Les juifs : peuple déicide ?
Les vitraux de la cathédrale de Strasbourg
Carole WENNER
Article publié dans la revue Alarmer


Baie illustrant la Passion du Christ. Cathédrale de Strasbourg.
Toutes les photographies sont de Carole Wenner, 2021.
La baie illustrant la Passion du Christ :

Parmi les 1500 m² de surface vitrée que renferme la cathédrale de Strasbourg se trouve une baie illustrant la Passion du Christ. Située sur le bas-côté de la façade latérale sud de l’édifice, elle fait partie d’un ensemble de cinq vitraux de huit mètres de haut relatant la vie de la Vierge et celle du Christ jusqu’au Jugement dernier. L’œuvre date des années 1328-1340. Ce cycle narratif a été commandité par le prince-évêque de Strasbourg Jean de Dirpheim, démarche témoignant de la vitalité de la pensée théologique dans le contexte rhénan du début du 14ème siècle, alors sous l’influence des ordres mendiants.

La baie en question est la troisième de l’ensemble. Composée de seize panneaux, elle évoque les souffrances de la Passion de Jésus d’après les Evangiles et les écrits apocryphes. La lecture s’effectue de gauche à droite, depuis le bas, de l’entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem (Matthieu, 21:1-11) à la dépose du corps dans un tombeau au pied de la croix (Marc, 15:42-47). Sur l’intégralité du parcours iconographique apparaissent des personnages identifiés comme juifs par le chapeau jaune pointu qu’ils portent : le Judenhut. On les aperçoit notamment dans la scène de l’arrestation du Christ, aux côtés des soldats romains coiffés d’un casque, tout comme dans la scène où il comparaît menotté devant le grand-prêtre Anne ou lorsqu’il est amené devant Caïphe.

Véritable bande dessinée de verre, les vitraux constituent pour l’histoire religieuse un support pédagogique considérable à une époque où la population est majoritairement illettrée. Ils servent aux autorités religieuses lors des prêches. Strasbourg est une ville importante à l’époque et la cathédrale est un lieu fréquenté. Ils trouvent leur pendant avec les bibles moralisées illustrées, en plein essor au 14ème siècle et remplissent la même fonction. Les vitraux strasbourgeois ne sont pas une œuvre unique, de nombreux lieux de culte chrétiens possèdent la Passion du Christ en images. Ce qui diffère, c’est le rôle assigné ou non aux juifs. Le lien établi entre les juifs et le déicide est le simple fait d’identifier par le chapeau pointu un personnage ou un groupe. Les bourreaux deviennent juifs. Et caractériser comme tels les meurtriers du Christ n’est pas sans conséquence, à court et à long termes.

Les juifs et l’Eglise :

L’historiographie dépeint la fin du Moyen Age comme une société de la Peur (1). Tout effraie : la mort, le diable, les guerres, les épidémies, l’étranger, la famine… Derrière ce spectre terrifiant et omniprésent : l’Eglise. Tout est prétexte pour alimenter et instrumentaliser à son service les angoisses pour exercer toujours plus son emprise sur tous les domaines de la vie de ses fidèles. Les prédicateurs répètent sans relâche à partir du 14ème siècle que les fléaux qui s'abattent sur la chrétienté sont les châtiments divins inhérents aux péchés des chrétiens, qui trouvent alors refuge dans la prière et dans une piété, toujours plus empreintes de superstition. La peur de l’enfer et du purgatoire devient un leitmotiv, aussi bien dans la prédication aux foules que dans l’iconographie. Il y a dans les sermons, dès le 13ème siècle, une volonté de culpabiliser, qui perdure jusqu’à la fin du Moyen Age et bien au-delà puisque les protestants reprendront à leur compte cette pastorale de la peur.

Distiller la peur collective pour se poser en ultime recours protecteur, telle est la stratégie adoptée par l’Eglise. Sans relâche elle s’emploie à maintenir l’unité, face aux assauts que subit de toutes parts la chrétienté, à l’extérieur et en son sein. Les croisades ont impulsé un mouvement de conquête dès la fin du 11ème siècle. Les hérétiques menacent l’harmonie chrétienne. Dans le Saint Empire romain germanique, les papes et les empereurs se livrent une guerre de pouvoir incessante (2) mettant à mal l’autorité de l’Eglise. Et un peu partout en Occident les juifs ont établi leurs communautés, véritables témoins de l’échec du prosélytisme chrétien.

La présence des juifs est attestée dans le Saint Empire, et notamment à Strasbourg, depuis le 12ème siècle. Ils y sont relativement préservés par rapport à ceux des royaumes d’Angleterre et de France, expulsés respectivement en 1290 et régulièrement depuis 1182. Mais à partir du 13ème siècle, les brimades et les exactions se multiplient à leur encontre, sous l’effet conjoint des croisades et de la politique de l’Eglise, qui cherche à se restructurer pour mieux dominer. S’ajoutent à cela les enjeux économiques qu’ils représentent pour leurs différents suzerains, les juifs étant restreints très souvent aux métiers liés à l’argent.

La perception des juifs par l’Eglise est duelle, ambiguë mais suit une logique intestine, propre à son histoire. Sous l’impulsion des papes du 13ème siècle (3), elle cherche à étendre sa suprématie par tous les moyens (rédaction de sommes théologiques, construction de cathédrales, émergence des ordres mendiants…). Malgré tout, le judaïsme perdure. Ce qui est vécu comme un aveuglement face à l’enseignement du Christ crispe toujours plus l’Eglise, qui se définit comme le Verus Israel (4). Ce rejet du christianisme vaut aux juifs le qualificatif de "perfides" dans les textes théologiques, l’acception de ce terme n’étant pas morale (5). Puisqu’ils ne veulent pas se convertir, alors ils doivent vivre sous la domination des chrétiens. La perfidia judaica dont il est question dans les écrits pontificaux légitime alors le statut d’infériorité des juifs et leur servitude perpétuelle, comme l’établit en 1205 la bulle Etsi Judeos. Ils sont ainsi érigés en contre-modèle, destiné à montrer aux chrétiens ce qu’il advient de ceux qui refusent d’adhérer à l’unité chrétienne.

Pour cela, il convient de les préserver comme peuple témoin. Un peu partout en Occident, les juifs jouissent officiellement de la protection des papes comme l’atteste la bulle Sicut Judeis, promulguée par Calixte II en 1123 et réaffirmée par ses successeurs tout au long du Moyen Age (6). Cette protection est également un instrument politique dans les luttes entre les pouvoirs réguliers et séculiers, les juifs devenant alors un moyen de pression ou un objet de négociation, bien au-delà des considérations religieuses et théologiques.

Au fondement même de l’antijudaïsme médiéval se trouve le thème récurrent de la responsabilité des juifs dans la mort du Christ. On le retrouve régulièrement dès l’Antiquité (Justin de Naplouse), puis de façon plus systématique à la fin du 11ème siècle et par la suite ponctuellement tout au long de l’histoire. Les sources utilisées pour attester du crime originel sont principalement le Nouveau Testament où l’on lit que les juifs ont "mis à mort Jésus le Seigneur" (7) et surtout les évangiles synoptiques. Dans Saint Jean, le terme même "juif" est chargé d’une connotation péjorative : "Pilate cherchait à le relâcher. Mais les juifs crièrent : qu’il meure, qu’il meure, crucifie-le !" (8). L’affirmation de la responsabilité des juifs croît au cours du Moyen Age, même si ce n'est qu'à la fin du 11ème siècle qu'elle sort des traités Adversus Judaeos grecs et latins des Pères de l'Eglise pour se répandre dans la société.

Les papes expliquent les conditions de vie difficiles des juifs au regard de cette prétendue faute originelle en reprenant à leur compte les idées de Saint Augustin dans La Cité de Dieu : "(…) Les juifs qui le tuèrent et refusèrent de croire qu'il devait mourir pour ressusciter ensuite furent bien plus durement châtiés que lui par les Romains. Chassés de leur pays où ils vivaient d'ores et déjà sous domination étrangère, exterminés et dispersés dans tous les pays - ils sont partout - ils sont obligés d'attester aujourd'hui par leurs Ecritures que nous n'avons pas inventé la prophétie du Christ (…)" (9). Dieu a rejeté le peuple d’Israël pour sa faute, telle est l’image théologique qui façonne la perception chrétienne des juifs, bien que l’apôtre Paul se soit élevé contre ce postulat.

L’Eglise propage très largement ces idées au cours des 13ème et 14ème siècles, comme l’attestent ici les vitraux de la cathédrale de Strasbourg. Innocent III rappelle que la destruction du Temple et la dispersion qui s'ensuit ne sont que des châtiments divins consécutifs au déicide : "La responsabilité des juifs dans la crucifixion de Jésus les a condamnés à une servitude éternelle, et, tel Caïn, ils sont voués à être des vagabonds et des fugitifs" (10). En 1199, ce même pape place en exergue de la Constitutio pro Judeis un extrait des Psaumes : "Ne les massacre pas, que mon peuple n’oublie pas. Fais-en par ta puissance des errants, des pourchassés" (11). Ce verset illustre la tradition qui se fonde sur l'histoire de Caïn pour expliquer la sauvegarde des juifs : ils doivent être maintenus en vie pour expier leurs fautes et sont condamnés à errer sans jamais trouver la paix (12).

Lors d'un concile germanique en 1233, Grégoire IX rappelle que c'est la culpa des juifs qui les a conduits à la servitude perpétuelle (13). Ce reproche fondamental alimente pendant des siècles la controverse des chrétiens ainsi que leur hostilité envers les juifs. Rares sont les papes qui prennent ouvertement position en faveur des juifs. Et nombreuses sont les sources qui démontrent que les peines encourues par les chrétiens s’en prenant aux juifs ne sont en réalité pas très élevées. Le parti pris des papes relève ainsi davantage d'une mesure dissuasive qui répond à la demande biblique de protéger autant que possible "ceux qui doivent être sauvés". La conversion des juifs est en effet une composante majeure des aspirations ecclésiastiques et de la politique pontificale du Moyen Age. Maintenir le mythe du peuple déicide est un moyen de les y contraindre.

Les juifs, les nécessaires coupables :

Baie 1 vitrail 16, Jésus et les docteurs.
Cathédrale de Strasbourg. (détail).
Dans un souci de contrôle et pour "éviter toute conversion au judaïsme", le concile œcuménique de Latran IV fait une demande inédite en 1215, en imposant aux juifs (et aux Sarrasins) de se distinguer des chrétiens qualitate habitu (canon 68) (14). Ni forme ni couleur ne sont imposées. Les attitudes des juifs tout comme leur apparence ne diffèrent donc en rien de celles des chrétiens, puisque le besoin se fait sentir de les distinguer les uns des autres par le vêtement. Or il ne fait nul doute que la société médiévale connaît ses juifs. Ce canon ne s’adresse-t-il pas avant tout aux chrétiens ? Ne pouvant contraindre les juifs à la conversion, on les éloigne des chrétiens d’abord par une forme de diabolisation en faisant d’eux des meurtriers par nature, puis physiquement par une marque visible.

Le canon 68 ne sera effectif qu’avec la décision prise dans chaque pays occidental, par les autorités civiles, de définir et d’imposer un signe (15). L'Allemagne est l'un des seuls pays à ne pas appliquer immédiatement la mesure, sans doute en raison de l’absence de cohésion politique et de pouvoir fort sur son sol à cette époque. Peut-être également parce qu’en territoires germaniques, les juifs se distinguent d’eux-mêmes des chrétiens depuis la fin du 12ème siècle, par le port d’un chapeau particulier. En 1267, le synode de Vienne entérine par le canon 15 le pileus cornutus comme signe distinctif attribué aux juifs, précisant "qu’ils avaient l’habitude de [le] porter dans ces régions" (16). Si la couleur du chapeau n’est précisée dans les sources ni par les autorités religieuses ni par les autorités civiles, dans l’art, c’est le jaune qui est adopté dans l’art, couleur des traîtres et des félons. On note à ce sujet que sur le troisième vitrail de la baie de la Passion de Strasbourg est représentée la scène du baiser de Judas : ce dernier ne porte pas de chapeau pointu mais il est vêtu d’une robe de couleur jaune. Le Judenhut devient alors dans l’espace germanique un signe identifiant comme juif celui qui le porte, tant dans la société médiévale que dans l’iconographie. Ce n’est qu’à la toute fin du Moyen Age qu’il est supplanté par la rouelle.

Sur les vitraux de Strasbourg, le chapeau est un attribut exclusivement masculin. Les femmes portent un voile ou un foulard sur la tête. C’est le cas dans l’iconographie chrétienne et juive, et dans la société également. Mais pour quelle raison tous les hommes présents sur les vitraux strasbourgeois, tous juifs en dehors des Romains reconnaissables à leurs casques, ne sont-ils pas coiffés de cet attribut conique ? La réponse est apportée par les nombreuses réhabilitations et disculpations des juifs par l’Eglise jusqu’au 20ème siècle, notamment à l’occasion du IIe concile œcuménique du Vatican (1962-1965). Dans le paragraphe 4, Nostra Aetate, il est demandé un effort de compréhension et de vérité sur la question de l’accusation de déicide. La langue des Evangiles est le grec. Le mot utilisé est Judaioi, dont la traduction communément adoptée est "juifs". Il aurait été plus juste de parler des "Judéens", par opposition à l’époque aux Galiléens. D’après Saint Jean, le sens du mot Judaioi varie selon les contextes. Sont appelés "juifs" les ennemis de Jésus qui prennent part à sa mise à mort, pas tous les juifs contemporains du Christ ni ceux des Ecritures. Les disciples des Jésus comme les apôtres sont eux-mêmes juifs. Il convient donc de distinguer les autorités religieuses juives qui ont oeuvré à la condamnation du prophète du reste des juifs.

Les vitraux de Strasbourg étant une illustration des Synoptiques, cette distinction est-elle perceptible ? Si Pilate ou les grands-prêtres Anne et Caïphe ne sont pas représentés avec le chapeau pointu, il apparaît que c’est bien le cas des hommes dans leur sillage, rappelant ainsi leur opposition à Jésus. Sur le vitrail figurant l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, deux groupes d’hommes sont en vis-à-vis : à gauche ceux qui accompagnent Jésus, tête nue, des pèlerins et des provinciaux ; à droite les gens de la ville qui l’acclament, devant un homme debout coiffé du Judenhut témoin de la réserve de ceux qui ne reconnaissent pas (encore) en lui le Messie (Matthieu, 21:10-11). Sur la première baie de l’ensemble strasbourgeois sont relatées - en seize tableaux également - des scènes de la vie de Marie et de l’enfance de Jésus. Sur le dernier vitrail est représenté Jésus, alors âgé de douze ans, assis sur un dais, en hauteur, enseignant aux docteurs du Temple de Jérusalem, tous les trois coiffés du chapeau pointu, en admiration devant son intelligence et sa sagesse (Luc, 2:46-50). Ici le couvre-chef semble bien indiquer comme juifs les hommes à instruire et convaincre. Dans cette optique et toujours d’après les Synoptiques, le Judenhut peut aussi désigner les pharisiens, également acteurs de la mise à mort du Christ. Après la destruction du Temple, c’est le courant pharisien qui représente le judaïsme, lui-même divisé en partisans et opposants à Jésus (17). Au début du Moyen Age, la distinction se fait toujours entre l'ensemble des juifs ignorants, d'une part, et le groupe des pharisiens, d'autre part, jugés seuls responsables de la mort du Christ. Cette accusation ne tarde pas à dominer dans les relations de la Passion des auteurs latins, supplantant même la part de responsabilité des Romains et assimilant peu à peu l’ensemble des juifs aux pharisiens (18).

Au regard des textes et homélies publiés par l’Eglise réaffirmant dès le concile de Trente (1545-1563) la non culpabilité du peuple juif dans son ensemble dans la condamnation du Christ, on peut affirmer que l’accusation de déicide portée contre les juifs est une erreur tout autant théologique qu’historique. L’existence même de cette mise au point prouve sa nécessité. Les multiples réitérations de l’innocence du peuple juif jusqu’au 20ème siècle attestent l’ancrage tenace de l’antijudaïsme puis de l’antisémitisme dans les mentalités (19). A cette double erreur d’interprétation s’ajoute une confusion iconographique. Les juifs bibliques sont exposés dans l’art, affublés d’un signe distinctif porté par les juifs réels, ceux qui vivent en minorités fragiles parmi les chrétiens. Il y a là un amalgame, vecteur de danger.

Au 14ème siècle, le pouvoir pontifical n’est plus si prépondérant, mais le mythe du peuple déicide est bien ancré. Ce n’est plus la malignité des juifs qui est à prouver mais leur cruelle détermination à nuire à la chrétienté. Ils ne sont plus seulement ceux qui ont tué le Christ, ils sont perçus comme des meurtriers en puissance qui perpétuent le crime originel, susceptibles d’attenter à n’importe quel moment à la vie de leurs contemporains chrétiens (20). Aux yeux de l’Eglise puis dans l’imaginaire collectif, le Christ subit une nouvelle Passion à chaque fois qu'un chrétien souffre dans sa chair sous les coups de l'ennemi, en l'occurrence des juifs (21). La répétition de la Passion du Christ s’opère sous deux formes qu’on trouve regroupées dans les sources juives sous le nom "calomnie de sang" (dam telila) : la profanation d'hostie et le meurtre rituel. Dans le premier cas, les juifs s'attaquent à la chair de Dieu, dans le second ils font subir à de jeunes chrétiens un supplice semblable à celui enduré par le Christ (22).

L’accusation de peuple déicide et ses dérivés sont relayés largement dans la société par divers médias, particulièrement à la fin du Moyen Age : vitraux, bibles moralisées illustrées, iconographie, prédications, littérature chrétienne, théâtre (les Passionspiele ou jeux de la Passion du Christ) (23). Tous concourent à dispenser et enraciner l’"enseignement du mépris" (Jules Isaac) qui attise la haine et génère une tension au sein de la société. Si l’accusation de déicide n’entrave pas la base des rapports quotidiens des juifs et des chrétiens, elle reste néanmoins à l’esprit de ces derniers et concourent à une mise en altérité toujours plus effective qui justifie les différentes mesures vexatoires et discriminantes décidées par les autorités religieuses et civiles. Les juifs deviennent progressivement dans l’imaginaire chrétien une force diabolique agissante au sein de la société, désignés à la vindicte populaire, assumant contraints le rôle de boucs émissaires, catharsis nécessaire aux autorités comme aux foules en période de crise (24).

Les vitraux de la cathédrale de Strasbourg ne sont pas antijudaïques par nature, mais ils contribuent à mettre en avant la dangereuse altérité des juifs et à susciter chez l’observateur chrétien une peur qui l’incite à garder ses distances. De théologique, le rejet des juifs devient progressivement social. La transposition de l'assujettissement théologique au sein de la société génère la dégradation progressive des conditions d'existence des juifs en Occident. L’attitude de l’Eglise démontre son incapacité à imposer sa potestas. A partir du 13ème siècle, des pouvoirs royaux forts émergent partout en Occident et l'on constate effectivement que les injonctions pontificales, en ce qui concerne la question des juifs, ne trouvent qu'une faible résonance dans la chrétienté. Le 13ème siècle constitue en cela un tournant crucial, car il voit naître dans la société un soubresaut antijuif, qui ne tarde pas à être érigé en norme. L'attitude antijudaïque puis antijuive - même passive - de l'Eglise permet l'élaboration d'une représentation des juifs et du judaïsme qui génère haine et répulsion, au moyen de mythes, dont le principal est celui d'être perçu comme le peuple déicide. Bien plus qu'un questionnement sur les juifs, les formes de l'antijudaïsme médiéval trahissent une profonde déstabilisation du monde chrétien et une remise en question permanente de la place de l'Eglise. Celle-ci ne fera que s'accroître lors du Grand Schisme entre 1378 et 1417, et au 16ème siècle, lorsque le courant protestant fera son apparition. Les juifs ne sont pas tant rejetés en tant que juifs mais parce qu'ils ne sont pas chrétiens, ils sont ces Autres permanents qui empêchent la réalisation de l'unité chrétienne. Le "problème juif" est donc avant tout un problème chrétien.

BIBLIOGRAPHIE

Judaisme alsacien

© A . S . I . J . A .