Rolph HAMMEL
1912 - 2006
par le grand rabbin Alain GOLDMANN



Rolph et Lucette Hammel - © Muriel Basse
Rolph Hammel est né en 1912 à Karlsruhe en Allemagne. Avec ses parents il s'installe à Strasbourg après l'arrivée des nazis au pouvoir. Son berceau familial est d'ailleurs à Marmoutier (Bas-Rhin). De nationalité française du fait que sa famille avait demandé sa réintégration dans la nationalité française après le rattachement de l'Alsace-Lorraine en 1918, il effectue son service militaire sous l'uniforme français. Rendu à la vie civile, il travaille alors pendant quelques années dans une entreprise d'électricité-quincaillerie à Strasbourg jusqu'à la déclaration de la seconde guerre mondiale.

La ville est évacuée en septembre 1939. Une grande partie de la population est dirigée vers le sud de la France, dans le Limousin ou en Dordogne. Après l'armistice de juin 1940, les populations alsaciennes sont autorisées à regagner leurs foyers dans l'Est de la France à l'exception des juifs. Ceux-ci vont donc devoir rester dans cette région du Sud-Ouest jusqu'à la fin de la guerre. Des communautés juives vont donc s'organiser sous la responsabilité des Consistoires concordataires dont étaient originaires la plupart des fidèles. Il semble que près de dix-mille de ces personnes se soient regroupées autour de rabbins, de ministres officiants et autres cadres communautaires réfugiés dans ces lieux.

Les faits que je consigne ci-dessous m'ont été rapportés par Rolph Hammel lui-même. J'ignore quelles furent ses occupations à cette époque jusqu'à la Libération du territoire français. Il s'est surtout impliqué dans le regroupement des jeunes, pour les aider dans leur formation juive. Certains d'entre eux avaient des occupations d'apprentissage au Centre ORT fonctionnant à Périgueux jusqu'à sa fermeture lorsque la situation est devenue critique pour les jeunes. Rolph Hammel racontait avec enthousiasme avoir créé une troupe de théâtre ayant monté et joué la pièce Jérémie de Stefan Zweig. Il n'était pas peu fier d'avoir réussi cet exploit. Quand il me le racontait il avait les yeux qui brillaient. Je pense que c'est là qu'il a flashé sur Lucette, née Kuhlmann, d'une fratrie de trois enfants que j'ai eu le privilège de connaître. Lucette a partagé avec Rolph tous ses enthousiasmes, tous ses projets et toutes ses réussites. Elle fut réellement l'épouse modèle dirigeant son foyer et l'éducation de leurs trois enfants, Liliane, Raymon et Muriel d'une main de fer dans un gant de velours.

Mais c'est surtout son implication personnelle et constante durant la période d'occupation allemande qui mérite d'être soulignée. Il avait mis au point avec un responsable du service de police de la Préfecture de la Dordogne un système d'alerte avant les rafles prévues. Une lumière devait être allumée dans l'un des bureaux : c'était le signal convenu. Aussitôt, Rolph faisait partir dans toutes les directions du département des jeunes à bicyclettes pour alerter les juifs menacés d'arrestations. C'était un véritable exploit à une époque où contrairement à la nôtre, on ne disposait pas de portables et encore moins de WhatsApp. Malgré les conditions difficiles de cette période, ce système a pu être efficace dans la plupart des cas. On comprend la fierté de Rolph quand il me racontait ce genre d'exploits. A mon avis, il a largement mérité d'être décoré dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur où il a obtinu le grade d'Officier dont les insignes ont été remise en ma présence par le Préfet du département de la Dordogne. Ses nombreux amis personnels, professionnels et les membres de la communauté israélite étaient présents.

J'en viens maintenant à la période à partir de laquelle nous avons étroitement travaillé ensemble. J'ai occupé le poste rabbinique de Bordeaux, prenant la succession du grand rabbin Joseph Cohen, qui l'avait occupé pendant près de quarante. C'était une succession redoutable pour un jeune rabbin âgé seulement de 27 ans. J'y suis resté de 1958 à 1965, et je n'avais alors qu'une petite expérience du rabbinat. De plus, moi d'origine achkenaze je relevais le défi de diriger une communauté sefarade, celle de Bordeaux étant de rite hispano-séfarade. Ayant l'oreille musicale, je n'ai pas eu trop de difficultés d'adaptation. C'est à ce stade que la présence amicale et affectueuse de Rolph a été précieuse pour moi et ma famille. Il est vrai aussi que par Lucette il y avait de lointains liens familiaux avec le grand rabbin Schilli, le père de mon épouse Danièle.

Mon épouse allait notamment s'investir dans le social et l'éducatif à mes côtés. Elle avait l'esprit très jeune qu'appréciaient ses élèves du Talmud-Torah, tant ceux de Bordeaux que ceux de Périgueux. En effet, à l'exception d'une année scolaire où elle m'a remplacé à Périgueux, durant mon mandat de sept ans entre 1958 et 1965, je me rendais chaque semaine le jeudi après-midi, jour de congé scolaire, dans cette petite communauté de la Dordogne portée à bout de bras par son président, pour y dispenser l'enseignement religieux. J'y préparais également les garçons à la bar-mitzwa. Je n'y ai célébré qu'un mariage religieux. En fait, j'étais l'autorité religieuse de cette communauté et avec une forme d'humour Rolph tenait à me faire passer pour citoyen d'honneur de la ville. J'y reviendrai plus loin.

Je tiens ici à préciser que durant la guerre, quand ma famille évacuée de Strasbourg résidait à Bergerac, je me rendais chaque semaine à Périgueux où se trouvaient la sœur de ma mère et son mari. Celle-ci habitait aux Maurilloux, à deux kilomètres de la ville. Elle connaissait bien la mère de Rolph Hammel. Mon déplacement hebdomadaire alors que je n'avais qu'une dizaine d'années, était justifié également par le fait qu'à Périgueux se trouvait une boucherie cachère qui a pu fonctionner jusqu'au début de l'année 1944. Je m'y rendais pour rapporter un peu de viande en échange de quelques tickets de rationnement. Je dois préciser, que malgré les conditions difficiles, ma famille n'a jamais renoncé à la pratique du Shabath, des fêtes religieuses et à l'observance des lois alimentaires. Durant toute cette période, j'ai également pu bénéficier d'un enseignement religieux intensif grâce au ministre officiant de Bergerac, Monsieur Moïse Steinhart.

Je reviens à présent sur l'action de Rolph pendant presque soixante années de présidence à la tête de la communauté israélite de Périgueux. Pour sa part, Lucette était la première dame, présidant notamment la WIZO locale et bien d'autres domaines encore où elle intervenait. C'était le couple phare de la communauté juive de Périgueux. Leur adresse était connue et quiconque s'y rendait y trouvait soutien moral ou financier, en toute simplicité, en discrétion et sans aucune forme d'orgueil. Son grand combat des années d'après-guerre fut de construire une belle petite synagogue. C'était sa fierté. Elle fut inaugurée en novembre 1967, quelques mois après la guerre des six Jours. A l'issue de celle-ci, lors d'une conférence de presse, le Général De Gaulle fustigea l'Etat d'Israël coupable selon lui d'avoir engagé le premier les hostilités contre ses voisins arabes qu'il avait vaincus dans une guerre-éclair de six jours. De Gaulle avait alors parlé de ce petit état presque né des cendres de la Shoah en le qualifiant de "peuple sûr de lui et dominateur". Ces paroles donnèrent l'occasion au grand rabbin Jacob Kaplan, venu inaugurer la nouvelle synagogue, de dénoncer les propos du Général. Les services de renseignements ne manquèrent pas de les remonter à Paris, permettant à ces deux éminents personnages de s'expliquer lors des vœux annuels de l'Elysée début janvier. Pour se tirer d'embarras le général voulut démontrer qu'il avait voulu faire l'éloge de l'Etat-d'Israël. Rolph Hammel me dit alors qu'il n'était pas peu fier de ce qui s'était passé dans sa ville.

Rolph avait à cœur que les offices réguliers du Shabath et des jours de fêtes puissent se dérouler normalement. Il engageait un 'hazan (chantre), M. Salomon Cohen venu du Portugal, puis son gendre M. Albert Kirch, anciennement à Metz. Durant une courte période la communauté s'attacha les services de Monsieur Jacky Dreyfuss, rabbin diplômé du Séminaire Israélite de Paris qui devint ensuite grand rabbin de Colmar et du Haut-Rhin. C'est dire combien Rolph s'investissait personnellement sans oublier ses généreuses contributions à la communauté pour que celle-ci rende les services religieux et sociaux que l'on en attendait. Ainsi, pour que les enfants de la communauté puissent bénéficier des cours dispensés au Talmud-Torah, Rolph se faisait même un devoir de faire le ramassage scolaire avec sa propre voiture. Il considérait qu'aucun enfant ne devait rester au bord de la route. Quel dévouement !

Malgré tout, il ne perdit pas son allant à la disparition de la compagne de sa vie qui l'avait tant soutenu durant de si longues années. Je puis témoigner que durant les quelques années de son veuvage, il poursuivit son chemin sans trop perdre de son dynamisme. Malgré sa fragilité cardiaque il n'hésitait pas à se rendre régulièrement aux réunions du Consistoire central, ce qui l'obligeait à des changements de trains extrêmement fatigant. Il m'appelait presque quotidiennement pour avoir à qui parler et rompre ainsi sa solitude. Nous avons tous deux partagé les mêmes soucis pour la santé déclinante de nos épouses respectives. Il y a des souvenirs précieux qui ne peuvent s'effacer.

J'ai tenu à écrire ces lignes en hommage à un homme, profondément juif, attaché aux valeurs de la République. D'un courage intrépide, le cœur débordant de générosité, il nous laisse l'image d'un dirigeant communautaire prêt à tout pour défendre l'idéal de justice et de bonté qui le caractérisait. Sa fréquentation était pour moi une source permanente de stimulation et de soutien.

Alain GOLDMANN

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