La synagogue de Maizières-lès-Vic
par Claire DECOMPS
Conservateur du patrimoine
Conseil régional de Lorraine / service régional de l'Inventaire général du patrimoine culturel

Disparition de la synagogue de Maizières-lès-Vic

L'ancienne synagogue de Maizières-lès-Vic, désaffectée depuis des décennies et qui servait de poulailler, a été la proie des flammes dans la nuit de dimanche. Il ne reste plus rien de l’édifice datant des années 1860. À l’arrivée des sapeurs-pompiers de Dieuze, Maizières-lès-Vic, Château-Salins et Gondrexange, le bâtiment était totalement embrasé.
Les hommes du feu ont sécurisé les lieux pendant plus deux heures pour éviter la propagation de l’incendie au voisinage.
L’origine du sinistre n’est pas connue pour l’instant. « La synagogue n’était pas alimentée en électricité, elle n’a pas brûlé toute seule », a déclaré le maire de la commune, Alain Guise, qui s’est rendu sur place.
La communauté de brigade de la gendarmerie de Château-Salins a ouvert une enquête.

Le Républicain Lorrain, Edition de Sarrebourg, 3 août 2015

La synagogue de Maizières-lès-Vic
© Inventaire général ADAGP - Photo : Marc Kérignord
Cette petite synagogue rurale a été élevée sur les plans de l'architecte sarrebourgeois Ferdinand Boudot (1816-1889), également auteur de celle de Phalsbourg (1857), entre 1868 et 1872, à une époque où la communauté était déjà sur le déclin. On sait par le tableau de 1838 (enquête lancée par le ministère des Cultes pour connaître l'état des synagogues de chaque consistoire, leurs ressources et la population desservie) qu'auparavant, la communauté se réunissait chez un particulier et n'avait pas de ministre-officiant.

Cette synagogue est construite dans une ruelle, sur un terrain de 3,5 ares acquis 400 f en 1868 par le Consistoire de Nancy dont dépendent alors les arrondissements de Château-Salins et Sarrebourg, après la concession en 1858 par la commune d'une première parcelle. Son coût total s'élève à 8030 f dont 1200 f de subventions de la commune et 2000 f de l'Etat. Inaugurée en 1872, elle semble avoir été fermée au culte dès 1890, faute de fidèles. En 1911, elle est rachetée par le Consistoire et peu de temps après vendue et transformée en grange. Lorsqu'elle est décrite par Léon Worms en 1931, elle sert de remise à foin. A cette date, un appentis en bois masque une partie du portail, dont un pilastre a malheureusement été détruit par le percement d'une porte de hangar.

Il s'agit d'un édifice très simple, en grès enduit, couvert d'une toiture en tuile mécanique. Ses deux travées sont percées de baies en plein cintre et la façade principale agrémentée d'une petite rosace. Le portail, de style classique, comporte une inscription en hébreu : "car ma maison sera appelée maison de prière pour tous les peuples" (Isaïe 56:7), inscription souvent apposée sur les synagogues à cette époque en raison de son esprit d'ouverture.

© Inventaire général ADAGP
Photo : Claire Descomps
En dépit de son usage agricole, l'intérieur a conservé son arche sainte (aron kodesh), encastrée dans le mur du fond. De style classique, cette dernière présente une apparence très soignée (structure en grès et bois peinte faux marbre, pilastres surmontés de chapiteaux ioniques, entablement et fronton cintré). Son inscription en hébreu, interpelle le fidèle : "sache devant qui tu te tiens". S'il ne reste rien de l'estrade de lecture (almemor), la synagogue comprenait initialement cinq rangées de bancs pour les hommes et une tribune pour les femmes. En forme de fer à cheval et desservie par un escalier en colimaçon, cette dernière est toujours en place.

Quelques familles juives semblent implantées à Maizières-lès-Vic avant la Révolution, leur présence s'expliquant, comme à Donnelay, par la proximité de la route de France, route crée par l'armée pour relier les villes françaises de Metz et Strasbourg à travers les terres du duché de Lorraine. Elles remplissent alors les professions traditionnelles d'étapiers ravitaillant les places fortes en chevaux et fourrage. Après l'émancipation, la communauté se développe fortement, passant de 25 personnes en 1808 à 83 en en 1840, avant de décroître après 1871. Ses membres exercent alors les professions traditionnelles de bouchers, marchands de draps ou de bestiaux.

En dehors d'un bain rituel (mikvé), aujourd'hui comblé, dans la cave d'une maison du village et de quelques vestiges à Donnelay - une ancienne schule implantée dans une maison particulière hélas très dénaturée et l'emplacement de bains rituels - cette synagogue constitue le dernier témoignage d'une très longue présence juive dans le canton de Vic-sur-Seille.

Des communautés plus anciennes existaient en effet à Marsal, Moyenvic et Vic-sur-Seille, attirées dans ces trois localités par la présence des évêques de Metz, réfugiés dans cette dernière ville en 1234 à la suite d'un long conflit avec la bourgeoisie messine, les juifs y bénéficiant à partir de 1422 de "privilèges d'une rare libéralité". Il s'agit d'ailleurs d'un des seuls endroits en Lorraine où une présence juive continue ait pu se maintenir après les expulsions du 14ème siècle, un des trois juifs autorisés à résider à Metz en 1564 venant de Marsal.

Limitées à quelques familles avant la Révolution, ces communautés connaissent leur apogée dans la première moitié du 19ème siècle. Un recensement de 1840 indique, outre ceux de Maizières, 71 juifs à Donnelay et 130 à Vic auxquels viennent s'ajouter 21 personnes dans les communes voisines de Marsal et Moyenvic (à titre de comparaison il ne subsiste plus que 14 juifs à Vic en 1929). Si à Vic, cette communauté relativement importante est regroupée dans la rue des Petites Salines, en bordure de la Seille (secteur détruit par les bombardements de 1944), ailleurs les juifs sont mêlés au reste de la population comme en témoignent les états de section et les matrices des cadastres napoléoniens établis ici entre 1824 et 1830. Les communautés de Vic et Donnelay entretiennent chacune, outre un instituteur, un chantre-officiant, signe d'une pratique religieuse soutenue. A Vic, en 1808, ce dernier vient d'Amsterdam, par la suite il fait également office de sacrificateur (sho'heth).

© Inventaire général ADAGP - Photos : Marc Kérignord

A Donnelay, un désaccord avec la ligne consistoriale entraîne en 1861 et 1862 une scission momentanée de la communauté. Ce village se signale surtout comme le premier en France à avoir été administré par un maire juif, dès 1800, en la personne de Lazare Lévy, habile négociant enrichi par l'achat de biens nationaux. En 1806, un rapport du sous-préfet de Château-Salins se félicite d'ailleurs de ce choix, soulignant l'honnêteté et le civisme des juifs de son ressort. Cependant, en 1843, un rapport du même type développe tous les préjugés antisémites de l'époque, signe des limites, sinon de leur intégration, du moins de leur acceptation complète par les populations chrétiennes.

Si la synagogue de Vic, aménagée en 1829 dans l'ancienne chapelle des religieuses de Notre-Dame, sur la place du Château, n'a pas été épargnée par la barbarie nazie, celle de Maizières, déjà transformée en hangar et située à l'écart des voies de passage, a par chance échappé à une entreprise de destruction systématique. Aujourd'hui conservée, sinon entretenue, par un propriétaire conscient de son intérêt patrimonial, son avenir à moyen terme demeure toutefois incertain.

Photo : © Jean-Jacques Weil

Cet article fait suite à l'inventaire du canton de Vic-sur-seille en cours de réalisation par les services de l'Inventaire de la Région et du Département de la Moselle.
Sources : Arch. dép. Moselle : 439 ED 3PI, 2 OP 719, 30 et 35P 185, 433, 466, 488, 12 Z 66 ; Arch. dép. Meurthe-et-Moselle : 7 V 11, 12, 13, 17 et 19 ; Arch. Nat. : F19 11107.
Pour plus de détails sur la synagogue de Maizières ou le canton de Vic-sur-Seille on pourra consulter la documentation du service régional de l'Inventaire général du Patrimoine culturel, 29, rue du Haut-Bourgeois à Nancy.
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