B A R R
En souvenir du Rabbin Elie Bloch, de Georgette et de Myriam Bloch
lundi 2 mai 2022


Lundi 2 mai à 11h., trois Stolpersteine, "pavés de mémoire", ont été installés 12, rue du Général Vandenberg à Barr, en présence de Haïm Korsia, Grand Rabbin de France.

Ces pavé ont été posés à l'adresse où vécut un temps la famille du rabbin de Barr Joseph Bloch, dont l'un des trois enfants, Élie, a été assassiné à Auschwitz en 1943 avec sa femme Georgette et leur fille Myriam, âgée de cinq ans.
Elie Bloch, rabbin de la jeunesse à Metz, est devenu pendant la seconde guerre mondiale l'aumônier des évacués et des réfugiés, et l’organisateur de réseaux de solidarité. Il a ainsi contribué à sauver des centaines de vies. C'était un "rabbin combattant", selon les termes du grand rabbin Korsia.

La cérémonie s'est déroulée sous l'égide de Madame Nathalie Ernst, maire de Barr, en présence de Christophe Woehrlé, historien et président de l'Association Stolpersteine en France, de représentants des communautés de Metz et de Strasbourg, ainsi que de nombreux descendants de la famille Bloch, venus de France et d'Israël, parmi lesquels Madame Lise Schwarzfuchs, nièce d'Elie Bloch.


Allocution d'Eliezer Schwarzfuchs
petit-neveu d'Elie Bloch




Interventions de Madame Nathalie Ernst, chant en mémoire de Myriam Bloch,
interventions de Christophe Woehrlé et du grand rabbin Korsia


Prière pour la France, dite par le grand rabbin Korsia.
Films : Jean-Yves Sichel

Tout d'abord nos remerciements !
Permettez-moi de profiter de cette occasion pour remercier de tout cœur les personnes qui ont rendu cette cérémonie possible : sans leur aide elle n'aurait pas pu se dérouler !
Merci à Madame la maire pour sa générosité
Aux élèves des écoles de Barr et à leurs maitres qui sont venus écouter et se faire écouter
À Monsieur Woehrle sans lequel rien n'aurait pu se faire
À notre cousin Jean Cahn si dévoué et si efficace
Au GRF qui nous honore de sa présence
à vous tous, famille et amis
Et enfin et surtout à ma mère, Lyse Schwarzfuchs, qui est présente ici parmi nous, avec ses quatre enfants. Elle a été l'initiatrice, le moteur de cette cérémonie. Elle, ainsi que mon père le rabbin et professeur Simon Schwarzfuchs, ont beaucoup participé à la rédaction du livre que Paul Lévy a consacré au rabbin Elie Bloch. Ce livre reste une source inépuisable de renseignements sur son œuvre et sur cette époque. Ils ont tous contribué à la perpétuation de son souvenir.

Plus de 80 années se sont écoulées depuis que mon arrière-grand-père s'est vu contraint de quitter la ville de Barr sous la pression des événements de la seconde guerre mondiale.
Nous - sa famille, les fidèles à son souvenir, et les habitants de la ville de Barr, nous nous sommes réunis devant la maison qu'ils ont dû quitter, pour proclamer hautement que nous n'avons pas oublié et que nous ferons en sorte qu'il ne soit point oublié.
Je m'appelle Elie (Eliezer en hébreu) en souvenir de l'oncle de ma mère - le rabbin Elie Bloch. D'aussi loin que je me souvienne, ce nom et tout ce qu'il signifie, font partie de moi. J'ai toujours éprouvé un sentiment de fierté d'être appelé en souvenir de Nonon Elie. C'est ainsi que nous l'appelions dans la famille. Sa photo de jeunesse domine mon bureau depuis plusieurs dizaines d'années avec la médaille de la Résistance que la France lui décerna après sa mort.

Permettez-moi de vous en dire plus sur mon oncle au cours de cette cérémonie si émouvante.
Elie a vu le jour non loin d'ici à Dambach-la-Ville en 1909. Il avait neuf ans lorsque sa famille passa à Barr, où son père venait d'accéder au rabbinat. C'est là qu'il devait signer en 1924 son œuvre principale, son livre de prières, et nombre d'autres publications. Il fut désormais connu comme le rabbin de Barr. C'est dans cette patrie que grandirent son fils et ses filles jumelles Andrée et Angèle. Leurs descendants participent à la présente cérémonie. La ville de Barr a conquis ainsi un rôle déterminant dans notre patrimoine familial.
Elie était le descendant d'une ancienne famille alsacienne, plusieurs fois centenaire.
Son père, le futur rabbin Joseph Bloch, était originaire de Grussenheim et sa mère de Westhoffen. Il excella dans ses études scolaires et fut très tôt promis à des études supérieures. Admis en 1896 au Séminaire rabbinique de Berlin que dirigeait alors le rabbin Azriel Hildesheimer, il en fut diplômé en 1902. L'année précédente il avait soutenu sa thèse de doctorat.
Sa mère était une descendante d'une grande famille de la bourgeoisie juive d'Alsace, la famille Debré. Son cousin éloigné Michel Debré devait d'ailleurs devenir le premier chef du gouvernement de la Cinquième République.

C'est dans ce milieu que naquit Elie Bloch. A la fin de ses études secondaires, il se tourna vers L'École de Tissage et Filature de Mulhouse.
A cette époque il ne songeait pas à embrasser une carrière rabbinique comme l'avait fait son père.

Au terme d'une première année d'études, il changea de direction. Son père fut ravi de sa décision de suivre ses pas et d'entrer dans un séminaire rabbinique, l'Ecole rabbinique de Paris. Il y termina ses études en 1935, non sans avoir passé quelques mois à la Yeschivah Ets ‘Hayyim de Montreux en Suisse, celle dont je fus l'élève quarante années plus tard ainsi que mon cousin Jean-Yves Sichel ici présent.
C'est au cours de ces études que ses préoccupations sociales se firent jour et qu'il devint un membre actif des organismes juifs qui se penchaient sur le sort des nécessiteux et s'intéressaient aux problèmes généraux qui se posaient sur le plan national.
En juillet 1935 il est appelé à remplir son premier poste de rabbin communautaire et nommé rabbin adjoint de la communauté de Metz, chargé de la jeunesse.
Ce rabbin imberbe apporte un souffle nouveau à cette fonction et jouit d'un contact immédiat avec ses élèves et gagne leur estime.
Une année plus tard il épouse Georgette Samuel fille de maître Samuel, président du Consistoire Israélite de la Moselle et, adjoint au maire de la ville de Metz. Elle avait à peine dix-huit ans.
Neuf mois plus tard, au mois de septembre naît leur fille Myriam.

Avec le début des hostilités en septembre 1939 près de vingt mille Lorrains, dont environ trois mille six cent Juifs, sont transférés vers l'arrière. Le rabbin Elie Bloch est alors nommé aumônier des Juifs évacués de la Moselle. Il les rejoint rapidement avec sa petite famille et c'est ainsi qu'il s'installe à Poitiers. Les Juifs mosellans débarquent sur des terres vides de toute présence juive depuis des siècles. Dispersés dans des petits villages, les évacués souffrent beaucoup de leur isolement et peinent pour y établir un semblant de vie communautaire. Elie Bloch s'efforce de mettre sur pied les œuvres sociales indispensables. Il est inondé de demandes d'aide et s'efforce de les satisfaire toutes.

Le 22 juin 1940, les troupes allemandes font leur entrée à Poitiers. La situation des Juifs ne pouvait plus qu'empirer.
Le rabbin Bloch est accablé de nombreuses charges supplémentaires et c'est ainsi qu'il se verra contraint de joindre les rangs de l'UGIF (Union générale des israélites de France) pour en recevoir un soutien et surtout une aide budgétaire qui lui permettra de répondre aux nombreuses demandes d'aide qui s'accumulent. Beaucoup de ces demandes concernent la recherche des parents dispersés par l'exode.
Les lois raciales avaient déjà été mises en place et la liberté d'établissement et de mouvement des Juifs en fut affectée.
Le camp de Poitiers, qui avait été établi à l'origine pour les étrangers bientôt suivis par les nomades, change alors et il reçoit de plus en plus de Juifs internés par les autorités françaises. On leur reprochait en général d'avoir changé de domicile sans autorisation ou d'avoir tenté de franchir la ligne de démarcation qui le séparait de la zone non occupée.
Certains, y étaient arrivés à la suite des rafles organisées à Poitiers et dans les villages de la région.
Le rabbin Bloch devait désormais consacrer la plus grande partie de son temps à ce camp : demandes diverses, démarches pour obtenir la libération d'internés ou tout au moins quelque amélioration des pénibles conditions de vie qui leur y étaient réservées. Les internés pouvaient être déplacés d'un camp dans un autre, ce qui provoquait la multiplication des requêtes adressées au rabbin pour lui demander de découvrir où avaient passé leurs proches.
Il fournissait argent, vêtements nourriture et médicaments et entreprenait des démarches en leur nom. Il n'hésitait pas à s'adresser directement aux autorités de la ville et du camp pour recevoir une réponse.
Devenu entretemps le délégué principal de l'UGIF dans les départements de la Vienne et de la Charente, il réussira à en obtenir les budgets qui lui permettrons de porter secours aux enfants qu'il avait réussi à faire libérer, et à acheter les colis de nourriture qu'il faisait remettre aux captifs.
Son épouse et lui avaient d'ailleurs hébergé dans leur domicile plusieurs enfants libérés par ses démarches.

C'est à cette époque qu'Elie Bloch rencontre le Père Jean Fleury, qui est l'aumônier des nomades voisins des internés juifs.
Ces deux hommes de religion, l'un rabbin, l'autre Jésuite, se lient d'amitié. C'est là que le Père Fleury prend conscience du sort promis aux détenus juifs. Plus tard, quand le rabbin sera arrêté, le Père Fleury s'efforcera de remédier au vide laissé par son départ.
Une partie de ces efforts fut couronnée de succès et un nombre non négligeable de rescapés lui doivent la vie. Le Père Fleury sera proclamé Juste des Nations par Yad Vashem en reconnaissance de son œuvre au cours des années de guerre.

A partir de l'été 1942 commencent à arriver des instructions pour le transfert des occupants juifs des camps vers celui de Drancy, localité proche de Paris, d'où ils repartiront vers une direction inconnue.
Les autorités d'occupation allemandes qui surveillaient l'activité du rabbin Elie Bloch décidèrent en fin de compte d'y mettre un terme. Son épouse avait déjà été arrêtée le 22 janvier 43 alors même qu'il remplissait une mission à Paris auprès de la direction de l'UGIF. Elle fut la victime d'une dénonciation : elle se serait servie du téléphone à une des heures où son utilisation était interdite aux Juifs. Elle lui envoya une carte du camp : "J'espère que tu as écrit à Paris et que je pourrai bientôt rentrer. J'ai le cafard, le cafard ! Dis à Myriam d'être bien sage et de m'écrire une belle lettre et de bien s'appliquer". Elie s'efforce de convaincre les autorités de la libérer du camp. Il réussira à la rencontrer à plusieurs reprises et à lui apporter des colis. Le S.S. responsable du camp le surveillait de très près. Il décidera bientôt d'arrêter Elie également.

Arrêté le 11 février 1943 il est immédiatement envoyé dans le camp avec la petite Myriam qu'il a décidé d'emmener avec lui pour qu'elle ne reste pas seule. Il transmet au Père Fleury des documents importants concernant les Juifs qui se cachent dans la région.
Il pensait alors qu'il ne resterait pas longtemps dans le camp. Il écrit à son père que l'UGIF le sortira bientôt de là.
Deux semaines plus tard ils sont transférés à Drancy. Les efforts déployés pour obtenir leur libération ou, tout au moins, celle de Myriam, échouent. Le séjour de la famille à Drancy se prolonge. Elie supporte très mal son manque d'activité dans la vie organisée du camp. Des lettres et divers témoignages rapportent comment lui et son épouse se sont dévoués pour venir en aide aux malades et aux personnes affaiblies. Il réussit à force de stratagèmes à rassembler tout le nécessaire pour l'organisation d'un dernier Seder [cérémonie pascale].

Des convois quittent le camp toutes les quelques semaines vers un but toujours inconnu. Elie et Georgette redoutent de voir leur tour s'approcher. Le vendredi 17 décembre 1943 ils reçoivent l'ordre de se joindre au convoi 63. Nous savons que ce convoi arriva à Auschwitz et qu'ils n'en revinrent pas.
La veille de leur départ Elie avait écrit à ses parents : Mes bien chers - cette lettre pour vous annoncer une nouvelle à laquelle vous vous attendiez sans doute - nous quittons demain matin et nous partons dans les meilleures conditions possibles : d'abord au point de vue équipement, grâce à vos trois colis, pour le ravitaillement nous en avons plus qu'il n'en faut. Mais ce qui est bien plus important, nous partons avec un groupe qui comprend nos meilleurs amis, parmi lesquels tous les membres du CA (comité d'administration) de l‘UGIF.
Encore une fois mes chers papa et maman ne vous rendez pas malades à cause de nous. D. nous permettra très bientôt de nous retrouver.
Je vous embrasse tous de tout cœur et à bientôt,
Votre Elie

Cliquez ici pour voir le reportage photo de Claude Truong-Ngoc


Les petites filles de Barr ont composé et chanté un poème en souvenir de Myriam Bloch,
assassinée à l'âge de 5 ans

De g. à d. : Mme Lise Schwarzfuchs, Mme Nathalie Ernst, maire de Barr,
le grand rabbin de France Haïm Korsia ; au second plan : Christophe Woehrlé

Photos : © Jean-Yves Sichel


Shoah Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I . J . A .