L'Affaire du "Boukel-Itzig".

Vers le milieu du siècle, le schamess de la Communauté, der Boukel-ltzig, "Isaac le bossu", ainsi qu'on le nommait, fut victime d'une terrible erreur judiciaire. Accusé de meurtre sur la personne d'un enfant, il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. Vingt ans plus tard, le chanoine Wagner, de Pfastatt, recevait la confession suprême du véritable assassin, et obtint la révision du procès et la libération du malheureux condamné.

L'Affaire de Bâle-Campagne.

Une autre affaire, moins tragique, dépassa cette fois, les limites de la Communauté, Les fils de Reb Baruch Wahl avaient acheté des biens sur le territoire de Bâle-Campagne. Or ce Canton suisse était interdit aux Juifs. Le Grand-Conseil du Canton, par arrêté du 18 avril 1835 annula le contrat d'acquisition. Le gouvernement français fut saisi de l'affaire, et le Président du Conseil des Ministres, M. de Broglie, notifia au gouvernement de Bâle-Campagne une ordonnance royale du 12 septembre 1835, laquelle déclarait que ce gouvernement, "ayant méconnu le libre exercice du droit d'établissement et de propriété" envers des Français, et persistant dans son déni de justice, les relations diplomatiques entre la France et le gouvernement de Bâle-Campagne étaient suspendues, et certains traités alors en vigueur entre la France et la Suisse dénoncés. A Paris, Crémieux félicita Louis-Philippe de son action dans l'affaire, au nom du Consistoire Central et du Consistoire de Paris. Ce ne fut d'ailleurs qu'en 1865 que le gouvernement put obtenir l'assurance que tous les Français, sans distinction de culte, seraient également traités par les Cantons suisses, après une seconde affaire survenue en 1860, un Juif Français s'étant vu refuser le droit de s'établir à Bâle-Ville. Ces deux affaires furent à l'origine de l'émancipation des Juifs de Suisse.

Les Juifs de Mulhouse et leurs concitoyens.

L'opinion publique à Mulhouse s'était aussitôt rangée aux côtés des frères Wahl. Des articles vigoureux furent publiés par l'"Industriel Alsacien". Eux-mêmes éditèrent une brochure : "Du Différend survenu entre la France et Bâle-Campagne" De façon générale d'ailleurs, les Juifs de Mulhouse étaient favorablement considérés par leurs concitoyens des autres confessions. En 1835, un Juif de Mulhouse, chose fort rare, ayant été condamné pour assassinat (Affaire Moyse Bernheim) et exposé au pilori de la Place de la Réunion, fut insulté dans sa religion par la populace. L'"Industriel Alsacien ." protesta, déclarant: "jusque dans un condamné respectons sa croyance". En 1837, la grande famille protestante mulhousienne des Koechlin fit un don à la synagogue. De nombreux chrétiens comptaient parmi les souscripteurs réguliers de l'Ecole de Travail et l'on doit une mention à la générosité du Dr Salathé qui, pendant des années, donna gratuitement ses soins aux petits apprentis juifs de Mulhouse. Lors des obsèques de Lazare Lantz, les enfants de l'orphelinat de la rue du Bourg, conduits par des soeurs de l'liederbronn précédaient le corbillard.

Ces quelques exemples suffisent à montrer le caractère des relations entre les Juifs de Mulhouse et leurs concitoyens. Depuis 1819, ils prenaient d'ailleurs une part de plus en plus importante au développement de l'industrie de la ville (Katz Frères et Dreyfuss ou Trefouss, 1819; Katz et Piquart, 1835; Dreyfuss et Wallach Frères, 1852; Elie Dreyfus, 1854; Lang et Bloch, 1856; les Fils d'Emmanuel Lang, 1857; Daniel et Sam Levy, 1857; Samuel Wallach, 1857; S. et P. Dreyfus, 1859; Raphaël Dreyfus, 1862; Dreyfus et Lantz frères, 1865, etc. ). Des hommes comme Lazare Lantz qui fit d'ailleurs partie du Conseil Municipal pendant de très nombreuses années (1860-1902), qui fut pendant plus de 10 ans président du Conseil d'Administration de la Caisse d'Epargne, fonda la Banque de Mulhouse, fut vice-président de la Société Industrielle et qui, en 1871, avec quelques autres notables, alla parlementer avec Bismarck, à Versailles, pour sauvegarder les intérêts de Mulhouse; comme Raphaël Dreyfus, père du Capitaine Dreyfus, comme Baruch Wahl, comme Corneille Bernheim, avaient su imposer le respect et parfois l'admiration. On put s'en rendre compte en 1848. Les troubles paysans du Sundgau contre les israélites n'eurent d'écho à Mulhouse que pour être sévèrement condamnés. Mais c'est avec une respectueuse. sympathie, qu'au cours de grandioses cérémonies patriotiques comme celles de l'Arbre de la Liberté en mars 1848 ou de l'anniversaire bi-séculaire de la réunion de l'Alsace à la France, le 26 octobre 1848, l'on écoutait les vibrants discours du Rabbin Samuel Dreyfus. L'inauguration de la Synagogue, à laquelle participaient les magistrats de la Ville, la troupe et un public évalué à plus de 2.000 personnes fut également une véritable manifestation d'union civique.

Après la Débâcle (1871).

Avec la guerre de 1870 et la défaite, commence une nouvelle période dans l'Histoire de la Communauté. Les Juifs d'Alsace en général, ceux de Mulhouse en particulier, nourrissaient des sentiments profondément français. Beaucoup partirent. Des industriels, comme Emmanuel Lang, transportèrent leurs tissages de l'autre côté des Vosges Bien des familles furent ainsi dispersées, écartelées. Un grand nombre parmi ceux qui restaient optèrent pour la nationalité française. C'est cette fidélité qu'après la guerre, le gouvernement français parait avoir voulu souligner, en décernant la Légion d'honneur à Lazare Lantz (10 juin 1871).

Moock Le Rabbin Samuel Dreyfus était mort en 1870. Fin 1873, il fut remplacé par le Rabbin Salomon Moock. Le choix était significatif. Né à Froeschwiller (Bas-Rhin), le 19 mai 1833, ayant fait ses études rabbiniques à Metz, rabbin de Thann de 1858 à 1873, gradué Grand-Rabbin, Salomon Moock avait fait toute la guerre et fut aumônier de l'armée du Rhin avant d'être attaché à la Garde Impériale. Cette nomination était une sorte de défi à l'envahisseur. D'ailleurs, sauf pendant la guerre de 1914, on ne devait pas cesser de prêcher en français dans la chaire rabbinique de Mulhouse !

L'élan progressif de la Communauté reprit bientôt. En 1880, la Communauté construisait un bâtiment annexe à la Synagogue, avec un oratoire. Sur l'initiative et grâce au travail personnel du Rabbin Moock, un Bain Rituel fut construit en 1882, rue Gutenberg. On opéra également des modifications dans l'agencement intérieur de la Synagogue, afin d'augmenter le nombre des places. Des offices pour la jeunesse furent organisés, le samedi matin, avant l'heure des classes. Des cours religieux furent créés en dehors des établissements officiels.

Comme son prédécesseur, M. le Rabbin Moock était un écrivain disert, et les journaux Juifs de Paris, l'Univers Israélite et les Archives Israélites, publièrent de nombreux articles de sa plume. C'est qu'en effet, les relations étaient constantes entre Mulhouse et la mère-patrie.

L'Affaire Dreyfus et Mulhouse .

De ces contacts, l'Affaire Dreyfus, qui éclata à Paris vers le 25 septembre 1894, apporte d'abondants témoignages, Alfred Dreyfus était né à Mulhouse le 9 octobre 1859, de Raphaël Dreyfus, industriel, et de Jeannette Lippmann. Le colonel Sandherr, chef du 2ème Bureau et l'un des premiers et des plus farouches accusateurs de Dreyfus, était également né à Mulhouse, le 6 juin 1846. De son père, greffier au tribunal de commerce de cette ville, il avait hérité des sentiments profondément antisémites, qu'il ne cachait d'ailleurs pas. Sandherr, qui joua à plus d'une reprise un rôle équivoque dans l'Affaire, paraît maintenant en avoir été l'instigateur, à la suite d'un renseignement vague qu'un de ses cousins, M. René Pierre Kullmann, de Mulhouse encore, lui aurait adressé peu auparavant.

Parmi les personnages qui tinrent un rôle dans cette Affaire, plusieurs étaient nés à Mulhouse ou originaires de cette ville : Mathieu Dreyfus, frère du condamné; Paul Kullmann, qui apporta un témoignage favorable à Dreyfus au procès de Rennes; M.-G. Paraf-Javal qui déposa à Rennes contre la démonstration de Bertillon; le Docteur Louis-Emile Javal, de l'Académie de Médecine, qui, au moment de la 2ème Révision, adressa au procureur général une "courte notice" sur l'expertise du fameux bordereau, etc. Scheurer-Kestner, ce noble enfant de l'Alsace", vice-président du Sénat, né à Mulhouse en 1833, fut le grand artisan de la révision et de la réhabilitation de Dreyfus, aidé dans une certaine mesure par Lalance, ancien "député protestataire" de Mulhouse.

On comprend déjà que Mulhouse ait joué un certain rôle dans l'Affaire. Des enquêtes y furent conduites, tant par les adversaires que par les partisans de Dreyfus. L'on apprit ainsi que l'officier avait fait dans cette ville quelques séjours, mais les documents récemment publiés établissent que les autorités allemandes ne lui ménagèrent pas les difficultés. On prétendit, à l'occasion d'un voyage de Scheurer-Kestner en Alsace, qu'il venait faire de la propagande à Mulhouse, "agitant" la ville. Le fait est que la ville natale de Dreyfus était partagée, comme la France, en deux camps. Mais ceux qui connaissaient la famille du condamné, ne pouvaient croire à sa culpabilité. En février 1895, deux industriels de Mulhouse, MM. Mieg-Kühler et Théodore Schlumberger ayant sollicité une audience de l'Empereur d'Allemagne, reçurent de la bouche du prince de Hohenlohe, grand chancelier de l'Empire, l'assurance que le capitaine Dreyfus n'avait jamais rien livré à l'Allemagne. Les frères du condamné, MM. Léon et Jacques Dreyfus adressèrent alors à l'Empereur une requête afin d'avoir une attestation écrite, attestation qui ne put leur être accordée, par raison diplomatique. On conçoit que la réhabilitation définitive ait été un soulagement pour les israélites mulhousiens, dont certains, parents ou homonymes du capitaine, avaient parfois connu d'amères aventures. Aujourd'hui Mulhouse vient de donner le nom d'Alfred Dreyfus à l'une de ses rues.

Felix Blum L'avant-guerre et la guerre (1898-1918).

C'est en 1898 que mourut le Rabbin S. Moock, Il fut remplacé par le Rabbin Félix Blum, né à Bischheim en 1847, sorti de l'Ecole Rabbinique de France en 1872, qui d'abord avait été rabbin de Brumath, puis de Phalsbourg. Durant son rabbinat, il écrivit un savant travail sur "Le Sanhédrin de Jérusalem". Le rabbin Blum était un patriote français convaincu. Pendant la grande guerre, contraint de ne prêcher qu'en allemand, il n'hésita pas à prononcer des sermons sur le sens desquels ni ses fidèles, ni les autorités allemandes ne se trompèrent, et fut plus d'une fois inquiété de ce fait. Cette période fut marquée par la consolidation des oeuvres déjà créées, grâce au dévouement de chefs comme MM. Isaac Lantz, Charles Bloch, Armand Bernheim, Jacques Bernheim, Alph. Gintzburger, etc... L'Hôpital Israélite fut agrandi. Mme Lily Bernheim, -- Mme Ed. Dreyfus, -- en 1911, fonda l'"Abri", société de jeunes filles, qui avait pour but de s'occuper des enfants pauvres et créa à cet effet une garderie. Le sionisme prenait pied dans la communauté et le mouvement Blau-Weiss entraînait la jeunesse, cependant que la "Progressia", puis la "Fraternitas", pourvoyaient à ses distractions.

La guerre fut particulièrement pénible pour les israélites d'Alsace. Parmi les hommes, la plupart furent dirigés sur le front d'Europe Orientale. Plusieurs réussirent à passer dans les lignes françaises. Parmi eux figurait M. Alfred Wallach, aujourd'hui député de Mulhouse (1). Mulhouse fut à proximité du théâtre des opérations pendant toute la guerre. Dans les premiers jours, à deux reprises, les Français y pénétrèrent. Des ambulances furent installées à l'Ecole de Travail et à l'Hôpital Israélite, ce qui permit certains sauvetages de soldats français, où se distingua particulièrement, au péril de sa vie, le Dr. Elias. Un grand nombre de coreligionnaires de In région, depuis Cernay jusqu'à Altkirch s'étaient réfugiés à Mulhouse, et la Communauté dut en soutenir plusieurs. Pour faire face aux besoins, les organisations et les sociétés israélites n'hésitèrent parfois pas à épuiser leurs fonds de réserve et usèrent souvent de ruse pour éviter de souscrire aux emprunts forcés émis par l'Allemagne.

Près de Mulhouse, à l'Ile Napoléon, fut fusillé en 1916, le jeune David Bloch, de Guebwiller, qui, soldat français, se faisait déposer dans les lignes allemandes par un avion et venait v chercher des renseignements La téméraire défense de Maître Léon Nordmann (2) , du barreau de Mulhouse, petit-neveu du fameux Reb Moïse Nordmann de Hegenheim, ne put le sauver du supplice. Il fut assisté, à ses derniers moments, par le rabbin Camille Bloch, de Dornach. Il est inhumé dans le Cimetière Israélite de Mulhouse.

Le loyalisme des israélites mulhousiens s'exprima de plus d'une manière, durant la guerre. M. Salomon Bloch fut condamné à 3 mois de prison pour avoir encouragé son fils à la désertion. M. Lazare Geissmann fut également condamné : le "loustic" avait publiquement raillé les Allemands, en plein Café Moll ! M. Nephtolie Walloch, affecté à l'intendance de la 7ème armée allemande, profita de sa place pour distribuer clandestinement de la viande aux populations de Montcornet, Vervins, Mouloy et Laon, cependant qu'il assurait l'échange de correspondances avec la France non occupée.

  1. Le précédentdéputé de Mulhouse (1924-1932), était M. Salomon Grumbach, aujourd'hui député du Tarn, né à Hattstatt, près de Colmar. M. S. Grumbach qui est actuellement vice-président de la Commission des Affaires Étrangères, et depuis de longues années délégué technique à la S.D.N. fut un élève de Jaurès et un collaborateur très proche de M. Briand.
    Signalons qu'un autre parlementaire israélite est également originaire de notre région, M. Louis-Louis Dreyfus, sénateur des Alpes Maritimes, est en effet né à Sierentz. Retour au texte

  2. à l'initiative de Me Nordmann et de l'Abbé Wetterlé que l'on doit le monument élevé à Guebwiller en 1921, à la gloire de David Bloch.Retour au texte

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