LES SÉE

Les origines
Banquiers
Industriels
Médecins
Militaires
Juristes
Camille Sée
Ecrivains

Destinées d'une famille juive d'Alsace
au XIXe Siècle : les SÉE (suite et fin)

Camille Sée


Camille Sée
Fils de l’agent d’affaires Gerson Sée, Camille-Salomon Sée (Colmar 1847 - Paris 1919) effectue ses études de droit à la faculté de Strasbourg. Lauréat du "Concours pour le droit français", il s’inscrit en 1869 comme avocat au barreau de Paris et travaille aux côtés du président du Conseil de l‘Ordre. Affichant ses convictions républicaines, il va connaître une carrière fulgurante à la faveur de la chute de l’Empire. Dès le 10 septembre 1870, à 23 ans, Camille Sée est nommé secrétaire général du ministère de l’Intérieur auprès de Gambetta. En l’absence de ce dernier, lors des émeutes du 31 octobre, le secrétaire général décide de rassembler la garde nationale de Paris pour protéger le gouvernement, qui réussit à quitter l’Hôtel de Ville assiégé. Démissionnaire en février 1871, il fera un passage de douze mois à la sous-préfecture de Saint-Denis (juin 1872-mai 1873). Candidat aux élections législatives partielles dans la circonscription de Saint-Denis, il est élu député le 23 avril 1876. Inscrit au groupe de la gauche républicaine, il est réélu le 14 octobre 1877, mais se désiste après un premier tour de scrutin défavorable en 1881, date à laquelle il entre au Conseil d'État.

Sensibilisé très tôt aux problèmes de l’enseignement, son mandat le porte à s’intéresser particulièrement au fonctionnement des établissements pour jeunes filles que sont les maisons de la Légion d’honneur de Saint-Denis et d’Ecouen. Convaincu de la nécessité de donner l’égalité dans l’instruction aux jeunes gens et aux jeunes filles - ces dernières étant encore privées d’enseignement secondaire - Camille Sée va livrer durant son mandat une âpre bataille parlementaire afin d’œuvrer en ce sens. C’est le 28 octobre 1878 qu’il dépose à la Chambre un projet de loi visant à organiser, sur le plan national, l’enseignement secondaire des jeunes filles. En dépit de l’opposition virulente des partis conservateurs, la "Loi Sée" triomphe devant la Chambre en 1879 et est officiellement adoptée par le Sénat le 21 décembre 1880. Elle est complétée par la loi du 29 juillet 1881 instituant l’École normale des professeurs-femmes de Sèvres, dont la première directrice est la veuve de l’ancien ministre Jules Favre. Pourront alors se succéder les créations de lycées de jeunes filles en France, encouragées par la revue L’Enseignement secondaire de jeunes filles fondée et dirigée par Camille Sée. Le nom de ce dernier sera donné à une rue et à un lycée de Colmar (18), et à un lycée de Paris.

Hommes de lettres, hommes d’idées

Il n’est donc guère de carrière importante ayant échappé aux Sée, et la sphère intellectuelle ne fait pas exception. L’on peut citer ainsi, par exemple Edmond (né à Bayonne en 1875, fils du banquier François-Salomon Sée), auteur et critique de théâtre renommé, collaborateur de la Revue de France et de l’Oeuvre, et qui publie en 1930 Le Mouvement dramatique .


Colmar
Sur la scène régionale, on retiendra la personnalité de Julien (né à Colmar en 1839, fils du futur banquier Joseph-Daniel Sée), homme de lettres qui publie diverses chroniques anciennes, comme le Livre de raison d’Ambroise Muller, bourgeois de Colmar sous Louis XIV, ou les Mémoires des Pères Jésuites du Collège de Colmar pendant la première moitié du 18ème siècle. Il fera également paraître, à Paris en 1884, son propre Journal d'un habitant de Colmar pendant la guerre de 1870. Esprit laïc et républicain, Julien Sée est aux côtés de Jean Macé lors de la création du groupe colmarien de la Ligue de l'Enseignement (19) dont il devient membre du comité directeur, et bilbiothécaire. Il optera pour la France après le rattachement de l’Alsace à l’Empire allemand.

Avec Julien, l’on trouve pas moins d’une douzaine de membres de la famille Sée au sein du groupe colmarien de la Ligue de l’Enseignement, à la fin du Second Empire. Il y a le banquier Abraham ainsi que ses fils et associés Germain et Joseph ; le négociant Simon avec ses fils Léopold, inspecteur d’assurances, et Alexandre, limonadier; le banquier Joseph-Daniel, l’avocat Abraham, le commis négociant Paul ; l’instituteur Joseph Bloch-Sée et le banquier Simon Bickari-Sée. Plusieurs autres membres de la communauté juive de Colmar les rejoignent, ainsi le négociant Mathias Bernheim, le comptable de la banque Sée, Zacharie Gerst, le directeur du conservatoire de musique, Moïse Stem, le propriétaire Samuel Weill, etc. : au total, une concentration de Juifs sans précédent pour une association colmarienne de l’époque, dans laquelle figure également comme membre la "Société des jeunes gens israélites pour l’éducation des enfants pauvres".

Par ailleurs, de nombreux membres de la Ligue de l’Enseignement adhèrent également à la Franc-Maçonnerie (20). C’est le cas de certains membres de la famille Sée qui, avec quelques autres israélites de la région colmarienne, sont les premiers Juifs à être admis au sein de la loge locale, la "Fidélité". On y retrouve en effet le banquier Joseph-Daniel, le limonadier Alexandre et le publiciste Julien Sée, ainsi que le comptable de la banque Sée, Zacharie Gerst, l’instituteur Joseph Bloch-Sée et le banquier Simon Bickart-Sée (21). Lazare Sée, professeur à la Faculté de médecine de Strasbourg, est initié quant à lui à la loge "Les Frères réunis", établie dans la métropole alsacienne. Le futur préfet Eugène-Léon Sée, entre, alors qu’il est encore avocat à Paris (1872-1876), à la fameuse loge Alsace-Lorraine au sein de laquelle il côtoie Bartholdi, Chatrian, Erckmann, Joffre (alors capitaine), Jules Ferry, etc. (22). Quant au vénérable maître de cet atelier à l’époque, il n’est autre que Gustave Dalsace - oncle de Michel-Emile Dalsace-Sée - Juif messin devenu vice-président du Conseil de l’Ordre au Grand Orient de France.

Arrêtons ici cette galerie de portraits : l’on pourrait encore y en accrocher d’autres, tant sont variés les secteurs de la vie publique conquis par la famille Sée au cours du 19 ème siècle. Mais d’aller plus avant ne permettrait pas davantage de résoudre le mystère de cet étonnant faisceau de réussites sociales. Invoquer l’extraordinaire puissance numérique d’un "clan", capable d’aligner sur deux ou trois générations des dizaines de chefs de famille dans la force de l’âge ? La réelle solidarité unissant ce réseau, décelable jusque dans les nombreuses unions entre cousins ? L’ardeur conquérante d’un milieu devant lequel s’ouvrent désormais toutes les portes, alors qu’il était naguère interdit de charges publiques, confiné à la brocante rurale, au maquignonnage et au prêt à intérêt ? Le désir de servir au meilleur niveau un État républicain et laïc, acteur et garant de cette émancipation ?

Alliée aux évidentes qualités personnelles des diverses "vedettes" de la famille Sée, une combinaison de ces atouts et de ces motivations a sans doute pu agir. Mais l’étonnement demeure entier lorsque l’on songe que tout s’est joué en quelques décennies, et cela n’a pu échapper aux contemporains. "Ils sont partout" pouvaient ainsi éructer les antisémites, médiocres et envieux, imaginant pour l’éternité la noblesse aux armées, la bourgeoisie catholique au barreau, les Protestants aux affaires... et les Juifs nulle part. Cet état d’esprit, cette incapacité à appréhender les transformations sociales liées au véritable avènement de la France républicaine, pourra donner toute sa mesure au moment de l'Affaire Dreyfus - un autre Juif alsacien ayant opté pour la France et la carrière d’officier - dont l’épilogue heureux ne devait malheureusement pas faire illusion.

Page précédente Début de l'article
Personnalités  judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .