La Journée des Souvenirs de Durmenach
Dimanche 8 novembre 2009
un reportage de David Daniel GERSON



Le Foyer Saint Georges situé dans l'ancienne synagogue - © D. Gerson


la messe pour la Paix ouvre les cérémonies - © D. Gerson


Pose de la stèle du souvenir - © D. Gerson


Le texte de la plaque - © D. Gerson


Cérémonie au monument aux Morts. Mme Blum porte la menora
- © D. Gerson


Le monument aux Morts - © D. Gerson


Visite au cimetière - © D. Gerson

Comme le résumait avec émotion, les yeux embués de larmes et la gorge serrée, un de mes amis, ayant vécu autrefois dans le Sundgau, assurément ce fut un évènement unique que cette Journée des Souvenirs du dimanche 8 novembre organisée avec brio par le maire de Durmenach, M. Dominique Springinsfeld, sa première adjointe Madame Sabine Drexler-Lacotte, l'ensemble du conseil municipal et une centaine de bénévoles.

Un évènement exceptionnel et haut en couleurs qui donnera sans doute du regret à tous ceux qui en ont entendu parler depuis, mais n'ont pu y participer.

Durmenach, ce beau village situé entre Altkirch et Ferrette, tout proche de la Suisse, occupe en effet dans l'histoire du judaïsme d'Alsace et disons-le du judaïsme français tout court, une place à part. Non pas, pour posséder comme parfois ailleurs, une synagogue classée monument historique ou ayant été préservée grâce à son architecture remarquable. Non, massive et vaste, la synagogue de Durmenach n'avait rien de particulier et depuis sa création en 1803, elle fut détruite et reconstruite à plusieurs reprises. Et, le coup de grâce lui a été donné par les nazis. La raison de la notoriété de cette kehila (communauté), c'est d'être le seul endroit en France, où s'est déroulé en 1848 un véritable pogromeconnu sous le nom de "Judenrupel.de Durmenach". Certes, pas de massacre comme ceux qui ont hélas jalonné au 19ème siècle l'histoire du judaïsme de l'Est de l'Europe (Russie, Ukraine, Pologne, Roumanie, etc…) mais une sorte de Kristalnacht sans victimes avec maisons pillées et détruites, magasins mis à sac , familles juives chassées ou terrées chez quelques amis chrétiens, ou encore parties en hâte avec un simple baluchon se réfugier en Suisse. Les émeutes anti-juives de 1848 ont certes touché toute la région, mais elles ont été particulièrement violentes dans ce village, pour être passées à la postérité. Déjà en 1789, les Juifs ont été pris à parti par la population paysanne dans toute l'Alsace mais singulièrement dans cette région du sud.

Particularité de ce village, sorte de "shtetl" sans l'être vraiment, les Juifs y ont été longtemps majoritaires, et la commune a même eu un maire juif Aron Meyer de 1840 à 1851 et un conseiller municipal Benjamin Lang pendant 35 ans. Comme partout dans l'Alsace rurale, essentiellement petits colporteurs, marchands de grains et de bestiaux, parfois prêteurs d'argent, les juifs de Durmenach ont joué un rôle économique très important dans toute la région, malgré le poison de l'obscurantisme et son corollaire, l'antisémitisme. Ce dernier, outre son héritage médiéval et religieux ("l'enseignement du mépris") étant alimenté par l'inévitable jalousie suscitée par le poids économique acquis au fil des ans, en dépit de toutes les difficultés, par la communauté juive.

A la veille de le seconde guerre mondiale et de la Shoah , Durmenach était devenu un gros bourg commerçant avec magasins proposant toutes sortes de produits nécessaires aux agriculteurs, des restaurants et même des hôtels. Un village, qui avec son marché hebdomadaire rayonnait sur tout le Sundgau, comme on a pu le voir grâce à une remarquable exposition de cartes postales et autres documents anciens réunis par M.Bernard Mislin. Exposition qui deviendra itinérante, et a fait l'objet d'un livre Durmenach se souvient paru aux éditions Plume d'Expression (1).

Un certain nombre de juifs ayant des racines dans ce village et dispersés non seulement dans l'Hexagone mais aux quatre coins du monde avaient demandé depuis des années, l'apposition d'une plaque sur l'ancienne synagogue devenue Foyer Saint Georges, foyer au demeurant inauguré – ironie de l'histoire - par le descendant d'un grand rabbin de Neuilly-sur-Seine, un certain… Michel Debré.

Pendant la guerre, cette synagogue était devenue un entrepôt de masques à gaz. Pillée de fond en comble, profanée et très détériorée, elle fut vendue en 1953 par le Consistoire du Haut Rhin, alors qu'il y avait encore une poignée de juifs dans le village(le dernier est décédé dans la commune en 1992), et même un 'hazan, le très populaire et dévoué Victor Dreyfus, qui jusqu'à son dernier souffle officia dans une pièce de sa modeste maison transformée en "shoule". Beaucoup d'habitants non juifs du village se souviennent encore aujourd'hui avec émotion de lui, comme de son épouse la dévouée Germaine et leur fille Arlette, professeur de mathématiques au lycée d'Altkirch, arrachée tragiquement à la vie à l'âge de 34 ans.

Détruit par le feu en 1983, le Foyer Saint Georges fut reconstruit mais garde encore des traces de l'ancienne synagogue sur le linteau d'une de ses entrées.

Cette journée des Souvenirs coïncidant avec le 91ème anniversaire de l'armistice du 11 novembre 1918, et le 65ème anniversaire de la libération du Sundgau en 1944 a voulu rendre hommage sous le signe de la fraternité et de la transmission de la Mémoire aux jeunes générations, à toutes les victimes durmenachoises des deux grandes guerres. Avec une place particulière aux victimes de la Déportation et de la Shoah, juifs et tsiganes, partie intégrante de l'histoire de ce village atypique

La commémoration a débuté par une messe pour la Paix dans le monde célébrée dans une église archi-comble et brillant de tous ses feux, par le Père François Lichtle, le chef surmonté de sa barrette à l'ancienne, et en tenue traditionaliste. Puis, ce dernier entouré des enfants de chœur en aube rouge et blanche, du bedeau très solennel avec son bicorne et sa canne, a pris place dans l'imposant cortège composé de militaires, pompiers aux casques étincelants, gendarmes en grands uniformes, et d'une quarantaine de porte-drapeaux, édiles et personnalités pour se rendre devant l'ancienne synagogue.

C'est là qu'a été dévoilée la Stèle du Souvenir juif: une plaque commémorative scellée sur un bloc de granit qui retrace les grandes lignes de la présence juive à Durmenach depuis le 15ème siècle. Le texte ( voir photo) ayant été lu par Me Ivan Geismar, président du Consistoire du Haut Rhin en présence du nouveau grand rabbin du Haut Rhin, M. Fhima, et de l'ensemble des rabbins et personnalités juives du département, des responsables de l'Association de Généalogie Juive GENAMI et de la SHIAL ( Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine). Le rabbin de Saint-Louis, M.Breisacher expliqua l'importance de cette cérémonie pour les descendants des familles juives de Durmenach et du Sundgau, insistant sur son caractère pédagogique.

Le cortège s'est rendu ensuite au Monument aux morts, où ont été dévoilées deux stèles sur lesquelles figurent les noms, âges et lieux de décès des 27 victimes de 1914-1918, des 23 victimes de 1939-1945 (parmi elles quelques juifs de Durmenach tombés également au cours des deux guerres), enfin les 17 victimes juives de la Shoah, capturées par les nazis et leurs complices sur leur lieu d'exil, sans oublier deux enfants tsiganes.

Pour chacune de ces victimes, avec lecture des noms, âge et lieu de leur mort, un lumignon a été déposé par un de leurs descendants ou proches devant le monument aux Morts, qui comme souvent en Alsace - du fait de l'histoire tourmentée de la province - porte une inscription en français et une autre en allemand. Madame Eliane Picard de Dannemarie, chevalier de la Légion d'honneur, qui fut elle-même déportée et perdit ses parents pendant la Shoah rendit un hommage émouvant à toutes les victimes de la Shoah en allumant six bougies de la Menora rapportée de Jérusalem spécialement pour l'occasion par Gilles Bernheim, grand rabbin de France, malheureusement empêché par un fâcheux contretemps d'assister à cette mémorable célébration fraternelle et œcuménique.

L'émouvante cérémonie en plein air et dans le froid se termina par des prières dites par le prêtre catholique, l'aumônier des gens du voyage (qui insista avec force sur la nécessité de reconnaissance par le gouvernement du martyre du peuple tsigane en France occupée comme cela a été fait - et ce bien tardivement - pour les juifs par le Président Jacques Chirac). Ce fut enfin le Kaddish prononcé par le grand rabbin du Haut Rhin, qui vint rappeler le nécessaire devoir de Mémoire et de transmission aux futures générations. Point d'orgue: une Marseillaise entonnée à pleins poumons par l'ensemble des participants, accompagnée par la musique militaire et une chorale au milieu d'une forêt de drapeaux tricolores, et bien entendu des alsaciennes et alsaciens en costume traditionnel.

Puis au Foyer Communal Saint Georges, dans les murs de l'ancienne synagogue, recouverts de panneaux retraçant les grandes heures de la communauté juive, qui fut siège d'un rabbinat de 1802 à 1910 (Seligmann Salomon Levy, rabbin de Durmenach fut membre du Grand Sanhédrin convoqué par Napoléon I er ) et posséda sa propre école, tout le monde se retrouva pour un sympathique vin d'honneur. Et là aussi on put observer des scènes de fraternité judéo-chrétiennes dans la lignée des romans d'Erckmann-Chatrian, en particulier l'Ami Fritz, avec rabbins et prêtres se congratulant mutuellement .On notera d'ailleurs avec intérêt que le curé de Durmenach et le rabbin de Saint-Louis mènent de concert une activité pédagogique pour une meilleure connaissance réciproque entre juifs et chrétiens dans les écoles du Sundgau .Et comment ne pas mentionner ces retrouvailles chaleureuses entre originaires du village évoquant avec nostalgie les personnes aujourd'hui disparues, qui n'auraient pas seulement oser imaginer une cérémonie aussi grandiose dans leur petit village ?

Ce fut enfin un grand banquet républicain et kasher très réussi avec bouillon de matzenknepfel et choucroute (une première en Alsace) qui a réuni dans la convivialité plusieurs centaines de convives dans une salle de la commune toute voisine, de Roppentzwiller, avec animation musicale tsigane.

En fin de cette mémorable journée, sous la conduite de Jean Daltroff, historien du judaïsme d'Alsace et de Lorraine et de Mme Micheline Gutmann, Présidente de Genami, la leçon d'histoire pour les uns, de recueillement pour les autres se poursuivit parmi les quelques 250 pierres tombales parfois vieilles de plusieurs siècles du très émouvant cimetière juif, situé sur les hauteurs du village en bordure d'une forêt aux chatoyantes couleurs d'automne. Là reposent tous ceux qui avaient fait de Durmenach "la petite Jérusalem du Sundgau", parmi eux les ancêtres de nombreuses personnalités comme François Jacob, Prix Nobel de Medecine, le poète Nathan Katz originaire du Sundgau ( mais qui se convertit) le célèbre anthropologue Claude Levi-Strauss, qui vient de disparaître. La dernière inhumation d'une personnalité connue étant celle de M. Georges Meyer, qui fut PDG des Galeries Lafayette.

Sans doute, le cimetière avec ses tombes souvent brisées, abandonnées au lierre et aux herbes folles avec ses inscriptions en français ou en allemand, et bien entendu toujours en hébreu, n'avait-il jamais reçu autant de visiteurs à la fois. Dans cet hommage des vivants à ceux qui ne sont plus, alors que l'ondée faisait éclore des centaines de parapluie et que la nuit approchait, il y avait quelque chose d'assez irréel comme dans une nouvelle d'Isaac Bashevis Singer. Belle apothéose à cette journée vraiment particulière.

  1. Renseignements au Editions Plume d'Expression 3c rue du 27 Novembreà Balschwiller 68210 : tel 03 89 25 29 72, ou en suivant ce lien :
    http://www.genami.org/pays-de-vos-origines/Alsace/Durmenach/Durmenach_se_souvient.pdf        Retour au texte
Le cortège en marche vers le monument aux Morts

La Journée des Souvenirs de Durmenach
extrait de YONACOMM, bulletin de la Communauté Israélite de Colmar, janvier 2010

Le 8 novembre dernier a eu lieu à Durmenach, un évènement exceptionnel organisé par le Maire Mr. Dominique Springinsfeld, assisté de ses adjoints et de son conseil municipal.

Les communautés chrétiennes et juives, ainsi que celle des gens du voyage, se sont retrouvées dans cette jolie petite ville du Sundgau dont la majorité des habitants étaient juifs dans la première moitié du 19ème siècle. En 1848, année du "Judenrumpel", véritable pogrome local, les émeutes anti-juive les obligèrent à fuir ; la plus grande partie se réfugia en Suisse.

Après une messe "Pour la Paix dans le Monde", une plaque commémorative scellée sur un bloc de granit, est dévoilée. Placée devant ce qui fut la synagogue, bâtie en 1803 et après beaucoup de vicissitudes détruite par les nazis. Elle est intitulée "En souvenir de l'importante communauté juive installée à Durmenach depuis le 15ème siècle".

Une Menora, ramenée d'Israël par Mr. Gilles Bernheim, grand rabbin de France, a été posée sur la stèle. Mme Eliane Picard, ancienne déportée ayant perdu ses parents dans la Shoah, en a allumé les bougies.

Devant le monument aux Morts deux plaques nominatives de victimes des deux guerres, dont l'une dédiée aux victimes de la Shoah, ont été inaugurées. Ces plaques comportent le nom, l'âge et le lieu de décès de chacun et ont été lus solennellement alors que pour chacun un lumignon fut posé sur le monument.

Différentes allocutions ont été prononcées par les personnalités présentes pour retracer l'histoire du judaïsme à Durmenach, et le Kaddish a été récité par le grand rabbin Claude Yaacov Fhima.

Le recueillement, les serrements de coeur, les larmes de cette foule animée par une même émotion ont atténué le froid qui régnait lors de ces cérémonies en plein air. Elles furent clôturées par un banquet républicain cacher.

Les personnalités présentes étaient Mr. Alain Charrier sous-préfet d'Altkirch, Mr. Jean-Luc Reitzer, maire d'Altkirch et député du Haut-Rhin, Mr. Dominique Springinsfeld, maire de Durmenach, Mr. Ivan Geismar, président du Consistoire, Monsieur Claude Yacov Fhima, grand rabbin du Haut-Rhin.

Merci et bravo Monsieur Springinsfeld pour ce magnifique et rarissime hommage. Nous espérons que vous servirez d'exemple à beaucoup d'autres communes qui ont un passé juif important et qu'il serait important de ramener à la lumière.

La rédaction

Lire aussi le compte-rendu de la Journée sur le site de GENAMI


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