La Reine Esther et Joseph le Juste
par le Dr. Gabriel COHN
Extrait de Iyounim beMeguilath Esther, publié par le Ministère de l'Education et de la Culture, Section de l'Education religieuse, Jérusalem.
Cet article a été reproduit avec l'aimable autorisation de son auteur.


Il existe une grande similitude entre l'histoire de Joseph et le Livre d'Esther, aussi bien du point de vue linguistique que de celui du contenu. De nombreuses expressions et suites de mots, qui n'apparaissent pratiquement pas dans d'autres livres de la Bible, reviennent dans ces deux textes. De plus, la biographie de Joseph, d'une part, et celle d'Esther et Mardochée, d'autre part, sont étonnamment semblables.
Un tel parallélisme n'est pas rare dans la Bible. On trouve souvent une analogie entre un texte et un autre, ce qui permet de souligner la similitude de contenu évidente entre deux épisodes.
Le Midrash commente largement ces similitudes, et les chercheurs les ont redécouvertes à notre époque. Les différents commentateurs avancent diverses interprétations de ces analogies, qui constituent, sans aucun doute, une source majeure pour la compréhension du texte biblique.
L'analogie extraordinaire entre l'histoire de Joseph et le Livre d'Esther illustre l'expression selon laquelle "les actes des pères sont des enseignements pour les fils".
Nous commencerons par étudier l'identité linguistique entre les deux récits, pour évoquer, ensuite, celle du contenu.

A. Similiture linguistique

Les rédacteurs du Midrash ont déjà souligné l'identité linguistique évidente entre les deux textes, et en ont présenté de nombreux exemples. Nous nous contenterons d'en citer un : "Rabbi Yohanan a dit au nom de R. Binyamin bar Levi : leurs épreuves et leur grandeur sont identiques à celles des fils de Rachel, car il est écrit : "Quoiqu'elle en parlât chaque jour à Joseph, il ne l'écoutait pas" (Gn. 39:10) ;
et ici il est écrit : "Comme ils lui faisaient cette observation jour après jour sans qu'il les écoutât..." (Est. 3:4).
Leur grandeur est identique, car il est écrit : "Et Pharaon ôta son anneau de sa main et le passa à celle de Joseph ; il le fit habiller de byssus (...) Il le fit monter sur son second char, on cria devant lui 'Avrekh !' (à genoux !)" (Gn. 41:43) ;
et ici il est écrit :
"Le roi ôta son anneau qu'il avait fait enlever à Aman et le remit à Mardochée" (Est. 8:2). "Il le fit monter sur un cheval (...) en s'écriant devant lui : "voilà ce qui se fait pour l'homme que le roi veut honorer !" (Est 6:12). (D'après Esther Raba, Parasha 7, 8 et autres).

Le Midrash place toujours au centre de ses débats la similitude linguistique entre deux textes. En effet, il est souvent possible de trouver une analogie de contenu entre deux récits, mais ce n'est que si l'on décèle une similitude linguistique évidente entre les deux textes que l'on peut conclure que l'analogie du contenu est présentée intentionnellement. Bien entendu, seule une ressemblance entre des expressions rares et des suites entières de mots peut servir de preuve au fait qu'il existe une signification réelle à ce parallélisme.
On trouve, par exemple, de nombreuses évocations temporelles entre les deux récits : - "Après ces choses-là" : Genèse 40:1 et Esther 2:1
- "Et ce fut le troisième jour " : Genèse 40:20 et Esther 5:1

On retrouve dans les deux textes (celui de la Genèse et celui d'Esther), la situation où un personnage s'adresse à un interlocuteur sans être écouté par celui-ci, et dans les deux cas, l'interlocuteur doit résister à une tentation (voir ci-dessus, le texte du Midrash). Le Midrash souligne cette similitude, qui n'apparaît nulle part ailleurs en ces termes dans la Bible. D'autre part, le Midrash évoque la répétition de nombreux détails de la transmission de la "royauté" au second du roi.

Il existe encore d'autres expressions rares, qui n'apparaissent que dans ces deux récits :

Par ailleurs, les versets évoquant le choix de la nouvelle reine sont rédigés dans la langue du Livre de la Genèse. En utilisant cette langue, la Meguila (le Livre d'Esther) réussit à exprimer ironiquement et de façon impérative son mépris pour Assuérus et ses courtisans.
Le rédacteur de la Meguila exprime sa réprobation de la façon dont est choisie l'épouse du roi, et il rédige les propos de courtisans dans une langue et dans un style qui nous rappellent la récolte des grains en Egypte au temps de Joseph : "(...) "qu'on établisse des fonctionnaires dans tout le pays" (...) qu'on rassemble toute la nourriture de ces bonnes années (...) Ce discours plut à Pharaon" (Genèse 41:34-37)
"(...) que le roi établisse des fonctionnaires dans toutes les provinces de son royaume, chargés de rassembler toutes les jeunes filles vierges de bonne apparence (...) Ce discours plut au roi" (Est 2:3-4).
Ainsi on a pour les femmes la même relation qu'aux objets. De même que l'homme a besoin de nourriture, de préférence gastronomique, de même la relation aux femmes est utilitaire : il en a besoin, et il est préférable qu'elles soient belles et qu'elles satisfassent ses désirs.

Le parallélisme linguistique entre les deux récits est donc évident, et il semble qu'il a pour but de mettre en valeur l'idée centrale qui les unifie : Dieu protège son peuple Israël, et vient à son secours, même lorsque celui-ci se trouve en exil, loin de Canaan.

B. L'analogie du contenu

Quelles similitudes peut-on déceler entre l'histoire de Joseph et celle d'Esther ?

La révélation de la Providence

Nous avons vu que les deux récits sont semblables du point de vue de la ligne générale des événements, ainsi que du point de vue de certains épisodes dans la chaîne de l'histoire. Mais l'essentiel est, que dans les deux textes se révèle l'intervention divine, qui dirige l'histoire de son peuple Israël. La Providence ne se révèle pas par un miracle, mais de façon naturelle. Les deux héros, Joseph et Esther, agissent comme émissaires du Saint béni soit-Il.

A propos de Joseph, il est dit explicitement : "Non, ce n'est pas vous qui m'avez fait venir ici, c'est Dieu"(Gn. 45:8). Et dans le Livre d'Esther : (Gn 45:8). Mardochée dit à sa cousine :"Et qui sait si ce n'est pas pour une conjoncture pareille que tu es parvenue à la royauté ?" (Est 4:1).

En effet, les deux récits ont pour sens la révélation de la Providence divine.


Traditions Pourim Accueil
Judaisme alsacien
© : A . S . I . J . A.