Camille BLOCH
La chocolaterie Camille Bloch et ses liens avec Hégenheim
par Christophe Sanchez


Avant-propos

publicité (1957)
C’est avec gourmandise que j’ai découvert les chocolats Camille Bloch dont la réussite est liée à la résilience, les valeurs humaines et la volonté de sans cesse innover pour produire le meilleur du chocolat. Ces valeurs et cette éthique ont été transmises de génération en génération, se fondant sur les ressources humaines, naturelles, locales.
L’appartenance à la communauté juive a toujours été très présente, de Nathan un des fondateurs de la communauté juive de Berne à Rolf et sa gestion du fonds juif en déshérence.
Leur passé sundgauvien à Hégenheim, Buschwiller et Hagenthal n’est malheureusement que peu présent à travers les différents articles et livres publiés. Ces quelques pages permettront de rappeler l’importance des communautés juives sundgauviennes dans le développement économique de nombreux secteurs en Suisse comme l’horlogerie, la confection, les centres commerciaux et maintenant le chocolat.

Une généalogie qui reflète l’histoire des communautés juives du Sundgau

En 1866, les juifs obtiennent les droits civiques en Suisse et la possibilité de s’y établir
sans de nombreuses contraintes. Ce changement sera un des facteurs d’une immigration vers la confédération. Ainsi, les Bloch, Bollag ou Bollach, Brunschwig s’installeront souvent dans les communautés juives dont Moïse Nordmann était le rabbin, soit à Bâle, Avenches, Berne et La Chaux-de-Fonds.

Tombe de Nathan Bloch au cimetière juif de Hégenheim
Endingen (1) en Argovie est une des rares villes où les israélites ont pu s’installer dès 1678 et nous retrouvons ainsi la famille Bollach au début de cet arbre.
La présence de cette ville dans l’arbre généalogique n’est pas une surprise : le rabbin Ris originaire de Hagenthal y exerça de 1812 à 1834 suivi par son fils jusqu’en 1834. On y dénombrait en 1850 en incluant Lengnau, 1515 juifs présents. Ces juifs étaient principalement issus des villes de Haute-Alsace (Buschwiller, Hégenheim, Hagenthal…), de la région de Bade (Randegg, Wangen, Gailingen, Worblingen…) et de Hohenems.

1. Bloch Daniel, PDG actuel de l’entreprise Camille Bloch.
1.1 Bloch Rolf né à Berne en 1930 et décédé dans cette ville en 2015 ; marié à
1.2 Michèle Lévy
1.1.1 Bloch Camille né à Berne en 1891 et décédé dans cette ville en 1970 ; marié à
1.1.2 Bloch Hedwig Rosalia, née à Lucerne en 1907 et décédée à Berne en 1979.
1.1.1.1 Bloch Charles né en 1849 à Berne et décédé en 1939 ; marié à
1.1.1.2 Bollag Regina née en 1873 à Endingen en Argovie et décédée en 1926
1.1.1.1.1 Bloch Nathan né en 1801 à Hégenheim et décédé en 1875 à Berne. Marchand de chevaux.
              Sa tombe se trouve au cimetière juif de Hégenheim à l’emplacement G227 (2) ; marié à
1.1.1.1.2 Brunschwig Rébecca Esther née en 1816 à Liebenswiller et décédée en 1884 à Berne. Sa tombe se trouve à côté de celle de Nathan G228 (3).
1.1.1.1.1.1 Bloch Joseph né à Hégenheim vers 1752 et décédé en 1818 dans le même village. Marchand de chevaux ; marié à
1.1.1.1.1.2Bollach Nentel Geetel née vers 1751 à Endingen et décédée à Hégenheim en 1843


L’entreprise Camille Bloch

Des images d’animaux au chocolat

L’une des passions de Camille enfant, c’est la collection des images d’animaux que l’on trouve dans les plaquettes de chocolat Tobler. La légende affirme qu’il ne lui manquait qu’une image, celle du "Loup blanc". Alors quand à la fin de sa scolarité, le maître annonce à Camille, qu’il a le choix entre deux places d’apprentissage, l’une chez un ferblantier, l’autre chez Théodore Tobler, le chocolatier, le jeune Camille n’hésite pas une seconde. Son chemin est désormais tracé. Les années passent et Camille gravit les échelons. Il est représentant alors que l’Europe sombre dans la première guerre mondiale.

Après la guerre, Camille Bloch, excellent vendeur, rêve de monter sa propre affaire et en février 1929, elle est inscrite au registre du commerce sous le nom de Chocolats et bonbons fins Camille Bloch. Il a pu acheter des machines d’occasion à A. & W.Lindt à Berne qui a cessé son activité. En effet en1928, l’usine Lindt de Berne a dû arrêter la production de chocolat sur arrêt du Tribunal fédéral, parce que les neveux du fondateur avaient continué la fabrication bien que le fondateur ait vendu sa marque aux Sprüngli de Zurich. Le premier site de production est à la Jägerweg, d’après les archives, dans la cave puis en 1933 l’usine s’agrandit avec l’achat d’un immeuble de la Belpstrasse à Berne.

Rolf Bloch raconte les débuts de Camille dans une interview réalisée par le journal Le Temps (4) : "C’est par un curieux enchaînement de circonstances qu’est née cette fabrique. Mon père voulait faire un apprentissage de commerce. À cette époque, on collectionnait les images – on appelait ça des timbres – contenues dans les plaques de chocolat. Or Tobler avait émis une série qui, si elle était complète, donnait droit à recevoir la somme de cinq francs. C’était énorme à l’époque. On était en 1905-1906. Mon père avait plusieurs fois la série, sauf une image, celle du chien blanc. En apprenant que Tobler offrait une place d’apprentissage, il a pensé que c’était un moyen de compléter sa série. Il s’est présenté, a été engagé, a tout appris sur le chocolat, mais il n’a jamais trouvé le chien blanc. Le timbre n’existait pas. C’était un attrape-nigaud.
Quelque vingt ans plus tard, à la suite d’un procès qu’ils avaient perdu devant le Tribunal fédéral, deux membres de la famille Lindt se voyaient interdire d’utiliser leur nom sur un chocolat qu’ils fabriquaient après que la maison mère eut été vendue à la maison Sprüngli. Une petite installation industrielle était mise en vente. Mon père a vu là l’occasion de devenir indépendant. Il a emprunté en signant une assurance-vie. C’est ainsi qu’un an avant ma naissance est née la fabrique Camille Bloch."
À propos de leur maison à Berne : "Nous n’étions pas riches, mais à l’aise. Il y avait une jeune servante pour aider ma mère. Notre maison dans la périphérie de Berne avait un jardin avec des arbres fruitiers, des framboises, des fraises, des groseilles. La maison était mitoyenne d’une entreprise qui avait des chevaux. Il me suffisait de passer par une fenêtre pour me trouver dans l’écurie. C’était un monde où les enfants avaient encore leur place. Après notre déménagement, l’actrice Maria Schell a vécu dans cette maison." La maison familiale était une annexe de l’usine. Il raconte ses escapades dans la fabrique et ses dégustations impromptues de chocolat, ce qui n’était évidemment pas du goût du personnel de l’usine.

Camille Bloch et le site de Courtelary - © Socialize Magazine
Rolf Bloch se souvient qu’il a fait toutes ses écoles en suisse allemand. Il raconte qu’il ne pouvait faire des activités de son père une fierté, parce que ses camarades ne l’interrogeaient jamais sur la profession de son père. À cela il y a plusieurs raisons : d’une part, il s’agissait d’une petite usine, et d’autre part c’était le plus souvent les mères qui accompagnaient les enfants le premier jour d’école, les pères étant la plupart du temps au service militaire. À partir de la mobilisation en 1939, son père servira comme soldat auxiliaire (5).

Les débuts de Camille Bloch SA à Berne puis à Courtelary

De 1929 à 1934 malgré la crise économique mondiale, l’entreprise s’est développée normalement grâce à une idée de base de M. Camille Bloch : fabriquer une tablette de chocolat le meilleur marché possible, afin que ce produit de luxe qu’était le chocolat devienne un produit de grande consommation. À ce moment-là, on était arrivé à vendre une tablette de 100 g 20 centimes au détail.

En 1934, la crise fait rage. Le vallon de Saint-Imier est touché de plein fouet par les difficultés de l’industrie horlogère. Mais Henri Strahm, maire de Cormoret et député au Grand Conseil bernois, a une idée. Il a entendu dire qu’un industriel de Berne cherchait à déménager. Or, dans la localité voisine, l’ancienne usine de la Papeterie et cartonnages de Lunéville et Courtelary est vide. Jean Steiner, le maire de Courtelary, est convaincu par la proposition de son collègue. Ensemble, ils partent à Berne.

Pour Camille Bloch, la rencontre avec les deux édiles est une aubaine. Il doit trouver d’autres locaux pour sa chocolaterie, fondée quelques années plus tôt : d’abord représentant pour des marques existantes, il s’est lancé dans la fabrication de ses propres produits en 1929.
À ceux qui voulaient le décourager, il répondait invariablement "Ceux qui n’aiment pas mon nom n’achèteront pas mon chocolat".

Mais son entreprise est rapidement florissante. Il va tout mettre en œuvre pour qu’elle le reste.
Les trois parties parviennent à un accord. Les communes acceptent de participer à l’achat de l’usine par un prêt de 5 000 francs et par une contribution du même montant, les 50 000 francs restants incombant à Camille Bloch. En échange, celui-ci accepte d’engager du personnel de la région, à raison d’un tiers à Cormoret et de deux tiers à Courtelary. Le déménagement a lieu au début de l’année 1935, par chemin de fer. En mars, les machines sont relancées.


Archives Camille Bloch SA, en-tête de lettre, 1936.
On peut lire dans Le Jura daté du 2 mars 1935, l’annonce suivante : "La fabrique de chocolat Camille Bloch et Cie, nouvellement installée au village, commencera son activité la semaine prochaine. On engagera pour débuter du personnel féminin exclusivement, le personnel masculin devant être embauché plus tard."

Ragusa, l’idée de génie (6)

Quelques années plus tard, la seconde guerre mondiale pose de nouveaux défis. L’approvisionnement en matières premières se complique. Sur le plan industriel et même si cela peut sembler bien dérisoire dans une Europe vouée à toutes les pénuries et à toutes les privations, aux ersatz de toutes sortes, le secteur du chocolat suisse tente de survivre. Mais comment faire ? Comment s’approvisionner en cacao ? En sucre ? Le cours des matières premières a flambé et du fait des hostilités la devise suisse a subi une forte dévaluation. Enfin, comment faire voyager le cacao sur des milliers de kilomètres alors que le conflit s’étend et que les blocus se renforcent ? En 1941, Camille Bloch a pu négocier, mais au double du prix d’avant-guerre un dernier convoi de cinq wagons de fèves localisés à Moscou. Les fèves originaires du Ghana traverseront la Russie depuis Vladivostok, la Pologne et l’Allemagne.

D’autres produits échappent aux difficultés d’approvisionnement. C’est le cas des noisettes qui peuvent être importées de Turquie et qui sont riches en matière grasse. 65 % et donc bien plus que le cacao. Les noisettes sont torréfiées et transformées en pâte à laquelle on associe des noisettes entières, la barre obtenue est recouverte de chocolat. Reste à Camille Bloch à baptiser la nouvelle confiserie. Ce sera Ragusa, tiré de Raguse, le nom ancien de la ville de Dubrovnik où Camille Bloch avait séjourné quelques années auparavant. C’est ainsi que naissent, en 1942, les branches Ragusa.
Ses atouts consistaient à remplacer le cacao par une pâte à base de noisettes et à être vendu en branches de 50 grammes et non en plaques de 100 grammes. Ces deux éléments permettent au nouveau chocolat de connaître un rapide succès. En plus les cartes de rationnement donnent droit à 100 g de chocolat et 100 g de confiserie alors que le Ragusa est classée dans les deux catégories

De l’après-guerre

Après la guerre, l’industrie du chocolat se développe notamment avec le chocolat fourré en tablettes. Camille Bloch, dès 1948, produit le Torino, qui reste aujourd’hui encore, avec Ragusa, le produit phare de la marque.
Au milieu des années 1950, l’entreprise lance encore une autre nouveauté, le chocolat au kirsch fabriqué sans croûte de sucre, une première dans l’industrie du chocolat à la liqueur. Dans ce secteur, Camille Bloch va réussir à se faire une place de leader sur le marché même si cela ne représente que quelques pourcentages de son chiffre d’affaires global.

Dès les années 1940, l’industrie horlogère reprend dans le vallon de Saint-Imier. Comme les salaires y sont plus élevés que dans l’industrie du chocolat, Camille Bloch est alors délaissé par la main-d’œuvre.
L’entreprise va même jusqu’à ouvrir durant quelques années une fabrique de confiserie à Wabern, en banlieue bernoise. Quant au personnel de Courtelary, il va être composé de deux tiers de saisonniers (principalement des ouvrières italiennes). L’entreprise continue pourtant de se développer.

Développement de la Chocolaterie sous Rolf Bloch

Avec l’arrivée de Rolf Bloch (fils de Camille) au sein de l’entreprise à la tête du département de marketing, en 1955, la fabrication va tenter, pour se distinguer des grands fabricants de chocolat suisse, de se profiler avec la production de chocolat fourré et de spécialités. Il lance par exemple la branche Torino, la première branche de marque sur le marché suisse.

En 1959, Rolf Bloch reprend la direction de l’entreprise.
Dès les années 1960, l’entreprise va aussi fabriquer du chocolat kasher ce qui nécessite que toute la chaîne de production soit nettoyée de toute trace lactée, une opération qui dure trois jours sous le contrôle d’un rabbin.

De 1961 à 1963, un nouveau bâtiment est construit pour permettre d’augmenter la production.

En 1970, un arrêté fédéral limite le nombre d’employé(e)s étranger/ères (régime du contingentement). Pour l’entreprise Camille Bloch, qui compte alors 145 employés étrangers sur un total de 185, cette nouvelle loi nécessite une réaction rapide, d’autant plus que les salaires dans l’horlogerie sont toujours plus élevés et les places de travail nombreuses. Rolf Bloch va donc augmenter ses salaires (très peu à cause de la convention collective de l’industrie chocolatière), introduire une prime au mérite et une prime de pénibilité et mener une vaste campagne de recrutement parmi les femmes de la région (travail à temps partiel, déplacements payés, création d’une garderie d’enfants en novembre 1971). Tous ces efforts n’aboutissent pas aux résultats escomptés et l’entreprise est obligée de diminuer sa gamme de produits pour ne garder principalement que Torino, Ragusa, articles de fêtes et les spécialités à la liqueur. Les Bloch ne licencient jamais. Au pire de la crise pétrolière, entre 1974 et 1977, le personnel astique à répétition dépôts et chaînes de production, vitres et planchers. De l’autre côté, les employés se cramponnent à l’entreprise. Les salaires tombent ponctuels et le patron passe les saluer tous les jours ou parfois les ramène en voiture à la maison.

On va aussi chercher à rationaliser et à automatiser le plus possible la production. Cette dernière ainsi que le chiffre d’affaires augmentent régulièrement malgré la situation économique.

La fin des années 1980 marque celle de l’extension des marchés.
1992 marque l’entrée de Stéphane Bloch dans l’entreprise comme chef du marketing, alors que deux ans plus tard, c’est au tour de son frère Daniel Bloch (tous les deux fils de Rolf). Dès février 1997, Daniel Bloch prend la direction du département administratif alors que depuis 1998, il assume la présidence de la direction.

En 2006, l’entreprise inaugure une toute nouvelle ligne de production pour laquelle elle a investi dix millions de francs, ce qui témoigne de sa bonne santé.
2008 voit l’apparition du Ragusa Noir, tandis que début 2014, c’est le Ragusa Blond, au caramel, qui fait son apparition sur le marché.

Daniel Bloch nouveau président en 2005


Le site actuel de Camille Bloch
Daniel continue dans la voie de Camille et Rolf. Il a privilégié la qualité de ses chocolats tout en ayant une attention particulière à l’environnement, la durabilité et l’éthique. En 2020, l’entreprise Camille Bloch a recours au bois local via un chauffage à distance, a divisé sa consommation de mazout par quatre et 10 % de l’électricité utilisée est d’origine solaire.

Il définit aussi d’une autre façon l’énergie qui permet à Camille Bloch SA d’être toujours à la pointe de l’innovation : "Je décline l’énergie de notre personnel en la rapprochant de la fameuse équation d’Einstein, E = mc2, m pour motivation, c pour compétences. C’est l’énergie qui nous permet de défier des concurrents 10, 100, 1000 fois plus gros que nous. Notre entreprise est par tradition portée par une vision audacieuse qui puisse entretenir la motivation, la responsabilité de nos collaborateurs dans une belle cause. Avec cette énergie-là, les problèmes n’en sont jamais, ils sont une opportunité de progrès." (7)

L’entreprise a investi dans un projet appelé "Authenti-Cité" qui comprend un centre visiteur pouvant accueillir jusqu’à 100 000 visiteurs par an. Son inauguration a eu lieu en 2017.
Depuis 2020, l’entreprise vend également des noisettes et des amandes enrobées sous la marque "So Nuts".

La famille Bloch vu par Rolf (8-9)

Charles Bloch et Régine Bollag
"Mon grand-père avait été employé de notaire. Je l’ai toujours connu alité. Il est mort à 90 ans. J’avais alors 8 ans. Régine s’occupait de lui. Je montais la voir tous les jours. Elle était très active, d’esprit vif. Elle venait d’Endingen, l’un des deux villages argoviens avec Lengnau où les Juifs - pour la plupart des familles réfugiées d’Allemagne du Sud à la guerre de Trente Ans - s’étaient vu allouer, par la Diète en 1650 et moyennant finance, le droit d’habiter. Régine est morte en 1944."

Hedwig Bloch
"Ma mère, Hedwig, ne pouvait pas, elle, manger de chocolat. Elle souffrait de calculs biliaires, elle était perpétuellement souffrante, et toujours au régime. Née en 1907, donc bien plus jeune que lui, elle avait épousé mon père en 1927. Ils avaient été présentés l’un à l’autre au sein de la communauté dans la perspective d’un mariage. Mais ce n’était pas un mariage d’intérêt. Il n’y avait pas de quoi !
Je suis né trois ans plus tard, et mon frère Robert quand j’ai eu 7 ans. Je n’ai pas eu à partager, j’avais déjà ma vie quand il est né.
Ma mère était d’une famille Bloch, elle aussi, établie à Lucerne dans le négoce de textile. C’était une vraie mère juive, fière de ses enfants, cherchant à leur épargner les difficultés, à les protéger, à bien les soigner. Moi, de mon côté, je m’efforçais aussi de lui éviter les soucis, d’avoir des égards en raison de sa maladie. Comme j’étais l’aîné, on me demandait toujours d’être raisonnable. Finalement je devais ménager un peu tout le monde."

Camille Bloch
"En raison de l’installation de la fabrique dans le Jura bernois, mon père était très absent. Il s’est imposé par son travail, sa ténacité et ses idées. Son handicap auditif le gênait dans les contacts sociaux. Il fallait parler fort. Quand il ne voulait pas de quelque chose, simplement il n’"entendait" pas. Ce n’était pas pour autant le "Bölima", le père dont on attend qu’il rentre pour punir les bêtises de la semaine. Bien qu’à l’époque, les parents n’étaient pas les copains de leurs enfants. Il m’a toutefois emmené faire des marches à travers les cols, le Jaunpass, le col des Mosses, pendant les vacances. On faisait des balades le dimanche. J’en ai gardé le goût de la promenade."

Rolf Bloch
"Nous habitions Berne. Déjà avant la guerre, mes parents recevaient à table des immigrés d’Allemagne qui racontaient ce qui se passait là-bas. Après mars 38, ce sont les Autrichiens qui sont arrivés. J’étais né en 1930, j’assistais donc à ces repas, à ces récits. Et j’avais peur que ça arrive en Suisse. Même si la plupart de nos compatriotes étaient contre les nazis, ils n’étaient pas forcément philosémites. On ne nous aurait pas ménagés. J’en avais d’ailleurs eu un aperçu pénible par une expérience d’enfant que j’ai déjà racontée. J’étais éclaireur et je faisais régulièrement le chemin avec un petit camarade. Un autre garçon habitait à côté de chez lui. "Pourquoi tu ne rentres jamais avec lui ?" lui ai-je demandé un jour. "Tu sais, c’est un Juif", m’a-t-il répondu. "Moi aussi, je suis Juif", ai-je fait. Il m’a dévisagé puis est parti en courant. Il ne m’a plus jamais adressé la parole. En trois secondes, j’étais passé du rang d’ami à celui d’exclu. Je ne me souviens pas de ce qu’ont dit mes parents quand je leur ai raconté cela. L’affaire d’ailleurs - et pour cause - est restée sans suite."


Les PDG de Camille Bloch SA, courtes biographies

Rolf Bloch (9)
1930-2015

Marqué dans son enfance par les terribles échos de la Nuit de Cristal et les récits des juifs réfugiés en Suisse durant la seconde guerre mondiale, Rolf Bloch prend conscience de sa chance "imméritée", de son devoir de mémoire et d’action devant les injustices et discriminations. Raison pour laquelle il étudie le droit à l’Université de Berne et obtient un doctorat en 1954. En 1959, il prend la direction de la fabrique de son père, parvient à diversifier la production, à consolider l’entreprise et à assurer sa compétitivité durant les crises. Proche de ses ouvriers, il maintient tout au long de sa carrière une éthique rigoureuse et cultive un esprit d’ouverture et de respect de l’autre.

Président de la Fédération suisse des communautés israélites de 1992 à 2000, il s’implique dans les négociations autour de l’épineux problème des fonds juifs en déshérence. En 1997, en tant que président du Fonds spécial en faveur des victimes de la Shoah dans le besoin, il se charge personnellement de la distribution des montants qui en sont issus dans tous les pays concernés.

Rolf Bloch a le sentiment de culpabilité du survivant, et évoque le sens de ses engagements comme une responsabilité et une obligation. Il rappelle que c’est en raison du privilège de sa trajectoire qu’il ressent le besoin de donner en retour. Il explique cela par une volonté de justifier le fait qu’il ait été épargné par le sort contrairement à certains de ses camarades jeunes qui ont été chassés de l’école et persécutés. L’industriel ressent leur malheur comme vécu en quelque sorte par procuration. Il réalise que ces victimes auraient pu être ses collègues ou voisins et souligne combien il est émouvant pour lui de se retrouver devant ces gens-là.

Il est également très engagé dans la communauté juive en Suisse, mais aussi plus largement lors de la signature d’un appel après la votation sur l’interdiction des minarets, ou encore dans les conseils de soutien pour les sans-papiers à Berne, et en faveur du droit d’asile.
En 2006, le conseiller fédéral Joseph Deiss, fera appel à lui afin de mener une médiation lors du conflit social à Swissmetal.

Daniel Bloch (10)

Études de droit à Berne. Stages pratiques dans une étude d’avocats bernoise ainsi qu’au tribunal administratif cantonal. Examens d’État d’avocat à Berne en 1990. Il travaille ensuite durant deux ans et demi comme assistant du directeur et responsable du service juridique de la fabrique de papier d’Utzenstorf (SO) puis fait un stage d’une année dans l’étude d’avocats Thomas Re & Partners à New York. À son retour en Suisse, en 1994, il intègre l’entreprise familiale dont il est nommé directeur du département administratif en 1997 après avoir obtenu un Master en Business Administration à l’INSEAD de Fontainebleau près de Paris.
Dès 1998, il assume la présidence de la direction. Il est actuellement CEO et président du conseil d’administration.


Daniel Bloch dans le bureau dans son grand-père reconstruit comme tel
au sein de l'espace musée de la chocolaterie à Courtelary - © BNJ
Nombreux rôles passés ou présents dans la chambre de commerce bernoise, l’Union du commerce et de l’industrie du Jura bernois, la Banque cantonale bernoise (BCBE) et dans un groupe de réflexion de quarante décideurs qui se pencheront sur l’avenir des infrastructures cantonales bernoises (routes, rail, bâtiments).

Daniel Bloch a publié en 2017 un ouvrage : Creating Passion. Du saut de la grenouille. Dans ce livre il nous dévoile quels sont les facteurs cruciaux qui amènent une entreprise à la réussite et, souvent, ce n’est pas par l’application des dogmes de la gestion. Au contraire, Daniel Bloch montre que la différence fondamentale, c’est la créativité et la passion qui permettent aux petites entreprises de trouver la force nécessaire pour se situer à l’avant-garde sur le marché. Dans un style décontracté, il raconte certains épisodes vécus dans son travail, qui ont débouché sur un grand projet d’avenir. Par cette approche, et en portant son regard au-delà des simples questions économiques, il propose un nouveau concept pour l’esprit d’entreprise, proche de l’humain et facteur de succès.

Sources :

Notes :

  1. À Endingen, village sans église, c’est la synagogue bâtie en 1764 sur la place centrale qui sonnait les heures. Parmi les personnalités issues de ces villages, William Wyler, le réalisateur de Ben Hur et Funny Girl.
  2. Gil Hüttenmeister, Léa Rogg, Der Jüdische Friedhof in Hégenheim,2004
  3. Les tombes en 2004 été encore érigées. Les deux sont maintenant au sol en proie à la mousse et à l’humidité qui vont doucement ronger la pierre.
    Voir le site du Cimetière juif de Hégenheim
  4. Myriam Meuwly, "Rolf A.Bloch, Chocolatier, fils de Camille et Hedwig", Le Temps du 19 décembre 1998
  5. Memoriav, Rolf Bloch (Industriel et humaniste), 25 mai 2011
  6. Notes d’ Emma Chatelain dans le Dictionnaire du Jura, 2008
  7. Actifs, janvier 2020
  8. Myriam Meuwly, op cit ; Memoriav, op cit.
  9. Memoriav, op cit.
  10. Dictionnaire du Jura

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