le strasbourgeois gentilhomme (suite et fin)

 

acte ii

Même décor. Le fils est seul en scène à sa petite table de devoirs.
On sonne. La bonne arrive.

Les acteurs jouant la pièce en 1958
BONNE : Il y a un Monsieur… Il cause pas correct de français… Il faut peut-être qu'ils reviennent quand vos parents ils sont là ?
FILS : Non, Anne-Marie. Dites-lui qu'il vienne les attendre ici.

La bonne sort et revient avec l'Américain.
TRAMPLER : Hello !... Bônnjhoûr ! Mister Zweifuss junior, I suppose ? My name is Trampler, Elkan S. Trampler.
FILS : Good bye, Sir, good bye !
TRAMPLER : Pourquoi good bye ? Je seulement vient de arriver…
FILS : OK, OK…
TRAMPLER : Mister et Misses Zweifuss ne sont pas dedans, I see.
FILS : Yes, yes. Ils rentrent bientôt… Ils vont… to come. You… you attendez un little…
TRAMPLER : That's allright for me.

Aimé se replonge dans ses devoirs tandis que Trampler allume une cigarette, s'installe dans un fauteuil et promène son regard à travers la pièce.

TRAMPLER : Oh, swell ! Vous aussi avez le télévijeunn, I see.
FILS : Yes, yes.
TRAMPLER : (aperçoit le magnéto). And what about that ?... A recorder ?
FILS : Well, well.
TRAMPLER : It is your business ? Hey boy, c'est vous qui jouez cette chose ?
FILS : Yes. Vous ne connaissez pas encore çà en Amérique ?
TRAMPLER : Oh, un peu, un peu…
FILS : Attendez, je vais vous montrer… (il se lève) C'est très simple.

Il fait sa démonstration, rembobine, puis démarre la bande à l'endroit de la visite de M. Isidore où il va être question de lui ("c'est que… Enfin, si Mademoiselle Liliane elle avait été ici).
Etonnement de Trampler en entendant parler de lui. D'abord intrigué, puis flatté (quand Isidore le pare de toutes les grâces) il finit par trouver l'expérience un peu saumâtre.

TRAMPLER : What the matter ?... Who is talking this way about me ?... Stop çà !... Arrêtez !

Au moment où le fils arrête le magnéto, les parents arrivent, en tenue de ville. Ils s'excusent de s'absenter encore un instant pour ôter leurs manteaux, puis reviennent.

TRAMPLER : How do you do ?
LUI : So, so. Merci
TRAMPLER : My name is Trampler.
LUI : Miner name isch Zweifuss (43).
ELLE : Alors comme çà, Monsieur Trampler, vous êtes Américain ?
TRAMPLER : American, that's right !
ELLE : je le disais encore tout-à-l'heure à mon mari, l'Amérique, c'est un si joli petit pays !
TRAMPLER : Oh, pas si petit… Vous avez été déjà ?
LUI : Pas tout-à-fait… Mais, n'est-ce pas, on sait tout de même un peu… New York, Chicago… Manchester…
ELLE : On s'intéresse beaucoup, vous savez, à ce qui se passe dans le monde. Vous pensez, on est bien forcé, avec ces temps modernes.
LUI : Laisse donc parler Monsieur Trampler. Vous êtes alors venu ici pour écrire des articles ?
TRAMPLER : Yes. Partout je vais pour écrire des articles.
ELLE : Comme c'est intéressant ! Ah ! Si Liliane était là !
TRAMPLER : Lilian ?
ELLE : C'est notre fille. Oui, Monsieur… Elle lit beaucoup, vous savez. Surtout des journaux américains !
TRAMPLER : Interesting ! Medmeuzèll Lilian lit des american journaux ?
ELLE : Oh yes !
LUI : Et comment ! Chaque semaine elle achète le MATCH.
ELLE : Monsieur Trampler écrit peut-être aussi dans MATCH ?
TRAMPLER : No. That's not my business. Moi je travaille pour DAILY BROOKLIN NEWS INQUIRER AND STATESMAN.
ELLE : Tu entends Arthur ? Un titre comme çà ! Quel grand journal çà doit être !
LUI : Et à Brooklin, Babette… Gelle (40), Herr Trampler, Brooklin c'est pas loin de New York ?
TRAMPLER : Pas du tout loin !
ELLE : Alors vous pouvez voir les gratte-ciels ?
TRAMPLER : Gratte-ciel ? Oh oui, beaucoup gratte-ciel. Tellement qu'il n'y a pas assez de ciel pour le gratter.
ELLE : Tu entends Arthur ? Ah ! Si notre fille était là !
TRAMPLER : Oh oui, beaucoup de filles ! Nous avons beaucoup de filles. Pin-up girls, you know
LUI : Ja, ja, you know… Mais quelque chose d'autre (plus bas)… dites, Monsieur Trampler, il y a peut-être aussi des Israélites à New York ?
TRAMPLER : Israelit' ?... Oh ! you mean Jews ?... Of course, we have got a lot of Jews. Beaucoup ! Deux millions et demi de Juifs.
ELLE : Quoi ? Deux millions et demi de Juifs à New York ?
LUI : Crie pas comme çà fort, Babette. Es Anne-Marie bruscht ni ze wisse was derte alles los geht… (44)
ELLE : Mais c'est tout de même quelque chose. Deux millions et demi !
TRAMPLER : Peut-être même un peu plus…
LUI : Plus ?... Keen Wunder dass es derte so viel richess gibt ! (45)
TRAMPLER : Richesses ? Yes, we have got beaucoup, beaucoup de richesses. Dollars, you know…
ELLE : Dollars… Oh yes… Arthur, pass gut uf ! (46)

Le téléphone sonne.

LUI : Vous m'excusez un instant…
TRAMPLER : I don't care.
LUI : (après avoir décroché) Allo ?... Oui, le 67 43 52… Quoi Monsieur Allevard ?... Ah comme çà… (à Elle) On nous demande de Allevard…
Allo qui ?... Liliane – C'est la Liliane – Was machscht denn du in Allevard, Liliane ? (47)

Une bonne nouvelle, tu dis ? – Elle a une bonne nouvelle pour nous – Fiançailles ?... Was ??? (19) Qui ? Toi ? – Babette, Liliane s'est fiancée.
ELLE : Avec qui ? Demande, Arthur, Demande !
LUI : Maman demande avec qui tu t'es fiancée, Liliane… Avec un Schwitzer ?... Non ? Un Chilien ?... Non ?... Tzaj (31), Babette. Essaie une fois toi. Je ne comprends rien dans ce téléphone.

Elle prend l'appareil.
ELLE : Allo, Liliane, Mazel Tow (48)… Dis maintenant à ta mère avec qui tu t'est fiancée… Un Chilien ? Non, c'est pas çà ?... Un quoi ?
LUI : Tu vois, on ne comprend pas.
ELLE : Aimé ! Viens ici. essaie toi, tu as donc tellement d'éducation.

Aimé s'exécute
AIMÉ : Salut Liliane !... Alors, qui c'est ton gars ?... Ah ! un Chalia'h !
LUI : Un Chalia'h ? Qu'est-ce que c'est que çà ?
AIMÉ : S'il te plaît, Papa, attend un peu… Oui, Liliane. Bon, je leur dirai… Au revoir, Liliane… Au revoir !

Il raccroche
ELLE : Alors ?
AIMÉ : Tu sais Maman… Liliane n'a pas été à Davos.
LUI : Quoi ?
AIMÉ : Non, elle est à Allevard.
LUI : Çà on a aussi compris… Wo lejt denn dess Allevard ? (49)
AIMÉ : C'est quand même dans les Alpes, Papa.
ELLE : C'est pas moins cher, au moins ?
AIMÉ : C'est que… Elle n'est pas allée à l'hôtel.
LUI : Qu'est-ce que tu dis ?
AIMÉ : Ben non… Elle voulait pas vous le dire… mais elle est dans un camp.
ELLE : Un camp ?... Ma fille est en prison ??? Arthur…
AIMÉ : Mais non, Maman… C'est seulement un camp de la jeunesse sioniste.
LUI : Est-ce que j'ai bien écouté ?... Sioniste ?
TRAMPLER (se levant) : Madame Zweifuss, Monsieur… Vous me voulez excuser ?
ELLE : Excuser ?
TRAMPLER : Oui, I have to leave… Je dois maintenant quitter… Un rendez-vous, you know
ELLE : Cà c'est maintenant dommage…
LUI : Laisse-donc, Monsieur Trampler s'il est gepressiert (50). Au revoir, Monsieur, au revoir.

Il le pousse presque dehors.

TRAMPLER : Au revoir, au revoir Madam. See you later !

Il sort

LUI (poussant un gros soupir) : Cà vaut mieux qu'il est parti. Qu'est-ce qu'ils vont penser de nous en Amérique s'il leur raconte !... Aimé !
AIMÉ : Oui Papa…
LUI : Finis une fois cette histoire… Alors avec qui elle s'est maintenant fiancée, la Liliane ?
AIMÉ : Avec un chalia'h. Tu sais, un gars comme ils en envoient d'Israël pour enseigner le sionisme ici.
LUI : C'est donc vrai ?... Un sioniste ?
AIMÉ : Oui Papa…
LUI : Et par-dessus le marché un type de Palestine ?
AIMÉ : Oui Papa… Mais il paraît que c'est un brave type !

Elle, prostrée depuis quelques instants déjà, sanglote éperdument.

ELLE : Oh… Ma pauvre Liliane, ma pauvre Liliane…
AIMÉ : Pourquoi tu pleures, Maman ?
LUI : Tu es encore trop jeune pour comprendre, Aimé. Tu verras plus tard quand tu auras élevé une grande fille. Tu verras ce que tu diras si elle se marie avec un étranger !

rideau
8.3.1955 Pourim

page précédente

[Faites connaissance avec Noctuel] [Suivez le Yid] [Un repreneur pour la CIS] [Le Strasbourgeois gentilhomme]

Humour Accueil
© A . S . I . J . A .