ESTHER, SES FACES ET SES PHASES
par Barbara Weill


La reine Esther est troublante à bien des égards, et l'étude de son personnage soulève des questions difficiles à éluder :
- Pourquoi l'auteur du livre d'Esther a-t-il fait appel aux légendes des dieux babyloniens, Ishtar et Mardouk, qu'il a en quelque sorte "cachérisés" ?
- Pourquoi chante-t-on les mérites d'une jeune fille juive qui abandonne son peuple pour se donner à un roi idolâtre ?
- Pourquoi loue-t-on son tuteur, qui prostitue de cette manière sa pupille ?
- Pourquoi le livre se termine-t-il par l'extermination générale des habitants de Suse par les Juifs, menés par Esther et Mardochée, et par l'évocation de l'allégresse qui s'ensuit ?

Esther - Ishtar :


ISHTAR : relief rectangulaire en argile cuite, avec du pigment rouge et noir et du gypse blanc. La déesse porte des ailes et des serres à plumes effilées ; sa coiffe est composée de quatre paires de cornes surmontées d'un disque ; elle porte un collier élaboré et des bracelets à chaque poignet ; elle tient ses mains au niveau de ses épaules avec une tige et une bague dans chacune d'elles; elle est soutenue par une paire de lions adossés au-dessus d'une échelle représentant des montagnes ou des collines, et flanquée d'une paire de chouettes.
Babylone, 19ème-19ème s. a.C.n. - British Museum
L'auteur du Livre d'Esther n'a pas craint de donner à ses héros des noms empruntés à la mythologie babylonienne, comme s'il était évident pour les lecteurs de son époque que les Juifs exilés en Perse pouvaient s'identifier aux dieux locaux ! Le temps d'Esther et de Mordekhaï est donc celui où l'on combat le mal par la violence ; c'est le temps de Pourim ainsi que le livre d'Esther désigne la fête qui commémore cet épisode de l'histoire juive ; ce nom, qui signifie "sort, fortune, destinée" en assyrien, trahit des éléments étrangers dans la fête : l'élément historique (…), le moment du nouvel an où les Mésopotamiens célébraient les "sorts" qui fixaient le destin des peuples et des individus ; mais on y trouve aussi l'élément mythique, puisque le conflit entre Haman-Vachti et Mordekhaï-Esther rappelle la victoire de Mardouk et Ishtar, dieux babyloniens de la lumière, sur Ouman et Mashti, divinités élamites de l'obscurité" (A. Abécassis, la pensée juive t.3, p. 321).

L'identité d'Esther et d'Ishtar ne fait aucun doute : "Rabbi Yehouda dit : son vrai nom était Hadassa et pourquoi ce nom d'Esther ? C'est parce qu'elle avait caché (Sater) sa véritable situation, ainsi qu'il est dit : "Esther n'a pas fait connaître qui était son peuple etc." (Est. 2 :20). Rabbi Ne'hemya dit : son vrai nom était Hadassa, et pourquoi ce nom d'Esther ? C'est que les nations du monde l'appelaient ainsi en pensant à (la beauté éclatante) de la lune-Ishtar" (Meguilla 13a)

Mais Ishtar n'est pas seulement la déesse de la nuit, elle est aussi la déesse de l'amour : "Son silence sur son origine fit que quiconque venait la voir croyait qu'elle appartenait à son propre peuple, du fait que le nom Ishtar était donné à l'étoile Noga (Vénus) (…). Ayant gagné la faveur de tous, elle fut comblée de louanges par toutes les nations" (Meam Loez, Esther, p. 144).

Cette héroïne est donc doté d'une ambiguïté propre à bien des Juifs vivant en exil, et l'on pourrait dire qu'il s'agit de la première marrane : elle porte un nom différent pour les gens de son peuple et pour ceux de l'extérieur ; ceux-ci et ceux-là la considèrent comme une personne différente.

Qui est Ishtar ?

"Selon qu'on se réfère aux mythes sumériens ou akkadiens, elle prend les noms d'Ishtar ou d'Inanna, fille d'Anou et/ou de Sîn. On la confond avec l'Astarté des Phéniciens, l'Anat des Sémites, l'Héra syrienne ou l'Aphrodite, appelée elle-même tantôt Cybèle ou Atargatis. (…)
Mais il existe sur Ishtar suffisamment de textes aujourd'hui déchiffrés pour qu'on soit en mesure de comprendre le personnage, qu'on renonce à en faire une déesse "mère" mais qu'on la reconnaisse comme déesse de l'amour, de la volupté, de la liberté.
(…) Jean Bottéro dit très justement que "sa personnalité est devenue si exubérante et envahissante que presque toutes les anciennes déesses ont en fin de compte pâli et de sont pratiquement effacées devant elle. Son nom a fini par s'entendre comme a potiori, étant de la nature divine au féminin." (Joëlle de Gravelaine, La Déesse sauvage, p. 153).

Esther-Ishtar est donc l'incarnation de la féminité

Tout comme Ishtar, Esther est la Femme par excellence. Elle est l'une des quatre plus belles femmes du monde (Meguilla 15a ). De même, il existe quatre incarnations de la déesse Vénus. "Et Esther plaisait à tous ceux qui la voyaient" (Est. 2 :15). "Rabbi Elazar a dit : cela nous apprend que pour chacun de ceux qui la voyaient elle semblait appartenir à son propre peuple" (Meguilla 13a). Non seulement la beauté d'Esther est admirable, mais de plus, chacun trouve chez elle une résonance à laquelle il peut s'identifier. Incarnation de la déesse Ishtar, elle possède ce charme absolu qui lui permet de rayonner sur toute l'humanité.

Comme Vénus, elle agit en usant de sa puissance d'attraction. On pense ici au couple astrologique Vénus-Mars : Vénus représente la force réceptrice, opposée à Mars qui est la force active, émettrice . Esther, comme on l'a vu, est le symbole féminin par excellence, symbole du pouvoir d'attraction : elle est ce qui attire et non pas ce qui capture. En cela elle est l'opposée de Mardochée, qui lui, se tient à la porte, "à découvert" et qui fait usage du pouvoir d'attraction de sa cousine pour parvenir à son but. On peut donc parler ici d'un couple dynamique de forces active et passive qui s'équilibrent l'une l'autre.

Ce n'est pas par l'action qu'elle parvient à faire changer les positions du roi, mais par l'amour qu'elle lui inspire : "Le roi se prit d'amour pour Esther, plus que pour toutes les autres femmes" (Est.. 2 :17). Et il ne s'agit nullement d'amour platonique : "Et Esther fut conduite auprès du roi Assuérus, dans sa maison royale, le dixième mois qui est le mois de Tévet" (Est.. 2 :16). C'est un mois où l'on se réchauffe mutuellement. (...)
Rav a dit : voulait-il "goûter le goût" d'une jeune fille, il l'a goûté, le goût d'une femme mariée, il l'a goûté" ( Meguilla 13a).

Certes, les commentaires du Midrash abondent, affirmant qu'en réalité elle était fort laide, qu'elle était âgée de 75 ans et qu'une diablesse se substituait à elle dans la couche du roi. Mais tout ceci semble bien contradictoire avec ce qui est dit d'elle dans le livre, et avec d'autres commentaires, indiquant qu'elle aurait donné une descendance au roi. On notera qu'il n'existe aucune preuve historique de l'existence d'Esther et de Mardochée, et que tous les commentaires sont donc d'ordre purement spéculatif.

Ishtar est parfois identifiée à Séléné, la Lune ou déesse de la nuit. Et c'est aussi un aspect de la personnalité d'Esther que d'être parfois voilée, parfois éclairée, comme la lune qui croît et décroît au cours du mois. C'est vraisemblablement ce qu'avaient senti les maîtres du Talmud en l'identifiant à cette déesse.

Esther - Hadassah

Esther est littéralement "la cachée" (selon le sens littéral de ce nom en hébreu). Non seulement elle cache au roi le peuple dont elle est originaire, mais elle lui cache aussi son vrai nom, Hadassah (myrte). Et sous ce nom, on découvre un tout autre personnage. "Ben Azzaï dit : Esther n'était ni grande ni petite, mais de taille moyenne comme un myrte. Rabbi Yehochoua fils de Qor'ha dit : Esther avait un teint qui tirait sur le vert (comme une feuille de myrte), mais un "fil de grâce" s'étirait sur son visage" (Meguilla 13a).

Ce nom de Hadassah évoque le loulav que l'on agite pendant la fête de Soukoth et qui est composé de quatre espèces : le cédrat, la branche, de palmier, les branches de saule et les branches de myrte. D'après la Kabbala, ce sont les branches de myrte qui possèdent le statut le plus élevé dans l'ordre spirituel, sans doute à cause du parfum entêtant de ce végétal, mais surtout à cause de la forme de ses feuilles. Celui-ci, en effet, porte des feuilles triples en forme de la lettre Shîn , et symbolise donc les trois patriarches. Ceci nous permet de saisir la filiation d'Esther-Hadassah avec les plus grands ancêtres du peuple juif. Shîn est aussi la première lettre de Shadaï , l'un des noms de Dieu.

"Myrte" en hébreu se dit hadass, mais Esther reçoit une lettre supplémentaire : un qui symbolise le Nom divin, et elle est ainsi appelée Hadassah.
Lorsqu'Abram était devenu Abraham, la réception du lui avait permis d'engendrer Isaac : "Ton nom de s'énoncera plus, désormais, Abram : ton nom sera Abraham, car je te fais le père d'une multitude de nations" (Gen. 17 :5). Le que reçoit Hadass(ah) permet au peuple juif de vivre un réengendrement. Lorsqu'Abram avait reçu le , il était "sorti de son horoscope" (qui lui annonçait qu'il n'aurait pas d'enfants), donc du déterminisme, et il avait commencé l'histoire de l'humanité (qui comporte la dimension de la liberté). Lorsqu' Hadass devient Hadassa, elle peut ainsi annuler le sort (le pour) aveugle, ce qui permet au cours de l'histoire de prendre un nouveau départ.

"Le temps de la Torah est celui de la révélation ; le temps de Pourim, temps du judaïsme, est celui de l'occultation. Toutes les fêtes d'Israël sont des fêtes de la manifestation divine éclatante, sauf celle de Pourim, fête de l'exil par excellence d'un nouveau temps historique marqué par l'absence. YHWH se cache désormais ; il existe mais on ne le voit plus, on ne l'entend plus" (A. Abécassis, la pensée juive t.3, p. 321).


"Esther répondit : L'oppresseur, l'ennemi c'est Haman, ce méchant-là" (Est.. 7:6) - extrait de La Bible illustrée par Gustave Doré (détail).

"Puis la reine Esther, fille d'Avihaïl écrivit, avec Mardochée le Juif , usant de toute leur autorité pour donner force de loi à cette seconde missive de Pourim" (Est. 9 :29). On lit dans le Traité Yoma (29a) : le tav de vatikhov ("elle écrivit") est la dernière lettre de l'alphabet, ce qui signifie que l'histoire d'Esther met fin à tous les miracles qui sont présentés dans la Bible.

"Sept prophétesses. Qui sont-elles ? Sarah, Myriam, Débora, ‘Hanna, Abigaïl, ‘Houlda et Esther (…) Quant à Esther, c'est qu'il est écrit : «et ce fut le troisième jour, Esther a été revêtue de royauté" (Est.. 5 :1). Il fallait dire : de vêtements de royauté ! Mais (cela veut dire) elle a été "revêtue" de l'esprit de sainteté. (En effet) il est écrit ici "elle a été revêtue", et un autre texte : "et l'esprit a revêtu Amassia" (1Chr. 12 :18)" (Meguilla 14a-14b).

L'histoire de la prophétesse Esther termine l'époque de la prophétie et marque le début de l'histoire purement humaine du peuple juif. Ce n'est pas un hasard si le dernier prophète de la Bible est justement une prophétesse.. :

Il existe aussi une similitude entre le personnage d'Esther et celui de Saraï (qui reçoit elle aussi un modifiant son nom) : "en effet lorsque Abram fut arrivé en Egypte, les Egyptiens remarquèrent que cette femme était extrêmement belle ; puis les officiers de Pharaon la virent et la vantèrent à Pharaon ; et cette femme fut enlevée pour le palais de Pharaon" (Gen. 12-14:15). Toutefois Sara ne reste pas dans la demeure de Pharaon parce que l'Histoire ne fait que commencer, tandis qu'Esther reste dans la maison du roi parce que l'Histoire (de la prophétie) prend fin.

Esther et Joseph

Il existe donc une contradiction apparente entre les deux faces de la reine : Esther la mystérieuse séductrice, et la Hadassah la prophétesse d'Israël. Pour tenter de concilier ces deux aspects, nous aurons recours à une autre analogie : celle d'Esther et de Joseph.

Gabriel Cohn, dans son article Iyounim beMeguilath Esther, montre qu'il existe une grande similitude entre l'histoire de Joseph et le Livre d'Esther, aussi bien du point de vue linguistique que de celui du contenu. De nombreuses expressions et suites de mots, qui n'apparaissent pratiquement pas dans d'autres livres de la Bible, reviennent dans ces deux textes. De plus, la biographie de Joseph, d'une part, et celle d'Esther et Mardochée, d'autre part, sont étonnamment semblables.

Similitude linguistique :
Les exemples sont nombreux, nous n'en citerons que quelques-uns :

L'évocation de la beauté :
"Or, Joseph était beau de taille et beau de visage" (Gen. 39:6)
"cette jeune fille était belle de taille et belle de visage" (Est. 2:7)
L'évocation de l’amour :
"Or, Israël aimait Joseph plus que ses autres enfants" (Gen. 37:3)
"Le roi aima Esther plus que toutes les autres femmes" (Est. 2:17)
Le choix de la nouvelle reine :
"Que Pharaon ordonne d'établir des commissaires dans le pays (…) Qu'on amasse toute la nourriture de ces années fertiles (…) Ce discours plut à Pharaon…" (Gen.41:34-37)
"Que le roi institue des fonctionnaires dans toutes les provinces de son royaume, chargés de rassembler toutes les jeunes filles vierges, d'une belle apparence (…) Ce discours plut au roi…" (Est. 2: 3-4)

Analogie du contenu :

Il existe beaucoup d'autres exemples de cette similitude, mais on n'a relevé ici que ceux qui touchent au personnage d'Esther.

Joseph lui aussi est un prince parmi les nations, qui ne se contentera pas d'assurer le salut du peuple juif, mais règnera sur l'Egypte tout entière. Comme Esther, il est perçu très différemment par les gens de son propre peuple et les membres du peuple qu'il gouverne.

Esther, figure messianique :

Cette filiation spirituelle entre Joseph et Esther nous conduit à penser que celle-ci est un avatar, une nouvelle manifestation de Joseph dans le monde.

"La Kabbala différencie entre le messie fils de Joseph qui est souvent sur terre, et le fils de David, le vainqueur. (…) Ce messie est plus ou moins caché comme les 36 justes et souvent persécuté, tandis que le ben David doit réaliser les promesses.
Il est dit que le messie fils de Joseph, homme des douleurs, juste de la génération, est toujours sur terre. Lorsqu'on parle de la venue du messie on entend donc seulement par-là sa manifestation, car habituellement, à l'exception de figures telles que Rabbi Akiba, Shlomo Molho et Shlomo de Karlin, le ben Joseph reste caché. La grande distinction entre lui et le ben David concerne la victoire. Le ben Joseph n'a que des victoires éphémères; ce sujet a été développé par le prophète Isaïe. Un ancien texte dit : "si vous en êtes dignes, c'est le ben David qui viendra". Cela signifie que la manifestation messianique sera durable et victorieuse.» (Pascal Thémanlys : A l'approche du grand matin p.120).

On reconnaît chez Esther les caractères traditionnels du Messie ben Joseph : elle ne vit pas sur la terre d'Israël mais dans les nations (le ben Joseph a pour tâche de rédimer les nations) ; elle connaît la souffrance (elle est arrachée à son peuple et à sa famille) ; elle surgit dans l'histoire à un moment où le peuple juif est en danger ; elle est cachée.

En tant que manifestation du ben Joseph, la tâche d'Esther consiste seulement à préparer la venue du ben David . Elle reçoit "jusqu'à la moitié du royaume" (Est. 5 :3). Traité Meguilla (16b) : elle ne reçoit pas la partie du royaume qui pourrait menacer la stabilité de ce même royaume ; autrement dit, elle ne peut pas reconstruire le Temple.

La mission d'Esther lui est imposée : "car si tu persistes à garder le silence à l'heure où nous sommes, la délivrance et le salut surgiront pour les Juifs d'autre part, tandis que toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si ce n'est pas pour une conjoncture pareille que tu es parvenue à la royauté ?" (Est. 4:14). Autrement dit, les Juifs seront sauvés dans tous les cas, mais le fait qu'ils soient précisément sauvés par Esther revêt une importance particulière. Peut-être est-ce la condition nécessaire pour la reconstruction du Temple (qui est "la maison de ton Père" : d'après le Midrash, Esther engendrera Darius qui permettra aux Juifs de le reconstruire.

Alors que le Messie ben David est issu de Ruth, une femme non-juive qui rejoint le peuple juif, le Messie ben Joseph s'incarne ici dans une femme juive qui rejoint les non-juifs et combat parmi eux pour les Juifs. Mais l'existence d'Esther est une condition nécessaire pour l'arrivée future du Messie ben David

Hadassa réussit à empêcher l'extermination du peuple juif, et le mène au point où il termine son rôle dans l'exil et où il est prêt à revenir dans son pays et à reconstruire le Temple. L'exil est terminé car il est vainqueur dans tous les domaines : "Cependant Mardochée sortit de chez le roi en costume royal, bleu d'azur, avec une grande couronne d'or et un manteau de byssus et de pourpre, et la ville de Suse fut dans la jubilation et dans la joie. Pour les Juifs, ce n'étaient que joie rayonnante, contentement, allégresse et marques d'honneurs. Dans chaque province, dans chaque ville, partout où parvinrent l'ordre du roi et son édit, il y avait pour les Juifs joie et allégresse, festins et jour de fête.» (Est. 8 :15-17). Les vêtements de Mardochée rappellent ceux d'Aaron et les ornements du Temple. La situation des Juifs en exil ne peut pas être meilleure, et c'est pourquoi l'histoire doit prendre fin (par une assimilation générale), ou alors recommencer (par le retour à Sion).

L'importance d'Esther émane de l'importance de la Meguilla (le rouleau d'Esher) : "Du point de vue rituel, le livre d'Esther est le seul texte lu à la synagogues selon les mêmes lois que le Pentateuque : sur parchemin et avec les bénédictions antérieures et postérieures" (A. Abécassis, la pensée juive t.3, p. 321). D'après le Midrash, à la fin des temps, toutes les fêtes juives seront abolies en dehors de Pourim et de Yom Hakipourim, qui est un jour "Ke-Pourim" (comme Pourim) : Pourim est le jour du repentir pour l'humanité tout entière.
Il est écrit : "Un grand nombre parmi les gens du pays se firent juifs, tant la crainte des Juifs s'était emparée d'eux" (Est. 8 :17). Ce qu'on peut rapprocher de la vision de Zacharie : "Et quiconque aura survécu, parmi tous les peuples qui seront venus contre Jérusalem, devra s'y rendre chaque année pour se prosterner devant le Roi, l'Eternel-Cebaoth, et pour célébrer la fête des tentes" (Zac. 14 :16 ).

Le voilement ("Esther")

On a déjà mentionné qu'Esther est qualifiée de prophétesse, ce qui n'est pas le cas de Mardochée. De même, le livre porte son nom et pas celui de son tuteur. Il semble donc que le personnage d'Esther prenne le pas sur le celui de Mardochée, autrement dit que ce qui est caché soit plus important que ce qui est manifeste.

Ce nom de Esther ( "le voilement, ce qui est caché") la met en relation avec les 36 justes cachés sur lesquels repose le monde. Bien qu'elle soit cachée au fond du palais, où, de plus, elle cache sa véritable identité), c'est sur elle que repose la délivrance. Il existe ici une prise de voilement, où ce qui est voilé voile encore autre chose, jusqu'au point ultime où se trouve le secret le plus profond.

On pense ici aux tentures qui voilaient le Tabernacle dans le désert (Ex. ch. 26), et qui sont décrites comme des éléments féminins de la construction. Par exemple, le verset 3 du chapitre se lit littéralement : "Cinq tentures seront attachées, l'une à l'autre, chaque femme avec sa soeur".

Ce qui est caché c'est la dimension de l'intériorité dans l'expérience humaine, qui est identifié avec la dimension de la féminité. Grâce à Esther (fille, ou du moins descendante, du roi Saül), le peuple juif revient à son intériorité : il retourne à sa foi pendant les trois jours du jeûne et c'est ce qui le sauve. "Tout l'honneur de la fille du roi est dans son intérieur" (Ps. 45 :14) D'après les commentaires du Zohar et du Midrash, "intérieur" désigne ici le Saint des Saints. La prise de conscience de l'intériorité est indispensable pour pénétrer dans le Saint des Saints, qui est le lieu de l'intériorité absolue.

Ceci ajoute une dimension supplémentaire au personnage du Messie ben-Joseph : la dimension de la féminité. Les femmes ont été l'objet de persécutions et d'exploitation dans l'histoire, et constituent en cela une image emblématique du ben-Joseph. Les menaces de destructions sont produites par un excès d'activité et d'extériorité (de virilité), et qu'on y échappe en rétablissant une présence de la réceptivité et de l'intériorité (féminité).

Lorsqu'Esther renonce à son voilement pour paraître en pleine lumière, elle cesse d'être Hadassah pour redevenir la féroce Ishtar :

Ishtar l'extravagante
S'entend à terrasser !
sa fête, c'est guerroyer,
D'entrechoquer les combattants
Son enthousiasme à batailler
Révèlent sa vraie nature ! (Epopée de Gilgamesh)
Et c'est alors qu'a lieu ce massacre de la population de Suse, qui conclut le livre. "...Il y a une grande supériorité de Kipourim sur Pourim, car la faute y est pardonnée et dépassée ; le mal est transcendé par le repentir général ; le pardon y est accordé par Dieu et toute la création rentre dans l'ordre du bien triomphant constamment du mal par la seule force de la prière et de l'esprit. Tandis que Pourim laisse un goût amer malgré tout, même si, par légitime défense, les Juifs de Suse sont fondés à tuer. C'est un échec relatif des relations entre Israël et les nations puisque le mal et la méchanceté (Haman et ses complices) sont supprimés par la force physique" (A. Abécassis, la pensée juive t.3, p. 331-332).

Alors... Esther est-elle une déesse cananéenne "cachérisée", ou bien une prophétesse d'Israël qui préfigure l'arrivée du Messie ? C'est avant tout un archétype, une image de la féminité triomphante, qui propose une autre voie pour vaincre le mal.
Elle est à la fois une grande figure de la pensée juive comme de la pensée universelle, comme en témoignent les nombreuses œuvres d'art qui lui ont été consacrées.
Un grand kabbaliste, le Rabbi de Komarno nous dit : "Esther est la jumelle de Moïse et elle se trouve au même degré que lui".
Le monothéisme a privé le peuple juif de ses déesses. Peut-être peut-il s'en consoler avec ses prophétesses ?

Bibliographie


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