Dans Mulhouse, république suisse (1515-1798).

Durant que Mulhouse fut République Suisse (1515-1798), les Juifs ne furent pas admis à y demeurer, non plus d'ailleurs que les catholiques. L'on ne connait guère qu'une autorisation accordée à un Juif de s'y établir et d'y vaquer à ses affaires (1655) Néanmoins, ceux qui habitaient dans les villages voisins : Dornach, Pfastatt, Rixheim, Issenheim, Luemswiller, y pouvaient venir débiter leur marchandises, du matin au soir, le dimanche et le mardi, à titre précaire, et avec des restrictions de plus en plus nombreuses. Ils furent plus d'une fois menacés de perdre cette faveur, partiellement du moins, et, le 15 octobre 1690, une ordonnance du magistrat leur supprima la permission de s'y rendre le dimanche. A chacune de leurs entrées dans Ia ville, ils devaient payer un péage corporel qui les assimilait à des animaux ("Juden-Vieh- und Brückenzoll"), lequel ne fut supprimé, après bien des démarches qu'en 1791, alors que les Juifs de la contrée étaient déjà devenus citoyens français. Mulhouse fut la dernière ville d'Alsace à maintenir cette prestation insultante que Louis XVI avait abolie dès 1784.

Pendant cette période, la République de Mulhouse eut toutefois l'occasion de prouver qu'elle n'était pas rebelle à tout sentiment d'humanité à l'égard des Juifs. Lors de l'envahissement brusqué de l'Alsace par Turenne, les Juifs de la région se réfugièrent à Mulhouse. Ils y furent admis, mais une ordonnance du magistrat, en date du 26 août 1674, imposa alors à chaque ménage le paiement d'une contribution de 10 florins.

Lorsque les dangers de la guerre eurent disparu, le Conseil fit savoir aux Juifs qu'ils devaient quitter la ville dans les huit jours (17 mars 1675) . Un siècle plus tard, des faits semblables devaient se reproduire.

Par ailleurs, de multiples documents établissent que dans les procès entre Juifs et chrétiens qu'ils eurent à juger, les magistrats de la République Mulhousienne surent observer les règles de la plus stricte équité (1). Alors que commençait en France la Grande révolution, la populace se livra en Alsace à de nombreux excès. Dans le Sundgau particulièrement, l'effervescence se dirigea contre les nobles et les Juifs. Le Conseil des Magistrats de Mulhouse décida d'admettre les Juifs du voisinage à se réfugier dans la ville. Plusieurs prolongèrent leur séjour au delà de la période de trouble. Mais la Ville s'efforça de les refouler dès que les Magistrats crurent avoir suffisamment rempli leurs devoirs d'humanité. Les Juifs de la région, reconnaissants, composèrent une prière spéciale pour le salut des villes de Mulhouse et de Bâle, celle-ci les ayant également accueillis. Cette prière fut longtemps récitée le sabbat, après la prière pour le Roi, dans les synagogues du Sundgau.

Bientôt Mulhouse se réunissait à la France et, à partir du 15 mars 1798, les Juifs, maintenant citoyens, y purent de nouveau demeurer. Une nouvelle Communauté allait se former.

La Nouvelle Communauté

Établissement (1795-1830).

Mulhouse devenue française, les Juifs des environs, de Dornach, Pfastatt, Habsheim, Sierentz, Soultz ainsi que du Sundgau, vinrent peu à peu s'établir dans la Cité qui leur ouvrait ses portes. Le premier arrivé fut un nommé Meyer Hirsch, qui demeura rue des Boulangers, où, dès 1798, lui naissait un fils Baer Hirsch. Joël Bottegay, en juillet de la même année, quittait Dornach. La Terreur battait alors son plein, Schneider, le trop célèbre terroriste approchait de Dornach avec sa guillotine. Joël figurait sur la liste te des victimes choisies. Poussé par ses coreligionnaires, il vint se réfugier à Mulhouse et dans sa demeure, rue des Boeufs, il installa bientôt un Oratoire.

En 1808, les Juifs sont au nombre de 165 individus, sur une population totale de 8.000 à 9.000 âmes. En 1822, ils seront 400 sur 9.000 habitants environ. A la fin du siècle, en 1890, la Communauté comprendra 2.132 personnes sur une population de 78.892 âmes. Elle se compose aujourd'hui d'un millier de familles, soit 3.000 à 4.000 âmes, sur une population de près de 100.000 habitants. C'est là une progression considérable, qui eût été plus sensible encore si la mortalité infantile n'avait atteint pendant les premières décades de tragiques proportions et si un grand nombre de Juifs n'avait émigré au cours du 19ème siècle, particulièrement après la débâcle de 1870 et la dernière guerre. Les vides furent comblés toujours par une forte immigration des environs, où certaines communautés, autrefois importantes, sont maintenant presque inexistantes ou disparues.

Si faible que fût la Communauté dans les premières années du 19ème siècle, elle fut représentée à l'Assemblée des Notables et au Grand Sanhédrin, convoqués par Napoléon I”' en 1806 et 1808 à Paris, par un nommé Moyses Aron. Elle subit naturellement les conséquences des décrets pris par l'Empereur en 1808 également. L'un de ces décrets obligeait les Juifs à se procurer une sorte de brevet d'honnêteté auprès du Conseil Municipal de l'endroit où ils demeuraient et du Consistoire dont ils dépendaient, pour obtenir du Préfet du leur département une patente qui les autoriserait enfin à commercer. Presque tous les chefs de famille Juifs de Mulhouse l'obtinrent. En même temps, les Juifs durent adopter des noms fixes. C'est alors que naquirent certains noms qui demeurèrent particuliers à des familles juives d'origine mulhousienne : Lantz (autrefois Lazarus), Paraf (autrefois Levy), Javal, (autrefois Jacob), Platz (Jenan), Mangold (Jacob), etc.

Un autre décret organisait le Culte Israélite. A partir de ce moment, la Communauté de Mulhouse dépendit du Consistoire du Haut-Rhin qui était alors à Wintzenheim (près Colmar). Au receveur principal du Consistoire de la circonscription de Wintzenheim, les Juifs de Mulhouse étaient contraints, par acte de justice s'il le fallait, à payer "les taxes établies pour les frais du culte Mosaïque, et pour le paiement de la dette des Juifs de la ci-devant Province d'Alsace".

Dès ses débuts, la Communauté se mit au travail. Ne se composant encore que de 160 membres, elle comptait déjà trois instituteurs. D'ailleurs beaucoup de Juifs mulhousiens mériteront au 19ème siècle que leur soit accordé le titre rabbinique. Citons : Reb Aaron Paraf, Reb Mayer Honig, Reb Seligmann, Reb Joseph Reiss, Reb Seligman Kahn, Reb Susskind, Reb Totter, Reb Seligman Blum, Reb Simon Bing, Reb Jekel Dreyfus (aïeul du capitaine Alfred Dreyfus), Reb Jekel Hirsch, Reb Leimah, Reb Moche Weill, Reb Abraham Ikelheimer. Dans la première moitié du siècle, deux d'entre eux possédaient la morenou : l'un, David Moche Bernheim, devait être élu rabbin de la Communauté en 1822, l'autre Reb Baruch Wahl tint également une place importante dans la vie de la Communauté.

En 1820, l'oratoire établi dans la maison de Joël Bategay, devenu trop petit, fut transféré dans une maison située dans une ruelle qui portait le nom de la Place qu'elle prolongeait – Spitalplatz, – laquelle est aujourd'hui une partie de la rue Sainte-Claire, et qui porta très longtemps le nom de Rue de la Synagogue. En 1821, la Synagogue passa dans une maison toute voisine de la même rue (actuellement n° 25), acquise par la Communauté.

Jusqu'en 1830, les Juifs de Mulhouse étaient inhumés dans les vieux cimetières de la région, à Jungholtz particulièrement. A cette date, un cimetière israélite fut institué à Mulhouse, sur un emplacement occupé aujourd'hui par le jardin Salvator. En 1890, il fut désaffecté et les tombes furent transportées au Cimetière actuel, dans le quartier du Wolff, aux limites de la Ville. Le Rabbin David Bernheim avait inauguré le Cimetière de 1830. Le premier il y fut inhumé en 1831. Avec lui peut se clore la période d'établissement des Juifs qui fondèrent la seconde Communauté de Mulhouse.

Samuel Dreyfus Développement (1830-1870).

Au poste laissé vacant par la mort de David Berheim fut élu un homme éminent, actif, Samuel Dreyfus, qui consacra toute sa vie au développement de la communauté, en dépit de difficultés nombreuses. Né à Ribeauvillé en 1805, il avait été le premier élève entré à l'Ecole Centrale Rabbinique de France, alors installée à Metz et fondée en 1830. Il en sortit d'ailleurs également le premier en 1831. Ses maîtres fondaient de grands espoirs sur lui. Seul de tous ses camarades, il était bachelier ès-lettres, et c'est pourquoi, en même temps qu'il achevait ses études rabbiniques, il enseignait à ses condisciples le latin et le français.

Mulhouse, on le voit, fut la première communauté de France à être dirigée par un rabbin de formation moderne. Ce ne fut d'ailleurs pas toujours sans créer des heurts entre le rabbin et certains éléments de la Communauté que semble avoir dirigés Reb Baruch Wahl. Tel paraît avoir été, à une époque qu'on ne peut préciser, l'origine du groupement orthodoxe qui, sans être séparé de la grande communauté, subsiste encore (2).

Samuel Dreyfus justifia les espoirs que l'on avait mis en lui. Il a laissé un grande nombre d'articles historiques, exégétiques et rabbiniques parus dans la "Régénération", journal juif de Strasbourg, et dans le "Lien d'Israël" qu'il fonda, rédigea et dirigea pendant plusieurs années, à Mulhouse.

Lazare Lantz Sous l'impulsion de Samuel Dreyfus, la Communauté de Mulhouse, sans cesse croissante, construisit en 1848 la Synagogue actuelle, claire et sympathique, qui fut inaugurée le 13 décembre 1849, II fut également parmi les fondateurs de deux organisations qui n'ont cessé de rendre des services considérables à la Communauté et l'ont très tôt mise en tête du progrès social, dans le Judaïsme français : la Société Philanthropique du Haut- Rhin, laquelle, sur l'initiative de M. Werth, de Sainte-Marie-aux-Mines, créa en 1842 l'Ecole Israélite des Arts et Métiers (reconnue d'utilité publique le 18 août 1850), la première en France après celle de Strasbourg ; l'Hôpital Israélite fondé en 1862, reconnu d'utilité publique en 1870, La famille Lantz fut très étroitement associée à la fondation et au développement de ces deux institutions. M. Lazare Lantz, en particulier, qui avait été élu président du Consistoire du Haut-Rhin.

C.Bernheim D'autres organisations qui subsistent encore furent alors également créées. La Société des Jeunes Gens Israélites, fondée par le Rabbin Samuel Dreyfus en 1853 et agréée en 1855 eut pour premier président l'infatigable Corneille Bernheim, et s'occupa, en même temps que de bienfaisance, d'activités intellectuelles et artistiques. En 1860, la Société des Enfants d'Israël commençait aussi son bienfaisant travail de mutualité, sous la direction de M. Salomon Wahl. Dès 1859, la Communauté de Mulhouse, la plus importante du département, demandait à devenir le siège du Consistoire et du Grand-Rabbinat du Haut- Rhin, Cette période de développement dans la Communauté montre l'esprit de dignité, de piété et d'initiative de ses dirigeants et de ses membres. Elle fut marquée par deux affaires qui firent quelque bruit.

  1. M. Moeder a retrouvé les traces d'une accusation jusqu'ici inconnue de meurtre rituel à Mulhouse au seizième siècle, qui n'eut d'ailleurs aucune suite tragique. Il compte publier un jour dans une étude d'ensemble sur l'ancien droit pénal de Mulhouse les documents concernant cette affaire.Retour au texte

  2. Ce groupement qui porte actuellement le nom de "Beth Yaakov", ou "Sisto" (Société Israélite de stricte observance) est composé de familles qui, tout en faisant partie de la Communauté, se réunissent dans un local spécial pour les services religieux. Pendant un certain nombre d'années, il borna son activité à organiser tous les sabbats après-midi des études religieuses. mais lorsque l'orgue fut introduite dans la grande synagogue (1889), les membres de la "Sisto" inaugurèrent des offices particuliers. M. Jacques Meyer était alors le grand animateur de ce groupement. Chez lui se tenaient les services et les "lernen", et pendant un certain temps un rabbin, Lev Friedlaender, officia dans cet oratoire. Lev Friedlaender publia en 1889 la première livraison d'une édition de la Tosephta (Seraïm), ouvrage de science talmudique. Après avoir élu domicile rue des Maréchaux, 8, chez M. Jacques Meyer, puis rue de Lyon et plus longtemps sur des Tanneurs, la "Sisto" est actuellement installée dans la rue des Bonnes-Gens, 10. Retour au texte

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