Les Rouleaux de la Torah des Juifs d'Algérie
dans les synagogues de Strasbourg


Des Sifrei Torah d'Algérie à Strasbourg
extrait du Bulletin de nos Communautés, 1962

De g: à dr. : André Neher, Abraham Deutsch, Armand Abecassis, David Elbaz,
Max Warschawski, Albert Hazan

Dans leur exode brutal, nos frères d'Algérie ont perdu non seulement un paysage familier, une manière de vivre, qui les avait profondément marqués, mais ils ont aussi quitté la Synagogue où ils avaient l'habitude de prier dans leur "quatre coudées", où ils rencontraient un visage, un regard fraternels.

Certains d'entre eux ne purent emmener que quelques objets rassemblés à la hâte ; d'autres ne purent se résigner à abandonner ce qui donnait un sens à leur existence. C'est ainsi que de leur petite ville du Sud, M. David ELBAZ et ses fils rapportèrent des Sifrei Torah dont ils firent don aux différentes synagogues de Strasbourg.

Cette offrande s'est renouvelée à la suite d'une circonstance exceptionnelle qui mérite d'être rapportée. Un fils de M. ELBAZ, seul Juif demeuré dans sa Communauté, apprit il y a quelques mois que la Synagogue de Boghari, à plusieurs centaines de kilomètres de là, totalement abondonnée, renfermait encore les précieux Rouleaux de la Torah. Guidé par un sens naturel de la dignité juive et par un profond sentiment de piété, il se rendit à Boghari et retira en effet de la Synagogue, dans des conditions périlleuses, les Sifrei Torah qui viennent de faire leur entrée solennelle dans les synagogues de Strasbourg.

Le deuxième jour de Shavouoth, fête du "don" de la Torah, il y eut un silence rempli d'attente au Mercaz et il est difficile de décrire l'émotion, lorsque l'on entendit au loin les accents du Ygdal. Puis lentement, avec une force poignante, apparut la longue colonne de nos frères séfardis avec en tête le patriarche, M. D. ELBAZ, portant un Sefer Torah. Jamais nous n'avons ressenti une telle confiance en Dieu malgré le dénuement, un amour aussi simple et aussi fort de la Torah.

M. le Rabbin HAZAN et M. le Professeur NEHER exprimèrent la joie, la plénitude des deux communautés heureuses de se retrouver, malgré leur spécificité, si proches dans leur ferveur pour l' "Enseignement" et les valeurs juives. Deux horizons si différents se rencontraient dans ce Sefer écrit par un scribe d'Algérie, qui prenait maintenant sa place parmi nous.

Une cérémonie de plus grande ampleur encore se déroula dans la Synagogue de la Paix le samedi 15 juin. Tous les Rouleaux de l'Arche Sainte escortèrent les "nouveaux venus", aux sons alternés de la liturgie alsacienne et de la liturgie algérienne. Les chants étaient guidés par MM. B. JOSEPH, Ministre-Officiant, le Rabbin A. HAZAN, Joseph BORIN, premier Ministre-Officiant, accompagnés par le Choeur de la Synagogue et tous les fidèles.

Jamais peut-être n'avons-nous plus éprouvé combien la découverte de l'autre est enrichissante, combien nos voies différentes s'unissent dans un même amour de la Torah, dans un même affronte-ment avec pour véritable arme l'Enseignement qui nous a été donné.


Entrée de Rouleaux de la Loi
Extrait de UNIR, septembre 1962

Jeudi le 30 août a eu lieu à la Synagogue de la Paix une cérémonie tout-à-fait exceptionnelle mais tirant, elle aussi, son origine dans les événements d'Algérie.

La famille Elbaz, de Djelfa, dont les ancêtres avaient créé dans cette ville un oratoire familial, et maintenant repliée à Strasbourg, a fait don à notre Communauté de trois rouleaux de la loi, avec leurs ornements. En présence d'une très grande foule composée surtout de réfugiés algériens, les Sifrei-Torah ont été introduits solennellement par la salle René Hirschler, où se déroula l'opération symbolique de couture des parchemins. MM. les Rabbins Hazan et Elbaz, ainsi que M. Abecassis, présidaient à cette opération, entourés par MM. les Grands Rabbins, M. Lévy-Bompet, le Président de la Communauté, et presque tous les administrateurs, ainsi que de très nombreux amis. Des chants extraits des Psaumes ont été interprétés pendant ce temps par une chorale comprenant les gaçons de la la colonie urbaine des jeunes repliés.

La famille Elbaz réunit pour finir tous les participants de cette cérémonie dans la salle à manger du Centre communautaire, où elle servit des rafraîchissements après une très chaleureuse allocution de M. le Grand Rabbin Deutsch.

Lire aussi, à propos de cet événement, l'article du Rabbin Hazan :
RÉCEPTION DES ROULEAUX DE LA THORA



Lettre de Me René WEIL, président de la Communauté Israélite de Strasbourg, adressée à David ELBAZ, donateur des Rouleaux de la Torah.

Strasbourg le 11 juin 1963

Cher Monsieur,

J’éprouve une grande émotion et un réel plaisir en vous annonçant que notre Commission Administrative a décidé à l’unanimité au cours de sa séance du 6 juin 1963 de vous conférer la dignité exceptionnelle de Membre d’Honneur de la Communauté Israélite de Strasbourg.

Vous représentez aux yeux du judaïsme alsacien l’image la plus noble et la plus attachante de la Communauté juive d’Algérie si tragiquement éprouvée. A la tête de votre grande famille, dont nous aimons et apprécions chacun des membres, et pour qui la destinée a été plus cruelle encore, après l’exode d’Algérie, vous donne le magnifique exemple d’une intégration remarquable dans notre Communauté.

En quittant l’Algérie, vous n’avez pas abandonné sur cette terre où reposent vos ancêtres vos belles traditions religieuses et sociales. Vous apportez à notre Communauté l’enrichissement que représente votre fidélité à ces traditions.

Pareillement, les Rouleaux sacrés de la Tora ont constitué le précieux bagage de votre exode et vous avez tenu à deux reprises à faire entrer ces Rouleaux dans la Synagogue de Strasbourg.
Ces gestes prennent pour nous une signification profonde et leur valeur spirituelle reste inappréciable.

Croyez bien que nous somme conscients de l’extrême modestie de l’initiative par laquelle nous avons tenu à vous exprimer nos sentiments d’admiration et de reconnaissance.

J’ajoute à ces quelques lignes mes vœux personnels de longue vie et de bonne santé pour vous-même et toute votre famille.

Veuillez agréer, Cher Monsieur, mes sentiments les meilleurs.

René WEIL.

Merci au Dr. Raphaël Toledano de nous avoir fourni une partie des documents qui composent cet article.


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