avait à visiter les malades et que, par conséquent, il e pouvait pas se conformer à l'interdiction de l'Évêque. Le notaire prit acte de cette déclaration et lui accorda la permission de continuer à faire ses visites aux malades. En même temps il s'informa auprès de ces deux Juifs de Rosenwiller s'il y avait aussi des Juifs à Rosheim, parce que, dans l'affirmative, il serait obligé de leur communiquer également le Mandat. Ils lui répondirent que cela était inutile, qu'il n'y avait que peu de Juifs à Rosheim et qu'ils ne demandaient pas mieux que de leur faire part du contenu du Mandat, les Juifs de Rosenwiller et ceux de Rosheim se servant de la même synagogue, où ils avaient l'habitude de se réunir. Il faut évidemment admettre que cette synagogue se trouvait alors à Rosenwiller. Le notaire chercha donc une copie du Mandat dans sa maison et la transmit aux deux Juifs en les chargeant de la communiquer aux Juifs de Rosheim.
Le jeudi, 19 novembre, le notaire fit part du Mandat et en donna une copie à Alexandre et à Abraham, Juifs de Wingersheim.
Le lundi, 30 novembre, il se rendit à Pfaffenhofen, où il ne trouva qu'un seul Juif du nom de Mathis, tous les autres étant allés à Haguenau assister à une circoncision. Il lui donna lecture du Mandat et lui recommanda d'en faire part à ses coreligionnaires.
Le mardi après la Saint-André, il se trouva à Surbourg, où il rencontra Mortge, fils de Lazarus, que les Juifs de la préfecture de Haguenau nommaient leur Parnoes. Il lui dit que son père assistait à unecirconcision à Haguenau. Puis, le notaire lui donna lecture du Mandat et lui recommanda de le faire connaître à son père qui, de son côté, devait le communiquer aux Juifs de la préfecture de Haguenau, dont il était le chef et notamment à ceux d'Eschbach, qu'il n'avait pas rencontrés, puisqu'ils assistaient aussi à la circoncision à Haguenau.
Le même jour, il fit venir le Juif Meïer, médecin à Haguenau, à l'auberge dite "Zum Geisbaum" et lui fit part du Mandat. Mais Meïer ne lui en laissa pas terminer la lecture, lui disant qu'il netenait aucun compte de ce Mandat et de sa publication, puisqu'il n'avait rien à faire ni avec l'Évêque ni avec le Magistrat de Strasbourg., et que ni l'un ni l'autre n'avaient des ordres à lui donner. II refusa également d'accepter une copie du Mandat. Le notaire lui répliqua qu'il lui avait communiqué l'interdiction en sa qualité de notaire impérial et il en déposa une copie, devant témoins, dans l'auberge. Le lendemain il était à Brumath et faisait part du Mandat au Juif Mosche.
Le mercredi après la Saint-André il était à Wintzenheim où il communiquait le Mandat à l'épouse du Juif Gottlieb, Breunie, dont le mari et le beau-frère Isaac, second Juif de Wintzenheim, assistaient à la circoncision à Haguenau.
Le jeudi après la Saint-André il était à Barr et faisait connaître l'interdiction à Mardochée, Juif établi à Barr. Celui-ci lui répondit qu'il n'avait jamais eu affaire dans les localités mentionnées dans le Mandat.
Le même jour, il s'acquittait de sa mission auprès des Juifs Isaac et Elias de Kolbsheim, qu'il avait fait venir au château de Dachstein. Isaac s'était fait excuser pour cause de maladie, mais Elias, son gendre, vint à sa place et accepta le Mandat.
Le vendredi après la Saint-André il était à Traenheim. Il se rendit dans la maison du Juif Abraham, mais ne le trouva pas chez lui, de sorte qu'il communiqua l'interdiction à sa femme Sara (8).

Ce rapport est d'une grande importance pour l'histoire des Juifs de Rosenwiller et des environs, étant donné qu'il fait connaître leurs noms et les endroits, où ils demeuraient dans la seconde moitié du 16ème siècle. Nous aurons à y revenir, lorsque nous nous occuperons de l'histoire des communautés de la circonscription du cimetière de Rosenwiller.

Rosenwiller, l'entrée du cimetière juif - © M. Rothé
L'Évêque ne se contenta pas d'avoir défendu aux Juifs tout trafic avec ses sujets du bailliage de Marlenheim Il voulut aussi se débarrasser des Juifs de Rosenwiller. C'est ce qui ressort de sa lettre adressée au Chapitre de Strasbourg et datée du 10 septembre 1553. ll y est dit qu'il avait cédé le village de Rosenwiller à Jacob et Wolf Dietrich de Rathsamhausen à la condition que les Juifs seraient expulsés d'ici jusqu'à la fête de la Purification. On leur avait donné ensuite une prolongation jusqu'à Pâques, mais ils interjetèrent appel auprès de l'Empereur et neuf familles y restèrent à demeure. Le Chapitre devait réfléchir sur cette affaire et soumettre un rapport à l'Évêque (9).

Nous ne possédons pas ce rapport, mais nous savons que les Rathsamhausen donnèrent ordre aux Juifs de Rosenwiller de quitter le village dans un délai de quinze jours. Comme le terme tombait à la fête de Pâque, les Juifs réclamèrent contre le seigneur auprès de l'Empereur Ferdinand pour deux raisons : d'abord, parce qu'ils devaient être chassés à l'encontre de leurs privilèges et ensuite, parce que, du fait de l'expulsion, la fête de Pâque serait troublée.
Ferdinand transmit la cause au tribunal de Spire. Les Juifs donnèrent procuration, le 26 avril 1563, à Raphaël, Juif de Rosenwiller, à l'effet de les représenter. La procuration fut rédigée par le notaire Jorg Baumhauer de Westhoffen. Raphaël, de son côté, chargea, le 29 avril, devant le notaire Bartholomaeus Egon, l'avocat Berman Fridlin de Rothweil de le remplacer. L'avoué de Rathsamhausen, le D Kilian Reinhardt, déclara que les Juifs avaient seulement porté plainte, parce qu'ils avaient reçu l'ordre de quitter Rosenwiller et de s'établir ailleurs et parce que les Rathsamhausen leur avaient défendu, en vertu du décret impérial de 1551, de trafiquer avec leurs sujets.
Les Juifs répliquèrent que, depuis les temps les plus reculés, Rosenwiller avait été habité par des juifs, que les Rathsamhausen eux-mêmes avaient encore, peu de temps avant, reçu des Juifs, les avaient traités à l'égal des bourgeois et leur avaient même donné du bois de construction. Les Juifs avaient eu, des papes et des empereurs, l'autorisation d'avoir des synagogues et des écoles et de pratiquer leurs cérémonies sans être dérangés, comme ils l'avaient été à Pâque.
Le jugement fut prononcé le 2 juin 1564. Les Rathsamhausen furent acquittés et les Juifs condamnés aux dépens (10).
Mais l'expulsion des Juifs ne semble pas avoir eu lieu. Nous remarquons, en effet, qu'un certain Vohl, qui est probablement identique à Raphaël que nous venons de mentionner, demeurait encore à Rosenwiller en 1583. Le 4 septembre de cette année, l'Évêque de Strasbourg recommanda, en effet, au bailli de Dachstein de permettre à Vohl de passer encore l'hiver à Rosenwiller et de s'informer, après ce délai, de ce qu'il aurait à faire par la suite (11).

Les Juifs de Rosenwiller au 17ème et au 18ème siècle

Au 17ème siècle, Rosenwiller était habité par quatre familles juives, dont les chefs s'appelaient: Samuel, Elias, Lobell [lire: Loebel] et Meyer (12). En 1621, il n'y en avait que trois: Elias, Meyer et Leoman, dont chacun payait 3 livres et 12 schillings de droit de protection. En 1690, il n'y avait qu'une seule famille qui y demeurait de la Saint-Jean à Noël. Le chef en était Lehemann. En 1699, il y eut une seconde famille dont le chef s'appelait Abraham, Au 18ème siècle, on ne mentionne généralement qu'une seule famille. En 1724, il y en avait deux, Lebman et Jacob, qui payaient ensemble 72 livres de droit de protection. En 1739, c'est Leymann et son fils Lewel qui y demeuraient. En 1743, un autre fils du même Lehmann, nommé Zall, c'est-à-dire Bezalel, paie 72 livres de droit de protection pour deux années. En 1753, c'est une troisième famille qui vint s'y établir, sans doute encore un fils de Leymann, nommé Elias. En 1758, il n'est plus fait mention que de Zall et de Ziper [Zippora], veuve de Lévi, qui n'est autre que Lewel, fils de Lehmann (13).

En 1780, il est fait mention des Juifs de Rosenwiller dans un rapport adressé, par le bailli de Dachstein, à l'Intendant d'Alsace à Strasbourg. C'est que le gouvernement royal se préoccupa, à cette époque de la situation des Juifs qui était devenue inquiétante. La misère des paysans avait atteint les dernières limites. Pour se libérer de leurs dettes envers les Juifs ils avaient fabriqué des fausses quittances De là, des contestations et des procès innombrables qui entretenaient dans l'Alsace tout entière une agitation oui pouvait dégénérer en violences. Il n'était que temps d'apporter un remède à la situation économique de la province et de la pacifier. Une intervention de l'autorité s'imposait. Mais pour rendre possible et utile cette intervention il fallait connaître exactement la situation des Juifs, et c'est pour ce motif que l'Intendance avait demandé des rapports aux différents baillis. Voici le texte de celui de Dachstein (14):

BAILLIAGE DE DACHSTEIN
Etat des Juifs établis dans le Bailliage de Dachstein, et observations
concernant cette nation relativement à la Lettre de Monseigneur l'intendant
du 29 juillet 1780.

Quoique le bailliage de Dachstein soit entouré de Juifs, la plus grande partie de ses communautés ne leur fournissent de domiciles, il n'y a que trois communautés, dans lesquelles se trouvent des établissements, savoir : Sultz, Bischoffsheim et Rosenwiller.
A Sultz se trouvent six ménages composant y compris le chantre de la sinagogue (sic) 32 individus, à Bischoffsheim huit ménages (36 individus), à Rosenwiller deux ménages (12 individus).
A Sultz et à Bischoffsheim où il n'y avait il y a vingt années que sept ménages ils se sont doublés, étant actuellement au nombre de quatorze.
Il y a des juifs, comme des chrétiens de trois classes et forment aujourd'hui un nombre bien considérable. Ceux de la première classe, qui sont les riches, font les banquiers, changeurs, admodiateurs (*), entrepreneurs et commerçants, en denrées, chevaux, bijoux, argenterie et autres marchandises de prix et mercerie fine.
Ceux de la seconde, trafiquent en chevaux, bœufs, vaches, peaux, différentes marchandises de médiocre espèce, prêtent de l'argent sur intérêts toujours à condition de rétributions ultérieures et à des échéances dures aux débiteurs.
Ceux de la troisième, suppots (sic) de ceux des deux premières classes, trafiquent moyennant les avances que ceux-ci leur font, en petit bétail, petite batterie de cuisine, vieux fer, friperie, nippes, et meubles usés.
Si les Juifs de toutes les classes sont onéreux aux chrétiens, ceux de la troisième le sont à leur propre nation, mais dangereux à toute la Société.
Les moins industrieux, quand la subsistance leur manque, mettent à contribution leurs frères aisés qui, pour s'indemniser de cette dépense fâcheuse, mettent tout en œuvre, à exercer leur recours contre les chrétiens, qui tombent dans leurs filets, et ceux qui joignent la hardiesse à la ruse gagnent au delà du nécessaire, rôdant d'un endroit à l'autre, rendant visite dans presque toutes les maisons, trouvant une femme qu'ils dupent, en lui cédant un morceau de mauvaise étoffe, ou autre bagatelle de peu de valeur, pour laquelle ils emportent à l'insu du mari, ou un meuble, ou de la denrée de triple valeur, engagent des jeunes gens à leur vendre à vil prix des meubles et effets dérobés à leurs parents, favorisant l'infidélité des domestiques et souvent le vol d'autres mauvais sujets.

L'industrie des Juifs, exempte du scrupule et dégagée de la bonne foi, est active et fertile, elle est aussi d'un produit assez abondant pour la sustention d'un bon nombre d'individus, mais la propagation hâtive est la seule cause de ce que chaque individu ne soit pas à son aise.
Les objets d'industrie des différentes branches du commerce et de leur détail ci-dessus, même à l'exclusion du prêt en argent, sont d'une étendue incomparablement disproportionnée et d'un produit prépondérant à l'industrie des chrétiens de la classe des artisans, manœuvriers, fermiers, vignerons et journaliers, qui n'ont pour leur subsistance que le produit de leur travail pénible, et celui de quelques pièces de terrain, duquel produit il faut qu'ils acquittent les charges publiques.
Les moyens susdits procureront donc aux Juifs une subsistance pour le présent, si cette nation introduit l'ordre et la distribution qui est établie parmi les chrétiens divisés en différents corps ou tribus.

Chaque profession, chaque métier forme un corps de maîtres, qui seuls peuvent l'exercer à l'exclusion de tous autres artisans, non reçus ou incorporés, cependant pour jouir de cette prérogative, ces maîtres sont privés de la faculté de s'immiscer dans l'exercice de la profession d'un autre corps de métier, dont ils ne sont pas membres.
Comme il ne dépend que d'une règle entre les juifs pour les faire subsister, malgré la distraction notable, que les moins détaillés occasionnent à la masse commune des peuples, cette distraction pourrait être compensée par un équivalent avantageux à toutes les classes des chrétiens, s'il plaisait au Gouvernement d'autoriser les chapitres, couvents et établissements de mainmorte (**), de prêter de l'argent à constitution de rente ou sur obligation portant intérêts ; il en résulterait:
1° L'importation des fonds présumablement placés hors de Province ;
La cessation des prêts usuraires;
3° Une activité dans des parties du commerce négligées faute de fonds nécessaires, qu'on ne trouve que dans des bourses judaïques, mais sur des intérêts excessifs, pour l'argent desquels on n'a pu se promettre un bénéfice proportionné du commerce;
4° Que cette autorisation peut se concilier avec la rigueur de la Loi, qui l'avait interdite, et qui paraît n'avoir eu pour objet principal que les acquisitions des gens de mainmorte, puisque par la défense de ne jamais recevoir des bienfonds en paiement, ou recevoir par cessio in solutiem les bienfonds hypothéqués pour sûreté du principal, les gens de mainmorte, n'auront pas plus de faculté d'acquérir qu'à présent.

Si ces moyens sont jugés praticables, pour la subsistance des juifs, sans préjudice des chrétiens, ils opéreront, quoique lentement, un avantage mutuel, sans diminution de l'intérêt des seigneurs par la réduction du nombre actuel des juifs au nombre originaire par rétrogradation à l'époque de leur premier établissement, sans expulser les individus actuellement existants et légalement établis sous protection légitime.

Cette réduction se fera par le décès et par la défense de remplacement jusqu'au temps, que le dénombrement aura prouvé que les Juifs n'excèdent plus le nombre primitif des familles originaires, la diminution en résultante, augmentera en faveur des familles juives conservées, les portions de commerce, d'industrie et des profits naturellement en dérivants, de manière que ces profits plus que doublés seront susceptibles d'une augmentation de charge proportionnée, de sorte que les familles juives conservées, conservant la totalité des fruits des moyens de subsistance, à elles concédées, pourront aussi acquitter le montant de leurs redevances actuelles.

C'est à cette nation de se cottiser (sic) dans une juste proportion, au moyen de quoi, les seigneurs ne perdront rien, et mépriseront généreusement un moindre intérêt, que la propagation hâtive de cette nation rivale des lapins pourrait leur offrir ; enfin étant notoire que l'âge de puberté des enfants des juifs, surtout des deux premières classes, est ordinairement marqué par leur célébration de mariage, il est aisé de juger de sa population, combien elle est préjudiciable aux chrétiens, des dépouilles desquels ils vivent, c'est sur quoi est fondée l'utilité de la réduction.

Ce ne sera qu'après une distribution en classes des parties de commerce, qui seront assignées à l'une et à l'autre, et après que le nombre des familles sera déterminé ou fixé, qu'il pourra être avisé, sur la juste proportion et la nature de la contribution des Juifs aux charges publiques par comparaison de leur industrie à celle des citoyens.

Fait à Molsheim le 8 août 1780.          ZIBELIN.

* Le métier d'amodiateur était considéré comme une activité facile et peu fatigante, adaptée au statut des propriétaires de terrain aisés. Il consistait à mettre en location une parcelle de terre cultivable pour recevoir au temps des récoltes une bonne proportion des produits issus de son terrain.
** Mainmorte : situation juridique des biens non aliénables, notamment des hôpitaux, communautés religieuses, institutions d'assistance publique, fondations scientifiques

En 1785, le seul Juif qui demeurait à Rosenwiller, sans doute le gardien du cimetière, était Lippmann Dreyfus. Sa femme s'appelait Güttel [et non pas Göttel, comme l'indique le Dénombrement], ses fils Fohlen et Raphaël, qui représentent le même nom hébreux Raphaël, et sa fille Merlen (15). De nos jours encore, le gardien du cimetière est le seul habitant juif du village de Rosenwiller.

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