Le rabbin Moïse BLOCH
dit "le 'Hokhem de Uttenheim"
(1790 - 1868)
par le Grand Rabbin Max Warschawski

Le Yisma’h-Moshé

Le Yisma'h Moshé
Yisma'h Moshe
Il y a quelques mois paraissait un ouvrage dont l’auteur est mort il y a cent trente ans. Ce livre, Yisma’h-Moshé est un commentaire très savant sur des passages du traité talmudique de ‘Houlîn. Dialectique (Pilpoul) et confrontations entre les opinions des maîtres anciens et récents à propos des lois de la She’hita (l'abattage rituel) ou de la Casherouth, témoignent de l’érudition exceptionnelle de l’auteur.

Ceci n’aurait en soi rien d’extraordinaire, car nombreuses sont les oeuvres de ce genre que l’on appelle "hilouké de rabanan". Les auteurs de l’Europe centrale ou orientale nous en ont laissé des bibliothèques entières. Ce qui est rare par contre, c’est de trouver des ouvrages de ce genre composés par des rabbins d’Alsace. Or, la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg possède des manuscrits du 18e ou du début du 19e siècle, qui prouvent que nos anciens n’avaient pas moins de connaissances que leurs homologues de Pologne ou de Russie. Ils utilisaient les mêmes méthodes, parlaient le même langage. Des maîtres célèbres venaient parfois du fin fond de l’Europe pour y enseigner, et les étudiants d’Alsace ou de la région rhénane partaient étudier auprès des grands savants d’Allemagne ou même dans les Yechivoth d’Alsace comme Bouxwiller, Ettendorf ou Sierentz.

Mais si ces manuscrits, ne sont souvent que des notes prises auprès des "lumières" rabbiniques comme Rabbi Jonathan Eibeschutz et le Chaagath Arié de Metz, ou Rabbi Tebelé David Scheuer de Mayence, c’est parce que les rabbins étaient trop pauvres pour faire éditer leurs ouvrages.

Il en était ainsi de l’auteur du Yisma’h-Moshé, rabbin Moïse Bloch, plus connu sous le nom du 'Hokhem d’Uttene, un personnage dont chaque Juif d’Alsace connaissait au moins le nom. Sa pierre tombale, d’une hauteur exceptionnelle et le texte élogieux au possible dans le cimetière de Koenigshoffen, témoignent du respect et de la vénération dont il était entouré. C’est par cette matzéva que l’on savait que Moïse Bloch avait écrit un livre : le Yisma’h-Moshé.

Ses descendants ont retrouvé le manuscrit, déposé, il y a un siècle, à la bibliothèque du Séminaire Israélite de Paris par le rabbin Lehman de Belfort, parent de l’auteur. Merci à tous ceux qui ont permis de faire revivre leur aïeul par leur persévérance afin que, lorsqu’on lira son oeuvre, “ses lèvres remuent dans sa tombe”.

Le rabbin Moïse Bloch

En hommage à tous ces rabbins ignorés depuis des générations, je voudrais vous parler de l’un d’entre eux, le ‘Hokhem von Uttenhe, Moïse Bloch.

Uttenheim ou plutôt selon la prononciation locale Uttene est un petit village situé non loin d’Erstein. En 1784 on y trouve 28 familles juives, totalisant 132 âmes. Parmi ces familles figurent celle de David Bloch et de son épouse Madel Zandig. Ils ont alors deux enfants, Loëw (ou Leib) et Reitz. En 1789, naîtra Makdel (ou Madel) et, le 29 août 1790, un fils, Moyse, le futur ‘hokhem.

Entre cette dernière date et la prise de noms patronymiques des Juifs en 1808, la mère de Moyse, est morte. Makdel devient Madeleine, Reitz deviendra Rachel. quant à Leib il est, en 1808 marié et père de famille.

Moyse Bloch eut comme professeur le rabbin de Westhoffen, Abraham Isaac Lunteschutz (1), originaire de Romanswiller, où il séjournait encore avec sa famille en 1784.

Vers 1820, Moyse s’installa à Strasbourg avec sa femme, Madeleine Goldschmidt, dont les parents habitaient la capitale alsacienne. Madel Goldschmidt (à partir de 1808 Madeleine Goldschmidt) était issue d’une famille rabbinique célèbre en Alsace (2). Son grand-père était Samuel Goldschmidt, anciennement Samuel Moyse habitant à Rosheim. Son arrière grand-père était le rabbin Tzwi Hirsch Lévy Schoplich, qui avait été enseignant à Brisach. Le fils de Samuel, Anchel (Aser Goldschmidt) deviendra le beau-père de Moïse Bloch.

C’est à Strasbourg que le jeune rabbin exerça son activité jusqu’en 1868, date de son décès. C’est là aussi que lui vint le surnom de Hokhem de Uttene, qui marquait à la fois son érudition et l’affection qu’on lui témoignait. Il n’était pas rabbin officiel, mais un enseignant prestigieux de Talmud et de Halakha pour des élèves qui venaient étudier dans sa ‘’yeshiva’’, probablement une pièce de son appartement, situé rue de Hannong ou rue Sainte Hélène, et qui servait aussi d’oratoire.

Beaucoup de ses élèves deviendront rabbins et certains d’entre eux poursuivront leurs études à l’école rabbinique de Metz, transférée à Paris dans la deuxième moitié du 19è siècle. Le plus connu d’entre eux sera Zadoc Kahn, futur grand rabbin de Paris, puis grand rabbin de France au moment de l’Affaire Dreyfus.

La tombe du Hokhem et de son épouse - © Dr Henri Hochner
tombe du Hokhem
Mais Moïse Bloch n’était pas seulement un maître à l’enseignement théorique. On venait consulter le ‘’Sage’’ pour toutes sortes de problèmes tant communautaires que privés, d’ordre familial, commercial et autres. Mais c’est comme talmudiste et décisionnaire, que Moïse Bloch était réputé. Le grand rabbin Arnaud Aron reconnaissait sa science et se concertait avec lui pour de nombreux problèmes intéressant le judaïsme du département. La tradition orale rapporte que des non juifs également, en grand nombre, venaient lui demander conseil, et vantaient son bon sens et sa chaleur humaine.

Bien que la communauté de Strasbourg, sous la pression de certains de ses notables, cherchât à ‘’moderniser’’ le culte, dans la synagogue de la rue Sainte Hélène, Moïse Bloch se sépara jamais de la collectivité. Cependant, il refusa toujours un poste rabbinique officiel.

L’imposant monument funéraire que l’on érigea sur sa tombe à Koenigshoffen, et son épitaphe évoquent à la fois le maître, le savant, et l’homme bon et affable proche de D. et proche des hommes. A coté de sa pierre tombale, une stèle identique rappelle combien Matel Sarah bath Anchel a été sa digne épouse, pieuse, généreuse, affable et hospitalière. Elle est décédée en 1879.

Le rabbin Armand Bloch

Rattaché par sa femme à une grande lignée de rabbins, Moïse Bloch sut transmettre sa science à son fils Joseph David, qui, comme son père, n’exerça pas officiellement comme rabbin, mais fut un talmudiste et peut-être, un kabaliste. Sur l’acte de naissance en 1865 de son fils Herman Isaac, plus tard Armand Bloch, il figure comme ‘’employé de commerce’’!

Petit fils du Sage d’Uttenheim, Armand Bloch,(1865-1952) fut le premier rabbin de cette famille à occuper un poste officiel dans des communautés. Lorsque vers 1890, les Allemands refusèrent de nommer à des postes concordataires les élèves issus du Séminaire rabbinique de Paris, les trois consistoires décidèrent d’ouvrir une école rabbinique pour les départements du Rhin. Une école préparatoire fut installée à Colmar. De là, les élèves devaient poursuivre leurs études rabbiniques et universitaires à Strasbourg. Mais l’école de Colmar ne fonctionna que quelques années. Les candidats au rabbinat durent faire leurs études à Berlin ou à Breslau.

Armand Bloch, avec ses camarades Ernest Weill et Zivy furent les premiers à choisir le séminaire orthodoxe créé à Berlin par Azriel Hildesheimer. Ils furent suivis par plus d’une vingtaine de jeunes alsaciens qui, pour la plupart, occupèrent des postes dans leur province d’origine.

Armand Bloch fut rabbin à Soultz sous Forêts, puis à Obernai et, enfin, à Saverne. Il fut le doyen du cops rabbinique alsacien jusqu’à sa mort, en 1952. Certains parmi ses descendants continuèrent la tradition familiale, en France ou en Israël.

J’ai voulu, à travers le Sage d’Uttenheim, rendre hommage à toutes ces générations de rabbins qui ont oeuvré dans notre province avec une modestie qui n’avait d’égale que leur érudition, et dont le souvenir ne devrait pas disparaître.

Appendice

  1. Abraham Isaac Lunteschutz dit Eisik Schmulen (1784) : né à Romanswiller où son père, Schmulé (Samuel) Aron était président de la communauté. Descendant de Salomon Ephraïm ben Aron de Lunteschutz, auteur du Kli Yakar (décédé en 1619). Marié en 1770 à Héné de Wintzenheim, il se remarie, veuf, en 1773, avec Yidel, fille de Jonas Aron de Phalsbourg, issue d’une famille de notables et de rabbins. En 1808, il est rabbin de Westhoffen, marié à Sara Nettre (Netter). Membre du Grand Sanhédrin de Napoléon, il finira sa carrière comme rabbin de Endingen, en Suisse. Décédé en 1818. Retour au texte

  2. Famille de Madeleine Goldschmidt, épouse de Moïse Bloch :
    • Madeleine Goldschmidt 1799-1879
      fille de Anchel Samuel (devenu en 1808, Asser Goldschmidt)
      petite-fille de Samuel Moyse (devenu en 1808 Samuel Goldschmidt)
      arrière-petite-fille du rabbin Tsvi Hirsch Levy Schoplich
    • Rabbin Tzvi Hirsch Schoplich Né à Rakov fin du 17e siècle, a enseigné à Brisach.
    • Son gendre : Samuel Moyse (dit Samuel Rosheim), originaire de Mannheim (son père est originaire de Prague), figure en 1784 comme maître d’école à Rosheim, mais il est probablement rabbin. En 1808, il ne figure pas sur les listes de Rosheim, ni sur celles de Strasbourg. La famille prend le nom de Goldschmidt. Décédé à Strasbourg en 1811. Sur le registre du cimetière de Koenigshoffen est dit de lui : "Homme de droiture, le juste et pieux rabbin Samuel Rosheim". Il a été enterré dans une nouvelle rangée vers le bas (ce qui est un honneur réservé aux grandes personnalités.)
    • Un des fils de Samuel Goldschmidt : Anchel Aser Goldschmidt (1761-1835), Veuf de Sophie Strauss. Né à Rosheim où il figure dans le recensement de 1784 (Anchel Samuel). En 1808, demeure à Strasbourg où il est décédé le 10 octobre 1834. Sa fille Madel (Madel Sara) 1799-1889, sera la femme de Moïse Bloch, le ‘Hokhem d’Uttene. Retour au texte


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