LÉVY Fils et Cie "LL"
par Christophe Sanchez


Exposition universelle de Paris 1900 - photo Léon et Lévy
Isaac Georges Lévy a déjà fait partie d’une note lors d’un article précédent sur Les récipiendaires de la Légion d’honneur en 2014. Cette note reprend certains détails et met en valeur le travail remarquable et unique de cette entreprise, mais aussi un fait de guerre durant le siège de Paris en 1870.

L’histoire

La maison "Ferrier père, fils et Soulier" spécialiste de vues stéréoscopiques sur verre, fut de courte durée ; en 1864, les Ferrier et Charles Soulier se vendirent à deux de leurs employés, Moïse Léon (1833-1913) et Isaac dit Georges Levy (1812-1888). Léon était auparavant dans le commerce des rubans de soie avec Lévy au 243, rue Saint-Denis, à Paris, et était probablement un associé silencieux de la nouvelle entreprise.

Ils fondent leur propre studio photographique en 1862 et vendent des tirages sur papier albuminé, principalement des tirages stéréoscopiques, signés "LL". Ainsi, les lettres LL étaient les premières lettres de leurs noms de famille, Léon et Lévy.

Ayant racheté en 1864 l’important fonds de la maison Ferrier et Soulier, Isaac et son beau-père, Moyse, développent un catalogue généraliste, où l’on trouve déjà des vues d’Égypte, de Syrie et de Constantinople. Les associés obtiennent la concession des vues stéréos pour l’Exposition Universelle de 1867 et remportent la médaille d'or de l'Empereur.

À l’occasion de l’inauguration du canal de Suez en 1869, ils commandèrent les 300 vues du Voyage sur le Nil du photographe Auguste-Rosalie Bisson. En 1889, une campagne photographique en Espagne se poursuit au Maroc. Le catalogue de la maison est alors riche de 30 000 photographies et comprend des vues d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Du point de vue esthétique, le tournant est notable : à la douce poésie du Second Empire a succédé une approche plus frontale et résolument commerciale, en rapport avec la politique coloniale mise en œuvre après 1870.

En 1872, Léon partit et le studio Léon et Lévy devint "J. Lévy et Cie", Georges Lévy étant le seul directeur de l'entreprise à partir de cette date, et l'entreprise conserva l'usage de l'empreinte originale LL.

Avec les fils Lévy, Abraham Lucien et Gaspard Ernest, la société va se reconvertir résolument vers le marché de la carte postale : la marque "L.L." est déposée en 1901 - on va souvent la confondre avec la signature "L.L." du studio Lehnert & Landrock qui se crée trois ans plus tard à Tunis. Il est vrai que Lévy édite de nombreux clichés du photographe Chatelain, lequel utilise les mêmes recettes, et les mêmes modèles que Lehnert. Mais Lévy est devenu le second plus important éditeur de cartes postales en France, après les frères Neurdein : déposée en 1885 la marque ND allait vite exploiter un fonds de 40 à 50 000 clichés.

Georges Lévy est décédé en 1913 et vers 1917, Lévy Fils et Cie a été racheté par l'imprimeur Émile Crète qui a également acquis l'entreprise autrefois prospère, mais alors en difficulté de Neurdein Frères.
En 1932, il passe aux mains de l'agence photographique strasbourgeoise Compagnie Alsacienne des Arts Photomécaniques.
Source iconographique la plus importante pour le Maghreb, le fonds Lévy et Neurdein est considéré par certains comme l’archétype colonialiste d’une imagerie d’inventaire diffusée depuis Paris, et le vecteur principal d’une esthétique dégradante pour la femme orientale.

En 1967, le fonds a été racheté par l’agence Roger-Viollet qui, jusqu’à aujourd’hui, l’exploite intensivement tant pour des ouvrages nostalgiques que pour l’illustration d’essais historiques.

Généalogie

Le vol en ballon

Le contexte historique
En 1870, le moral est au plus bas. Le 19 juillet l’Empire français a déclaré la guerre au royaume de Prusse, mais il est défait sur le front de l’Est. Une armée de renfort est venue soutenir Metz, le dernier rempart avant Paris. En vain, Napoléon III va céder le commandement au général Mac-Mahon et capituler le 2 septembre. Cette capitulation entraîne la chute de l’Empire et la proclamation de la République. Le gouvernement provisoire poursuit la lutte depuis Paris puis se replie à Tours. L’armée ennemie encercle Paris : c’est le siège de Paris. Durant le siège, 65 ballons transportent hors Paris 16 passagers, 381 pigeons, 5 chiens et environ 2 à 3 millions de lettres

La mission d’Almeida-Lévy
Dans le but de rétablir les communications télégraphiques entre Paris et la province en utilisant la Seine comme file de ligne, M Georges Lévy et M Charles d’Almeida partent à bord du Ballon "le Gutenberg" le 17 décembre 1870 à 1h00 du matin à la hauteur de la gare d'Orléans.
Le ballon se poseà Montépreux près de Vitry-le-François après sept heures et demie de vol.
Il porteà son bord, outre le pilote Joseph Perruchon marin détaché du fort de Rosny, les passagers : Messieurs d'Almeida, le photographe Lévy Isaac-Georges et Louisy ; ainsi que six pigeons voyageurs. La zone étant déjà occupée par les Prussiens les occupants mettent cinq jours à échapper à l'occupant.


Jeton commémoratif du vol en ballon
du 17 décembre 1870
Voilà le récit publié dans le journal La Liberté, édition du 25 Janvier 1906 : "S'il fallait repartir, je le ferais avec un grand plaisir, me disait ce matin encore M. Georges Lévy. J'ai soixante-treize ans, mais je retrouverais d'un seul coup l'ardeur physique et, dans mon cœur, la foi ardente que j'avais il y a trente-six ans !"
M. Georges Lévy était photographe-éditeur au moment du siège. Il partit à ses frais dans le Gutenberg.
La mission d’Almeida-Lévy était, pour diverses causes, l'objet de toute la sollicitude de M. Hampont, directeur général des postes et télégraphes, et, selon les prévisions météorologiques, elle devait atterrir à Dunkerque.
Au lieu d'aller vers le nord, le ballon se dirigea vers l'est. Vers quatre heures du matin, il fit une rencontre sensationnelle, celle du Parmentier, un autre ballon, qui naviguait de concert. Les voyageurs aériens se congratulèrent en riant et, finalement, manœuvrèrent de façon à ne pas se heurter, car l'ancre du Gutenberg menaçait de crever l'étoffe du second ballon.
Les passagers étaient à 2200 mètres d'altitude. dans une véritable mer de coton, et la lune brillait majestueusement au-dessus d'eux.
Sur les huit heures, M. Georges crut reconnaître au-dessous de lui le paysage de la Hollande, qui lui était familier et, très désillusionnés, les voyageurs opérèrent leur descente, qui eut lieu en pleine solitude.
M. d'Almeida dont le sang-froid ne se démentait jamais, accrocha une petite glace à un arbre, puisa de l’eau dans une mare boueuse et tranquillement se mit à faire sa barbe.
Sa toilette terminée, le chef de la mission déclara qu’il avait grand faim. On déballa les provisions, et sur cette terre inhospitalière on fit cependant un excellent repas.
"Nous avions dégonflé notre ballon, continue M. Georges Lévy, et c'était heureux car nous aperçûmes un régiment de cavalerie qui défilait sur la route... c’étaient des uhlans allemands ! Nous étions tombés, non en Hollande, mais dans la Champagne pouilleuse, en plein pays occupé par l'envahisseur, et à Gourgançon, où nous arrivâmes après mille péripéties, chacun fuyait à notre approche. Les Prussiens devaient cantonner dans le village ; on attendait leur arrivée d'un moment à l’autre, et comme notre ballon avait été signalé, les paysans craignaient des représailles s'ils nous donnaient asile.
Grâce à l’aimable intervention du curé, qui remplissait les fonctions d’adjoint au maire, nous parvînmes toutefois à sortir d'embarras, à ne pas être fusillés, à sauver notre ballon et à remettre notre courrier au directeur des Postes de la ville de Troyes.
Le Parmentier, de son côté, avait atterri à Montépreux et nous pûmes également, mais avec combien de peines ! sauver son chargement de dépêches. Notre mission ne revint à Paris qu’après l'armistice".
Georges Lévy, photographe pour le Ministère de la Défense, avait pour mission d’accélérer la réception des dépêches à Paris.(Le but consistait à Bordeaux, au moyen de ses appareils photographiques de reproduire les télégrammes à expédier de province à Paris).
En consultant le rapport d’Almeida, "M Isaac Georges Lévy est considéré comme l’un des photographes les plus habiles qui s’était exercé à la reproduction microscopique des dépêches, il était celui qui avait le mieux réussi".

Les précurseurs du film en relief

Georges Lévy et sa femme Rosine sur une calèche
Par la stéréoscopie, les anaglyphes, MM. Charles d’Almeida, M. Georges Lévy et M. Gabriel Lippmann font partie des pionniers de la photographie stéréoscopique qui donnera naissance aux films en relief.

Stéroscopie : La stéréoscopie est l'ensemble des techniques mises en œuvre pour reproduire une perception du relief à partir de deux images planes.

Anaglyphe : Un anaglyphe est constitué de deux images superposées (appelées homologues) de couleurs complémentaires représentant la même scène, mais vue de points légèrement décalés. Ainsi, si le décalage est différent pour divers éléments de l’image, celui qui regarde l’image à travers des filtres aura l’impression de voir une image dont les points sont situés dans tout l'espace. On voit alors cette image en relief.

Anecdote :

Georges Lévy et sa femme, leurs enfants apparaissent sur certaines des nombreuses cartes postales qu’ils ont publiées. Ils étaient dit-on coutumiers du fait au gré de leurs pérégrinations de se mettre en scène, un peu à la manière d'Alfred Hitchcock qui apparaissait furtivement dans certains de ses films.

Sources :

Personnalités  judaisme alsacien

© A . S . I . J . A .