Isaac UHRY
1837 - 1909
Directeur de l'Ecole Israélite de Bordeaux
Secrétaire du Consistoire Israélite de Bordeaux

ÉLOGE FUNÈBRE
DE
Monsieur ISAAC UHRY

M. Isaac UHRY était né à Ingwiller (Alsace), le 9 Octobre 1837.

Il débuta à Romanswiller (Bas-Rhin), à l'âge de 18 ans, comme instituteur, et se signala, dès son entrée en fonctions, par des aptitudes professionnelles, qui lui acquirent rapidement l'estime de ses chefs. Convaincu que la mission de l'instituteur ne devait pas se borner à instruire la jeunesse, mais qu'il devait surtout s'efforcer de la moraliser et de la diriger dans la voie des professions manuelles, M. Uhry s'est appliqué, pendant toute sa carrière, à détourner des métiers ambulants les enfants des classes nécessiteuses.

Durant son séjour en Alsace, il fit admettre un, grand nombre de ses élèves à l'École de Travail de Strasbourg ; certains d'entre eux occupent aujourd'hui des situations très honorables dans l'industrie, soit comme patrons, soit comme ouvriers.

Appelé à Metz, en 1859, comme professeur du Talmud Thora, créé après la translation de l'Ecole Rabbinique à Paris, il devint un des membres les plus actifs de la Jeunesse israélite, Société de Patronage des Apprentis, dont il s'occupa avec une vive sollicitude.

Nommé professeur en 1861, à l'École communale israélite de Constantine (Algérie), il s'adonna avec ardeur à l'étude de la langue arabe, acquit les diplômes nécessaires à l'enseignement de cette langue et, grâce à cette connaissance, il obtint les résultats les plus heureux dans sa classe, composée de jeunes indigènes ne parlant pas encore le français. Il acquit en même temps une grande influence dans les familles israélites du pays qui accordent plus volontiers leur confiance à un maître qui sait leur faire comprendre, en leur propre langue, tous les avantages de l'instruction et de la civilisation européennes.

En 1865, M. Uhry fut nommé directeur de l'École israélite de Bordeaux et, depuis cette époque, il a exercé ses fonctions avec une ardeur et un dévouement infatigables.

La Société de la "Jeunesses Israélite" dont il était un des administrateurs les plus zélés, lui doit un grand nombre de réformes utiles. Il n'a cessé, toute sa vie, de s'occuper des apprentis et a payé largement de sa personne en les plaçant et en les surveillant dans les ateliers, et en leur faisant des cours gratuits le soir pour compléter leur éducation.

C'est à l'initiative de M. Isaac Uhry qu'a été due à Bordeaux la création des livrets scolaires de la Caisse d'Épargne, et l'École israélite porte le numéro 1 sur les registres de cette institution. C'est ainsi que M. Uhry, toujours fidèle à ses principes, est parvenu à inculquer à ses élèves des habitudes d'ordre, de travail et d'économie qui, jointes à une solide instruction, sont les meilleurs agents de moralisation et de relèvement des classes pauvres.

M. Uhry, en récompense de ses bons services, fut nommé Officier d'Académie en 1887.
Il a publié les ouvrages suivants :
1. une Méthode de lecture hébraïque ;
2. un Guide de l'Initiation Religieuse avec la traduction des principales prières de notre rituel
3. un Recueil des lois, décrets et ordonnances concernant le culte israélite en France et en Algérie ;
4. une Monographie du culte israélite à Bordeaux.
Ce dernier ouvrage a été publié aux frais et par les soins de la Municipalité de notre ville et inséré dans la grande Monographie de Bordeaux.

Comme Secrétaire du Consistoire, l'activité de M. Uhry n'a pas été moins grande. On lui doit de nombreuses réformes qui ont contribué à la prospérité et au bien-être de notre Communauté, notamment la conversion en rentes nominatives de toutes les valeurs au porteur, ce qui a assuré les revenus à perpétuité ; la création des caveaux au cimetière du cours d'Espagne et la reprise des anciennes tombes qui n'étaient plus entretenues, et dont les familles avaient disparu, ce qui a permis au Consistoire de pouvoir garder son cime-tière et d'assurer le culte des morts si honoré dans notre Communauté.

Au moment de la Séparation [de l’Eglise et de l’Etat], où les difficultés se sont montrées nombreuses et impérieuses, il a déployé une énergie et une vigueur admirables pour les aplanir, et grâce à ses efforts, il a pu conserver à nos contemporains, tout le patrimoine légué ou acquis par nos anciens.

M. Uhry s'est éteint, sans trop souffrir, le 2 Septembre dernier, mourant comme il avait vécu, c'est-à-dire avec une modestie et une simplicité touchantes et conservant jusqu'à la dernière minute, cette lucidité d'esprit, cette intelligence remarquable qu'il avait mises, toute sa vie, au service de tous ceux qui avaient recours à ses lumières.
Un cortège imposant a suivi jusqu'à sa dernière demeure cet homme de bien, qui laissera, dans notre ville et au dehors, un souvenir impérissable.
Sur sa tombe, les deux discours suivants ont été prononcés : l'un, par M. Isaac Lévy, Grand Rabbin, et l'autre par M. Louis A. Léon, Président du Consistoire de Bordeaux, qui ont été écoutés dans le silence le plus ému et le plus recueilli.

DISCOURS PRONONCÉ
par
M. Isaac LÉVY, Grand Rabbin

MES FRÈRES,
Une noble existence vient de s'éteindre parmi nous. Une existence consacrée tout entière au travail, à la prospérité de notre Communauté., au culte de la famille, à l'accomplissement des prescriptions charitables que renferme notre Sainte Thora ?

Celui auquel nous rendons en cet instant les derniers honneurs semblait, dès sa jeunesse, avoir pris pour devise de sa vie, cette belle maxime de nos docteurs :

אהב את המלאכה
« Aime le travail »

Après avoir acquis sous la direction d'un maitre distingué les connaissances qu'on acquiert à l’école primaire, il se livra avec ardeur à l'étude de la langue hébraïque et apprit à lire dans le texte la Bible et le Talmud. Il aurait certainement eu le droit d'aspirer à devenir un, jour un des pasteurs du judaïsme si ses goûts ne l'avaient porté de préférence vers la belle carrière de l'enseignement.

Il devint rapidement un des élèves les plus brillants de l'École Normale d'Instituteurs de Strasbourg, qu'il quitta pour prendre la direction d'une école dans la province même où il était né et où il avait été élevé, dans cette chère Alsace dont il parlait souvent avec une sincère émotion, où il aimait à retourner parfois, vers laquelle se reportaient sans cesse sa pensée et ses regrets de la voir séparée de nous, non par le cœur, mais par la dure loi d'un vainqueur impitoyable.

Il vint ensuite dans une autre ville qui devait devenir, elle aussi, la rançon de notre pays vaincu et meurtri ; il se fixa pour quelque temps à Metz, dans la vaillante cité lorraine qu'il a connue encore et que j'ai connue, moi aussi, heureuse et fière de n'avoir jamais été foulée par un maître étranger et que nous avons revue depuis, tous deux, triste, voilée de deuil, et pleurant la patrie perdue, C'est là qu'il rencontra celle qui devait devenir la compagne dévouée de son existence.

Avant de fonder un nouveau foyer, il fut attaché comme professeur à deux écoles d'Algérie : à celle de Bône d'abord et à celle de Constantine ensuite. Là, il se considéra, avec raison, non plus seulement comme un maitre chargé d'inculquer aux enfants les connaissances élémentaires utiles à tout homme ; mais comme un apôtre des idées françaises, des moeurs françaises, de la civilisation française, et cette haute mission il l'accomplit avec une énergie et un talent qui appelèrent l'attention sur lui.

Aussi, quand il y a 45 ans, le Consistoire de Bordeaux eut à choisir un directeur pour l'importante école israélite de notre ville, ses suffrages se portèrent sans hésitation sur celui que nous venons d'accompagner dans cette funèbre enceinte. Ce choix fut heureux ; l'école israélite prospéra sous la nouvelle direction. De nombreux succès aux examens du certificat d’études primaires, les éloges des autorités universitaires prouvèrent au Consistoire qu'il ne s'était pas trompé sur la valeur de celui auquel il avait confié son école, et le jugement favorable qu'il portait sur son instituteur fut confirmé par la distinction flatteuse qui fut accordée à celui-ci par le gouvernement de notre pays ; il obtint les palmes académiques et sa nomination d'officier d'académie fut brillamment fêtée par ses anciens élèves. Un punch d'honneur lui fut offert ; je me rappelle y avoir assisté et les paroles que j'entendis et les applaudissements bruyants qui accueillirent celles dans lesquelles je célébrai les qualités du héros de la fête, me montrèrent combien notre frère était apprécié et aimé de ceux qui avaient passé par son école.

L'hommage touchant rendu à celui dont nous allons nous séparer et la récompense à propos de laquelle il était rendu, notre frère les avait bien mérités.
La direction d'une école de cent et quelques élèves, quand on n'est secondé que par un seul adjoint, exige les plus sérieux, les plus rudes efforts. Intéresser de nombreux enfants dont l'attention se lasse facilement, faire pénétrer dans des intelligences qui ne sont pas toujours très éveillées les connaissances indispensables à tous, façonner à l’obéissance des volontés parfois rebelles, s'occuper de l'éducation, en même temps que de l'instruction, enseigner non seulement ce qui est vrai, mais ce qui est juste et bon, n'est ce pas là une tâche difficile, ardue, qui réclame un zèle infatigable, une ardeur qui ne doit jamais s'éteindre.

Une pareille tâche peut suffire à l'activité d'un homme et il y en a parmi les éducateurs de la jeunesse à qui elle suffit, en effet ; mais elle n'épuisait pas l'ardent amour du travail dont celui qui nous quitte était doué.
Les, heures de liberté que lui laissait sa classe, il les consacra à d'autres travaux utiles. Il a composé et publié une excellente méthode, grâce à laquelle les enfants apprennent facilement la lecture hébraïque que tant de parents considèrent comme une chose si difficile. Il a aussi fait paraître une autre méthode pour faciliter aux élèves de nos cours d'instruction religieuse, la traduction de nos principales prières. Il a tracé encore, de notre Communauté, un tableau historique rapide, mais très intéressant, et a réuni dans un Recueil, les lois, les ordonnances, les décrets et les instructions qui régissaient le culte israélite en France et dont la connaissance était très utile alors que les Eglises étaient encore unies à l'Etat.

Je n'aurais donné qu'une idée incomplète du labeur acharné auquel se livrait notre regretté frère, si je ne rappelais qu'il a rempli, pendant près d’un demi-siècle, les fonctions de Secrétaire du Consistoire qui exigeaient beaucoup de temps et d'efforts, si je n'ajoutais surtout, que ces fonctions, il les a remplies non seulement avec une rare intelligence, mais avec un dévouement absolu aux intérêts de la Communauté.
Il ne se contentait pas de faire, eu effet, ce qui lui était prescrit, mais il ne cessait de se préoccuper de la prospérité de nos oeuvres ; il réfléchissait constamment aux moyens de la maintenir et de l'augmenter et il est devenu le promoteur de beaucoup le mesures utiles.

Vous dirais-je maintenant ce qu'il était dans sa famille ? Vous le savez aussi bien que moi, et si nous ne le savions pas, elle pourrait nous le dire, celle qui a partagé ses destinées, qui pleure aujourd'hui un mari plein de bonté et d'affection, qui s'écrie douloureusement aujourd'hui, comme autrefois le prophète : "La couronne de notre tête est tombée". Vous pourriez nous le dire aussi, vous, ses fils. Il n'a pas seulement travaillé pour vous, il a travaillé aussi avec vous. Il surveillait vos études, vous prodiguait ses conseils, vous éclairait de ses lumières, soutenait votre courage et vous conduisait au succès. C'est à lui que vous devez en grande partie ce que vous êtes devenus, vous le reconnaissez certainement, et plus d'une fois vos larmes couleront abondantes et amères au souvenir de ce qu'il a fait pour vous.
Son petit-fils aussi était l'objet de sa sollicitude la plus active, la plus dévouée. Il le conduisait au lycée, le cherchait quand les cours étaient terminés, le faisait travailler sous ses yeux, lui répétait et lui expliquait les leçons du maître et l'aidait ainsi à être un des bons élèves de sa classe.

Mais ce n'est pas seulement à ceux qui lui appartenaient par les liens de la famille qu'il cherchait à se rendre utile, il se montrait serviable pour tous.
A ses anciens élèves, il donnait de salutaires avis et cherchait à fortifier en eux l'amour du travail. A nos institutions de bienfaisance, il apportait non seulement ses souscriptions et ses dons, mais aussi son incessant labeur.
Il fut, pendant de longues années, membre du Comité consistorial de secours à domicile, et il remplissait, jusqu'à ses derniers instants, les fonctions de Secrétaire du Conseil d'Administration de la Société de Bienfaisance ; avec quelle exactitude ! quelle ponctualité ! quel zèle ! nous le savons nous tous qui l'avons vu à l'oeuvre, qui regretterons longtemps, qui regretterons toujours de ne plus l'entendre exposer des idées constamment justes, de ne plus le voir s'associer avec empressement aux efforts tentés pour le soulagement de la misère.
En parlant ainsi, j'exprime mes propres sentiments, et ceux de tous ses collègues et c'est en leur nom comme au mien, que je puis adresser à celui que nous venons d'accompagner jusqu'à sa dernière demeure un adieu ému, que je puis lui dire en empruntant à notre Sainte Thora, qu'il aimait à lire et à méditer, ces paroles qui ont retenti hier à nos oreilles :

ברוך אתה בבאך וברוך אתה בצאתך
"Béni es-tu à ton arrivée et béni encore à ton départ"

Oui, cher et regretté frère, vous avez été accueilli en venant sur cette terre, par les bénédictions et les actions de grâce de vos parents et vous êtes béni en sortant de ce monde, par votre famille pour laquelle vous avez été un protecteur si dévoué, par nos pauvres que vous avez servis avec tant de zèle, par vos élèves dont vous avez éclairé l'esprit et formé le coeur, par la Communauté tout entière à la prospérité de laquelle vous avez si largement contribué; et à laquelle vous avez donné l'exemple d'une vie laborieuse et austère.
Vous avez été béni par Dieu qui vous a appelé à lui, comme vous le désiriez, sans vous faire passer par une longue et douloureuse agonie.
Vous serez béni enfin dans le ciel où l'Eternel vous fera jouir des dé¬lices ineffables qu'il réserve à ceux qui accomplissent ici-bas sa Volonté sainte. Amen !

PAROLES PRONONCÉES
par M. LOUIS A. LÉON
Président du Consistoire et de la Société de Bienfaisance Israélites
MESSIEURS,
La mort d'Isaac Uhry est pour la Communauté Israélite de Bordeaux [est] une irréparable perte, car s'il ne lui appartenait pas par la naissance, il n'en a pas moins été pour elle le meilleur des fils, et il l'a servie, pendant près d'un demi-siècle, avec un dévouement qui ne s'est jamais démenti.

Faut-il, après les éloquentes paroles que vous venez d'entendre, vous raconter sa vie ? Est-ce nécessaire devant vous, qui avez été ses élèves, ses amis ?
Sa vie, elle s'est écoulée ici, calme, simple et sereine au milieu des siens, tout près de cette Ecole qu'il a longtemps dirigée et à côté de ce Temple à l'Administration duquel il consacrait son temps. L'homme, vous savez tous ce qu'il était, vous connaissez sa haute honorabilité, l'affabilité de son caractère et cette extrême modestie derrière laquelle se dissimulaient une érudition si étendue et un mérite si grand.

Mais ce qu’on ne connaît qu'imparfaitement, ce sont les services qu'il a rendus.
Il faut, comme moi, l'avoir vu à l'oeuvre, ne ménageant ni son temps, ni sa peine, multipliant ses efforts avec une incomparable ténacité, même lorsque sa santé était déjà fortement ébranlée, luttant pied à pied partout où les intérêts de la Communauté étaient en jeu, et, notamment dans ces dernières années, quand les plus graves problèmes se sont posés, quand nos organisations anciennes ont été bouleversées par de nouvelles législations, quand il a fallu non seulement sauvegarder nos droits, mais aussi les usages et les vieilles traditions auxquelles vous tenez.

Isaac Uhry fut, dans ces circonstances, le collaborateur le plus avisé, le plus habile, le plus dévoué. Je tiens à lui rendre cet hommage en mon nom personnel, et au nom de la communauté de Bordeaux que je représente.

Messieurs, j'adresse à sa famille si cruellement éprouvée, mes condoléances attristées et je dis à la dépouille mortelle d'Isaac Uhry, un adieu suprême, tout empreint de l'émotion que je ressens devant son cercueil.


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