Les Juifs dans la région de Merlebach (Moselle)
1900 – 2000
Souvenirs familiaux et personnels
par Jean-Georges Kahn (Yochanan Cohen-Yashar)
Jérusalem


Ce blason reprend les éléments des blasons de Freyming et de Merlebach. Les deux communes ont fusionné le 11 février 1971. On remarquera la lampe de mineur en haut à droite

Je suis né à Freyming en mars 1934. Dans les pages qui suivent, j'évoquerai le milieu dans lequel j'ai vu le jour. Il ne s'agit ni d'une enquête historique ni de la description de la situation actuelle mais uniquement d'un coup d'œil personnel sur de lointains souvenirs.

Freyming et Merlebach sont deux villes situées dans le département de la Moselle en Lorraine. L'extraction du charbon dans les mines du bassin houiller a fait pendant près d'un siècle la prospérité de cette région. Les mineurs, les ingénieurs et les employés de surface étaient relativement bien payés et le commerce s'est développé sur place dans de bonnes conditions.

Tous les magasins d'habillement (tailleurs et confection) appartenaient à des Juifs. De même les pharmacies, les magasins de meubles et d'alimentation étaient souvent tenus par des Juifs.

Vers 1960, avec l'arrivée de Juifs d'Afrique du nord, on trouvait environ une trentaine de familles juives à Merlebach. De nos jours, les houillères sont fermées. Merlebach est devenue une ville fantôme et la plupart des Juifs sont partis ou reposent au cimetière local et n'ont pas été remplacés.

Mon père, Marcel Kahn, est né à Schalbach, dans le Bas-Rhin, en 1888. Il est venu s'installer à Merlebach vers 1910. Son frère, Myrtil, avait épousé une jeune fille de Hombourg Haut, Erna Salomon. Hombourg Haut, à 10 km. de Merlebach, est un "village perché", une vieille citadelle très pittoresque qu'on visite encore de nos jours. On y trouve les vestiges d'une ancienne communauté juive (synagogue, bain rituel, cimetière), dont les derniers représentants vivaient encore au début du 20ème siècle.

En 1914, Myrtil se trouvait en stage commercial chez un cousin, en Suisse. Il s'est engagé comme volontaire dans l'armée française tandis que Marcel a été mobilisé dans l'armée allemande. Néanmoins, en 1919, toute la famille s'est retrouvée dans la Patrie Française. Tel fut également le sort de la jeune fille de Mulhouse, Germaine Lévy, qui devint par la suite ma mère.
Mes parents se sont mariés à Mulhouse en 1921 et se sont installés à Merlebach, où mon père avait ouvert un commerce de vêtements. Ce fut un mariage heureux, mais Germaine avait le sentiment de vivre en exil, car la communauté juive de Mulhouse était grande et bien organisée, alors que la communauté juive de Merlebach n'existait pratiquement pas.

Entre les deux guerres mondiales (1919 -1939), la communauté juive de Merlebach ne s'est pas vraiment constituée, Les Juifs de Merlebach fréquentaient les petites communautés qui existaient dans la région. La viande cachère était fournie par un boucher juif de Gross Bittersdorf. La synagogue la plus proche se trouvait à Forbach. C'était une grande bâtisse dans le style traditionnel des synagogues du 19ème siècle avec un balcon intérieur pour les femmes. La communauté de Forbach était dirigée par un sous-rabbin. De même qu'il existe des sous-officiers et des sous-préfets, il existait aussi, à cette époque des sous-rabbins. Le rabbin siégeait à Sarreguemines et le grand-rabbin à Metz. Dans les trois départements de Lorraine et d'Alsace rendus par l'Allemagne à la France en 1918, les fonctions ecclésiastiques  et l'instruction religieuse dans les lycées et les collèges avaient un statut officiel. C'est pourquoi mes frères ont suivi des cours de judaïsme au lycée de Forbach. Ces cours, y compris la préparation à la bar mitswa étaient dispensés par le sous-rabbin.

Mes parents fréquentaient assez régulièrement la synagogue de Forbach. Ils y allaient en automobile les shabath et fêtes. Seule exception : Yom Kippour. Pour la nuit de Kol Nidrei, ils louaient des chambres dans l'unique hôtel de Forbach.

Survint la seconde guerre mondiale. L'Alsace et la Lorraine n'ont pas seulement été occupées par les Allemands mais annexées à l'Allemagne nazie. Du coup, ces provinces se sont trouvées judenrein, c'est-à-dire "vidées de leurs Juifs". En allemand, rein veut dire "pur", "nettoyé".

Dès l'automne 1945, les communautés juives de Forbach, Merlebach et de Saint-Avold se sont reconstituées. Les offices ont été célébrés dans des maisons privées, à Merlebach dans une chambre assez spacieuse de la maison de Myrtil Kahn, à Forbach dans une salle de gymnastique. Au cours des années suivantes, la synagogue de Forbach a été reconstruite, d'abord dans un petit oratoire, ensuite dans le grand bâtiment d'avant guerre. Pendant plusieurs années, seuls les offices de Rosh ha-Shanah et de Kippour étaient célébrés à Merlebach. Vers 1950, Marcel Simon, le président de la communauté juive de Merlebach, a réussi à faire construire une petite synagogue dans la cité. Originaire de Puttelange, Marcel Simon a fait valoir que la petite communauté juive de sa ville natale n'avait  pas pu être reconstituée après la guerre et que les fonds destinés à la reconstruction de la synagogue locale pourraient être attribués à une nouvelle synagogue à Merlebach. Ce qui fut fait.

Le modeste bâtiment a été inauguré le 19 mars 1961. Des offices religieux et patriotiques y ont été célébrés pendant plus de vingt ans. Un chantre (hazan) originaire de Pologne, Joseph Schwarcz, assurait le service : prières et lecture de la Torah. Il habitait dans un appartement de fonction dans le bâtiment de la synagogue.

Au tournant du siècle, vers l'an 2000, la communauté juive de Merlebach s'est désagrégée. Le bâtiment de la synagogue a été vendu par le Consistoire à la Municipalité. Un carré du cimetière a été réservé aux Juifs. Il est bordé par le carré musulman.
De nos jours, il n'existe presque plus de Juifs à Merlebach. Seuls restent les souvenirs.

Jérusalem, Heshvan 5769
Novembre 2008


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