HAGGADA DE PESSA'H
Albert Neher
extrait de L'UNITE - Semaine religieuse israélite, 23 mars 1945, 2° année - N°12


Le plat du Séder avec ses trois matsoth (celle de Lévi est au millieu)




Maguid, le récit de la sortie d'Egypte pendant le Séder




'Had Gadya, le petit cabri
Détails des illustrations réalisées par Albert Neher
pour la Haggada de Ma'hanyim, 1942

YA'HATS :

Au début du Séder on partage en deux une matsa, on en replace une moitié sur le plat et on met de côté l'autre qui servira d'Aphikomen à la fin du repas, On prend dans cette intention la matsa moyenne, celle qui porte le nom de Lévi. Peut-être nos Sages ont-ils par là voulu évoquer la mission glorieuse qui échut à Lévi et à sa famille durant la servitude et la délivrance d'Egypte. Des douze fils de Jacob, Lévi fut le seul à recevoir son nom de la bouche de son père ; tous les autres furent dénommés par leurs mères (Genèse 29:34). N'y avait-il pas là une vision prophétique de l'importance qu'allait acquériir cette tribu au sein d'Israël ? La généalogie de Lévi est amplement développée (Exode 6). C'est par elle que nous savons établir la chronologie exacte du séjour de nos pères en Egypte.

En insistant, dans les versets 26 et 27 de ce chapitre, sur l'appartenance de Moïse et d'Aaron à la famille de Lévi, la Torah semble vouloir proclamer : "Ecoutez, ô fils d'Israël, et sachez bien que c'est de cette tribu que sont issus vos guides, de cette tribu vos maîtres et vos princes, de cette tribu vos conseillers fidèles, gardiens de la tradition : Miriam, la prophétesse inspirée. Aaron, l'orateur enthousiaste, Moïse, le chef dévoué, qui, dans l'oppression, vous ont consolés et réconfortés par les promesses divines et vous ont fait espérer et entrevoir la fin de la servitude." Rachi dit que la tribu de Lévi était exempte des corvées égyptiennes, prouvant son assertion par le fait que Moïse et Aaron pouvaient paraître devant le Pharaon sans encourir de remontrances quelconques. Le prestige des Lévites au, milieu du peuple était si grand qu'il en imposait même à Pharaon et à sa cour. La partie de la matsa que nous laissons dans le plat, à côté des herbes amères, pourrait représenter cette situation élevée des Lévites en Egypte ; l'Aphikomen serait alors le symbole de la constance dont fit preuve la tribu de Lévi dans les pérégrinations du désert, et qui lui valut d'être appelé par Dieu à son service.

Autre explication : Le Lévite est le représentant du pauvre en Israël ; n'ayant point de territoire, dispersé dans ses quarante-hui villes, il se tenait devant les aires afin de recevoir les dîmes et les offrandes ; ce faisant il avertissait de songer également à la dîme des pauvres. L'indigence du Lévite, voulue par la Torah, empêche que tout autre pauvre en Israel ait à rougir de son état. La veuve, l'orphelin et l'étranger sont, dans l'échelle sociale, au même niveau que le Lévite, serviteur de Dieu. A l'instant où l'on ouvre les portes pour inviter le pauvre à partager notre repas pascal (Ho la'hmo), la tradition veut que nous prenions en mains la matsa de Lévi, afin de nous pénétrer des merveilleuses solutions que la Torah propose au problème si 'angoissant de l'indigence et du paupérisme. Dans cet ordre d'idées on pourrait dire que la moitié de la matsa laissée sur le plat du Séder constitue la part du pauvre, et l'Aphikomen celle du Lévite.

Et cela nous mène à une troisième explication : l'Aphikomen vient de Lévi parce que - au contraire de l'Epikomon grec, qui était un dessert frivole au cours de quoi la musique servait d'amusement profane - le dessert d'Israël est pur comme l'était la musique des Lévites au 'Temple de Jérusalem, et. comme l'a été la jubilation du Cantique de la Mer où Moise. et Miriam - de la famille de Lévi - conduisaient les choeurs.

KENEGUED ARBAA BANIM DIBRA TORAH :

"La Torah parle de quatre enfants : d'un Sage, d'un Méchant, d'un Simple et d'un Enfant ne sachant pas questionner." Notre récit de la Sortie d'Egypte n'est autre chose qu'une réponse aux question de l'enfant (Ma Nichtana). Le père de famille.doit donner à son exposé les qualités susceptibles de satisfaire l'enfant. Celui-ci fût-il naïf au point de ne savoir formuler qu'un vague "Qu'est cela ?", fût-il jeune au point de ne pouvoir questionner du tout, il nous appartient de nous mettre à son niveau. Il nous faut être enfants avec les enfants.

Lorsqu'à la fin du Séder nous entonnons les chansons populaires si faites pour charmer les plus petits, ceux-ci, souvent, se sont déjà assoupis. Nous devons, nous les grands, chanter quand même. J'en connais qui ferment leurs Haggadoth dès "Adir hou": ils sont trop mûrs, disent-ils, pour gaspiller un temps précieux dans ces puérils divertissements d'antan. Ils ont tort. Nous devons chanter. Quand même les petits ne nous écouteraient plus, Dieu nous entend encore. Il nous faut être enfants devant Dieu.

VAAMARTEM ZEVA'H PESSA'H :

"La ville fermée fut livrée pendant la fête de Pâque?" Ce verset du piout de Rabbi Eléazar Ha-Kalir fait allusion à la prise de Jéricho : (Josué ch. 5 et 6 - Haphtara du premier jour de Pâque.). Dans l'histoire d'Israël, la sortie du Pays d'Egypte et l'entrée en Pays de Canaan sont sur le même plan. Autant l'Exode était un phénomène absolument prodigieux qu'aucun homme n'a pu amener, pas plus qu'aucun n'a pu l'empêcher, autant la prise de la première ville en Terre promise était entièrement l'effet de l'intervention Divine et non pas le fruit d'une conquête par la force des armes. L'Ange de l'Eternel, questionné par Josué, avait pour mission de lui annoncer qu'il était là avec l'Armée Céleste afin de lui venir en aide. Josué ne voyait que lui ; les myriades d'anges l'entourant, il ne les voyait point et pourtant il était au milieu d'elles. C'est pourquoi leur chef lui dit : "enlève tes souliers, tu te trouves parmi des Saints". Dès le premier grand obstacle se présentant à eux, les Israélites devaient se rendre compte que Dieu réalisait Sa promesse et combattait pour eux avec Ses Armées. Il ne fallait point qu'ils disent : "notre vaillance et notre puissance nous ont ouvert le chemin de Canaan". Si Dieu avait détruit Jéricho le premier jour, les Israélites eussent supposé qu'il s'agissait d'un cataclysme, d'un accident naturel. Au lieu de cela, il leur fut prescrit : "l'Arche de l'Eternel contournera la ville pendant sept jours, les trompettes sonneront pendant sept jours, quant à vous, vous suivrez en silence; le septième jour, vos voix retentiront, et la Ville vous sera ouverte, parce que telle est Ma volonté." C'est ainsi que Dieu a fait don à Son peuple de Jéricho, comme quarante ans auparavant - dans le silence des sept premiers jours de l'Exode ( Exode 11:7 - 14:14) qui s'achevèrent par l'éclat du Cantique de la Mer - , Il lui avait fait don de la liberté.

HAD GADYA :

"Un chevreau, un chevreau, que mon père a acheté pour deux zouz, un chevreau, un chevreau..." Les interprétations de cette conclusion du Séder sont nombreuses. Dans sa Haggada, Lehmann cite la version particulièrement intéressante de B. Tévié. Bondi. La chanson serait née en Egypte, au premier Pessa'h. Beaucoup d'Egyptiens auraient alors désiré embrasserle judaïsme. Voyant les lsraélites acheter le chevreau pascal, les néophytes s'imaginaient que les Hébreux faisaient de la sorte acquisition de la divinité qu'ils allaient adorer. Les Israélites leur montrant qu'un chat pouvait déchirer le cabri, les Egyptiens proposèrent d'adorer le chat. Il fallut alors toute la démonstration largement menée dans le "'Had Gadya" pour amener les Egyptiens par une élévation progressive à la reconnaissance du Dieu Suprême. Maître de la vie et de la mort.

Sous une forme répondant aux moyens d'expression de l'enfant, la chanson est au fond une grande leçon philosophique. Tous nos rites sont des puissances de spiritualisation. Au temps du Temple, l'enfant voyait son père acheter l'agneau pascal et l'offrir en sacrifice ; l'observation de ces actes matériels et de tous ceux qui venaient s'y joindre durant le Séder, lui inspirait, comme par une sorte de raisonnement intuitif et discutif A la fois, les idées métaphysiques les plus hautes. Il se peut qu'à l'origine le 'Had Gadya n'ait été autre chose que l'expression de ce raisonnement, et c'est ainsi qu'il faut peut-être le comprendre aujourd'hui encore où la matsa et le maror ont seul subsisté.

A la fin du Séder, l'enfant se représente la leçon générale de la cérémonie, et sa chanson est un émouvant hommage à son père ; il comprend maintenant qu'en donnant le Séder son père l'a guidé doucement sur le chemin éternel qui de l'acquisition du chevreau de Pâque conduit à la connaissance de Dieu. Désormais le Saint, Béni Soit-Il, est vraiment pour lui : " Elokei Ovi - Dieu de mon père".


Personnalités  judaisme alsacien Accueil
© : A . S . I . J . A.