Le grand rabbin Moïse SCHUHL
Westhouse 1845 - Rouen 1911
par Eliane ROOS


le grand rabbin Moïse Schuhl à Vesoul vers 1890
Moise Schuhl
Les ancêtres alsaciens

Moïse Schuhl est né à Westhouse, village à égale distance de Strasbourg et de Sélestat. La famille y vit depuis longtemps. Son arrière grand-père “Moÿses", Mauschen (1740-1809), dont il reçoit le nom, y était connu en tant qu’instituteur, mohel (circonciseur) et marchand de toutes sortes de denrées.
Ses registres de comptes et de circoncisions ont été conservés, et partiellement publiés par nos soins (Revue du Cercle de Généalogie Juive n° 53, 1998 ; Colloque de la S.H.I.A.L. Strasbourg, 1999). Son nom de Schuhl, attesté au moins depuis les années 1720, lui vient de son père, Isaac, qui fit transformer sa grange en schule (synagogue).

Moyses Schuhl épouse en 1770 Pessel (Bösel) Weyl, fille d’Isaac b. David Weyl, préposé seigneurial au même bourg dans les années 1770-1780.
De leurs sept enfants, six figurent sur le recensement de 1784, parmi lesquels Abraham Schuhl (1779-1861), qui épouse Thérèse Telzele, fille de Marx Heimendinger, marchand de chevaux à Grussenheim, Haut-Rhin et de Rivka Riffgen Grumbach de Bollwiller (et pourtant, l’on se mariait peu entre Haute et Basse-Alsace !).

Mardoché Schuhl (1819-1901), le plus jeune de leurs enfants connus, passe de l’état de colporteur à celui de  marchand de biens, et de notable. Il épouse Véronique (1822-1845), fille d’Abraham Lion Weyl de Uttenheim, village voisin. Un fils leur naît, Moïse, le futur grand rabbin, le 2 mai 1845.

L’enfant n’a que six mois lorsque sa mère meurt d’une pneumonie. Le père se remarie peu après avec sa jeune belle-soeur, Françoise Weyl (1827-1861), qui élève le bébé et donne naissance à dix autres enfants, parmi lesquels Isaac, grand-père du professeur de philosophie Pierre Maxime  Schuhl (Paris 1902-1984).

Après le décès de Françoise, Mardoché épouse en troisièmes noces Jeannette WEYL (1838-1902). d’une vieille famille de Westhouse (son ancêtre Leiser est cité dans les années 1700 en tant que préposé de la communauté, avant David Weyl, dont descend Bösel Schuhl, femme du premier Moïse). Ils auront dix enfants, dont l’aumônier Justin SCHUHL (Westhouse 1870 - Strasbourg 1965).

Etudes

Le petit Moïse est envoyé par son père au Collège Saint-Joseph de Matzenheim. afin d’apprendre le français et l’allemand, puis au Lycée Impérial de Strasbourg jusqu’au Baccalauréat. L’enfant fait parallèlement de solides études hébraïques auprès de Reb Itzig Baer, rabbin de Bischheim, et du talmudiste le "Hokhem d’Uttenheim", Moïse Bloch de Uttenheim. tous deux fort renommés dans la région. Car c’est dans cette petite ville de Bischheim, à quelques kilomètres au nord de Strasbourg. qu’il loge, chez sa tante Sara née Schuhl, soeur de Mardoché. Elle est l’épouse de Simon Lévy, fondateur de la banque Simon Lévy & fils (Asch par la suite), alors que son propre père, Isaac Lévy; était simple changeur de monnaies sur le pont de Kehl à Strasbourg. Il fait partie des notables de la ville, très actif dans la communauté et très instruit c’est ainsi qu’il sera capable d’écrire, en 1872, une longue lettre en pur hébreu à son pensionnaire de neveu, devenu son gendre et le rabbin de Saint-Etienne...

Muni de son baccalauréat (1862) et d’une bourse d’études, le jeune homme monte à Paris étudier à l’Ecole rabbinique de 1863 à 1865. Il a pour maîtres : le directeur, Isaac-Lion Trenel (Talmud et méthodologie), le grand rabbin Lazare Wogue (théologie, exégèse et hébreu), Albert Cohn (histoire des Hébreux), Isidore Cahen (histoire générale et littérature), Eugène Manuel (textes des auteurs grecs et latins), Paul Janet (philosophie), Félix Hement (physique et mathématique), le ‘hazan (chantre)  et compositeur Samuel Naumbourg enfin.

1871 - élection, annexion

Il est élu au poste de Saint-Etienne dans la Loire, mais la guerre éclate. L’Alsace passe sous le joug allemand. ce qui crée une déchirure inguérissable.
Les parents Schuhl restent dans leur ferme de Westhouse avec leurs plus jeunes enfants, pendant que les aînés optent peu à peu pour la France et vont résider à "l’Intérieur", où jamais ils n’oublieront leur province natale.

Le jeune rabbin revient cependant à Westhouse annexée pour s’y marier : il épouse, en avril 1871, sa cousine Julie Lévy de Bischheim, cadette d’une famille de huit enfants.
Leur premier fils, Abraham Albert, vient au monde à Saint-Etienne le 10 juin 1873. Berthe, unique fille du couple, née en 1875. décède d’une typhoïde à quatorze ans. Trois petits garçons meurent en bas âge. Deux autres fils atteindront l’âge adulte : Baruch Paul (1885-1940) et Nathaniel René (Vesoul 1890-Rouen 1928).

Saint-Etienne

Le premier poste du rabbin Schuhl le conduit dans la Loire, à Saint-Etienne. Il fait ses premières armes dans cette ville industrielle et minière qui abrite une communauté juive alors prospère, d’origine alsacienne.
Il y mène des activités multiples : rabbin consistorial, bâtisseur de synagogue (1880), secrétaire et comptable de sa communauté.

Reçu au concours du CAPES d’allemand et trop jeune pour partir à la guerre en tant qu’aumônier. il décide -  par patriotisme - de donner des cours bénévoles d’allemand aux officiers et sous-officiers en garnison dans la cité. Il est également secrétaire de sociétés savantes, délégué cantonal et. de surcroît. écrivain "à ses moments perdus".

C’est ainsi qu’il publie, en 1878, sa thèse d’aptitude au grand rabbinat, une anthologie de Sentences et Proverbes du Talmud et du Midrasch. suivis du traité d’Aboth.
Il s’intéresse à l’histoire et aux traditions juives et publie quelques opuscules sur l’antijudaïsme des Romains, sur les Superstitions et coutumes populaires dans le judaïsme etc.

Le grand rabbin exerce dix-huit années à Saint-Etienne, avec quelques velléités de départ puisqu’il est élu grand rabbin d’Oran. La santé de son épouse l’incite à renoncer à ce poste.

Vesoul

En 1888, c’est l’élection au siège de Vesoul en Franche-Comté, circonscription créée après la défaite de 1871, afin de remplacer Colmar annexée. C’est au cours de cette période qu’il affronte la calomnie "judéophobe" d’Edouard Drumont.
En 1892 en effet, le journal La Libre Parole l’accuse en termes peu amènes, d’avoir interdit sa porte à des soldats de passage, alors qu’il les avait envoyés à ses frais passer la nuit dans une auberge. Le rabbin diffamé refuse d’écouter les conseils de prudence venus de Paris et réagit, comme il l’a toujours fait. Il porte l’affaire en justice (1892-93) ; le tribunal lui donne raison et condamne le responsable de la redoutable gazette.

Quelques années plus tard, l’Affaire Dreyfus secoue le pays. Moïse Schuhl multiplie les démarches auprès des autorités afin d’obtenir l’appui de la police locale pour rétablir le calme dans les rues.

La communauté de Vesoul s’amoindrit au profit de plus grandes cités. En 1890, Moïse Schuhl est pressenti pour diriger l’Ecole rabbinique à Paris ;  Il se désiste en faveur de son ami Joseph Lehmann, fils du rabbin de Belfort.

Epinal

Le siège consistorial vésulien et son grand rabbin sont alors translatés à Epinal. dans les Vosges voisines (en 1896). Moïse Schuhl y côtoie les familles des sociologues spinaliens Emile Durkheim et Marcel Mauss.

Le grand rabbin organise des actions de solidarité en ces temps où nulle protection sociale gouvernementale n’est assurée. Suivant l’esprit de la tradition, il met sur pied une “Société de bienfaisance israélite”, fondation originale d’assistance anonyme, qui procure travail ou formation, et non pas un simple soutien pécuniaire, aux plus démunis, et surtout aux jeunes. Il milite également pour la création d’un orphelinat, de bibliothèques communautaires, ainsi que pour l’Alliance Israélite Universelle; il rédige des articles et prononce des conférences.

La loi de Séparation des Eglises et de l’Etat. à l’aube du 20ème siècle, occasionne bien des désagréments aux rabbins,  comme aux fonctionnaires des autres cultes officiellement reconnus. Une remise en cause du judaïsme organisé -  déjà amorcée auparavant - provoque des polémiques qui vont bon train dans les synodes rabbiniques français, ainsi que dans la presse juive de l’époque. Pour sa part, Moïse Schuhl se montre résolument partisan de réformes, mais légères, qui vont dans l’esprit de la Halakha la loi juive traditionnelle.
"Pourquoi, écrit-il, ne pas autoriser ce qui l'est  par nos sages ?"

A table en famille près de Rouen (1902) : le rabbin entouré de l'aîné et du plus jeune de ses fils (à droite), de son épouse Julie (tout à fait à gauche), de sa belle-fille Lucie née Weyl, et des parents de celle-ci.

Rouen

A l'âge de 63 ans, Moïse Schuhl, en mauvaise santé, choisit de prendre sa retraite. Il quitte alors Epinal avec sa femme et leurs deux plus jeunes fils pour venir rejoindre Albert, leur fils aîné installé à Rouen, marié et père d'un petit garçon, André, né en 1901.

Abraham Albert vécut à Rouen, de même que son fils André (1901-1990). Tous deux travaillaient dans l'industrie cotonnière et tous deux furent Parness (présidents de la communauté). Albert mourut en janvier 1945 "en exil" à Souillac, Lot.
Moïse Schuhl fréquente assidûment la Bibliothèque municipale, où il étudie d'anciens manuscrits hébraïques. Malade, il quitte ce monde peu avant la première guerre mondiale.

Personnage érudit, curieux d'ethnologie et d'histoire, versé dans la littérature juive certes, mais également pétri de savoir classique et moderne, il utilisa ces sources variées, que jamais il n'omit de citer dans ses travaux.
Un domaine privilégié : l'hébreu, resté langue vivante, langue d'échanges entre rabbins et laïcs de tous pays, ainsi qu'en témoignent les lettres conservées par lui.
 Ce fut un humaniste, un homme ouvert et consciencieux, aux idées généreuses qu'en bon gestionnaire, il sut mettre en  oeuvre de façon pragmatique. De caractère bienveillant, bien qu'autoritaire parfois.

Patriote fervent, comme la plupart des Alsaciens et des Lorrains, Moïse Schuhl alla jusqu'à détourner les termes d'un psaume (137: 5-6) et substituer la France à Jérusalem :
"Si je t'oublie, ô France, que ma droite s'oublie elle-même ; que ma langue s'attache à mon palais si je ne me souviens pas de toi, si je ne fais pas de la France le principal sujet de ma joie !" (discours d'Installation, Epinal, 1896)

Eliane  Roos  Schuhl    
(son arrière petite-fille)


Bibliographie indicative :
Pour en savoir plus :


Rabbins Judaisme alsacien Histoire
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