le strasbourgeois gentilhomme (suite)

 

Sortie précipitée de Monsieur Isidore.

Les acteurs jouant la pièce en 1958
ELLE : Ce qu'il est pressé aujourd'hui, Monsieur Isidore !
LUI : Il sait peut-être pourquoi.
ELLE : Tu crois ?
LUI : Je ne veux pas dire… mais je me demande si ce Trampler, wie er do heisst (28) , si avec un nom pareil c'est vraiment un vrai Américain.
ELLE : Comment est-ce que tu penses çà ?
LUI : Tu sais donc que depuis la guerre tant de types sont partis pour l'Amérique. Eh bien moi je dis que le temps est un peu court pour que ceux-là ils ont autant de dollars que les vrais Américains.

On sonne. La bonne entre.

BONNE : C'est le Knopf.
ELLE : Qui est là ?
BONNE : Monsieur le tailleur, vous savez, pour l'essayage.
LUI : Il peut venir.

Entrée du tailleur.

KNOPF : Bonjour Madame, bonjour Monsieur !
LUI : Bonjour, bonjour ! awer mache schnell (29). Madame Zweifuss est pressée.
ELLE : Oui, montrez-moi une fois maintenant vite ce short.
KNOPF : Vous voulez pas voir plutôt quand Monsieur l'aura mis ?
ELLE : C'est que je dois partir. J'ai une réunion très importante. A la Wizo, vous savez…
KNOPF : La Wizo, oui, je connais. Cà c'est des dames bien. Leurs maris payent toujours à la livraison… Mais voilà, Madame.

Il finit de déballer le short
Regardez un peu cette qualité, Madame… Comme à Wimbledon.
LUI : Was (19) à Wimpeltonn ?
KNOPF : Vous savez donc : en Angleterre… Là où ils font les match de tennis, les championnats du monde un so witersch (30). Eh bien là-bas, ils portent seulement du tissu comme çà.
LUI : Tu entends, Babette ?
ELLE : Allez, Arthur, essaie-le voir.
LUI : Babette, voyons ! Pas ici devant toi tout de même.
ELLE : Non, mets-le juste dessus pour voir un peu.
Elle lui applique le short sur l'abdomen. Ahah !
LUI : Dis pas encore "Ahah", tu peux donc pas voir comme çà. Il faut que j'aie du mouvement… Où est donc ma raquette ?... Aimé?

Aimé arrive.

ELLE : Tzaj (31), cherche la raquette de Papa… Vous m'excusez, Monsieur Knopf, je dois m'habiller pour sortir.

Elle sort. Lui, se dissimulant derrière la télé, met le short. Aimé arrive avec la raquette. Knopf "fignole" l'essayage. Elle revient vêtue de son manteau de fourrure et spectaculairement chapeautée. Lui alors se fige dans une attitude qu'il veut ailée, la raquette à la main.

LUI : Qu'est-ce que tu dis, Babette ?
ELLE : Mince ! wesch wie du ussisch ?... (32) Exactement comme le Duc de Windsor.
LUI : Allez, Babette, allez !
ELLE : Je te dis, Arthur… Toutes mes félicitations, Monsieur Knopf !
KNOPF : Oh vous savez, madame, avec des clients comme votre mari, çà se coud tout seul.
ELLE : Mais maintenant il faut que je me sauve. Au revoir Monsieur Knopf ! Bye bye, darling !

Elle sort.

LUI : Bye bye ?... Un darling noch de zu !... (33) Qu'est-ce que vous croyez, vous ? J'ai vraiment l'air du Duc de Windsor ?
KNOPF : Bien sûr, Monsieur, bien sûr… Mais en beaucoup plus sportif, naturellement ! Personne il n'osera gagner un match contre vous…

On sonne. La bonne entre.

BONNE : C'est Monsieur S… Mais apercevant le tableau, elle éclate de rire
LUI : Qu'est-ce que vous avez là à rire ?
Elle rit de plus belle
LUI : Anne-Marie, si vous avez à rire, allez rire dehors.
BONNE : Vous savez pas pourquoi je ris, Monsieur… Parce qu'à côté de Monsieur, Monsieur Knopf a l'air tellement drôle avec son gros ventre !
Le tailleur se tâte, très intrigué, le ventre qu'il n'a pas du tout excessif.
LUI : Çà va comme çà, Anne-Marie. Qu'est-ce que c'est ?
BONNE : Monsieur Samclo il est là. Il dit que c'est pour une auto à prendre.
LUI : Pas à prendre, Anne-Marie. A apprendre.
BONNE : Çà Monsieur peut faire comme il voudra. Je le laisse enter, Monsieur Samclo ?
LUI : Il peut venir.
KNOPF : Also (14), pour le blouson, Monsieur Zweifuss, je reviendrai. Au revoir.
LUI : Au revoir.

Samclo, entrant, se heurte à Knopf sortant, ce dernier "ne tenant pas sa droite".

KNOPF : Pardon Monsieur.
SAMCLO : Tenez plutôt votre droite, Monsieur. Rien d'étonnant à ce qu'il y ait tellement d'accidents…
avisant l'équipement de tennis de Zweifuss
Bonjour, Monsieur Zweifuss. Vous êtes peut-être occupé ?
LUI : Oh non… J'avais juste fini une petite partie avec M. Knopf. Moi j'ai un principe, il faut toujours être à la page ! Vous faites aussi du tennis, Monsieur Samclo ?
SAMCLO : C'est excellent. Surtout pour la… circulation.
LUI : Ah oui, la circulation…
SAMCLO : La circulation, moi çà me connaît !
LUI : Oh oui, çà vous connaît !... Aimé !
FILS : Oui Papa…
LUI : Va vite chercher le guidon.
FILS : C'est le volant que tu veux, Papa ?
LUI : Volant, wenn de witt(34) Allez, va !

Le fils sort.

LUI : Ce petit est tellement intelligent. Je parle exprès un peu pas comme il faut avec lui pour voir s'il comprend. Mais il comprend toujours, toujours !

Le fils revient avec un "volant à ventouse".

LUI : Merci Aimé… Reste là. Tu peux écouter un peu. Comme çà, çà te fera moins à apprendre plus tard.
FILS : Oh oui, Papa.

On installe le volant à un bout de la table avec Zweifuss derrière. Samclo place une chaise à sa droite, s'y met à califourchon.
SAMCLO : Vous permettez, Monsieur Zweifuss, qu'on révise ce que nous avons appris dans la première leçon ?
LUI : Wenn's indispensable isch (35), pourquoi pas ?
SAMCLO : Bon. Alors attention ! Vous êtes dans votre voiture et moi dans la mienne. Vous arrivez là et moi je viens d'ici…
LUI : …Pardon, Monsieur Samclo. Est-ce qu'ils demandent des choses tellement simples à l'examen ? Autrement on aurait peut-être pas besoin de perdre du temps avec ?...
SAMCLO : Oh si ! On les demande. Je disais donc : vous venez là et moi ici… Qu'est-ce que vous faites ?
LUI : Je klaxonne pas !
SAMCLO : Entendu. Mais encore ?
LUI : Je… Je continue.
SAMCLO : Vous continuez ?
LUI : Oui… Mais pas trop… Juste un peu, bien sûr…
SAMCLO : Tiens tiens !... Et la priorité ?
LUI : La priorité ?
SAMCLO : Oui, la priorité, qu'est-ce que vous en faites ?
LUI : Yoh ! (36) Je la laisse aussi passer… Il faut que tout le monde il vit, n'est-ce pas ?
SAMCLO : Excusez-moi. Vous n'avez pas totalement assimilé ce que je vous ai expliqué la dernière fois et si nous avions été en train de rouler pour de bon, savez-vous ce qui serait arrivé ?... Nous nous serions rentrés dedans !
LUI : Cà alors !... C'était quelque chose de terrible pour les meubles. Vous pensez ! des meubles en palissandre véritable !... Aimé! Vezähl dese numne nit dinne Mamme ! (37)
FILS : Oui Papa.
SAMCLO : Bon ! Je reprends donc… Lorsque deux voitures arrivent au même moment à un carrefour, la priorité appartient à celle qui vient de droite. Regardez d'où je viens (il s'agite sur sa chaise).
LUI : De droite.
SAMCLO : Par conséquent ?...
LUI : Par conséquent ...
FILS : Tu dois le laisser passer, Papa.
LUI : C'est vrai çà, Monsieur Samclo ?
SAMCLO : Absolument !
LUI : Oui, mais écoutez… Il faut toujours que je laisse passer ceux-là qui viennent à la droite ?
SAMCLO : Bien sûr, toujours !
LUI : Même quand ils sont seulement dans des petites gadjevaux ?
SAMCLO : Mais oui, même quand ils sont dans des quat'chevaux.
LUI : Alors là je me demande vraiment pourquoi c'est la peine de payer tellement d'impôts !

On sonne. La bonne entre. Elle fait quelques pas puis, interloquée, reste plantée là en hochant la tête.

SAMCLO : Ecoutez, Mamzelle… Ne restez donc pas comme çà debout au milieu de la circulation.
FILS : Tu sais, Papa… on devrait peut-être mettre un passage clouté.
LUI : On voit que c'est pas toi qui a payé le tapis. Un vrai tapis de Perse. Véritable !... Qu'est-ce que vous voulez, Anne-Marie ?
BONNE : Je suis venue dire que Monsieur Schlemm il est là, pour le pritsch.
SAMCLO : Je vois que vous êtes très, très occupé, Monsieur Zweifuss. Je dois peut-être vous laisser…
LUI : Non, non ! Restez seulement. Je dois prendre ma leçon de bridge et il faut tout de même qu'on soit quatre. (A la bonne) Dites à Monsieur Schlemm qu'il peut venir.

La bonne sort.

LUI : Vous savez jouer au bridge, Monsieur Samclo ?
SAMCLO : Oh un peu, un tout petit peu…
LUI : Je vous montrerai alors. Vous verrez c'est presque aussi bien que le Schwarzer Peter (38).

La bonne fait entrer M. Schlemm . On se dit bonjour et sur ce, Madame Zweifuss revient de ville.

LUI : Tiens, Babette ! tu as fait vite aujourd'hui.
ELLE : C'était à cause du bridge… Et puis, aujourd'hui, à la Wizo, çà n'était pas si chic que çà !
LUI : Ah ?
ELLE : Oui, figure-toi qu'ils avaient invité quelques unes des Femmes pionnières !
SCHLEMM : Ah, des Femmes pionnières ?
LUI : Was isch dess jetz wieder ? (39)
ELLE : Yoh ! rien d'intéressant… Des sionistes.
LUI : Quoi ? des sionistes ?... Babette ! tu as bien fait de rentrer !
ELLE : Gell ? (40)
LUI : Et comment ! Si maintenant il y a des sionistes à la Wizo alors çà n'est vraiment plus possible!
SCHLEMM : si vous le permettez, Madame et Monsieur, nous pourrions commencer… auriez-vous un quatrième sous la main ?
ELLE : Si Monsieur Samclo… ?
SAMCLO : Je regrette vraiment beaucoup, Madame… Mais vous savez ce que c'est dans mon métier. Il faut que çà roule !
ELLE : Cà c'est nettement dommage…
SAMCLO : Croyez bien Madame, qu'à la prochaine occasion… Au revoir Madame Zweifuss. Au revoir Monsieur. Et n'oubliez surtout pas la priorité ! (A Schlemm :) Au revoir, Monsieur.

Il sort.

SCHLEMM : Voilà qui ne résout pas la question du quatrième…
LUI : Attendez… Peut-être que Aimé…
ELLE : Non, laisse-le tranquille Aimé. Il doit travailler ce petit. Vous ne croyez pas, Monsieur Schlemm, qu'Anne-Marie… ?
Schlemm : Anne-Marie ?
ELLE : Oui, c'est notre bonne…
LUI : La bonne ? Ecoute Babette ! qu'est-ce qu'on va dire dans le quartier !
ELLE : Justement, ils doivent le dire dans le quartier que nous on est democratisch… Anne-Marie ! Anne-Marie !

La bonne arrive.

BONNE : Madame m'a appelée ?
ELLE : Assez-vous, Anne-Marie.
BONNE : Je dois m'asseoir ?
LUI : Vous ne comprenez donc pas ? Vous faites le quatrième.
BONNE : Ah ?
ELLE : On dirait que cette fille n'a jamais été à un bridge… Allez, Monsieur Schlemm, la partie peut commencer.

Schlemm commence la distribution des cartes. On sonne.

BONNE : C'est des enfants.
LUI : Des enfants ?
BONNE : Oui… Il paraît qu'ils sont envoyés par un monsieur avec un nom tout drôle.
ELLE : Nous on ne connaît pas de monsieur avec un nom tout drôle. Comment s'appelle-t-il ?
BONNE : Attendez… Gaga, je crois… Gagaèlle… oui, Gagaèlle.
LUI : Comment ils sont ces enfants ? Bien habillés, au moins ?
BONNE : Oh oui Monsieur, habillés ils sont bien.
LUI : Ils peuvent venir.

La bonne sort et revient avec deux jeunes quêteurs.

1er QUETEUR : Bonjour Messieurs-Dames. Nous venons pour le KKL.
LUI : Mais qui c'est donc ce type, à la fin !
2ème QUETEUR : C'est pas un type, Monsieur… C'est une abréviation. Vous ne connaissez donc pas le Keren Kayemeth Leisraël?
ELLE : Leisraël, vous dites ?
1er QUETEUR : Oui Madame !
ELLE : Arthur, fais attention…
LUI : Ecoutez mes enfants. Vous voyez qu'on n'a pas beaucoup le temps. Qu'est ce que vous voulez?
2ème QUETEUR : Ben, on ramasse de l'argent…
LUI : Vous ramassez de l'argent ? Comme çà ? chez des gens qui ne vous connaissent pas ?
2ème QUETEUR : Oui Monsieur.
LUI : Et vos parents, ils savent çà ?
1er QUETEUR : Oui Monsieur.
LUI : Et ils ne vous grondent même pas ?
2ème QUETEUR : Oh non, Monsieur. Mon papa est aussi un sioniste.
ELLE : Tu entends, Arthur ? C'est des sionistes !
LUI : Ah vous êtes des sionistes, et vos parents aussi. Et vous voulez de l'argent ! Pourquoi vous en voulez de l'argent ?
1er QUETEUR : Pour Israël, Monsieur.
LUI : Aha ! Pour Israël… ecoutez, jeunes gens… Est-ce qu'il y a aussi des sionistes en Israël ?
2ème QUETEUR : Mais Monsieur, en Israël, tout le monde est sioniste !
LUI : Alors çà ne m'étonne plus !
ELLE : Qu'est-ce qui ne t'étonne plus, Arthur ?
LUI : Que tout marche si mal là-bas !... Qu'est-ce que tu veux, un pays où tout le monde ramasse de l'argent, çà ne peut pas exister.
1er QUETEUR : Alors Monsieur ? Qu'est-ce que vous nous donnez ?
LUI : Babette… Est-ce qu'il reste encore quelques pralines ?
2ème QUETEUR : On ne demande pas des pralines, Monsieur.
1er QUETEUR : Oh non ! On n'est pas des schnorrers (41), vous savez.
LUI : Ecoute çà, Babette ! C'est pas des schnorrers, et ils veulent de l'argent. (Il sort un billet) Tenez Voilà cent francs et laissez-nous en paix.
1er QUETEUR : Merci Monsieur… On marque votre nom ?
LUI : quoi ! Dess tet jetz noch fenle(42) Pour que tout le monde il dise que je finance les sionistes… allez, kinder, allez !

Les quêteurs s'en vont.

LUI : Vous savez, Monsieur Schlemm, les pauvres gens ont tout de même plus de chance que nous. Eux au moins, les sionistes ne viennent pas leur demander de l'argent.
SCHLEMM : En effet, en effet… si nous commencions cette partie, Monsieur Zweifuss ?
LUI : Cà oui. C'est temps qu'on commence… (Il prend ses cartes, les regarde)… Nom d'une pipe ! J'ai rien que de çà !
ELLE : De quoi Arthur, tu n'as que de çà ?
LUI : Du cœur ! Regardez : c'est fou ce que j'ai du cœur !

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