Pierre Maxime Schuhl
Paris 1902 - 1984
par Jacques R. Weill
Extrait de la Lettre de la Victoire mars-avril 2002 - nissan 5762, avec l'aimable autorisation de l'auteur


Le Professeur
Pierre-Maxime Schuhl en 1970

Nous nous devons d'évoquer le centenaire de la naissance d'un authentique et éminent philosophe français du 20ème siècle, de famille et de conviction juives, apparemment frappé d'un discrédit, d'un ostracisme, d'une relégation aux oubliettes universitaires et médiatiques tout à fait immérités.
Est-ce imputable au fait que tout au long de son existence et de sa brillante carrière il ne s'est préoccupé que de philosopher, c'est-à-dire de poser des questionnements et jalons sur la voie de la sagesse ?
Le silence répandu sur son oeuvre considérable peut tenir à ce qu'il s'est gardé scrupuleusement de s'embarquer sur les vaisseaux du marxisme militant, de proférer des anathèmes à l'égard de ses contradicteurs, de faire chorus à la dénonciation des technologies de progrès et de mieux-vivre.

Pierre-Maxime Schuhl a mené une existence exemplaire tout au long du siècle écoulé (1902-1984). Entré à l'Ecole Normale Supérieure dans la promotion 1921 où il restera jusqu'à son agrégation de philosophie en 1925, reçu au Doctorat en 1934 , il débute comme Maître de conférences à Montpellier, puis professeur à Toulouse. Dévoué à la patrie comme bien des originaires d'Alsace (sa famille est originaire de Westhouse), juif de surcroît (il est le neveu du grand rabbin Moïse Schuhl et de l'aumônier Justin Schuhl), il atteint le grade de capitaine de réserve qu'il exerce dans une division motorisée au cours de la deuxième guerre mondiale.
II est fait prisonnier et séjourne jusqu'en 1944 dans le camp de Codlitz internant des officiers de nations alliées ; il évoquera à plusieurs reprises cette période et les enseignements qu'il en a tirés, particulièrement dans un texte titré Jeux des images captives où il expose poétiquement comment s'opposaient des images compensatrices à toutes les privations subies utilisant le principe d'Epicure "qui voyait dans la mémoire du passé l'antidote du mal présent".

Après sa libération il est nommé professeur à la Sorbonne et à partir de 1962 président du Département de philosophie. Ayant été président de la Société des Études Juives (1949-1952), il devient à partir de 1952 Directeur de la Revue philosophique en même temps qu'il dirige la collection de la Bibliothèque de Philosophie contemporaine.

II sera nommé membre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1970.

Tout en assumant scrupuleusement ces hautes fonctions, P.-M. Schuhl publie une oeuvre considérable qui inclut plus de 400 articles et qui s'applique spécialement à la philosophie grecque et à l'héritage de Socrate et de Platon recueilli par les philosophes ultérieurs, anciens et modernes ; parmi ses Études platoniciennes figure un essai sur les contacts entre penseurs juifs et grecs. Dans tout le courant de son oeuvre se trouvent d'ailleurs parmi les abondantes références érudites de nombreuses citations ayant leur origine dans la Bible et les rites hébraïques.
Dans le prolongement de l'étude de la pensée et des mythes platoniciens le professeur Schuhl a fait porter sa réflexion sur les rapports entre l'imaginaire et le réel ainsi que sur l'intervention du merveilleux en confrontation avec le rationnel qu'il interprète en psychologue et en épistémologue dans plusieurs ouvrages dont le contenu demeure très actuel, parmi lesquels L'Imagination et le merveilleux, la pensée et l'action (éd. Flammarion 1969) où se trouve cette belle citation : "Le merveilleux trouve son origine dans le conflit permanent qui oppose les désirs du coeur aux moyens dont on dispose pour les satisfaire".

Pour conclure cet hommage, et pour apprécier l'élégance, la sobriété et la clarté de la langue de cet auteur, qu'il suffise de citer ce qu'il écrivit lui-même pour évoquer un de ses illustres collègues :
"(Son) oeuvre, variée, féconde, novatrice, s'étendant de l'Histoire de la Philosophie et des Idées à la Morale, à la Sociologie, à l'Ethnologie, à la Science de l'Homme en général, exerça son influence sur de nombreux domaines voisins.
Parfois éclipsée depuis plus de vingt ans par des formes de pensée qui lui doivent beaucoup plus qu'elles n'en ont conscience, il est temps qu'elle sorte de la zone de pénombre où s'enfoncent parfois les grandes créations dans la période qui suit immédiatement la mort de leur auteur".

A l'approche de la Pâque juive où se commémore depuis plus de 3.000 ans l'intrusion du merveilleux dans le quotidien douloureux d'une peuplade, devenue de ce fait un peuple qui survit jusqu'à nos jours, il n'est pas indifférent de reconnaître à P.-M. Schuhl le mérite d'en avoir restitué et et analysé l'importance aussi bien dans la vie personnelle que dans l'imaginaire collectif.

Sélection parmi ses ouvrages :
Platon et l'art de son temps (1933,1952)
Essai sur la formation de la pensée grecque (1934, 1949: sa thèse de doctorat)
Machinisme et philosophie (1938, 1947)
Etude sur la fabulation platonicienne (1947)
Pour connaître la pensée de Lord Bacon (1949)
Le Merveilleux, la pensée et l'action (1952, 1969)
Le Dominateur et les possibles (1960)
Imaginer et réaliser (1963)

Parmi les nombreux textes qu'il a édités :
Trois Essais de Montaigne (1951)
L'Oeuvre de Platon (1954)
Etudes platoniciennes (1960) contenant un essai sur les contacts entre penseurs juifs et grecs.

Merci à Madame Eliane Roos de nous avoir communiqué la photographie qui illustre cet article.

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