« Mon cher Loup »
Rémy METZGER
Texte écrit en hommage à Loup, à l'occasion de la journée EI de la région EST du 19 avril 2015.


Mon cher Loup,

Si, si, c'est bien à toi que je m'adresse.

Oh oui, je sais bien. Depuis quelque temps, nous n'évoluons plus tout à fait dans les mêmes "sphères".
"Et alors" ? Serai-je tenté de te dire.

Il fut un temps où tu nous avais habitués à moins de conformisme.
Et quand tu avais décidé de faire quelque chose, rares étaient les obstacles qui pouvaient t'en empêcher.
De plus, les EI ne sont-ils pas depuis toujours les champions des dialogues et du vivre ensemble présumés impossibles ?
Dialogue entre religieux et non religieux, entre ashkénazes et sépharades, entre parisiens et provinciaux et puis aussi et surtout dialogue entre les générations.

Alors ce soir, j'ai la faiblesse de penser qu'un dialogue initié entre toi et moi il y a plus de quarabte ans, ne peut pas s'arrêter comme ça, bêtement, sous un prétexte fallacieux. En tout cas, je ne te cacherai pas que j'ai très envie d'y croire.

Le dialogue entre générations ? Je crois bien que c'est la première leçon que tu m'aies donnée parmi de nombreuses autres.
Non, non. Tu n'étais pas un donneur de leçons, comme on l'entend communément.
Tout au plus étais-tu un transmetteur de messages. Sans grand discours.
Quelques mots, une attitude, une posture… la pédagogie par l'exemple.

Je devais avoir douze ans lorsque je pénétrais pour la première fois dans le "saint des saints", dans l'antre du Loup, la première fois aussi que je goutais au fruit non défendu, la cerise sur le ghetto, au 3 rue Sellenick.
"Bonjour Monsieur" avais-je eu la naïveté de dire.
Une réplique bien sentie de ta part m'a fait comprendre, que certains principes inculqués avec application par mes parents, n'étaient ni absolus ni inviolables et que le respect dû à un aîné pouvait se passer d'un formalisme consensuel.
Aujourd'hui, je comprends que c'est par ce bref échange que je suis rentré de plain-pied et pour toujours dans ma nouvelle famille, celle des EI.

Et puisque je suis censé parler de toi, sans t'encenser, censé parler sans ces mots qui flattent, sans tomber dans la gueule du loup du dithyrambe, en te lançant des fleurs, des roses ou des gueules de loup, sans mettre à mal ta modestie (Loup apprécierait-il qu'on le loue ?), pour toi qui, ta carrière durant fus un professionnel de la brosse et non de la brosse à reluire, pour toi donc, je veux apporter ma modeste contribution à l'hommage qui t'es rendu en prononçant en toute amitié et en toute humilité, quelques mots d'Est … mots d'Est pour l'ancien commissaire régional que tu as été, toi qui a trouvé le moyen de t'occuper des EI de Strasbourg, tout en créant en parallèle ceux de Nancy, Belfort et Besançon.

Et comment, en cette période du décompte de l'Omer, ne pas évoquer le bien-nommé 49ème, ce grand rassemblement régional dont tu fus l'instigateur et l'artisan et à l'occasion duquel tu as affrété tout un train, conduisant tous les EI de l'Est de Strasbourg en Bretagne, sans même une correspondance à Paris ?

Je voudrais donc commencer mon propos, mon cher Loup, en te disant que pour moi tu as été un homme d'exception.
Je veux dire par là que tu incarnais l'exception qui confirmait toutes les règles ou presque, au point que cela touchait parfois à l'énigme.
Et j'en veux pour preuves les quelques exemples que je vais donner dans ce qui suit.

Pour commencer, je te parlerai de cette foutue énergie que tu puisais je ne sais où et qui m'épuisait rien que d'y penser.
Toi Loup, tu étais l'infatigable chronique symbolisé dans le jeu des 1000 bornes par la carte l'"increvable". Je me dépense, un pneu, beaucoup, passionnément, à la folie... Bref, quasiment déjanté.
Il est un autre domaine où tu étais une exception qui confirmait une règle, règle qui dit qu'en général une personne n'est capable de faire, correctement, qu'une seule chose à la fois.
Toi Loup, tu étais absolument incapable de faire une seule chose à la fois : les EI, le Consistoire, le Gan Chalom, la JJE, l'APAJ, la Communauté, la Hevra Kadischa, sans parler des visites aux malades et j'en passe et des Meyer.
Disons le sans détour ; sur le plan des activités communautaires, tu avais une vraie faim de loup.

Cette incapacité à faire une seule chose à la fois se manifestait également dans les gestes quotidiens. C'est ainsi que sur l'autoroute reliant Strasbourg à Obernai sur les panneaux électroniques qui incitent à lever le pied, à vérifier la pression de ses pneus, à attacher sa ceinture de sécurité, à faire des choix existentiels et stratégiques entre un petit clic et une grande claque, entre boire et conduire ou entre conduire et dormir, on aurait très bien pu imaginer qu'il y ait eu un jour affiché en lettres lumineuses "Mettre les tephilines ou conduire ? Pourquoi choisir ?".
Nul doute que tu étais plus attaché aux traditions qu'à tes voitures.

Un autre domaine où tu t'inscrivais dans l'exception est celui de l'altérité.
Pour parler de la méchanceté des hommes envers leurs semblables, on a l'habitude de dire que l'homme est un loup pour l'homme.
En guise de démenti cinglant à cette affirmation, à ce lieu commun, nous pouvons tous ici témoigner qu'il existait à Strasbourg un Loup qui était un véritable "mensch" pour son prochain. La main sur le cœur, c'est aussi à ça qu'un sein sert.

Si tout foyer est en quelque sorte comme un îlot, le n°3 de la rue Sellenick, pouvait sans conteste être considéré comme une île. Une île des réunions.
Réunions de travail bien sûr, réunions qui se déroulaient entre sticks et cacahuètes, qui débutaient entre chien et loup pour se terminer fort tard dans la nuit.
Mais réunions conviviales aussi, autour d'une table (soumise à force d'être dressée) et d'un bon repas.
Etait-ce vraiment un hasard si Colette et toi habitiez à l'entrée de cette rue mythique, communément appelée le "ghetto" , faisant ainsi référence à des lieux et des époques où les "gentils" parquant nos ancêtres dans des ghettos, ne leur faisaient pas de quartiers, vous donnant ainsi une quasi posture de gardiens de phare, de détenteurs des clés, au sens large du terme, de notre petit monde, si petit mais si riche ?

Mais le temps a passé et aujourd'hui, D merci, les portes des ghettos sont ouvertes, posant du coup la lancinante et angoissante question de l'assimilation.
La désintégration par l'intégration, la dissolution comme solution, un peuple d'élite qui se délite.
Et si nos ancêtres dans leurs ghettos étaient souvent comprimés, parfois effervescents, se pose aujourd'hui la question suivante : le peuple juif est-il soluble parmi les nations ?

L'action étant un excellent dérivatif à l'angoisse, tu avais choisi d'inscrire ta vie sous le signe de l'action.
Et même si le mot "angoisse" n'avait l'air de trouver que très peu d'écho dans ta personnalité, il semble clair et évident, qu'une très forte préoccupation quant à l'avenir de notre communauté et au-delà d'elle de notre peuple, avait toujours été un moteur puissant et un fil conducteur permanent de ton action dans la communauté en général et aux EI en particulier.

Comment parler de toi mon cher Loup, sans parler de celle qui , à tes côtés depuis si longtemps, n'a eu de cesse de te soutenir dans tous tes combats au quotidien ?
Colette, toujours discrète derrière son loup, discrète mais efficace, avançant dans la vie à pas de loup, empreinte du silence de ceux qui ont des choses à dire.
La parole est d'argent, le silence est d'or, dit le proverbe.
La parole est dedans, le silence est dehors pour celle que je qualifierais de Colette de fond.
La parole est d'argent, le silence est d'or, le lion est de bronze…et Colette est de marbre.

Mon cher Loup,
Mon propos serait tout à fait incomplet si je ne parlais pas encore un peu des EI.
Ce mouvement des EI qui pour nombre d'entre nous fut une sorte de seconde famille et le creuset alors insoupçonné de nos amitiés durables, voire une agence matrimoniale, obéissant ainsi à la vocation d'un mouvement de genèse, d'une école de la vie, d'une fac de l'être, mouvement apolitique, non dogmatique, même si l'on y prône avec force, le port du foulard.

Quelle superbe ironie que celle de la création des EI par Castor, ingénieur acousticien, co-inventeur de la stéréophonie en même temps qu'inspirateur d'un certain pluralisme à la juive, un ingénieur acousticien qui crée un mouvement ayant pour vocation de réunir des gens... pour qu'ils s'entendent.
Un Castor soucieux et préoccupé tant sur le plan professionnel que dans son action au sein des EI, par les problèmes de diversité et d'harmonie.
Sans doute peut-on affirmer qu'aussi vrai que Racine a écrit Iphigénie, le mouvement des EI a pris racine grâce à un génie de la hi-fi.

Quant à un parallèle historique entre le peuple juif dans son ensemble et la stéréophonie en particulier, je me permettrai de rajouter qu'en survolant les vingt siècles écoulés, siècles jalonnés de rapports conflictuels quasi permanents entre le peuple d'Israël et les autres nations, on peut constater que si d'un côté le CD et le CD-ROM ont supplanté le microsillon, d'un autre côté le petit peuple juif , à savoir le micro-Sion, proche du Nil et loin du vinyle, au fil du temps et par sa haute fidélité à ses valeurs, a fait céder Rome.

Mais je m'égare au lieu de conclure, je louvoie et je vois Loup qui se demande où je veux en venir.
Mais tout simplement à la conclusion pour te dire mon cher Loup, que pour ton action au sein des EI, action remarquable tant par sa permanence, sa longévité, son efficacité, et donc aussi pour ta persévérance dans cette action, persévérance pouvant parfois friser l'obstination, pour tout cela donc, nous te devons un grand merci, car tu as fait partie de ces gens qui durant de nombreuses années ont porté le mouvement sur leurs épaules, permettant à son message de se transmettre de génération en génération et ce malgré les crises et les tempêtes.

Maintenir le cap coûte que coûte, coûte que scout, tel un loup de mer, c'est bien le moins que l'on pouvait attendre de toi.

Cordial coup de patte. Shalom
Rémy, Goupil dévoué et spirituel


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