Notice historique sur la
Communauté israélite
de LA CHAUX-DE-FONDS
Par
Jules WOLFF, Rabbin
1894
(Les sous-titres sont de la Rédaction du site)

Pour n'être ni longue à retracer ni féconde en événements de premier ordre, l'histoire de notre Communauté est pourtant loin d'être dénuée de tout intérêt.

Il n'est pas nécessaire d'expliquer en détail les raisons pour lesquelles notre Communauté n'est pas de date fort ancienne : elle partage ce sort avec les autres grandes communautés juives actuelles de la Suisse, en dehors de celles d'Endingen et de Lengnau (Argovie) qui seules, pendant des siècles, ont pu vivre sur le sol de la Confédération.

Premiers juifs à La Chaux-de-Fonds

Les archives de la commune, qui ont été fort obligeamment mises à notre disposition, (1) contiennent quelques renseignements que nous avons pris la peine de relever. Il y est fait mention en 1790 de juifs exerçant dans le pays le commerce d'horlogerie, au grand déplaisir de quelques négociants chrétiens.

A la date du 20 octobre 1796, le registre communal parle de juifs séjournant illégalement dans la localité.

Voilà ce que. nous avons trouvé à glaner dans la partie ancienne des archives et, certes, nous l'avouons franchement, nous ne nous attendions pas même cette maigre cueillette, nous rappelant que la question de l'émancipation civile et politique des israélites ne fut résolue, même en France, que le 27 septembre 1791 par l'Assemblée constituante, alors que le canton de Neuchâtel était sous la domination prussienne.

Il est juste de dire, pour rester fidèle à la vérité historique, que l'établissement légal des israélites dans le canton de Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds en particulier, a présenté jusqu'au milieu de ce siècle, de grandes difficultés. Ce fait s'explique, d'ailleurs, tout naturellement par l'esprit du temps, le régime politique auquel était soumise la principauté de Neuchâtel et de Valangin, par les préventions de toutes sortes qui existaient encore, comme un legs fatal du moyen-âge, contre nos coreligionnaires et, surtout, par les craintes plus ou moins fondées des négociants chrétiens redoutant la rivalité commerciale de nouveaux arrivants. Jusque vers l'an 1830 quelques rares israélites furent seuls admis, par pure tolérance, à résider dans la localité.

"Le 13 août 1815, Léon Woog, juif d'Alsace, disent les archives, est reçu habitant, par faveur particulière, la guerre ayant dévasté l'Alsace et notamment le village de Hégenheim qu'il habitait." Les mêmes documents portent qu'à la date du 23 avril 1816, par humanité, le permis de séjour fut continué au sieur Léon Woog, sous certaines réserves. A cette époque, les écoles publiques de La Chaux-de-Fonds ayant un caractère confessionnel des plus prononcés, on comprend aisément la décision des autorités scolaires, prise le 13 janvier 1817 et en vertu de laquelle "on exclut les enfants des juifs, vu la gêne qu'impose aux instituteurs la croyance des juifs .dans diverses parties de l'enseignement et les résultats fâcheux que cette même croyance pourrait avoir sur les autres écoliers, au cas qu'ils viennent à la manifester dans les classes."

Constitution de la Communauté

L'élément israélite à La Chaux-de-Fonds resta très faible jusqu'en 1833 où se place la première tentative de constituer une réunion de prière à l'occasion des fêtes du Nouvel An et du Grand Pardon. Les quelques familles juives ayant réussi à se fixer dans la localité, célébrèrent les offices divins de ces jours de fête, de concert avec plusieurs autres coreligionnaires établis au Val-de-Ruz, au Val-de-Travers et à Ste-Croix (Vaud) et venus exprès à La Chaux-de-Fonds, dans une chambre chez M. Léon Woog, qui a eu ainsi l'honneur d'avoir contribué à la fondation de notre Communauté.

Un peu plus tard pourtant, la petite colonie juive reçut du renfort de l'Alsace, notamment des villages de Hégenheim et de Hagenthal, berceaux ou lieux d'origine de la plupart des familles de la Communauté actuelle. Parmi les nouveaux venus se trouvait M. Isaac Bloch à qui nous devons une mention spéciale, car, de son arrivée, date la constitution des familles israélites établies dans la localité ou aux environs, en une Communauté régulière.
M. Isaac Bloch possédait une instruction religieuse très solide, ce qui lui permit de se faire agréer par ses coreligionnaires comme ministre-officiant, instituteur et Schôhet, sacrificateur. C'est, de plus, chez lui que le culte se célébrait chaque sabbat. Cet état de choses dura jusqu'en 1843.

Le nombre des membres de la petite Communauté juive s'étant notablement accru dans l'intervalle de dix ans, la chambre, qui servait jusqu'alors pour la célébration du culte, ne suffit plus à contenir tous les fidèles et il fallut songer à louer un local plus vaste pour l'aménager comme oratoire.
Le 6 octobre 1843 la Communauté israélite demanda l'autorisation d'ouvrir une synagogue.
Ce fait présente pour nous ce côté intéressant qu'il constitue la première démarche officielle de la Communauté auprès des autorités locales ; il marque déjà un progrès dans l'état des esprits.
Le Conseil communal ayant répondu d'une manière conforme au désir des israélites, la Communauté loua rue Jaquet-Droz, dans la maison Paillard-Sandoz. un appartement qui fut ainsi la première synagogue à La Chaux-de-Fonds.

De cette même année date aussi, au sein de la Communauté, la formation d'un comité administratif, dont le besoin ne s'était pas encore fait sentir. On dut choisir un président. A l'unanimité des suffrages, M. J. Grünsfelder qui habitait la localité depuis 1833, fut admis à l'honneur de diriger les intérêts religieux de la jeune association. Il faut avouer que nul n'était mieux qualifié pour remplir cette charge. M. J. Grünsfelder était fort instruit en matière religieuse et profane ; quoique né et élevé en Allemagne, il écrivait très bien le français et pouvait dignement représenter ses coreligionnaires. Il avait, de plus, à un haut degré l'amour du judaïsme et était versé dans la littérature hébraïque. Il avait, en outre, le sentiment des besoins de l'époque, des réformes urgentes à accomplir dans la célébration du culte. Sa préoccupation constante qui se manifeste dans les lettres qu'il écrivit au nom de ses administrés et que nous avons eu la bonne fortune de lire, fut de relever nos offices religieux, en y pratiquant quelques réformes liturgiques déjà adoptées dans d'autres communautés israélites de France et d'Allemagne.

Il fut d'ailleurs bien secondé dans sa tâche, car la Communauté, composée en majeure partie d'israélites du Haut-Rhin (Alsace) s'était placée sous le rabbinat de M. Moïse Nordmann, de Hégenheim. C'est aux lumières de ce pieux et digne pasteur que M. J. Grünsfelder avait recours pour toute question touchant le culte. Les rapports entre la Communauté et son rabbin étaient des plus étroits. Outre une correspondance suivie que M. Nordmann entretenait avec ses ouailles, il leur faisait, au moins une fois l'an, l'honneur d'une visite pastorale et leur adressait alors à la synagogue ses paternelles exhortations.

Cet événement, d'après ce que relatent les archives qui nous restent de cette époque déjà loin de nous, était toujours l'occasion d'une véritable fête pour la Communauté qui se trouvait heureuse de posséder, pour quelques jours, son chef vénéré et d'entendre sa parole éloquente. M. le rabbin profitait chaque fois de son séjour à La Chaux-de-Fonds pour assister aux leçons d'instruction religieuse et, pour s'assurer des progrès faits par les enfants, il prenait la peine de les examiner et stimulait ainsi le zèle de l'instituteur. Mais, il était encore appelé à rendre un service d'un autre ordre à ses administrés : A l'approche des fêtes religieuses du printemps et de l'automne, il recevait, pour les distribuer à son gré aux familles israélites nécessiteuses de Hégenheim, des secours importants que la Communauté de La Chaux-de-Fonds, jouissant alors de l'heureux privilège d'avoir des ressources pécuniaires supérieures à ses besoins, se plaisait à lui adresser. L'exercice de la charité était, pour les familles israélites originaires de l'Alsace, un moyen de se souvenir du pays natal et des amitiés d'enfance. De plus, on prélevait chaque année, sur le budget, une certaine somme devant servir de bourses à l'Ecole des Arts et Métiers de Mulhouse en faveur de quelques enfants israélites choisis parmi les plus méritants de Hégenheim, de Hagenthal et de Bouschwiller.

C'était, en effet, l'époque, il est nécessaire de le rappeler, où le judaïsme, dans tous les pays civilisés, s'efforçait de prouver qu'il comprenait le bienfait de l'émancipation ; aussi travaillait-il partout avec la plus grande ardeur à sa régénération, au point de vue social ; de là, les efforts énergiques et extrêmement louables tentés par les communautés juives de l'occident pour inspirer à la jeunesse le goût des métiers manuels, des professions autres que le négoce et le colportage. Les israélites de La Chaux-de-Fonds ne restèrent pas, eux non plus, indifférents à ce progrès ; ils y contribuèrent dans la mesure de leurs forces.

Etablissement légal des israélites

Arrêtons, pour un moment, la suite de l'histoire intérieure de notre Communauté et traitons à cette place, d'une manière succincte, deux questions que nous n'avons qu'indiquées au commencement de ce travail et qui tiennent de trop près à notre sujet pour que nous les négligions : Nous voulons parler de l'établissement légal des israélites dans la localité et du droit d'y acquérir des immeubles. Il est, en effet, bien évident que le développement de notre association religieuse n'était possible qu'autant qu'on parviendrait à faire modifier l'ancienne législation marquée au coin de l'exclusivisme national et religieux.

Les raisons pour lesquelles l'établissement des négociants israélites à La Chaux-de-Fonds (c'est d'eux que nous avons spécialement à nous occuper) rencontra tant d'obstacles jusqu'au milieu de ce siècle, sont faciles à donner. Les documents officiels de l'époque les indiquent d'ailleurs en toute franchise et sans la moindre réticence :

C'est d'abord la différence de religion.
Les anciennes constitutions suisses, fédérale et cantonales, avaient un caractère confessionnel ; elles étaient faites pour garantir les droits des citoyens appartenant à la religion chrétienne. Les juifs, par le fait seul de leur religion, étaient donc hors du droit commun. Toutefois, si cette barrière eût été la seule qui séparât les israélites des chrétiens, elle eût pu être levée assez facilement. Ce qui compliquait la question et retardait la reconnaissance de l'égalité, devant la loi civile, de nos coreligionnaires en Suisse et à La Chaux-de-Fonds en particulier, ce furent les considérations d'ordre national et économique : les israélites qui revendiquaient le droit d'établissement dans la localité étaient des citoyens de nationalité française ou allemande. Mais la raison la plus forte qu'on invoquait contre eux, c'était la crainte plus ou moins justifiée de la concurrence commerciale qu'ils feraient, le cas échéant, aux négociants chrétiens, car c'était en qualité de négociants qu'ils demandaient le droit de résidence. Les ouvriers et commis de confession juive ont toujours obtenu avec assez de facilité l'autorisation de demeurer dans la localité.

Pourtant il semble que la révolution de 1848 aurait dû amener, comme conséquence naturelle, la solution de la question juive dans le sens de la stricte justice ; mais les motifs d'intérêt l'emportèrent sur les considérations générales et sur les grands principes de liberté, d'égalité et de tolérance dont faisaient profession les hommes politiques de cette époque.

Trois frères Nordmann, établis au Locle et fabriquant beaucoup pour La Chaux-de-Fonds, demandèrent en juin 1848 le permis d'habitation ; il leur fut refusé. Cette démarche, ils.la renouvelèrent ensuite périodiquement jusqu'en 1851. Si elle aboutit alors, c'est qu'ils se réclamèrent de leur qualité de citoyens français, qu'ils surent gagner à leur cause le ministre de France en Suisse et parlèrent de porter leur affaire devant la juridiction du Conseil fédéral.
Les archives de l'époque nous apprennent que c'est sous la pression des autorités fédérales et cantonales que la communauté (c'est ainsi que se nommait l'ancienne administration locale) finit par se relâcher de sa rigueur et qu'elle fit droit, par exception et à titre de privilège, à la demande des frères Nordmann. Le succès dû à la ténacité de ces trois israélites ne trancha pas la question; quelques négociants israélites réussirent encore, il est vrai, après une longue procédure, à obtenir, comme une concession, le droit d'habitation, mais ce fut toujours à titre exceptionnel.

Toutefois, les idées libérales finirent par pénétrer dans les esprits les plus rebelles à leur influence ; on comprit, même à La Chaux-de-Fonds, qu'il fallait enfin traiter les israélites d'une manière plus équitable, d'autant plus qu'on évitait difficilement leur rivalité commerciale, puisqu'ils étaient autorisés à résider dans toutes les localités du canton de Neuchâtel. N'y avait-il pas une inconséquence frappante à leur interdire le droit d'établissement à La Chaux-de-Fonds, alors qu'ils l'obtenaient sans difficulté au Locle, aux Eplatures même, où s'étaient fixées beaucoup de familles juives ?

La question fut définitivement résolue et à notre entière satisfaction par le Conseil municipal de La Chaux-de-Fonds dans sa séance du 4 mai 1857, à la suite d'un grand débat qui occupa deux séances et dans lequel les opinions libérales prévalurent.

Ce fut à l'occasion de la demande d'établissement, faite par MM. Emmanuel et Elie Meyer que s'éleva ce débat important. C'est donc grâce aux démarches instantes et suivies de ces deux israélites que les autres coreligionnaires purent, à partir de 1857, s'établir sans entrave dans la localité. Honneur à leur mémoire et à la mémoire surtout de nos vaillants défenseurs chrétiens qui firent ainsi faire un grand progrès à l'esprit public en notre faveur

A cette question de l'établissement se rattache, par une étroite connexité et comme une conséquence immédiate, celle de l'acquisition des immeubles. Elle se posa une première fois en 1849. Le cas est intéressant à relater : M. Moïse Woog, négociant estimé à La Chaux-de-Fonds, demandait au Grand Conseil de Neuchâtel 1° de pouvoir acquérir un immeuble ; 2° par mesure générale, d'accorder la même faveur à tous ses coreligionnaires qui se trouveraient dans le cas d'acquérir ultérieurement des immeubles.
Cette pétition était accompagnée d'une pièce signée par 63 citoyens de La Chaux-de-Fonds qui appuyaient fortement la demande du sieur Woog, quant à ce qui le concernait personnellement. Le Grand Conseil, après une longue discussion, accorda, à titre de faveur, à M. Woog l'autorisation d'acquérir à La Chaux-de-Fonds une propriété, qui, à cause de la qualité religieuse du propriétaire, fut surnommée depuis lors "Jérusalem" (2).
Malgré l'intervention éclairée et généreuse de M. A. Lambelet, la Haute Assemblée ne voulut pas décréter une mesure générale en faveur des israélites, pour ne pas se mettre par là en contradiction avec la Constitution fédérale. Elle craignait, en outre, a d'exposer le canton à devenir le point de mire des "israélites qui y afflueraient de toutes parts".

La question surgit de nouveau en 1853, à l'occasion de la demande que firent, pour l'acquisition d'un immeuble destiné à leur fabrication d'horlogerie, les trois frères Lazare, Bernard et Isaac Braunschweig, établis au Locle, Le Grand Conseil de Neuchâtel répondit par un refus motivé par la législation fédérale ne reconnaissant pas aux israélites le droit d'acquérir des immeubles sur le territoire de la Confédération,
MM, A. Lambelet et E. Dubois, froissés dans leurs convictions libérales par cette manière de voir, déposèrent alors sur le bureau de la Haute Assemblée une motion tendant à modifier la disposition légale qui interdisait aux israélites d'acquérir des immeubles dans le canton de Neuchâtel ; elle ne fut pas adoptée. L'heure n'était pas venue de l'émancipation complète des israélites, en Suisse.

La conclusion du traité de commerce, en 1865, entre la France et la Suisse, lequel stipulait le libre établissement, sur le sol de la Confédération, de tous les citoyens français, sans distinction de culte, amena un revirement en notre faveur. D'autre part, l'opinion publique, lors du referendum de 1866 au sujet d'une Constitution à élaborer sur des bases conformes à la notion moderne du droit, oublia ses préventions séculaires contre les israélites, adopta le principe de la liberté de conscience pour les adeptes de toutes les confessions et reconnut aux israélites le droit de s'établir librement en Suisse. Enfin la nouvelle Constitution fédérale de 1874 mit un terme à la question juive en garantissant aux israélites les mêmes droits qu'aux autres citoyens.

Constitution de la Communauté

Revenons maintenant, pour ne plus en interrompre le fil, à l'histoire intérieure de notre Communauté que nous avons laissée à ses débuts, sous les auspices de M, Grünsfelder, son premier président. Il occupa cette charge jusqu'en 1860, pendant une période de 17 ans, fait remarquable dans les annales d'une association religieuse et qui prouve dans quelle estime la Communauté tenait son président et quelle confiance elle lui accordait.

Dans ce laps de temps, la place de ministre officiant se trouva deux fois vacante. M. Isaac Bloch, affaibli par l'âge, avait résigné ses fonctions. La Communauté se priva avec peine des services de ce digne ministre de Dieu, de cet homme jouissant d'une considération bien légitime auprès de ses coreligionnaires. Elle choisit, pour le remplacer, M. Beer. Doué d'une belle voix et connaissant à fond notre musique religieuse, il gagna bien vite les sympathies des membres de la Communauté qui lui donna, en plus d'une occasion, des marques sérieuses de son entière satisfaction. M. Beer avait, en outre, une instruction religieuse et profane assez développée qui lui permettait, aux grandes fêtes, d'édifier son auditoire par une prédication de circonstance. Il eut même l'honneur - ce fait mérite d'être rapporté - d'inaugurer au temple de La Chaux-de-Fonds la cérémonie d'initiation religieuse.
Vers 1860, M. Beer, au grand regret de ses ouailles, donna sa démission pour embrasser la carrière commerciale où l'attendaient des déboires nombreux et de cruelles épreuves.

M. J. Grünsfelder, pour pourvoir à la vacance du poste, s'adressa au Grand Rabbin du Consistoire central de France, à M. Isidor, de sainte mémoire, et lui demanda de décider un élève du séminaire israélite de Paris, au terme de ses études, à accepter la place de ministre officiant et d'instituteur. Des négociations furent entamées, mais ne purent aboutir pour des raisons que n'indiquent pas nos archives. La Communauté trouva enfin un candidat sérieux. Elle avait le désir de relever l'enseignement religieux qui avait .été négligé pendant quelque temps et ne voulait le confier qu'aux mains expertes d'un homme possédant les connaissances pédagogiques que réclame cet emploi. Elle ne put mieux faire que d'agréer la candidature d'un jeune homme, M. Wormser, instituteur primaire israélite à Wintzenheim (Alsace-Ht-Rhin), qui réunit à bon droit tous les suffrages. Le titulaire joignait à un savoir profane très sûr des connaissances religieuses étendues. M. Wormser qui s'était, dès son enfance, destiné à la carrière rabbinique, était bien versé dans la littérature juive. Il lisait le Talmud et les livres de nos casuistes. De plus, il était à même, à l'occasion des fêtes, de prêcher au temple.

La Communauté, jouissant jusqu'alors du bienfait précieux de la concorde et de la bonne entente, était en pleine prospérité, quand éclata, à la fin de l'année 1861, un mouvement antisémitique de quelque gravité. Il provoqua, bien à tort, l'émigration de plusieurs familles israélites notables qui allèrent se fixer à Genève. Parmi elles se trouvait M. Grünsfelder. Son départ fut vivement regretté de la Communauté qui lui manifesta, par lettre, sa profonde reconnaissance pour les nombreux et excellents services dont elle lui était redevable durant tant d'années, en le nommant "président honoraire." On choisit, Pour le remplacer, M. J. Schwob-Léwy, qui occupa la présidence depuis 1861 jusqu'en 1866. Le nouveau président s'inspira de l'esprit de son prédécesseur dans le règlement des questions intéressant le culte. C'est ainsi que, pendant un certain nombre d'années, il fit réciter la plus grande partie des Haphtaroth en langue française, pour édifier les fidèles peu au courant de l'hébreu.

Parmi les événements les plus importants de cette période, nous devons signaler qu'en 1862 les fidèles, se trouvant à l'étroit dans leur oratoire, firent construire et inaugurèrent solennellement la synagogue que nous occupons encore et qui est située rue de la Serre.

Les œuvres de bienfaisance

Si tout ce qui concerne les fonctionnaires et les choses du culte rentre de plein droit dans le cadre de cette notice, notre devoir consiste aussi à consacrer dans notre travail une mention aux différentes œuvres de bienfaisance ou de mutualité qui existent dans la Communauté et dont elles sont les organes indispensables. En suivant l'ordre chronologique, nous devons indiquer en premier lieu la "Société des Dames". C'est sur l'initiative éclairée d'une femme dé coeur, Mme J. Grünsfelder, qu'elle fut fondée en 1854 ; les statuts portent qu'elle se propose d'offrir à ses membres une assistance matérielle, morale et religieuse, en cas de maladie ou de malheur. La première présidente fut naturellement Mme Grünsfelder et les fonctions de secrétaire furent remplies, pour la première fois, par Mme Isaac Woog qui, depuis cette époque déjà lointaine, ne cesse d'appartenir à l'œuvre et de. lui apporter l'apppui de sa longue expérience. Le nombre des sociétaires. qui, en 1854, était de 24, s'élève aujourd'hui à 146. Ce chiffre a son éloquence et atteste l'état florissant de la société.

En 1862 se forma, sur l'initiative de quelques jeunes gens bien intentionnés la société dénommée "La Bienfaisante". Les principaux membres fondateurs de cette œuvre intéressante à tous égards furent MM. Charles Willard et Michel Bloch. A ceux-ci revient le très grand mérite d'avoir favorisé, au sein de notre jeunesse, la création d'une œuvre importante d'assistance mutuelle. Cette société n'a pas dérogé à son but. Elle est actuellement des plus prospères et compte 86 membres.

En 1867 se place la fondation d'une seconde société philanthropique, dont le but est le même que celui de la "Bienfaisante" et qui prit le nom de "Biqqour Cholim" (visitation des malades). Cette œuvre s'inspirait de la charitable pensée de fournir aux hommes mariés l'assistance matérielle et morale en cas de maladie et les secours de la religion, en cas de décès. Les membres fondateurs de cette société furent MM. Elie Meyer, Samuel Meyer, Raphaël Picard, Alexandre Picard, Alexandre Gœtschel, Isaac Meyer, S. Beyersdorf, Goetschel-Lévy, Salomon Wolff et Jacques Ullmo.

Enfin plus récemment, se fondèrent deux autres œuvres, dont la création, intelligente et prévoyante à, la fois, est appelée à rendre les plus précieux services. C'est
1°"L'œuvre des apprentissages." L'honneur de cette fondation revient à plusieurs membres de la Société des jeunes gens israélites, mais en particulier à MM. Maurice Blum et Isaac Ditisheim. Comme son nom l'indique, cette œuvre a pour but de faciliter aux enfants israélites de familles indigentes, l'apprentissage de métiers manuels ou de toute autre profession. C'était revenir à la vraie tradition du judaïsme qui, avant l'époque des persécutions subies par nos ancêtres au moyen-âge, encourageait, par sa littérature surtout, le travail manuel et lui reconnaissait sa haute portée morale et sociale.

2° La formation d'un "Comité central de Bienfaisance", due à l'initiative de M. Isaac Ditisheim. Composé des président, vice-président et trésorier de la Communauté, des présidents et vice-présidents. des différentes sociétés philanthropiques israélites de la localité, du rabbin et du ministre-officiant, ce comité doit s'occuper de tout ce qui concerne le soin des israélites pauvres de la localité.

Signalons en dernier lieu, parmi les créations utiles et méritant l'appui et la sollicitude de tous les coreligionnaires, le Comité régional de l'Alliance Israélite Universelle qui fut fondé en 1865 à La Chaux-de-Fonds par M. Sohwob-Léwy, à la suite d'un appel adressé par le comité central de Paris. Depuis cette époque, presque tous les membres de la Communauté eurent à cœur d'apporter leur offrande et leur concours dévoué à cette société dont le but est si noble et d'un intérêt si grand pour le judaïsme tout entier.

Nouvelles nominations

M. Wormser, agréé en qualité de ministre-officiant et d'instituteur, se démit de ses fonctions en 1865, à la suite d'une divergence de vue avec quelques membres du comité administratif. On se trouva donc de nouveau en présence de plus d'une difficulté, lorsqu'il s'agit de pourvoir dignement à la vacance de ce poste. Sans doute, les candidats ne firent pas défaut, mais la Communauté avait des exigences, bien légitimes du reste, vu l'importance que prenait d'année en année, avec l'augmentation des familles israélites à La Chaux-de-Fonds, les fonctions de ministre officiant, d'instituteur et de Schôhet.

On s'était adressé, en France, à différents Grands Rabbins, pour trouver, par leur intermédiaire, un jeune homme capable, répondant au désir de tous. Un concours fut ouvert ; M. S. Beyersdorf, alors ministre officiant de la communauté de Hégenheim, après une audition au temple et une leçon d'instruction religieuse faite aux enfants, l'emporta sur ses concurrents. Sa candidature réunit tous les suffrages. C'est donc depuis une période de près de trente ans que M. Beyersdorf exerce ses fonctions religieuses au sein de notre Communauté où il a su se concilier l'estime de tous par la dignité de sa vie et la conscience avec laquelle il remplit les devoirs de sa profession.

Après six ans de présidence, pendant lesquels il ne cessa de prouver son zèle et sa sollicitude en faveur de ses administrés, M. Schwob-Léwy céda la place à M. Léon Picard, qui resta à la tête du comité administratif de la Communauté jusqu'en 1868.

En 1867, la Communauté se déclara indépendante du rabbinat de Hégenheim dont les services n'étaient plus jugés suffisants, vu le nombre des israélites établis dans la localité. Déjà commençait à germer l'idée d'établir plus tard, ici même, un rabbinat.

En 1868, par les suffrages unanimes de ses collègues, M. Meinrad Bloch fut appelé à l'honneur de diriger les affaires du culte en remplacement de M. Léon Picard, démissionnaire. Il conserva ses fonctions jusqu'en 1870.
M. Meinrad Bloch était doué d'une grande élévation de caractère ; il avait une instruction profane au-dessus de la moyenne, comme le prouvent les lettres conservées dans le registre de notre Communauté ; il possédait, de plus, un beau talent oratoire. Esprit très judicieux et modéré, il prit à cœur les intérêts qui lui furent confiés. Il acquit une grande autorité et un véritable ascendant sur ses collègues par l'aménité de son caractère et son excessive courtoisie. Ses aptitudes furent d'ailleurs appréciées même en dehors du cercle de ses coreligionnaires. La commission d'éducation de notre ville se l'était adjoint comme membre, puis elle le choisit pour son président. Il a laissé partout le meilleur souvenir.

Création d'un cimetière israélite

C'est en 1868, sous la, présidence de M. Meinrad Bloch, que surgit pour la première fois la grave question de l'acquisition d'un cimetière israélite, question qui ne fut résolue qu'en 1872.
Dans l'intervalle, en 1870, la Communauté nomma pour sen président M. Picard-Aron, qui s'inspira lui aussi de l'exemple de ses prédécesseurs.

Les événements de la guerre franco-allemande de 1870 ne laissèrent pas indifférents les israélites de La Chaux-de-Fonds, pour la plupart de nationalité française. Ils s'associèrent, eux aussi, au grand élan de charité qui se manifesta en faveur des soldats français internés en Suisse et contribuèrent, par de généreuses offrandes, au soulagement des blessés et des victimes de la guerre.

Cependant, malgré ce douloureux événement, la Communauté poursuivit la réalisation de soi projet d'établissement d'un cimetière israélite. Elle avait nommé une commission, spécialement chargée de cette affaire et dont le premier président fut M. Jules Blum. La commune des Eplatures ayant consenti à céder aux israélites une partie du terrain qui lui sert de lieu de sépulture, on demanda au Conseil d'Etat du canton la ratification de la vente, laquelle fut accordée sans difficulté.

La cérémonie d'inauguration du cimetière israélite eut un. caractère imposant. Elle eut lieu le 9 décembre 1872, en présence de la Communauté toute entière, des membres du conseil municipal des Eplatures ayant à leur tête le pasteur de la paroisse, M. de Montmollin et de MM. les pasteurs de La Chaux-de-Fonds ; la solennité fut présidée par M. Isaac Levy, Grand Rabbin de Vesoul. Détail touchant à noter : comme la pluie ne cessait de tomber ce jour-là, la cérémonie se fit au temple protestant attenant au cimetière et gracieusement mis, pour la circonstance, à la disposition des israélites. La Communauté gardera toujours le souvenir le plus reconnaissant de cette marque de tolérance et d'insigne bienveillance.

M. Schwob-Léwy parla le premier, au nom de ses collègues de la commission du cimetière et de tous ses coreligionnaires, pour remercier chaleureusement les autorités de leur présence. Puis M. le Grand Rabbin prononça un discours d'une rare élévation et d'une éloquence entraînante, dont le thème fut fourni par les différentes appellations hébraïques du champ de repos, désigné en hébreu sous les termes de Maison des tombes, Maison des Vivants et Maison de l'Eternité. La parole chaude et vibrante de l'orateur a laissé dans le cœur de tous les assistants l'impression la plus forte. La cérémonie se termina par une allocution de M. le pasteur des Eplatures qui, dans les termes les plus bienveillants, assura la Communauté israélite de la sympathie de sa paroisse et de sa commune.

Cette solennité de la consécration de notre cimetière est une des grandes dates de l'histoire des israélites du canton de Neuchâtel et, pour cette raison, nous n'avons pas craint d'en faire une relation un peu circonstanciée.

1877-1881 : l'expansion

En 1874, M. Picard-Aron fut remplacé dans les fonctions de président par M. Schwob-Léwy qui, devant l'unanimité des suffrages, dut accepter une seconde fois la direction des affaires administratives de notre culte. Pendant qu'il fut en charge, notre association religieuse eut à discuter une importante question qui, selon le sens dans lequel elle eût été résolue, aurait pu influer grandement sur les destinées ultérieures de notre Qehilla : Le Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel venait d'élaborer et de rendre exécutive en 1874 une nouvelle législation ecclésiastique dont un des chapitres a trait au culte israélite. Il s'agissait de savoir si la Communauté désirait se mettre au bénéfice de cette loi ou si elle continuerait à rester indépendante de l'Etat. Après un débat fort intéressant, l'assemblée générale, à la date du 26 février 1874, à la majorité d'une seule voix, refusa de se mettre au bénéfice de la loi ecclésiastique.

M. Schwob-Léwy, jouissant de la confiance générale, garda ses fonctions de président jusqu'en 1877. Son successeur fut M. Moïse Diedisheim.

De 1877 à 1880, le nombre des contribuables israélites augmenta dans de très fortes proportions; aussi la situation matérielle de la Communauté était-elle des plus florissantes. On put réaliser de sérieuses économies, dans la pensée de les utiliser plus tard, quand il s'agirait de doter la Communauté d'une nouvelle synagogue dont le besoin commençait déjà à se faire sentir.

En 1880, la Communauté reçut un appel du "Comité central de l'Alliance israélite de Paris", en faveur d'une souscription à ouvrir pour l'érection d'un monument à Adolphe Crémieux, le fondateur de la plus belle œuvre du judaïsme moderne. Cet appel fut entendu, comme il devait l'être de la part des israélites de La Chaux-de-Fonds. Ils avaient en effet à s'acquitter d'une dette particulière de reconnaissance envers la mémoire de Crémieux qui, en 1845 (3), à la séance de la Chambre des députés du 10 juin, à l'occasion de l'expulsion d'un de nos coreligionnaires de La Chaux-de-Fonds, défendit vaillamment les intérêts des citoyens français de confession juive désirant s'établir en Suisse.

Pendant toute la durée de sa présidence, M. Moïse Diedisheim ne cessa de montrer beaucoup de zèle et de bonne volonté clans l'accomplissement de son mandat.

Dans son assemblée générale du 21 février 1881, la Communauté choisit, à une grande majorité, M. J. Schwob-Weill pour son président, mais il ne déféra au vœu de ses collègues qu'à la condition d'être efficacement secondé par M. Michel Bloch comme vice-président.
Depuis cette longue période, notre association religieuse, reconnaissant toujours les nombreux et excellents services rendus par son président et son vice-président, s'empresse de leur renouveler chaque fois leurs pouvoirs, à l'expiration de leur mandat ; et devant les pressantes instances de leurs collègues, ces messieurs ne peuvent se dérober à l'honneur qui leur est fait et continuent à administrer les affaires du culte dans un esprit de conciliation et de concorde.

La commission administrative

Mais, à côté d'un président et d'un vice-président devenus en quelque sorte inamovibles, sur le vœu général, il y a encore une fonction qui reste non pas toujours dans les mêmes mains, niais toujours dans la même famille; je veux parler du soin des finances confié tour à tour à M. Lazare Braunschweig, à M. Isidore Braunschweig, son fils, puis de nouveau à M. Lazare Braunschweig jusqu'à son départ pour Paris, et enfin à M. Alphonse Braunschweig, son autre fils.
Cette commission administrative a vu surgir un .grand nombre de questions dont plusieurs reçurent une solution heureuse, à notre sens, pour l'avenir de notre Communauté.

Le nouveau comité commença son action en favorisant de toutes ses forces un appel que l'Alliance israélite universelle venait de lui adresser. Il s'agissait cette fois de venir en aide aux israélites russes expulsés de leur pays ou opprimés par les fameuses lois de mai 1880. On ouvrit à La Chaux-de-Fonds une souscription générale, à laquelle prirent une large part un grand nombre de nos concitoyens chrétiens, également touchés des malheurs immérités de nos coreligionnaires.

Dans cette même année de 1881, sur la motion de M. Marc Blum, on reprit le projet de construction d'une nouvelle synagogue. Ce projet fut sur le point d'être réalisé. La Communauté avait déjà réuni une somme très importante à cet effet; un plan, dressé par M. Pittet, architecte, avait été adopté; on allait procéder à l'acquisition d'un terrain et se préparer à. bâtir, quand survint le mouvement antisémitique du 1er mars 1885. L'assemblée générale du 26 mars décida. ensuite d'abandonner ce projet. Certes, nous n'avons pas à porter un jugement sur ce vote; nous nous permettrons cependant une petite observation qui a peut-être son importance. C'est qu'il ne faut pas trop regretter la décision qui fut prise alors par la Communauté, sur le conseil d'orateurs ayant développé des vues empreintes d'un pessimisme exagéré ; le temple qu'elle se proposait de construire n'aurait plus répondu aux besoins actuels ; l'élément israélite, depuis 1885, s'est en effet bien accru dans la localité. De plus, le temps a prouvé qu'il ne faut pas ajouter une importance excessive au mouvement antisémitique, lequel finira par être enrayé, avec l'aide de Dieu et grâce au bon sens des populations, à leur amour de l'ordre et de la paix.

Nomination du rabbin Jules Wolff

Cet accroissement (4) marqué des membres de la Communauté rendit possible la réalisation d'une idée qui depuis longtemps était caressée par nombre de personés soucieuses de la dignité de notre culte : il s'agit de la nomination d'un rabbin-instituteur. Sans la crainte de charges financières trop lourdes, on eût, depuis quelques années déjà, donné satisfaction à un besoin généralement senti. On finit par se convaincre pourtant que le ministre officiant, dont on appréciait d'ailleurs et à juste titre les loyaux et excellents services, devait être allégé d'une partie de sa tâche, les fonctions de ministre-officiant et de Schôhet réclamant la plus grande partie de son temps ; d'autre part, le nombre des enfants israélites, en âge de recevoir l'instruction religieuse, était plus que suffisant pour que la Communauté se décidât à créer un nouvel emploi d'instituteur. Si l'on parvenait à mettre la main sur une personne pouvant remplir à la fois les fonctions de rabbin et d'instituteur, la cause était gagnée.

Le comité administratif ouvrit un concours. La candidature de M. Jules Wolff, gradué Grand Rabbin et ancien élève du séminaire israélite de Paris, ayant été jugée sérieuse, sur les références fournies par M. Zadoc Kahn, Grand Rabbin de Paris, M. le Grand Rabbin Trénel, directeur du séminaire israélite à Paris, M. J. Derenbourg, membre de l'Institut, et M. le Grand-Rabbin L. Wogue, professeur au séminaire israélite, l'assemblée générale, après avoir entendu la lecture du rapport très substantiel de M. J. Gutmann sur la question, nomma M. Jules Wolff, à l'unanimité des suffrages, rabbin-instituteur.

La première prédication, à titre d'épreuve du titulaire, eut lieu au temple le premier jour de Pentecôte, le 16 mai 1888 ; et, le 22 mai suivant, la nomination de M. le rabbin fut ratifiée par la Communauté réunie en assemblée générale extraordinaire. L'installation officielle de M. Jules Wolff se fit le 6 août 1888, et fut l'occasion d'une fête au temple, à laquelle furent conviés les ecclésiastiques des différentes églises et les autorités locales.

M. le rabbin réorganisa le cours d'instruction religieuse et, pour qu'ils eussent une sanction, il institua la cérémonie d'initiation religieuse qui a été célébrée, depuis lors, régulièrement chaque année, après la fête de Souccoth. D'autre part, pour relever la cérémonie de la Bar Mitzva, qui n'était plus qu'une pure formalité sans grande importance, il proposa un règlement à cet égard, qui fut adopté par la Communauté le 25 février 1889.

Une commission d'éducation composée d'abord de 10 membres, puis portée à 18, fut chargée de procéder à des examens périodiques, et de s'assurer ainsi des progrès réalisés par les élèves. Chaque année, en outre, pour témoigner de l'intérêt qu'elle prend à cette question vitale de l'enseignement religieux, la Communauté fait distribuer publiquement au temple des récompenses aux enfants les plus méritants.

En 1890, Mmes J. W. et M. B., d'accord avec M. le rabbin, firent une souscription dont le produit servit à l'acquisition d'un harmonium. Cet instrument fut gracieusement offert à la Communauté, qui l'accepta avec une vive reconnaissance. Dans cette même année, la Communauté décida la construction d'un oratoire au cimetière, réalisant ainsi des désirs qui avaient déjà été formulés quelques années auparavant. L'édifice, construit conformément au plan présenté par M. A. Theile, architecte, fut terminé en 1891.

Sur l'initiative de quelques. jeunes gens, il se forma une Société, le "Choeur mixte", devant contribuer par l'exécution de chants liturgiques, à rehausser, les jours de grandes fêtes, la célébration du culte. Cette jeune association a rendu de bons services. Nous osons pourtant espérer qu'à l'occasion de l'inauguration du nouveau temple, elle s'organisera sur d'autres bases et qu'elle comprendra la grandeur du but qu'elle s'est tracé.

Construction de la nouvelle synagogue

L'arche sainte de la synagogue

Enfin, dans cette même année de 1890, qui a particulièrement marqué dans l'histoire de notre Communauté, on décida la construction d'une nouvelle synagogue, qui était devenue une nécessité. L'acquisition du terrain fut faite en 1891. Aujourd'hui, nous avons la joie d'assister à la pose de la pierre angulaire du nouveau temple. La Communauté peut vérifier la justesse du dicton populaire : "Tout vient à temps à qui sait attendre".

Notons enfin, pour que cette notice soit complète, la solution fâcheuse donnée à la question de l'abattage selon le rite israélite (5). Nous ne voulons pourtant pas terminer ce petit travail par la mention de cette malencontreuse affaire ; nous aimons mieux affirmer, selon l'esprit du judaïsme qui est optimiste malgré tout, que nous avons foi dans l'avenir.

Nous remercions avec effusion la Providence des heureux changements qu'elle a amenés dans la condition des israélites en général et à La Chaux-de-Fonds en particulier. Avec les auteurs de notre liturgie disons: "Loué soit le Seigneur qui change les temps". Placée sous l'égide de la Constitution fédérale et sous la protection des lois cantonales, garantissant la liberté de conscience et le libre exercice du culte, notre Communauté, c'est là notre ferme espoir, ne périclitera pas. De même que dans ce pays de liberté, les hommes des nationalités les plus diverses peuvent se rencontrer, se coudoyer et fraterniser, de même les adeptes des diverses religions peuvent vivre côte à côte dans le plus parfait accord.

Le temple que la Communauté fait ériger ici sera un nouveau symbole de paix, ajouté à tant d'autres qui existent déjà dans la localité. Notre synagogue aura de plus l'avantage de rappeler à ceux qui seraient tentés de l'oublier, que le judaïsme est le vieux tronc toujours vigoureux d'où est issue la religion chrétienne.

Puisse Dieu nous accorder la joie de voir l'achèvement de l'édifice dont nous allons poser les fondements !
La Chaux-de-Fonds le 24 Sivan 5654 (28 juin 1894).

La Communauté juive de la Chaux-de-Fonds à partir du 20ème siècle

La synagogue
La synagogue de La Chaux-de-Fonds, inaugurée en 1896, est l'une des plus vastes et importantes de Suisse.
Construite selon les plans de l'architecte strasbourgeois Richard Kuder dans un style néo-byzantin remarquable, elle témoigne de l'importance de la communauté juive dans la Métropole horlogère à la fin du 19e siècle. Elle se distingue en particulier par sa coupole centrale recouverte de tuiles émaillées polychromes et par sa décoration intérieure. L'ensemble constitue une sorte d'encyclopédie de la pierre suisse puisqu'il comprend des matériaux provenant de carrières de tout le pays.
Elle a été restaurée en 1981-82 avec une attention particulière portée à l'authenticité de la décoration. Ce temple est classé comme "monument historique d'importance régionale" par la Confédération suisse et l'Etat de Neuchâtel.
Vue panoramique de la synagogue

Antisémitisme
Durant l’entre-deux guerres et la seconde guerre mondiale, la politique suisse vise à limiter la surpopulation étrangère et l’"enjuivement" du pays. Vu l'importance religieuse, économique et culturelle de la communauté juive de La Chaux-de-Fonds (elle compte alors près de 500 personnes), l'antisémitisme n'est pas absent de la ville. Au début de janvier 1941, des tracts anonymes s'attaquent aux Juifs et aux Francs-maçons. Des prises de position inverses provenant de personnalités de divers horizons se manifestent à l'exemple d’Ernest-Paul Grabe, directeur du journal socialiste La Sentinelle. L’accueil des réfugiés juifs pendant la seconde guerre mondiale incombe aux communautés juives et celle de La Chaux-de-Fonds y contribue largement.

La Communauté au 21ème siècle

Pendant plus d'un siècle, la ville était connue comme la capitale mondiale de l'horlogerie. Avec le déclin de cette industrie, La Chaux-de-Fonds a subi des problèmes économiques qui ont entraîné une diminution de la population juive. Celle-ci est regroupée aujourd'hui dans la Communauté israélite du canton de Neuchâtel : une petite communauté unitaire regroupant différentes tendances du judaïsme (traditionnel, orthodoxe et libéral) ainsi que différentes origines (ashkénazes et séfarades).
En 2016, elle est constituée d'environ 70 familles, ce qui représente un peu plus de 100 personnes. La plupart de ses membres vivent à La Chaux-de-Fonds ou à Neuchâtel et quelques anciens membres ayant déménagé y sont restés affiliés, ou en sont redevenus membres.

Notes :

  1. Nous devons des remerciements, en particulier, à Messieurs Mosimann, président du Conseil communal, Tissot, membre du Conseil communal, et Delachaux, président du tribunal, qui nous ont permis de consulter les documents à l'aide desquels nous avons pu écrire ce petit travail.    - Retour au texte
  2. Notons à titre de curiosité que la rue Fritz Courvoisier portait autrefois le nom de rue des Juifs ; ce nom lui fut sans doute donné à cause des nombreux colporteurs israélites qui la traversaient autrefois venant du Vallon de St-Imier.    - Retour au texte
  3. Voir les Archives Israélites, année 1845.    - Retour au texte
  4. Au ler janvier 1806, la population israélite de La Chaux-de-Fonds était de 824 âmes sur 39,271. habitants.    - Retour au texte
  5. L'abattage rituel, soit le fait d’égorger et de saigner les animaux sans les étourdir au préalable, est interdit en Suisse en 1893. Cette initiative soulève de vifs débats et les arguments de la protection des animaux peuvent être perçus comme antisémites. Alors que les cantons latins refusent l’initiative, la ville de La Chaux-de-Fonds accepte l’interdiction de l’abattage rituel, à l’instar de la Suisse germanophone, influencée par la poussée antisémite que connaît l’Europe du Nord au début des années 1890 (n.d.l.r.)   - Retour au texte


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