Le Cimetière israélite de Hégenheim
et son organisation
Partie d'une étude pour une unité de valeur d'Histoire Régionale
par Virginie SIRE
Extrait de HEGENHEIM BUSCHWILLER 1997
BULLETIN DU CERCLE D'HISTOIRE

INTRODUCTION (par Léa ROGG )

LEGENDE :
A. Plus ancienne partie du cimetière C. Cimetière d'enfants
A1. Femmes mortes en couches D. Zone vide
A2. Emplacement d'une maisonnette qui aurait servi à la toilette mortuaire H. Nouveau cimetière
A3. Mur de soutien H1. Zone réservée aux prêtres
B. Tombes des rabbins K. Chapelle et morgue
Situé à la sortie du village, entre le Lertzbach et la route vers Hagenthal, le cimetière fut créé il y a trois siècles.
Ses registres relatent les faits suivants : Le 9 janvier de l'année 1673, Hannibal de Baerenfels, seigneur de Hégenheim vend un premier terrain destiné à la sépulture des juifs de la région. Par la suite, entre 1692 et 1807, les achats se répètent, et à ce jour, le cimetière compte environ 10.000 stèles, dispersées sur une superficie totale de 2 hectares.
La résidence principale des Baerenfels se trouvait à Grellingen près de Zwingen en Suisse, et c'est notamment à Zwingen, que les juifs enterraient leurs défunts de 1573 à 1673. Les juifs paraissaient donc avoir eu de très bonnes relations avec leurs seigneurs.
Les origines des juifs du Sundgau sont multiples. Les archives cléricales et communales de Hégenheim ne possèdent aucun document à ce sujet. Par contre les archives de Bâle mentionnent les juifs du Sundgau dès 1290, et celles de Colmar à partir de 1392.
Au 14ème siècle sévit la peste en Europe. Les juifs accusés d'avoir empoisonné les puits, périssent sur les bûchers. Presque la totalité des communautés européennes citadines, comme Bâle, Colmar, Strasbourg, Sélestat, Nurnberg, Freiburg, Speyer, Worms, Mainz etc... est décimée.
Expulsés également en 1394 du royaume de France par Charles VI, chassés des grandes villes, ils se réfugièrent dans les régions rurales de l'Alsace. Bannis, persécutés, limités dans leurs droits civiques, exclus de l'artisanat, de l'agriculture et des services publics, il ne leur restait que le prêt de l'argent, le petit commerce ambulant et celui du bétail.
Pourtant c'est au 17ème siècle, que les juifs peuplent presque toute la région. Fuyant les pogromes et la misère, une grande masse émigre des pays de l'Est et s'installe en Alsace. Hégenheim, situé aux portes de la ville commerçante de Bâle, abrita une des plus grandes communautés, dépassé seulement par Bischheim près de Strasbourg. En 1791, les juifs acquirent leurs pleins droits civiques, et vers la fin du 19ème siècle, l'égalité des droits en Suisse.
L'émigration vers les villes, vers l'industrie avait déjà commencé et les juifs du Sundgau, en majeure partie de Hégenheim, Hagenthal et la contrée, fondèrent des communautés en Suisse.
Toutefois, Hégenheim resta le lieu de sépulture des juifs de la Suisse, car c'est seulemert en 1903, que le gouvernement de Bâle autorisa l'aménagement d'un cimetière, rue Théodor Herzl.
Le cimetière israélite de Hégenheim est toujours en fonction et telle une biographie, il reflète l'histoire des communautés, leur début, leur apogée et leur déclin.
Lieu de respect et de silence, il restera à jamais témoin du passé historique de Hégenheim.
Recensement de la population juive de Hégenheim :
en 1784 409 personnes
en 1838 845 personnes
en 1905 100 personnes

Les Juifs et la mort

Normalement un Juif doit être enterré peu de temps après sa mort. Avant l'enterrement, des personnes de la Hevra Kadisha s'occupent de laver le corps et de le vêtir d'un vêtement blanc réservé au défunt : cette toilette nécessite beaucoup d'eau, et c'est la raison pour laquelle beaucoup de cimetières israélites, dont celui de Hégenheim, sont situés à proximité d'un ruisseau. Il aurait existé , dans la partie la plus ancienne du cimetière (cf. zone A sur le plan ), une maisonnette destinée à la toilette des morts.
Le cercueil est fait de simples planches de bois. Le défunt, riche ou pauvre est inhumé en présence de la famille dans un simple vêtement de lin blanc. Aucun objet de valeur ne doit être enterré avec le mort. La pierre tombale est placée un an après le décès. Elle y reste pour toujours.
Comme indiqué précédemment, et selon la tradition juive, les morts ne doivent pas être enterrés les uns au-dessus des autres; c'est l'une des raisons pour laquelle les cimetières israélites doivent être constamment agrandis.
Peu de temps après la création du cimetière, une morgue en bois fut construite (1693). Détruite par le feu en 1717, elle est remplacée par une autre morgue, qui elle-même fut finalement remplacée par un ensemble plus important comprenant une maison d'habitation, une chapelle et une chambre séparée pour la toilette des morts (le bâtiment existant encore comprend les mêmes installations mais il est plus récent ). En 1733, une palissade de bois entoure le cimetière.

Quelques groupes de tombes particulières


Photo A - Tombes des rabbins. © V. Sire

Photo B - Tombes de femmes décédées en couches. © V. Sire

Photo C - Cimetière d'enfants. © V. Sire

Photo E. © V. Sire

Photo F - Tombes placées dos à Jérusalem. © V. Sire
Au milieu du cimetière se trouve le groupe des tombes "des rabbins" (cf. photo A et zone B du plan) Cette zone comprend environ une vingtaine de tombes disposées relativement proches les unes des autres ; ce sont les tombes de quelques rabbins de Hégenheim, Hagenthal, Sierentz, ainsi que celles de chantres, d'instituteurs et de membres importants des communautés juives des alentours.
Les femmes décédées en couche sont enterrées le long du mur du cimetière. (cf. photo B et zone Al du plan )
Il existe également un cimetière d'enfants (cf. photo C et zone C sur le plan); d'après le docteur Achille Nordmann, ce cimetière d'enfants serait composé de deux couches; la seconde couche aurait été ajoutée lors de la construction de bains juifs pour les femmes.
Avec l'extension récente du cimetière (cf. zone H sur le plan), un morceau de terrain a été réservé aux prêtres qui souhaitent respecter scrupuleusement les règles de pureté (cf. zone H1 sur le plan).

Quelques endroits particuliers

La partie centrale du cimetière ne semble pas avoir été utilisée. Des recherches ont été effectuées sous la direction de Monsieur le Rabbin de St-Louis, et des ossements ont été découverts. Comme la tradition juive interdit d'enterrer les morts les uns sur les autres, cet emplacement, supposé avoir déjà été utilisé comme lieu de sépulture, a été laissé libre. (cf. photo D et zone D sur le plan).
Le cimetière a subi de nombreux dégâts lors des crues. La rivière du Lertzbach a détérioré un mur de soutien situé près du grand chêne. Les tombes situées près de la rivière ont également subi des dommages dûs à l'affaissement du terrain provoqué par ces crues. (cf. photo E ).
Toutes les tombes sont tournées vers l'est, vers Jérusalem. Cependant, une série de stèles semble contredire cette loi : auparavant, un muret et un chemin fermaient en partie le cimetière à l'est ; pour des raisons esthétiques, les tombes disposées le long du chemin ont été placées dos à Jérusalem. Néanmoins, il faut signaler que les personnes enterrées sous ses stèles sont placées dans la bonne direction, c'est-à-dire les yeux vers l'est (cf. photo F).

L'ETAT DES MONUMENTS

On peut noter une très grande variablilité d'état. Le cimetière de Hégenheim doit surtout sa dégradation au temps, mais cette dégradation est la plus visible dans la partie au bas de la pente; en effet, le grès des Vosges utilisé résiste mal aux intempéries et aux inondations qui atteignent régulièrement les stèles les plus proches de la rivière.

LES MATERIAUX UTILISES ET LEUR LOCALISATION

Il semble qu'une certaine répartition géographique des matériaux se soit effectuée dans le cimetière:

Dans les autre zones, C, B, il règne une grande anarchie de matériaux.

LA LANGUE ET LES INSCRIPTIONS
  1. La langue utilisée
    Les plus anciennes tombes ne portent que des épitaphes en hébreu.
    Les tombes les plus récentes portent des inscriptions dans les deux langues (hébreu-français, hébreu-allemand), voire seulement en français.
    Il est intéressant de remarquer que de nombreuses stèles de la période 1870-1914 portent des épitaphes français-hébreu, bien que l'Alsace ait été sous occupation allemande.

  2. Quelques inscriptions
    Au début de certaines inscriptions, en particulier pour la tombe de Jacques Braunschweig, on peut remarquer des petits points sur la première lettre des quatre premières phrases : ce style d'écriture forme ainsi un acrostiche représentant le prénom du défunt.
    On remarque également que sur de nombreuses stèles, il est fait mention de la générosité du défunt; en effet, la charité est l'une des " trois choses par lesquelles le monde subsiste" (Maximes des Pères 1:2) ; la forme la plus importante de la charité est l'aide matérielle aux nécessiteux; les dons, le plus souvent anonymes sont très appréciés et sont devenus une caractéristique de la manière d'être du peuple juif.
  3. Le calendrier
    Sur de nombreuses tombes, sinon presque toutes, le calendrier de l'année juive est indiqué dans l'inscription en hébreu.
    La création marque l'an 1 du calendrier juif. D'après de nombreux calculs, l'année de la création correspond à l'an 3760 avant notre ère. Sur les stèles, l'année est généralement indiquée "selon le petit comput": c'est -à-dire que l'on ne précise pas l'année dans le millénaire dans lequel la personne est décédée; il va de soi que l'on est dans le cinquième millénaire. Ainsi dans les traductions le cinq est entre parenthèse et signifie par exemple: "l'année 673 selon le petit comput ".
    Le calendrier juif suit une année lunaire de 12 mois, dont chacun compte 29 à 30 jours. Une journée commence au coucher du soleil, et s'achève le lendemain au coucher du soleil. Le Talmud le justifie ainsi par la Bible dans le récit de la Création : "Il y eut un soir, il y eut un matin", dans cet ordre.

LES DIFFERENTS MONUMENTS FUNERAIRES
  1. La disparité des formes
    Les monuments verticaux (stèles, obélisques, et colonnes) sont les plus nombreux; dans plusieurs parties du cimetière, particulièrement les zones E ou A, on remarque une certaine homogénéité dans la hauteur et la forme des pierres tombales.
    On trouve également des dalles, mais plus rarement.
    De nombreuses pierres sont de forme rectangulaire, et terminées par un arc de cercle : le sommet arrondi d'une stèle signifie que la famille considère que la personne est décédée à un âge normal et qu'elle a eu une belle vie.
    Certaines tombes présentent une colonne tronquée, montée sur un socle ; cela signifie en général que la personne est morte prématurément, que sa vie s'est achevée trop tôt .
    Quelques familles plus riches, ont pu faire installer des pierres plus hautes ou de formes différentes: dans cette catégorie, on trouve notamment des pierres qui représentent un tronc d'arbre.
    Le cimetière de Hégenheim a la particularité de présenter une stèle en bois. L'encadrement en zinc de cette stèle est de date récente et est destiné à retarder la destruction de celle-ci. Le choix d'une stèle en bois évoquerait une époque où les juifs n'étaient pas autorisés à élever des stèles en pierre ou bien, il serait dû à la pauvreté de la famille. Cette stèle en bois est l'unique du genre qui soit restée en place dans un cimetière. Elle daterait de 1855 ou 1858. Ce n'est pourtant qu'une copie car l'original est conservé au musée israélite de Bâle.

  2. Ornementation

    Les mains des Kohanim. © P. Doppler

    L'aiguière des lévites. © P. Doppler

    La palme. © P. Doppler

    Le Delta lumineux. © P. Doppler
    La Loi religieuse juive interdit la représentation d'images divines. On trouve donc dans les cimetières israélites de nombreuses ornementations rappelant le rôle que le défunt tenait dans sa communauté ou, des décors végétaux ; cependant, ces décorations peuvent avoir une signification religieuse.

    1. Le shofar
      C'est une corne de bélier dans laquelle on souffle pour exorter les fidèles à se repentir et à se soumettre à l'autorité céleste lors de la fête de Rosh Hashana ; Il rappelle la corne du bélier sacrifié à la place d'Isaac (Genèse 22:13) ; on a pu représenter cet instrument sur une stèle, soit parce que l'individu était sonneur de shofar, soit parce qu'il est mort à proximité de cette période de fête.

    2. L'étoile de David
      L'exalpha, étoile à six pointes ou bouclier de David, résulte de l'entrecroisement de deux triangles ; elle est l'emblème du judaïsme et le drapeau officiel d'Israël ; elle fut autrefois un talisman de guerre et est considérée comme la force en mouvement, l'emblème de la sagesse .
    3. Les mains des Kohanim
      Les stèles des Kohanim (prêtres) portent comme ornementation des mains levées, jointes par les pouces; la main droite évoque l'autorité spirituelle, la main gauche symbolise la rigueur et Dieu.
      Ce symbole évoque la bénédiction du grand-prêtre Aron : "L'Eternel parla à Moïse et dit: Parle à Aron ton frère et à ses fils et dis-leur:voici comment vous bénirez les fils d'Israël" (Nombres 6:22-26). Ses descendants portent les noms de Cohn, Kahn, Kahen...

    4. L'aiguière des lévites
      Avant d'aller bénir l'assemblée, les Kohanim se font verser de l'eau sur les mains, une eau purificatrice ; ce sont les Lévites (descendants de la tribu des Lévy) qui sont chargés de ce service. Dans la majeure partie des cas, leur stèle porte l'aiguière utilisée pour ce service.

    5. La palme
      Dans l'Antiquité , le palmier est le symbole du temps; mais il peut également être le symbole de la vérité , de l'intégrité et de la justice.
      La palme peut être représentée sous différentes formes : simple, elle symbolise l'immortalité ; en couronne, elle est symbole de victoire.

    6. Le Delta lumineux
      C'est l'un des premiers symboles de la tradition juive. C'est un triangle équilatéral dans lequel est représenté l'Oeil de Dieu; il est le symbole de la perfection et affirme le caractère unique de Dieu .
      Ses trois côtés se traduisent par la formule:" bien penser, bien dire, bien faire", les trois pointes signifient : "Passé , Présent, Avenir ", et le triangle entier : "Eternité ". Les trois angles représentent les trois règnes de la nature : "Naissance, Vie et Mort ".
      C'est un schéma audacieux pour une ornementation juive dans la mesure où les Juifs, par un infini respect, se refusent à représenter Dieu : c'est le sens des commandement que Dieu donne à Moïse sur le mont Sinaï : "Tu ne te feras d'images taillées, ni aucune image de ce qui est en haut dans le ciel..." (Exode 20: 4).
BIBLIOGRAPHIE


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